L’histoire de la Corse et des Corses c’est aussi l’histoire de leurs rapports avec l’automobile, ce moyen de transport récent, à peine un siècle et demi d’existence, qui a pourtant façonné et continue de façonner, la culture insulaire tout autant qu’il est façonné par elle, au point d’en faire, à sa manière, un élément « identitaire » au même titre que le football ou la chasse ; au point que le rapport des Corses à l’automobile est obligatoirement utilitaire, parfois passionnel et trop souvent mortel.

Passion utilitaire puisque l’équipement automobile des ménages, faute de transports en commun suffisants et à cause du relief montagneux de la Corse, dépasse largement la moyenne française. Un adage populaire, exprimé tant en langue corse qu’en français, résume d’ailleurs parfaitement la situation : In Corsica, senza vittura, ùn si pò fà nudda !, « En Corse, sans voiture on ne peut rien faire ! »

Passion sportive ensuite, comme en témoignent les efforts financiers consentis par la Collectivité de Corse et les autres collectivités publiques, pour « récupérer » la manche française du Championnat du monde des rallyes, autrement dit le Tour de Corse automobile né en 1956, débaptisé et exilé quelques années en Alsace (2010-2014) ; il fait son grand retour sur les routes insulaires en 2015. Pour ne rien dire des autres courses qui scandent le calendrier sportif local. Mais le tour disparait en 2020, posant la question du devenir de l’île comme « terrain de jeu ».

Passion ostentatoire également, constatée depuis longtemps et, sans tomber dans le piège du déterminisme latin, voire méditerranéen, on ne peut que souscrire à ce qu’écrivaient les auteurs de l’Atlas de l’Italie contemporaine concernant le rapport des Italiens à l’automobile, facilement transposable dans le cas de la Corse, toute chose étant égale par ailleurs : « Mais le rapport des Italiens au moteur est aussi culturel : utilitaire et deux-roues s’imposent comme des signes extérieurs de bien-être et de richesse, des instruments de liberté et de séduction ». La Corse n’est-elle pas l’une des toutes premières régions françaises pour la détention de véhicules de luxe alors que les revenus des ménages y sont parmi les plus faibles du pays ?

Passion mortelle enfin. La vitesse excessive, le respect approximatif de certaines règles de conduite – vestige peut-être d’une forme de darwinisme routier –, ou l’abus d’alcool, voire de substances illicites, figurent parmi les raisons de l’hécatombe, sans pour autant en épuiser les causes. La création, en février 2004, d’une association d’aide aux victimes des accidents de la route – Flo routes de Corse –, tout autant que la multiplicité des croix et autres petits monuments funéraires le long des routes continuent d’indiquer le lourd tribut payé par les insulaires et le calvaire vécu par nombre de familles confrontées à la mort routière.

Cette passion, ou plus exactement ces passions, trouvent longtemps à s’exprimer sur un réseau routier pour le moins déficient, ce qui contribue également à expliquer le nombre important d’accidents et de tués. Dans une étude de janvier 2016, l’INSEE précise que si, en Île-de-France, la quasi-totalité de la population accède aux principaux services de la vie courante en moins de sept minutes, en revanche, seule la moitié des habitants de la Corse bénéficie des mêmes conditions d’accès ; l’île figurant en dernière position des régions métropolitaines. L’été, avec la sursaturation du réseau, met en présence des centaines de milliers de conducteurs, les uns en touristes, les autres se rendant à leur travail, les deux aux approches diamétralement opposées quant à la fonction et l’utilité de la route. De cette confrontation naît très souvent l’incompréhension, parfois la rancœur et l’agression physique, voire l’accident mortel. Le cinéma insulaire lui-même en rend compte à travers le film Locu di morte (2017) pour ne citer que lui.

Cette exposition se propose donc de confronter ces différentes réalités du rapport de la Corse et des Corses à l’automobile en l’organisant autour de trois thèmes principaux qui permettront de rendre la complexité et la richesse de ce rapport : les Corses et l’automobile ; les Corses et les sports automobiles ; les Corses, l’automobile et le tourisme. Le fil rouge étant constitué par l’idée de la route, lien entre les hommes, terrain d’expression d’une certaine virilité et lieu de mort.

