Les maisons de Colomba, itinéraire d’une vendetta
Sommaire
Introduction
Tout à reprendre. Tout à redire. Et la faux du regard sur tout l’avoir menée ![1] Cette exhortation de Saint-John Perse pourrait s’étendre sur Fozzano, petit bourg assoupi, noyé d’un soleil cru. Cet ancien chef-lieu de la pieve de Viggiano, niché dans la province de Sartène déploie sur une pente son architecture de granit austère et mutique. À première vue il n’évoque rien de particulier si ce n’est un prénom célèbre ou quelque relent de vendetta au voyageur éclairé. On ne saurait trop conseiller aux amateurs d’histoire d’apprécier cette génétique des lieux, de la ressentir, de porter la faux du regard sur de nouvelles moissons. Pousser les portes, se frotter à la poussière des lieux, aux odeurs chargées de la terre, à la puanteur même des lisiers, aux casgili[2], aux caves où tourne cet air lourd et fumé des salaisons de la tumbera[3]. L’identité insulaire ne se limitant pas aux maquis de Murtoli, aux artifices des magazines, ni à ce corse apprêté des grandes villes, il serait bon d’entrer dans le réel les pieds dans la boue, le regard sur la ruine, d’en relever l’histoire et d’en mesurer l’ampleur. L’histoire se reprend, l’histoire se redit, se transforme aux poudres des archives mais doit aussi laisser une place à l’intuition, au ressenti d’une vie comme suspendue. Ainsi que nous le suggérait Paul Veyne l’histoire a la propriété de nous dépayser ; elle nous confronte sans cesse avec des étrangetés devant lesquelles notre réaction la plus naturelle est de ne pas voir ; loin de constater que nous n’avons pas la bonne clé, nous n’apercevons même pas qu’il y a une serrure à ouvrir. [4]
Approcher de Fozzano c’est y sentir les cendres du drame, le parfum âcre du maquis brûlé, c’est y deviner l’anxiété permanente, la longue tension persistant à travers les siècles entre les Paoli-Durazzo et les Tomasi-Carabelli[5]. Deux familles cultivant l’art de l’inimitié, de l’animosité et de l’assassinat avec un soin extrême, confinant à la paranoïa. Fozzano s’est déchiré entre ces Capulet et des Montaigu sans la moindre histoire d’amour, et ce jusqu’aux années 1960. Un simple bal d’été pouvait, selon des témoins aussi vivants que discrets, s’enflammer et dégénérer en bastonnade sur la maladresse d’un mot mal compris. Le parti du Soprano, celui des Durazzo, vieille famille de propriétaires opulents, comptait encore des descendants et affiliés pour provoquer ou répondre aux pointes des Carabelli, parti du Sottano.
Colomba Carabelli née le 7 mai 1775 au sommet de la tour familiale est la figure de proue, la meneuse de ces haines que ne démentiraient pas les Atrides.[6] Elle reçut Prosper Mérimée en septembre 1839 dans le salon du deuxième étage, sans doute la pièce la plus imposante de la maison ; ce dernier étendit volontiers son inspection des monuments historiques aux statues humaines de douleur et de rage. Persuadé de présenter un rapport au ministre de l’Intérieur aux résultats presque négatifs au vu de la rareté et du peu d’importance des monuments de ce pays[7], le novéliste s’attachait à débusquer quelque sujet sensationnel en guise de compensation. Inspiré par cette héroïne tragique pour sa ténacité, la violence de son caractère, il la revêtit du plaisant physique de sa fille Catherine, héroïne aussi, mais de 20 ans, belle comme les amours, avec des cheveux qui tombent à terre, trente-deux perles dans la bouche, des lèvres du tonnerre de Dieu, cinq pieds trois pouces et qui à l’âge de seize ans a donné une raclée des plus soignées à un ouvrier de la faction opposée[8]. Le premier juillet 1840, avec l’aide et le conseil de quelques amis corses, la nouvelle paraît dans la Revue des Deux Mondes faisant la fortune, avec Carmen (1845), d’un écrivain entré dans l’histoire par la force et la légèreté de ces femmes qu’il a tant aimées.
