Restrictions, confiscation des morts et modification des rites funéraires en Corse au temps de la Covid 19
Compte rendu d'enquête
Ce parcours thématique présente l'étude qualitative à plusieurs volets qui s’intitule « Restrictions imposées aux familles, 'confiscation' des morts et des rites funéraires, limitations des rapports humains en Corse. Quels risques sociétaux au temps du COVID et après ? ». Elle se rattache au cadre de recherche du projet B3C intitulé « Les transformations d’une société en mouvement : la Corse moderne et contemporaine »
Il s’agit d’une enquête socio-anthropologique participative avec pour objectif l’impact des restrictions et des recommandations liées à l’épidémie du Covid19 en Corse. Ce travail d’enquêtes a débuté en octobre 2020 et s’est conclu en juin 2022.
La principale orientation a consisté en une étude ciblée avec des professionnels du soin et du funéraire, des familles, des représentants des cultes, des maires ou des élus, se déroulant dans les agglomérations des départements corses touchés par une forte contamination au Sars-Cov-2. Il s’est agi de dégager les conséquences d’un accompagnement des défunts excluant les proches, des modifications des pratiques funéraires et des pratiques de soin et de leurs effets sur les relations sociales. Ce travail d'enquête réalisé par Vannina Lari et Catherine Le Grand-Sébille, ainsi que deux autres textes (ceux de Paul-Julien Venturini et Tony Fogacci) qui mettent en évidence le déroulé de cette crise au cœur de la société corse, ont fait l'objet d'une publication aux éditions Université de Corse/ Alain Piazzola.
Nous remercions Olivier Sanchez (Crystal Pictures) et George Nicoli pour leur contribution iconographique et le prêt gracieux de leurs images.
Crédit photo: Georges Nicoli
Sommaire
- Les rites funéraires au temps de la Covid 19
- Gestion de la maladie, des malades et des morts
- Confinements, restrictions : des temporalités quotidiennes modifiées
Les rites funéraires au temps de la Covid 19
La mise à l’écart soudaine des défunts pendant de longues semaines est venue rompre le lien étroit des familles corses avec les funérailles et leur préparation, alors que la relation à la mort est centrale dans les rapports sociaux et l’équilibre de la population. En interrogeant des élus ou des représentants du culte, principalement dans le Valincu, c'est cette cassure temporaire avec les rites funéraires corses que l'étude dans son premier volet a explorée, ainsi que d'éventuelles modifications futures dans l’accompagnement des morts.
Messe à huis clos pour le pélerinage de Sainte Restitude.
(Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures)
Messe à huis clos pour le pèlerinage de Sainte Restitude à Calenzana, le 24 mai 2020. Première manifestation majeure depuis le déconfinement. Traditionnellement, le pèlerinage de Sainte Restitude attire chaque années des centaines et des centaines de fidèles à Calenzana. Cette année, il n'y en aura rien. Les reliques ne seront pas portées en procession et la messe de plein air à Sainte Restitude n'aura pas lieu. Cette décision a été prise par le maire Pierre Guidoni, en concertation avec son conseil municipal et l'abbé Ange-Michel Valery, archiprêtre en charge du secteur paroissial Calvi-Balagne.
(24 mai 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Célébration des Cendres à Calvi. Le 17 Février 2021 à l'église Sainte Marie Majeure. (Messe des Cendres) Celebrazione di E Cennere Chi ci facenu entre in tempu di Pasqua In santa Maria. Célébration qui marque l'entrée en carême et nous prépare aux fêtes de Pâques avec en plus l'intronisation des nouveaux prieurs de la confrérie Saint Erasme en la personne de Christophe Perimond (prieur) et des deux sous-prieurs Pierre-Marie Brun et Marie Laurent Guerini. Le mercredi des Cendres (en latin Dies cinerum, « Jour des cendres ») est un jour de pénitence qui marque le début du Carême dans le christianisme. C'est une fête mobile qui a lieu 47 jours avant Pâques en comput ancien.
