Des droits nouveaux furent toutefois expérimentés comme le fait de payer ceux qui ne pouvaient travailler en raison d’un accident pendant les travaux. On peut donc estimer à une centaine d’ateliers leur nombre à Paris. Près de 600 ouvriers furent envoyés aux travaux du canal de Bourgogne, ou encore une quarantaine en Corse à la demande de M. et Mme Maudet, propriétaires de grands terrains pour les défricher. Ils étaient dénommés dans le rapport de M. Plaisant « colons de Corse ». Pour la sociologue Danièle Linhart, le lien de subordination dévoie le sens du travail : « il permet légitimement à l’employeur de s’en emparer, de le privatiser, de le mettre sous son emprise »[17]. Dans l’exemple des 40 ouvriers envoyés en Corse pour exécuter des travaux privés, nous sommes dans ce lien de subordination qui privatise.

Le 31 août 1790, un nouveau décret supprima les ateliers et les remplaça par deux types d’ateliers : les premiers accueillaient des ouvriers payés à la tâche, les seconds accueillaient des personnes plus faibles et moins adaptées aux travaux difficiles et payées à la journée. Une des difficultés dans la gestion des ateliers de charité fut la dispersion de leur animation. Les pouvoirs publics étaient dispersés dans les rôles affectés à chacun, une absence de cohésion en résultait[18] : la municipalité, les comités de district, le Trésor royal, le Comité de mendicité, chacun intervenait dans son périmètre et à sa façon.  

Un travail prescrit qui entrave la liberté de travailler

Le 26 décembre 1790, un nouveau décret envisagea une départementalisation pour organiser les travaux de secours mais il y eut peu de retours d’action car personne ne voulait accueillir les masses d’ouvriers sans travail de retour de Paris. Le coût des ateliers est devenu de plus en plus important, et il représentait une énorme dépense pour le Trésor. La dissolution définitive des ateliers intervient par décret le 16 juin 1791. Face à la faillite de la pensée du Comité de mendicité, la Constituante laissa le soin à la prochaine Législative d’appliquer la dissolution : « L’Assemblée nationale, considérant avec peine que l’immensité de ses travaux l’empêche dans cette session de s’occuper de l’organisation de secours dont elle a dans la Constitution ordonné l’établissement, laisse à la législation suivante l’honorable soin de remplir cet important devoir. » La mesure philanthropique des ateliers n’avait pas réussi à remplir l’espérance suscitée. Yvonne Forado-Cuéno souligne que le contexte de la Révolution, dont l’aspect provisoire des autorités n’était pas propice à leur réussite. Livrés à eux-mêmes, une part des 30.000 hommes ainsi rassemblés constitua alors le noyau de l’armée de la Révolution, avec les premiers volontaires de 1792.

La loi du 15 octobre 1793 prévoit encore une relance d’un système de travaux publics à l’échelle départementale, mais elle ne fut pas appliquée : « Les travaux de secours, avant d’être ouverts, seront annoncés par affiches, quinze jours à l’avance, dans toutes les municipalités du district. Les indigents qui s’y rendront, seront tenus de prendre un passeport, lorsqu’ils sortiront de leur canton » (article 8). Dans le même texte sont traités à nouveau les travaux de secours, les moyens de répression de la mendicité, les maisons de répression, les travaux forcés (« transportation) et les domiciles de secours. Cette loi vise alors dans l’intention à l’extinction de la pauvreté. Comme le souligne Robert Castel, l’indigent est criminalisé et obligé de travailler[19].

Il existe donc une forme de travail forcé pour les indigents alors même que la Révolution proclamait la liberté de travailler et que Turgot avait lancé les ateliers de charité à Limoges avant la Révolution française sur la base du volontariat. Mais la quête de l’ordre public a pris le dessus. C’est une ambiguïté du droit : « Le cœur de l’ambiguïté porte sur la notion même de droit. Le mot droit n’a pas un sens identique selon qu’il concerne les secours ou le travail. Dans le premier cas, il s’agit bien d’une créance de l’indigent sur la société. L’Etat « doit » et peut-être pourrait, mettre en place un système de secours publics, levers des impôts, recruter des personnels, créer des institutions spéciales, etc. Il en va autrement s’il s’agit de « procurer la subsistance par le travail » : l’Etat refuse explicitement de prendre la responsabilité d’assurer à chacun du travail. »[20]

[17] Linhart (Danièle).- L’insoutenable subordination des salariés.- Toulouse : Editions érès, 2021.

[18] Ibid., Foardo-Cuéno, p. 21-28.

[19] Ibid., Robert Castel, p. 316.

[20] Ibid., Robert Castel, p. 317.

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