Au contact de l’électre corse, Mérimée a saisi le sens premier, antique, de la fureur de Némésis, sans cesse remâchée et devenue immémoriale. Ayant vu périr son fils Francesco le trente septembre 1833, la mère amère n’aura de cesse de briser la Paix de Fozzano de 1834, en vain. Elle se retirera en 1840 à Olmeto, suivant sa fille Catherine nouvellement mariée à Joseph Istria. Le 6 décembre 1861, âgée de 86 ans, après une vie tumultueuse occupée de questions d’honneur mais aussi de politique, Colomba Bartoli disparut en menaçant sans doute de troubler la paix du Ciel.
I. La tour Carabelli, torra vecchia
1. Entre histoire et littérature
Imposante bien qu’abandonnée, cette tour de granit des XIVe et XVe siècles[9], domine le quartier et le parti Sottano du village. Formée de deux corps de bâtiment étroitement enlacés, elle possède toutes les caractéristiques des case-forte médiévales. Architecture sévère aux chaînages d’angles remarquables -acérés comme une lame- mâchicoulis, base talutée, ouvertures très étroites : tout concourt à la défense et illustration d’une famille de sgiò[10] dont les éventuels assaillants demeurent au plus près, frères ennemis dont le donjon rival se dresse à quelques rues. à la différence des tours du littoral et autres fortins destinés à se préserver des barbaresques, ces fortifications domestiques[11] luttent de plain-pied avec les familles des alentours, à l’instar des tours de San Gimignano, symbole d’orgueil et de retranchement. Le monument de granit offre quelques rares ouvertures à la lumière du jour, révélatrices d’une certaine psychologie de la maison-forte, imprégnant ses propriétaires : symptomatique d’un enfermement et d’un monde clos où se déploie le caractère obsessionnel de la vendetta, un fond d’anxiété semble flotter dans la pénombre.
Dans le chapitre IX de sa nouvelle Mérimée se souviendra de l’architecture de Fozzano : « Aux deux extrémités de la place s'élèvent des bâtiments plus hauts que larges, construits en granit et en schiste. Ce sont les tours ennemies des della Rebbia et des Barricini. Leur architecture est uniforme, leur hauteur est la même, et l'on voit que la rivalité des deux familles s'est toujours maintenue sans que la fortune décidât entre elles. Il est peut-être à propos d'expliquer ce qu'il faut entendre par ce mot tour. C'est un bâtiment carré d'environ quarante pieds de haut, qu'en un autre pays on nommerait tout bonnement un colombier. La porte, étroite, s'ouvre à huit pieds du sol, et l'on y arrive par un escalier fort roide. Au-dessus de la porte est une fenêtre avec une espèce de balcon percé en dessous comme un mâchecoulis (sic), qui permet d'assommer sans risque un visiteur indiscret. Entre la fenêtre et la porte, on voit deux écussons grossièrement sculptés. L'un portait autrefois la croix de Gênes ; mais, tout martelé aujourd'hui, il n'est plus intelligible que pour les antiquaires. Sur l'autre écusson sont sculptées les armoiries de la famille qui possède la tour. Ajoutez, pour compléter la décoration, quelques traces de balles sur les écussons et les chambranles de la fenêtre, et vous pouvez vous faire une idée d'un manoir du moyen âge en Corse. J’oubliais de dire que les bâtiments d'habitation touchent à la tour, et souvent s'y rattachent par une communication intérieure. »[12]
La famille Durazzo possédait en réalité trois demeures principales : la casa soprana, sorte de maison-tour dominant le quartier du même nom ; le palazzu, plusieurs fois remanié, s’asseyant sur de puissantes fondations que scandent de grandes baies ogivales ; la torra nova datant de 1548, aujourd’hui désertée et présentant les mêmes caractéristiques défensives que la tour Carabelli. Pour accentuer la tension entre les Barricini et les della Rebbia, Mérimée se plaît, dans l’écriture de son Pietranera fictif, à donner une même importance aux tours et à opposer les façades ennemies sur une place où se jouent à chaque heure d’opiniâtres parties d’échecs.