(17 février 2021. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
La traditionnelle messe du 15 août (2021) célébrant Sainte Marie s'est déroulée à Calvi en Corse dans l'église Sainte Marie Majeure, suivi d'une procession à travers la ville. Care Surelle e Cari Fratelli, moment fort en émotion car après des mois sans Procession nous avons renoué avec nos Traditions Calvaises en fêtant l'Assunta Gloriosa Patronne de notre ville et de la Corse.
(15 août 2021. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Procession des Morts à Calvi le 2 novembre 2021. C'est la Fête des Défunts, l'un des moments forts du Calendrier Liturgique de l'année. Les anciens nous ont légué tout un rite de la célébration des défunts à travers l'Uffizzii di i Morti (Office des morts) ainsi que par la liturgie de la Messe de Requiem chantée lors de chaque obsèque à Calvi. L'accompagnement des Défunts et de leurs proches est l'essence même de l'engagement au sein di e Nostre Cunfraternite in Calvi. En présence de L'abbé Ange-Michel Valery. Calvi. Corse.
(2 novembre 2021. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
« Quand il y a eu des décès disons à fort caractère émotionnel, décès d’un jeune ou décès dramatique. Là, il y a eu un problème … d’affluence particulière, mais bon étant donné que l’assistance ne pouvait pas entrer dans l’église, toutes les personnes restaient à l’extérieur de l’église. (…) Les condoléances, comme au cimetière au début, sur la place de l’église de la même façon, c’est-à-dire les, les gens montrent leur présence en, en passant devant la famille, mais il n’y a ni embrassade ni accolade. Bon, l’honnêteté m’oblige à dire que parfois, ces règles n’ont pas toujours été respectées, parce que sur l’émotion, les gens ont envie de manifester encore plus leur soutien et donc il y a eu des dérapages hein entre guillemets. »
- Entretien réalisé à Propriano le 26 mars 2021 avec M. Ange Lari, premier adjoint à la mairie de Propriano et membre de la confrérie Santa Croce
« Des réticences, non, pas vraiment. Et il y a eu un manque très très fort du fait de ne pas pouvoir manifester le déroulement des, des obsèques comme d’habitude, comme à l’accoutumée, mais bon. Les gens se sont pliés finalement, aux règles sanitaires, ont compris qu’il était essentiel de les respecter. (…) en général, je sais pas s’il y a vraiment des modifications des attitudes, mais par contre concernant les règles de distanciation, ça a évolué. Au départ, ils étaient très stricts. Les gens les respectaient strictement, mais ensuite il y a eu un relâchement. (…) il y a eu des relâchements, notamment au moment des condoléances, pas durant les cérémonies, au moment des condoléances. »
- Entretien réalisé à Propriano le 26 mars 2021 avec M. Ange Lari, premier adjoint à la mairie de Propriano et membre de la confrérie Santa Croce
« Au début il y avait des gens qui ont suivi, parce que bon, il fallait être prudent, d'autres absolument pas, l’ont pris à la légère ! ça a créé plus ou moins au départ quelques conflits, notamment par exemple la communion, bon quand j'avais dit : « Écoutez, on a des restrictions. Je vous demanderai, parce que l’évêché nous le demande, que la communion soit donnée sur la main, plus à la bouche. » Il y a quelques personnes qui étaient réticentes. Oui. « Comment ? Il ne faut pas écouter, parce que le Seigneur va nous sauver. » J’ai dit oui. Mais enfin, aide-toi et le ciel t’aidera ! », il faut être quand même réaliste ! Et donc du coup, je leur ai demandé impérativement de communier en dernier, mais il y en a qui ont compris, d’autres moins. Mais moi, je ne peux pas être au-dessus des lois. Donc il faut respecter ce qu'on nous demande, parce qu’il en va de la prudence pour soi et pour les autres. Enfin je crois. Je pense, mais ça a créé quelques petits conflits, quelques tensions. C'est vrai qu’il y a des gens qui ne comprenaient pas. Oui, mais bon. On, on vous dit d’être au moins prudent. Soyons prudents. Voilà. De toute façon notre pays est en plein changement, bouleversement. Les points de repère, à mon avis sont en train de disparaître. Comment faire ? Je ne sais pas. On verra bien, mais en tout cas, on est en plein changement. Ça, c'est sûr. On va vers une autre société. (…) l'église, à Propriano pour l'instant, les gens quand même viennent à l’église, que ce soit pour des temps plus ou moins forts, que ce soit pour des obsèques […]voilà, l’église de Propriano grâce à Dieu, elle est vivante. Voilà. Mais il va y avoir des changements, c’est obligatoire, obligatoire. Et la Corse est en plein changement d’ailleurs, moi, je le vois. »