Une exposition réalisée par l’Università di Corsica Pasquale Paoli sous la direction de :

Didier Rey, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Laboratoire « Lieux, Identités, eSpaces, Activités » (UMR 6240 LISA), Università di Corsica Pasquale Paoli

Coordination :

Simone Moreau & Jacky Le Menn, Bibliothèque universitaire

Scénographie :

Inclusit Design

Remerciements :

La Bibliothèque universitaire tient à remercier pour leur collaboration active et amicale le service des archives du Pumonti (Marie-Madeleine Graziani), la Cinémathèque de Corse (Antoine Filippi et Stéphanie Drevet), le Musée de la Corse (Marion Trannoy-Voisin, Marie-Jeanne Iwanyk, Dominique Ruggeri et Patrick Zani). Cette exposition n’aurait pas été la même sans leur générosité et la richesse de leurs collections. Merci à François-Xavier Ripoll, Jean-Joseph Prunetti, François et Marie-France Demuynck, Patrick Mariani, Tony Faillace, Joseph Frappaolo, Isabelle Istria Martelli et Jean-Louis Moracchini.

Parcours de l’exposition :

  • Introduction

L’automobile naît à la fin du XIXe siècle en Europe. Après la Première Guerre mondiale, elle entame sa conquête de la planète qu’elle parachève, du moins en Europe, dans les années 1970. Elle symbolise alors la société de consommation, le culte du progrès indéfini, de la vitesse émancipatrice et conquérante, de la distance vaincue, du tourisme accessible à tous. Des guides touristiques, des livres, des magazines, des publicités, des gadgets en tout genre, des jouets etc. se chargent d’inscrire l’automobile dans la vie quotidienne, d’en imprégner l’imaginaire collectif, d’en faire le signe extérieur de la démocratisation des sociétés tout autant que de la réussite individuelle. Pourtant, la route est déjà devenue très meurtrière et les pouvoirs publics commencent à s’en inquiéter. En 1972, en France, près de 15 000 personnes perdent la vie lors d’un accident de la circulation ; soit plus de 40 par jour.

  • Les Corses et l’automobile

L’automobile débarque en Corse à l’extrême fin des années 1890. Son expansion est relativement rapide compte-tenu des conditions économiques locales difficiles : 1 voiture particulière en 1899, probablement une quarantaine en 1914. L’entre-deux-guerres est une période de croissance continue, ainsi qu’en témoignent les 11 000 permis de conduire délivrés entre 1921 et 1940. Aujourd’hui, en une seule année, ce ne sont pas moins de 5 000 personnes qui l’obtiennent. Des garagistes existent désormais aux quatre coins de l’île et des lignes d’autocars desservent les principales localités, mais aussi des petits villages, trop souvent abandonnés à leur sort de nos jours.

  • L’automobile et le tourisme

Le développement du tourisme automobile amène la création de garages spécialisés dans la location de véhicules, stimulant ainsi l’économie locale. Des cartes routières viennent en aide aux chauffeurs, la première du genre est celle du Touring Club Italiano. L’automobile transforme progressivement, non seulement la manière de faire du tourisme en Corse, mais également l’organisation du territoire à travers des circuits qui évoluent, passant d’une montagne dominante à un littoral omniprésent. Les guides touristiques et les cartes postales en rendent compte à leur manière. Pour autant, cela ne change pas fondamentalement la vision des insulaires que peuvent avoir les touristes ; celle-ci demeure marquée par des stéréotypes souvent issus du romantisme du XIXe siècle.

  • L’automobile et le sport

L’idée de lier le développement touristique et le sport est présente dès 1921 avec l’organisation du Circuit automobile de la Corse. Mais c’est en 1956, avec la création du Tour de Corse, épreuve inscrite au championnat du monde des rallyes, que l’île devient progressivement un « terrain de jeu » automobile. Sa popularité est extraordinaire. Débaptisé et exilé quelques années en Alsace (2010-2014), il fait son grand retour sur les routes insulaires en 2015. Il n’est pas le seul à passionner les insulaires, de nombreuses autres courses scandent le calendrier sportif local. Mais le Tour ne se courra pas en 2020, posant la question du devenir de l’île comme terrain de compétition internationale. Cependant, avec le Tour de Corse Historique qui prend chaque année un peu plus d’ampleur, l’île a peut-être trouvé une forme de succédané compétitif.

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