2. Une visite inédite
En pénétrant dans la partie basse de la tour Carabelli, le visiteur s’immerge dans un intérieur figé au XIXe siècle, comme délaissé depuis le départ de Colomba pour Olmeto. Blanche Carabelli[13], dernière descendante ayant joui des seize pièces que compte l’édifice jusqu’aux années 1960 n’y apporta aucun agrément. L’escalier très étroit, les marches très hautes, aux fonctions plus défensives que commodes mène aux pièces du quotidien le plus rudimentaire. Au rez-de-chaussée le four est abrité dans un espace aussi sombre qu’exigu ; d’autres pièces souvent aveugles vraisemblablement destinées aux réserves présentent quelques meubles brisés. L’escalier tourne vers une cuisine qui conservait dernièrement ses ustensiles ; le potager en bon état, seul élément éclairé par une fenêtre avec l’acquaghjolu[14] semble attendre qu’un feu le réveille. Les tables révèlent des objets comme s’ils venaient d’y être déposés : bassin, moule à gâteau, boîtes de sardines, tandis que les seaux à charbon, vidés, patientent. Le cadinu[15] renversé près de la réserve de petit bois témoigne d’usages défiants notre confort, tandis que les scancerie[16]recèlent encore les listes minutieuses de fournitures dûment répertoriées ou quelques ornements sacerdotaux -noirs aux broderies d’argent- utilisés pour les funérailles. Les chambres comptent parfois des lits de fer près desquels gisent leurs ciels décrochés par le temps ; si l’on baisse le regard la poussière des sols s’enrichit de lettres, de titres de propriétés, de procès, d’actes d’huissiers ou d’images pieuses. On rejoint ensuite un escalier dont les contremarches peinturlurées de ce terracotta familier aux vieilles maisons corses se marient aux bas lambris vieux-rose imitant grossièrement les faux marbres italiens. L’acrobatique visiteur s’essouffle comme Mérimée, asthmatique sévère, en arrivant au seuil de la pièce maîtresse : le grand salon. La pièce étonne par ses dimensions et donne l’idée de toute la recherche avec laquelle elle fut un jour décorée et meublée. Un piano d’époque romantique, de marque Evrard[17], vient de Paris et dénote d’une certaine culture. Mérimée, musicien et mélomane s’en est peut-être moqué dans sa nouvelle[18] tant ces instruments étaient fragiles et nécessitaient un entretien, un accord régulier que Fozzano ne pouvait offrir. Un merle qui ne chantera plus, gisant sur le sol semble une allégorie de la mala morte[19] ; près de lui un mécanisme de pendule qui a l’air d’avoir sauté d’une cheminée martyre immortalise le temps de la vendetta. À l’étage supérieur, une pièce un peu plus vaste encore et à l’usage indéterminé semblait se séparer par des cloisons dont les limites sont encore lisibles aux arrêts de l’enduit. Le plafond effondré empêche le visiteur le plus audacieux de poursuivre la visite mais l’avancée dans les étages permet, pièce après pièce, d’envisager la torpeur claustrale de la détestation.
II. La maison Bartoli
1. Un modeste asile
Colomba épousa Antonio Bartoli, un allié des Carabelli, en 1800. La vendetta garnissant la corbeille de noces fait de lui le bras armé du parti Sottano. Les yeux fixés sur ses hautes questions d’honneur, Mme Bartoli ne répugna pas à emménager dans une maison modeste dont Lorenzi de Bradi nous offre la description : « Une fois mariée, Colomba alla vivre dans la demeure de son mari. Je l'ai visitée. Elle s'élève encore au bout du village, au bord d'un vieux sentier. On y parvient malaisément par une descente creusée dans la pierre. Le crépi jaune des murs se lézarde. Tout est dans le même état qu'autrefois, sauf une fenêtre que l'on a transformée en porte. Par cet escalier, posé contre la façade, Colomba pénétrait dans une pièce qui servait de salle à manger et de cuisine, séparée d'une chambre par une cloison en planches. Une échelle de bois, dans un coin, la conduisait à l'étage au-dessus où il n'y a qu'une salle. On remarque sur la façade trois petites niches entre deux fenêtres ; dans l'une est logée une sainte Vierge. Elles servaient, paraît-il, pour les illuminations du Vendredi saint. Dans la cave, qui communiquait avec la maison voisine, des cachettes existent encore. La signora Colomba ignora l’amour, qu’elle considérait comme une faiblesse. Elle aimait son mari, en épouse fidèle, irréprochable et dévouée ; mais des paroles d’ivresse ne furent jamais soupirées par ses lèvres ; car elle ne désira toute sa vie qu’une éclatante suprématie au cours d’une vengeance sans merci »[20].