- Entretien réalisé à Propriano le 29 décembre 2021 avec l’Abbé Polge
« Le premier confinement autorisait une jauge de 20 personnes à l’intérieur de l’église. Mais je pense que devant la difficulté à, à pouvoir contrôler cette jauge, le curé en, en tout cas en ce qui concerne Propriano avait décidé de, de procéder à une brève cérémonie de bénédiction au cimetière en présence des proches, mais ça s’arrêtait uniquement aux proches, il n’y a, il n’y avait pas d’autres personnes présentes au cimetière. D’ailleurs là il faut, il faut dire que là, la population avait joué le jeu dès le départ et ne tenait pas à être présente au cimetière. »
- Entretien réalisé à Propriano le 26 mars 2021 avec M. Ange Lari, premier adjoint à la mairie de Propriano et membre de la confrérie Santa Croce
« Ça a été après le grand confinement qu’on a eu, les trois mois de confinement qu'on a eus. Ensuite donc on a pu reprendre euh… les cérémonies, donc les enterrements, parce que durant le confinement on ne pouvait pas célébrer d’obsèques à l’église. C’était interdit. […] Donc, on accueillait les personnes décédées au cimetière et je tenais personnellement à être présent malgré l’épidémie parce que bon on peut pas non plus laisser les gens s'en aller comme ça, parce qu'en plus de la peine et du chagrin, le fait de pas passer à l'église pour certaines familles, c'était très douloureux. Et donc du coup, au cimetière, une bénédiction, une prière euh… avec juste, juste la famille, personne d'autre et c'est des moments euh… très lourds et très pénibles pour la famille. (Silence) Après lorsqu’on est sorti du grand confinement, donc on a pu célébrer, mais avec un taux de personnes réduit et surtout la distanciation qui était demandée. »
- Entretien réalisé à Propriano le 29 décembre 2021 avec l’Abbé Polge
« Gérer, beh quand il y a eu ben cette épidémie de COVID. Il a fallu dire aux gens d’être prudents, de porter les masques, de pas trop se coller, de pas trop s'embrasser, etc. Alors au départ les gens ont respecté. Ils ont été prudents et puis après qu’on le veuille ou non, le contact physique, ne serait-ce qu'une poignée de main, une accolade, une embrassade, les gens ont retrouvé quand même ce côté-là, parce que ils ont besoin de sentir un peu la présence des gens quoi, surtout chez nous, on a du mal à faire les obsèques comme ça dans l’intimité, parce que ça, ça mobilise les connaissances, les amis, la famille, ça fait partie, je dirais, de l'ordre social en quelque sorte. »
- Entretien réalisé à Propriano le 29 décembre 2021 avec l’Abbé Polge
« Pendant le premier confinement, ça a été très compliqué. Il y a eu à Propriano (silence) je, je ne citerai que Propriano, il y a eu pour Propriano une quinzaine d’enterrements. (Silence) À cette quinzaine d’enterrements que je ne vais pas appeler civils, je vais vous dire pourquoi, je vais m’expliquer. À cette quinzaine d’enterrements, il faut quand même noter que l’abbé Polge a tenu sans obligation aucune de célébrer une prière, même au moment où il n’y avait plus personne dans les rues et où les gens avaient peur, très peur (silence) a tenu à célébrer une prière pour chacun de ces défunts, où parfois il y avait zéro membre de la famille. (Silence) C’est tout à son honneur. Ça n’a pas été le cas de tous les prêtres. Certains sont même retournés chez eux en Corse et ont quitté leur paroisse. C’est pas son cas. Il faut le dire. Il faut le féliciter. Il en a été de même pour le maire qui a accompagné tous les défunts pendant cette période critique où parfois nous n’étions que cinq, six personnes. Alors comment ça se passait ? Nous sonnions quand même le glas, quatre fois à l’accoutumée