On retrouve là le lien entre l’indigence et la question de l’ordre public, tout comme la nécessité que l’effort individuel soit mobilisé pour sortir de cette situation. Il ne s’agit pas de donner un travail, de manière exceptionnelle face à des crises temporaires. Le travail relève donc d’un droit naturel, d’un devoir d’assurer ses propres conditions d’existence. La liberté de travailler est une conséquence du droit de propriété, elle n’est pas celle d’une propriété sociale qui garantirait l’accès à un travail. C’est par les efforts de chacun et par la libération de l’économie, et donc de la fin des tutelles sur le travail, que la prospérité sera acquise.

Le cas des ateliers de charité : émergence d’une solution provisoire pour les sans-travail

Le développement des ateliers de charité est accepté par le comité de mendicité pour faire face à un contexte de crise qui s’impose aux personnes, à l’image des conséquences des mauvaises récoltes. Comme le montre Yvonne Forado-Cunéo[9], ces ateliers ont été à peine mentionnés par Adolphe Thiers et Jules Michelet dans leur histoire de la Révolution, et pas mentionnés par Louis Blanc. Ils s’inspirent pourtant des expériences déjà menées par Turgot. En effet, ils avaient déjà été testés par Turgot, alors Intendant à Limoges, pour des chantiers de terrassement et sur la base du volontariat. La mendicité est alors une faute. Il faut rappeler que les mendiants étaient enfermés, ce qui inspira la création de l’Hôpital Général sous Louis XIV, puis des dépôts de mendicité sous Louis XVI.

Les ateliers de charité peuvent alors être une solution temporaire pour faire face aux crises agricoles et aux conséquences du traité de commerce conclu avec l’Angleterre en 1786. Il ne s’agit pas d’enfermer les plus pauvres, dans le contexte du bouillonnement révolutionnaire, mais de leur proposer un travail. Aussi, dès 1788, Necker, directeur général des finances, propose à Louis XVI de former plusieurs ateliers de charité dans Paris et il confie à la municipalité de Paris le soin de développer les travaux utiles et de les affecter. Contrairement aux ateliers de Turgot, il n’était plus nécessaire de disposer d’un certificat d’indigence délivré par le curé pour accéder à l’atelier. Seules l’équipement d’une pioche et d’une pelle étaient nécessaires. 3 000 ouvriers ont bénéficié à cette période d’un travail dans les ateliers. Mais ils furent rapidement dissous[10], après quatre mois d’existence, le 1er avril 1789, à la veille des Etats Généraux. La première révolte dans le Faubourg Saint-Antoine à Paris, qui prend la forme d’un pillage de l’usine Réveillon le 28 avril 1789, montre que ce sont les personnes frappées de misère qui se révoltent et non plus seulement des voleurs. Ce sont des ouvriers sans travail qui se révoltent. Les ateliers sont donc réouverts en mai 1789 face à cette situation sociale et de crise. En juillet 1789, il y avait déjà 8 600 ouvriers répartis dans 14 ateliers[11] dans Paris. C’est le mariage de « la main invisible » d’Adam Smith, en ce qu’ils doivent être temporaire pour rétablir un équilibre dans la société, et de la volonté d’éradiquer les injustices sociales, à l’image des écrits de Jean-Jacques Rousseau, comme le souligne Robert Castel[12].

Une solution philanthropique dans un cadre disciplinaire

Lorsque l’administration municipale de Paris a été reconstituée en octobre 1789, elle fut structurée autour de huit départements[13] dont celui consacré aux Travaux Publics avec pour chef Jacques Cellerier. Ce département avait notamment en charge les églises, les cimetières, les prisons, les maisons d’arrêt et les ateliers publics et de charité. Si la voirie et la propreté mobilisaient beaucoup d’énergie face à l’insalubrité de la ville de Paris, le rapport de M. J-B Edme Plaisant[14], administrateur du département des travaux publics, décrit le fonctionnement des ateliers et leurs enjeux : « Nous arrivons à la partie du compte de M. Plaisant la plus considérable, celle qui concerne les ateliers publics ou de charité, œuvre immense dans ses détails, exigeant une surveillance de tous les instants et faisant peser la plus lourde responsabilité sur celui qui en avait assumé la charge. »[15]

[9] Foardo-Cuéno (Yvonne).- Les ateliers de charité de Paris pendant la Révolution française (1789-1791).- Extrait de la Révolution française N°4, 1933 et 1-2, 1934. Paris : A. Maretheux et L. Pactat, imprimeurs, 1934.

[10] Les ateliers furent quatre fois dissous et quatre fois réformés entre 1789 et 1791.

[11] Ibid., Foardo-Cuéno, p. 12.

[12] Castel (Robert).- Les métamorphoses de la question sociale.- Paris : Gallimard, 1995. P. 314.

[13] 1. Subsistances et approvisionnements ; 2. Police; 3. Etablissements publics; 4. Travaux Publics; 5. Hôpitaux; 6. Domaine de la ville; 7. Impositions; 8. Garde nationale.

[14] Plaisant (Edme).- L’administration des ateliers de charité.- Paris : 1906, Société de l’Histoire de la Révolution française, publié par Alexandre Tuetey.

[15] Ibid., p. XI, Introduction Alexandre Tuetey.

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