Le terrazzolu[21] de l’épouse Bartoli subsiste, on le remarque sous l’escalier de béton qui mène à la marquise édentée du deuxième étage. La maison entièrement restructurée et modernisée n’offre aucun aspect original, on comprend néanmoins que le couple n’habitait que la partie Est de la bâtisse donnant sur le jardin. Sur la façade arrière le balcon ancien au garde-corps de fer forgé, seule marque de fantaisie, pourrait avoir été installé à l’époque de Colomba. On distingue quatre niches à illuminations dans la façade actuelle ; l’aurait-on modifiée depuis le passage de Lorenzi de Bradi ?
2. La chapelle Bartoli-Carabelli
Près de la maison se trouve la demeure éternelle des Bartoli-Carabelli. Une chapelle vraisemblablement construite pour y abriter le corps de son fils assassiné puis celui de sa mère disparue en 1861. à la suite d’un imbroglio de cadastre, coutumier dans le monde rural, la chapelle est enclavée dans un terrain vendu par les Carabelli à la fin du XXe siècle. Elle fut plusieurs fois vandalisée dans les années 1980 et fermée par la suite. La famille des propriétaires voisins nous apprend qu’elle contenait -fait étrange et presque sacrilège- un portrait représentant le fils de Colomba, Francesco, encastré à la manière des peintures religieuses dans les moulures de chaux de l’autel. La peinture à l’huile d’1m20 de hauteur fut volée avec un nécessaire d’objets du culte (calice, ciboire et patène) situé dans une niche latérale profanée. La dalle de marbre de la sépulture de Colomba fut également brisée afin de procéder à l’ouverture du cercueil, dont on ne sait ce que le pilleur pouvait attendre. Coïncidence troublante pour celle qui disait de son fils : « J’avais érigé un bronze antique, des vandales me l’ont brisé ! »[22].
Il est cependant étrange que Lorenzi de Bradi, lors de son pèlerinage à Fozzano n’ait pas remarqué le portrait de Francesco : « Elle fit bâtir une petite chapelle dans le jardin de sa maison pour y mettre la dépouille de son enfant. Ce jour d'été, où je l'ai visitée, elle était environnée d'ombelles magnifiques. Non loin, au bord du vieux sentier, un grenadier en fleurs abritait de son ombre un paisible baudet. Du seuil on voit des oliviers, la vallée de Baracci et une échappée du golfe de Valinco. Elle est très simple. Sur le petit autel blanchi à la chaux, un crucifix et deux chandeliers rouillés. Au milieu, on a placé un marbre tombal, après la mort de Colomba, avec cette inscription : DOM[23] COLOMBA BARTOLI F.A. 1834[24] ».