comme lorsqu’il y a la messe, trois fois avant, une fois après. (Silence) Nous nous rendions au cimetière directement en lisant l’épître, parfois l’évangile, un commentaire très bref de M. l’abbé pour ne pas rester trop longtemps ensemble. Bien évidemment, le psaume des défunts et le De profundis et un chant final à la Vierge que vous connaissez. Pas d’accolades, pas d’embrassades. Ce qui peut se comprendre. (Silence) Mais le plus frappant, c’était pas de soutien, c’est-à-dire personne. Et le premier enterrement que je ne citerai pas, le premier enterrement de cette façon a été l’enterrement d’une personne âgée de Propriano qui est morte justement, qui est partie le soir des élections. Et lorsque nous sommes arrivés au cimetière cette fois-ci, il y avait quand même une cinquantaine de personnes, parce que c’était le premier, donc les gens ne savaient pas trop s’ils pouvaient aller, s’ils pouvaient pas aller. »
- Entretien réalisé à Propriano le 17 avril 2021 avec M. Ange-François Leca, sacristain et membre de la confrérie
« Les condoléances, les obsèques (silence)…la plupart du temps malheureusement, les gens décèdent à l’hôpital de plus en plus et ça se limite à une, une bénédiction avec des condoléances qui sont reçues souvent à l’issue de cette bénédiction, dans le strict respect, d’ailleurs c’est formulé tout le temps dans les avis de décès, dans le strict respect des gestes barrières et voilà. (..) Et malheureusement il n’y a pas eu d’accompagnement de la famille du défunt. Je crois que les familles ont été livrées à elles-mêmes. Elles étaient seules ; les familles endeuillées n’ont pas reçu ni les marques de sympathie et de compassion, si ce n’est de manière peut-être indirecte par téléphone ou peut-être en recevant les familles les plus proches ou les parents ou les, ou les amis, mais les gens ont dû se contenter du strict minimum et les personnes décédées ont été justement enterrées comme ça à la sauvette en quelque sorte, sans bénéficier du rite habituel. »
- Entretien réalisé à Propriano le 16 avril 2021 avec M. Jean-Simon Giannotti, membre de la confrérie Santa Croce.
« Et la grande question, c’est les obsèques ! Qu’on ne célèbre plus les baptêmes et les mariages à la rigueur, mais les enterrements. Et dans un premier temps nous n’avions pas le droit de faire venir les défunts ici dans l’église. Donc s’il y avait des obsèques, il fallait nous rendre au cimetière et faire la célébration dans ce qu’il y a de plus simple et de plus concis. Autrement dit, entre 10 et 15 minutes. Mais en plus quand on arrivait, on n’avait pas le droit de toucher le cercueil, d’embrasser le cercueil. Le cercueil était posé là et en 10 minutes, il fallait qu’on parle d’espérance, de vie éternelle de force de courage, de tout cela et puis fuiitt, l’affaire était réglée. Là, ça a été très très difficile»
- Entretien avec le Père Nicoli, prêtre à Bastia.
Gestion de la maladie, des malades et des morts
Les valeurs positives et humanistes assignées aux établissements de santé ou d’hébergement et de soins pour les personnes âgées les ont amené ces trente dernières années à porter davantage d’attention au bien-être du résident ou du patient, au respect de ses droits, à la prise en compte de son entourage. La réflexion éthique s’est aussi considérablement développée, promouvant le maintien des capacités décisionnelles même chez les personnes aux possibilités réduites de faire valoir leur autonomie et d’exercer leur volonté. La crise sanitaire liée au Covid montre que ces avancées étaient fragiles, malgré la disponibilité et le dévouement des professionnels. « Comme à chaque catastrophe, l'urgence a écrasé l'humanisation » écrit Alain Epelboin, médecin et anthropologue. La négation de la santé relationnelle et affective, le renforcement des mesures d’isolement, l’imposition de restrictions portant sur tous les domaines de la vie ont produit de graves conséquences qui sont encore à explorer. La confiscation des morts en milieu de soins est aussi largement documentée dans cette étude qualitative qui révèle la douleur de ces séparations sans accompagnement affectif et rituel.
« Quand mon amie a été hospitalisée, seul son mari avait le droit d’aller la voir et son fils n’avait pas le droit. Elle avait mon âge, et un cancer. Je l’avais au téléphone tant qu’elle a pu parler. C’est mon amie, celle avec qui j’ai tout vécu. Au lycée, le soir quand elle pleurait, qu’elle ne dormait pas, parce que ses parents lui manquaient, j’étais toujours à côté d’elle, et là je ne pouvais pas aller la voir à l’hôpital. Moi, qui ai tant accompagné les autres, mon amie d’enfance, je ne peux pas l’accompagner !!! Après, elle a été transférée en soins palliatifs et là son fils seul a pu aller la voir. Là ce sont ces moments où je me dis que ce virus a provoqué en nous des choses difficiles. C’est comme si on ne servait à rien. Je me disais mon métier, je ne sers plus à rien, finalement. Même mes amies les plus proches, je ne peux pas être là. Et depuis, j’ai un peu de mal à me remettre de ça.»
- Entretien avec Une femme, psychologue.
Le 08 mars, Ajaccio est officiellement touchée par la pandémie, sont donc décrétées les fermetures des lieux d’enseignement, les rassemblements de plus de 50 personnes sont interdits, la situation s’emballe avec une croissance et une dispersion des nouveaux cas à toute la Corse. Les expressions « gestes barrières » et « cluster » entrent elles aussi dans le vocabulaire des insulaires. Les premiers décès, à Ajaccio, les rumeurs qui circulent comme souvent quant à leur cause, puis s’ensuivent d’autres supputations par les liens avec quelques notabilités. Les soignants doivent intégrer de nouveaux protocoles, les soins à domicile sont compliqués et les risques de contamination sont majeurs. Les masques dans mon service à l’hôpital, « Ici, on sait comment on s’en sert », aussi l’intervention de la porte-parole du gouvernement restera désastreuse.
Extrait de texte : Paul-Julien Venturini.
L'hôpital de Calvi, en Corse, reçoit des patients qui sont peut-être porteurs du Coronavirus. La petite structure a dû s'adapter pour les accueillir. Tous les personnels sont mobilisés.
(24 Mars 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
La structure de l'hôpital de Calvi modifie les espaces pour accueillir les patients.
(24 Mars 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Les pompiers sont en première ligne depuis le début de la lutte contre l'épidémie. A Calvi, en immersion pendant toute une journée avec eux, on peut observer à quel point chaque geste est important, la désinfection primordiale. Ils travaillent au quotidien en prenant toutes les précautions pour répondre au mieux aux appels qu'ils reçoivent, être prêts à intervenir à tout moment et dans des conditions optimales autant pour eux que pour les éventuels patients.
(16 avril 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Un confinement dans le confinement, où blouses et masques protègent, mais isolent de fait le personnel soignant du reste de la population.
(Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Départ en urgence pour un petit village de Balagne pour la prise en charge d'un malade afin d'effectuer une évacuation vers l'hôpital de Calvi en zone Covid-19 puis un retour à la caserne pour total désinfection. Les combinaisons intégrales remplacent les blouses et déshumanisent ainsi le personnel soignant.
(16 avril 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Un cas de suspicion de Covid-19 sur le navire de croisière Club Med 2 dans la baie de Calvi. La personne a été prise en charge par les pompiers et transporté au centre hospitalier de Calvi, Balagne.
(22 Juillet 2021. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
COVID-19 - Contrôle du pass sanitaire dans les restaurants et bars par la gendarmerie de Calvi, Corse, France.
(Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
Femme, agent en chambre mortuaire, date de l’entretien mars 2021
Pour une personne décédée en Covid, on a eu du souci avec les familles qui avaient du mal à comprendre qu’on ne puisse pas leur présenter. Alors on avait fait, en plein milieu de la première vague, une demande à l’ARS pour pouvoir faire une présentation juste du visage du défunt à un mètre de distance. Ça été un « oui » au départ puis très vite un « non ».
Que ce soit positif ou négatif, les familles ont été traitées pareil...Dès qu’un patient était dans un service Covid et qu’il y avait une décision de fermeture immédiate, on ne pouvait pas aller outre. On a eu des prises de bec avec les médecins qui ne voulaient rien savoir.
Donc, quand vous êtes dans un service covid, vous êtes impactés par rapport aux autres patients. Vous êtes un cas contact, aucun risque, c’est ce que les médecins préconisaient. Après chacun avait son avis. Il y avait des prises de bec avec nous, les pompiers… Mais les médecins sont des médecins.
Nous avions des ordres stricts de notre direction. Quelquefois nous avons passé outre et certaines fois des familles ont pu voir leur proche. Lors de la deuxième vague, la direction nous a donné plus de libre choix, de faire comme on pouvait mais de ne pas délaisser les familles.
Femme, Thanatopracteur, date de l’entretien mai 2022
Ce qui s’est passé voilà, c’est que en gros les défunts qui étaient suspectés covid, ils avaient quand même, ils avaient quand même un, un test. Et on avait les résultats de ces tests euh… assez… c’était assez long, c’était plus de 48 heures après. Donc ça, ça nous freinait beaucoup pour la prise en charge, parce que du coup ils étaient considérés covid.
Donc ils étaient pris en charge comme tels, donc dans une housse euh… fermée, et pas présentés à la famille. Ça s’est quand même majoritairement bien passé, je vais pas vous mentir, les familles étaient assez compréhensives, voilà, malgré le fait que pour eux c’était vraiment très, très, très difficile.
Et tout le mois d’avril 2020, on a eu l’interdiction de soins de conservation. Donc ça, ça a été… catastrophique, surtout pour les gens qui n’étaient que thanatopracteurs, une de mes consœurs qui est en Plaine orientale, elle, ça a été compliqué, parce qu’elle n’avait que ça, la thanatopraxie et… et après moi, je me suis engagée à la faire travailler, même si moi, j’étais thanatopracteur, plus que d’habitude pour qu’elle puisse rentrer dans ses frais. Je l’ai fait bien volontiers et j’étais très contente de le faire, je ne le regrette pas et si c’était à refaire, je le referais.
Après, ça s’est un peu assoupli et c’est vrai que parler aux familles, leur expliquer que voilà, ils ont vu le défunt dans la chambre, bien que c’était le dernier moment où ils avaient vu leur défunt. C’était assez difficile, mais les gens étaient quand même assez compréhensifs euh… ils avaient quand même pas mal peur aussi de ce virus, on va pas mentir.
Femme, infirmière, date de l’entretien avril 2021
« Tout a été chamboulé, bousculé, donc. Vous vous rendez compte quand on leur dit c’est limité, vous mettez une blouse jetable, une charlotte, un masque FFP2, des gants, des chaussures, sous-chaussures, parce qu’on leur met des sous-chaussures…vous devez rester une demi-heure… (silence) c’est violent. Mais les familles ont été compréhensives. Compréhensives par rapport à tout ça, parce que… ben compréhensives par rapport à la situation… limite, je dirais, à nous remercier de les laisser venir, parce qu’à l’époque comme toutes les visites étaient suspendues, ils pouvaient plus venir les voir. C’était « mais merci de me laisser ces derniers moments » quoi. Le fait de bien leur expliquer, de les accompagner par rapport à ça, c’était leur expliquer voilà, désolés, c’est… là, le cas des deux enfants dont je vous parlais, « je suis désolée, voilà, il est dans un secteur Covid, c’est pour vous en fait, pour vous et vos proches de l’extérieur qu’on vous demande de vous protéger, qu’on vous demande de pas rester longtemps ». Voilà.