3. Les liturgies de la mort
On ne sait si Bradi, aidé par les témoignages précieux de la famille n’accentua pas la légende tragique en délaissant certains détails : « La mère et le fils sont là. Mais elle n'y entra que vingt-sept ans plus tard. Et, pendant vingt-sept ans, elle ne quitta pas le deuil de son enfant. On la voyait des heures entières sur son seuil ou contre la fenêtre qui regarde le tombeau, toute noire, avec des yeux de feu ; et d'elle s'échappait un long murmure plaintif qui glaçait les os, tandis qu'elle balançait lentement sa tête que couvrait un foulard noir, comme un cilice. Elle était seule. Son mari était mort obscurément dans son lit. Seule, avec l'aiguillon de son deuil et l'inassouvissement de sa haine ! Parfois, dans la journée ou pendant des nuits sans sommeil, elle ouvrait une armoire, en sortait des vêtements que portait son fils le jour du crime, les étendait sur le plancher, et là, à genoux, courbée sur ces effets encore sanglants, elle chantait sa douleur sur le ton des liturgies de la mort. »[25]
III. La maison Istria d’Olmeto
1. L'exil forcé
Les résidences de Colomba varient en fonction des mariages. Celui de sa fille Catherine avec Joseph Istria la décida à suivre le couple à Olmeto vers 1840, âgée de 66 ans. Veuve, dépitée par l’impossibilité de ranimer la vendetta contre le parti Durazzo, elle se retira dans la maison de son gendre. À contre-cœur. L’édifice, assez modeste en comparaison de la masse minérale que représente la tour de Fozzano, se déploie en hauteur et n’offre que des espaces intérieurs restreints. Seul le garde-corps de fer finement forgé au chiffre de Joseph Istria témoigne d’un certain orgueil et de l’assise de la famille. L’appareillage de granit de la façade latérale laisse deviner d’importants remaniements dans la structure de la bâtisse.
2. Une tempétueuse grand-mère
Aujourd’hui, balayé par les générations et les diverses locations ne subsiste de son intérieur que le souvenir de l’irremplaçable arpenteur d’histoire littéraire que fut Lorenzi de Bradi : « J’ai été voir Mlles Néna et Mariuccia Istria, les petites-filles de Colomba. A leur porte, un four est ombragé d'un vieil olivier auquel un grenadier oppose ses fleurs écarlates. Entre ces meubles vétustes, Colomba a vieilli en chantant à ses petits-enfants des berceuses qu'elle improvisait. Voici sa table massive en noyer, aux pieds torses ; sa glace qu'orne un écusson. Ce portrait d'homme énergique, qui porte la barbe comme un vieux loup de mer, c'est celui que Colomba a préféré à Mérimée[26] pour sa fille Catherine, c'est M. Joseph Istria. Je suis entré dans une chambre à solives, celle de la grande aïeule : de ce balcon elle avait sous les yeux la vallée de Baracci, un lambeau de mer, le village de Vigianello, sur la route de Fozzano qu'elle pouvait entrevoir dans ce repli ombreux... Des pots de basilic fleuraient leur parfum. Le ciel était bleu sur la forêt d'oliviers. Çà et là, des figures informes de granit semblaient symboliser des légendes barbares. Et je regardais le paysage qu'avait contemplé mélancoliquement Colomba pendant que Mlles Mariuccia et Néna me parlaient de leur sœur, Mme Simonpieri, qui vit en Algérie, redoutée des Arabes, et de leur frère Charles Istria que Mérimée recevait à sa table, à Paris. Ces dames ont déployé dans leurs affaires l'énergie que leur aïeule dépensa dans la vendetta. Elle leur disait : J'ai usé, moi, plus de soie que vous n'userez de mérinos. Elle restait belle sous ses cheveux d'argent, et elle tenait toujours à ses atours. On m'a montré quelques morceaux d'étoffes qu'elle avait portées ; on n'en fabrique plus d'aussi riches : ce damas peut rivaliser avec le plus somptueux surplis d'église ; cette soie jaune ferait les délices d'une impératrice. Que de bijoux, bagues, pendentifs, colliers ! Et ces curieux pendants d'oreille, dont l'un représente le soleil, l'autre la lune ! Colomba idolâtrait les parures, les joyaux, les étoffes chatoyantes. Mais elle avait laissé tout cela après la mort de son fils[27] ».
La mère éplorée ne délaissa cependant pas son goût pour les controverses et les luttes de pouvoir ; on devine encore dans les archives de la bibliothèque d’Olmeto son rôle politique et son engagement forcené. La vraie demeure de Colomba, sa résidence patricienne, son séjour d’orgueil c’est finalement dans son âme superbe qu’elle les renfermait.