On était sur une housse javellisée. Il fallait désinfecter tout, l’ascenseur, voilà tout ça, tout ce qui était sur le passage. Et après c’était les pompes funèbres qui avaient leur protocole, puisque quelqu’un qui décède porteur de la Covid n’est pas enterré, il est incinéré, donc c’est eux qui le faisaient. Et c’est arrivé ça, en janvier de cette année.
Pour les résidents qui avaient eu la Covid et tout, il y avait pas de choix. La question se posait certainement et classiquement, je dirais, pour les résidents à qui on savait qu’ils avaient pas eu la Covid, parce qu’il y avait pas cette notion de vouloir faire une RT-PCR post-mortem, tout ça ; ça devait être sûrement maintenu comme avant. Parce que à un moment donné, excusez-moi, sur le premier confinement, ce qu’on entendait pour les enterrements et les gens qui décédaient Covid ou pas Covid, c’était pour tout le monde pareil. C’était pour tout le monde pareil. Nous, on a une ancienne collègue qui est décédée en période de déconfinement progressif, donc il y avait encore toutes ces contraintes, la famille avait pas eu le choix. Elle a été incinérée. Il y a pas eu de cérémonie (silence) parce qu’il y avait que deux ou trois personnes autorisées quand même, à un moment donné, et là les familles n’avaient pas le choix…
Confinements, restrictions : des temporalités quotidiennes et des rapports à l’espace modifiés
La période de la pandémie du COVID a conduit à un confinement avec des règles qui apparaissaient pour la première fois en dans le monde et en Europe à des degrés divers et que nous avons donc nous-mêmes connus :
Le confinement instauré pendant la pandémie de Covid19 au printemps 2020 a représenté une situation inédite pour la majorité des citoyens en France mais aussi dans de nombreuses sociétés de par le monde. Dans cette période de crise sanitaire, les rapports sociaux comme les rapports à l’espace, à l’environnement ont été bouleversés. [1]
On pourra rajouter qu’ont été également bouleversé les rapports au bruit et au silence. Au-delà de l’aspect strictement sanitaire, cette période de confinement a été et est finalement une source de réflexions collectives, individuelles, aussi bien à travers les médias, sur les réseaux sociaux mais aussi de la part de scientifiques, spécialistes, des sciences humaines et autres, en particulier concernant cet épisode dit de ‘silence’ même s’il n’en était pas vraiment un.
Il y a eu donc l’impact de l’arrêt du bruit des transports sur des sons agréables, des sons désirés dans notre milieu, mais qu’on n’avait plus le potentiel d’entendre. Et de manière logique « Autant de sonorités habituellement difficiles à entendre car masquées par le bruit incessant de la circulation et des activités humaines. » [2]
- Extrait de l'article de Tony Fogacci
L'hôpital de Calvi, en Corse, reçoit des patients qui sont peut-être porteurs du Coronavirus Covid-19. Il a fallu s'organiser pour isoler ces patients des autres, une tente a été montée à l'extérieur pour les accueillir. Toutes les infrastructures et tous les personnels sont mobilisés.
(24 Mars 2020. Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
En Corse on a pu également mesurer l’influence non négligeable du confinement sur les ambiances sonores aussi bien dans les milieux urbains que ruraux. Les mêmes tendances sont signalées dans les villes principales même s’il ne s’agit pas ici de grandes métropoles, la limite entre l’espace périurbain et la campagne étant par ailleurs perméable.
Une journaliste de Via Stella raconte ses journées de confinement à Ajaccio[3], et aborde son rapport au bruit et au temps. Elle décrit les bruits « naissants de la ville », des chants des oiseaux aux éboueurs et premières voitures, suivi bientôt par les rires des enfants et les discussions dans les rues au milieu des bruits des moteurs. Ce témoignage est significatif, car la journaliste décrit une perte de repères sonores pour le cerveau dès les premiers jours du confinement, ces « points d’attache qui donnent, à leur manière, une notion du temps, entrainant par la même toute la mécanique des réflexes inconscients ». Cette disparition et atténuation des bruits urbains provoque une perte de repères auditifs qui implique la création, ou le temps de trouver de nouveaux repères :
Le temps c’est le bruit (et dire que je ne me sens jamais mieux que dans le silence). Du coup, merci vraiment, les gens, de taper sur vos casseroles chaque soir à 20h aux fenêtres : cela donne de nouveaux repères .
- Extrait de l'article de Tony Fogacci
Dans les zones rurales, le confinement et les interdictions de déplacement ont eu un effet sur les activités domestiques, multipliées dans ces cas-là. De nombreux témoignages dans les villages évoquent une augmentation des activités de bricolage et de jardinage due au confinement, avec le bourdonnement de nombreuses machines, une augmentation de bruits parfois même qualifiée d’incessante. Mais malgré ces tensions, l’effet du confinement sur l’environnement sonore reste largement positif.
Bien souvent, le retour au village pendant la période de confinement est apparu comme une des meilleures solutions par rapport à un confinement en lieu clos dans un appartement situé dans le centre-ville d'Ajaccio ou de Bastia. Cela a été favorisé par l’idée d’un environnement plus sain et retiré, au grand air, plus sécurisé, avec des contacts sociaux différents, une tranquillité loin de la foule des supermarchés. En Corse, les habitants ont l’avantage de passer en 1 heure ou moins de leur appartement en centre-ville à la maison familiale de village. Ces déplacements souvent fréquents en fin de semaine ont augmenté dès l’annonce des dates des divers confinements, le télétravail et la fermeture des écoles ayant accéléré le processus. Les témoignages confirment ainsi que des familles entières ont choisi une solution de repli vers l’intérieur et vers les hauteurs, réflexe séculaire ? :
Le retour vers les lieux originels est une forme de protection avec, à l'évidence, un côté "image d'Épinal", analyse Fabrice Sisco, psychiatre à Bastia. Dans l'inconscient collectif, le village reste un lieu sanctuarisé, plus rassurant que les centres urbains. » Volonté de fuir les « zones à risque » à forte densité de population, de s'éloigner du climat anxiogène ou simple besoin de déconnecter ? Quoi qu'il en soit, cette période de confinement semble donner un nouveau souffle à ces villages souvent désertés.
- Extrait de l'article de Tony Fogacci
Lancement de la 37ème campagne des Restos du Coeur. A Calvi, en Corse, les bénévoles de l'association recueillent les nombreux dons qui seront redistribués aux bénéficiaires. La crise du Covid-19 a aggravé la situation des plus précaires. L'antenne calvaise des Restos tourne avec une douzaine de bénévoles qui ne comptent pas le temps passé à aider leur prochain, dans le besoin.
(Crédit photo: Olivier Sanchez, Crystal Pictures).
En deux allocutions, mi-mars nous passons de la théorie à la pratique, la lutte contre la pandémie suit les plans élaborés pour la grippa H1N1, fermetures des lieux d’enseignements, de convivialité, le confinement s’impose en quelques jours, il ne reste qu’à faire attention pour survivre. Nous sommes en guerre et nous soignants, en sommes les héros. Les déplacements sont drastiquement restreints et sévèrement contrôlés. La saturation des possibilités de prise en soin se révèle dramatiquement avec l’évacuation sanitaire maritime par le Tonnerre, navire militaire, nous basculons dans un nouveau monde angoissant qui se replie sur lui-même, où les médias d’information continue vont désormais rythmer les heures de toute une population mise sous séquestre.
- Extrait de l’article de Paul-Julien Venturini
- ^ Anne Sourdril et Luc Barbaro, Ecouter le silence : ethnographie et pandémie, comment faire du terrain en temps de confinement, Blog de la revue Carnets de Terrains, 14 décembre 2020.
- ^ Olivier Debruyne, site Le Parisien, 3 avril 2020
- ^ Céline Lerouxel, Journal de bord d‘une confinée à Ajaccio : compter pour passer le temps, 26 mars 2020, Corse Via Stella