[1] Saint-John Perse, Vents, I, 4, Paris, Gallimard, Pléiade, 1998, p.186.
[2] Réserve où sont affinés et conservés les fromages.
[3] Courte période hivernale durant laquelle sont abattus les porcs.
[4] Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971.
[5] La famille Paoli serait devenue Durazzo par l’héritage d’un riche marchand de ce nom au XVIIe siècle. La famille Tomasi changea de nom à la fin du XVIIIe siècle, Colomba naquit Tomasi et mourut Carabelli.
[6] « Colomba est issue des Tomasi-Carabelli, une grande famille de «principali» du Sud de l'île dont la généalogie se rattache à un capitano Tomaso ayant vécu au XVIe siècle. Les Carabelli-Tomasi sont alliés à de puissantes familles de ce même Sud comme les Colonna de Bicchisgià, les Colonna d'Istria de Suddacarò ou d'autres grandes lignées de la Rocca. La famille de Colomba vit dans une inimitié permanente depuis le XVIIe siècle, peut-être même le XVe siècle. » précise Eugène Gherardi dans Esprit corse et Romantisme, Ajaccio, Albiana, 2004, p.255.
[7] Mérimée, Prosper, Notes d’un voyage en Corse (1840), Ajaccio, La Marge, 1997, p.181.
[8] Mérimée, Prosper, lettre à Requien, Bastia 30 septembre 1839, Correspondance générale, tome II, Paris, Le Divan, 1942, p.289.
[9] Le père Jean Theunissen, O.F.M., propose dans son étude « Vighjano, une pieve de la Rocca » la date de 1370 pour la construction de la première partie.
[10] Titre dérivé de l’italien Signore, inspirant en Corse une certaine déférence.
[11] « Je ne dois pas oublier une espèce de fortification que j’appellerais volontiers domestique, et qui n’est destinée qu’à défendre une famille contre les attaques de ses voisins. Ce sont des machicoulis, disposés en avant d’une fenêtre, au-dessus de la porte d’entrée, laquelle est d’ordinaire assez élevée, et précédée d’un escalier étroit et raide. On voit à Sollacaro deux constructions de cette espèce, qui ont appartenu aux seigneurs d’Istria. à Fozzano, à Olmeto, dans beaucoup de villes et de villages de la Corse au-delà des monts, on en trouve de semblables. », in Prosper Mérimée, Notes d’un voyage en Corse, op.cit., p.175.
[12] Colomba, IV, Paris, Gallimard, Pléiade, 1978, p.807.
[13] Qualifiée d’ « originale » par les habitants de Fozzano, Blanche participait à la légende noire de la tour.
[14] Évier de pierre.
[15] Pot de chambre.
[16] Placards muraux.
[17] Et non érard comme on aurait pu s’y attendre. La maison Evrard aîné (1820-1830 ?) puis Evrard frères (1855) développe une facture instrumentale de 1789 jusqu’à 1857.
[18] Sa fille chantait devant un piano délabré ; Orso tournait les feuillets de son cahier de musique, et regardait les épaules et les cheveux blonds de la virtuose. On annonça M. le préfet ; le piano se tut, le colonel se leva, se frotta les yeux, et présenta le préfet à sa fille :'Je ne vous présente pas M. della Rebbia, dit-il, car vous le connaissez sans doute ? » in Colomba, IV, Paris, Gallimard, Pléiade, 1978, p.777.
[19] Mort violente par assassinat.
[20] Lorenzi de Bradi, La vraie Colomba, Paris, Flammarion, 1922, pp.12-13.
[21] Perron.
[22] La vraie Colomba, op.cit., p.141.
[23] Signifiant Deo optimo maximo : « à Dieu très bon, très grand ».
[24] Fecit anno : « réalisé en l’année 1834 ».
[25] Idem, pp.143-144.
[26] Affabulation de Lorenzi de Bradi : Mérimée aurait demandé la main de Catherine Bartoli, bientôt refusée par Colomba. On sait que Mérimée, séducteur romantique, n’a jamais eu de goût pour la vie maritale.
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