L’instruction publique et le développement de la présence Française, mais des écoles clandestines en Corse ?

Résumé :

Le document intitulé « L’État des individus qui ayant ouvert des Écoles Clandestines ont été déférés au ministère public, durant les années 1830 et suivantes » montre comment s’imposait la loi Guizot de 1833. Mais les difficultés rencontrées se sont répétées dans les établissements scolaires municipaux et /ou ecclésiastiques aux différents niveaux (primaire, secondaire et supérieur). Durant toute cette période, les difficultés ont été nombreuses et générales, entraînant souvent l’opposition entre la politique de l’État et une insularité toujours déchirée par la mise en cause et la perte des données issues d’une tradition très ancrée dans les us et coutumes. Régulièrement ravivée par l’histoire et les relations entre les Corses et les proscrits italiens ou exilés dans l’île, cette situation se prolongera tout au long des décennies jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Mots-clés : Instruction publique, enseignement mutuel, enseignement populaire, présence française, écoles clandestines, transculturation, francisation, principes philanthropiques de la bourgeoisie

Résumé

         La question de la langue est fondamentale dans la mise en place et le développement de la présence française en Corse, au XIXe siècle et tout particulièrement jusqu’aux dernières décennies. Il est capital de mettre en lumière l’implication de la francisation dans l’instruction publique. Il faut en effet souligner les difficultés qu’elle a rencontrées dans cet ensemble très varié dans le temps et dans le répertoire insulaire et social.

L’importance de la question linguistique entraîne nécessairement l’évocation de l’impact social, économique et politique d’une entreprise dans une société longtemps affranchie d’une politique désormais orientée vers la transculturation, après la conquête de la Corse. Cette action s’avère imposée par l’intégration et le rapport à l’ensemble national français dans sa politique centraliste.

         Or la consultation des archives montre de nombreuses difficultés liées à la situation générale de l’île et du rapport de ses habitants à l’instruction et aux langues susceptibles de la diffuser dans les régions de Corse. Dans le développement d’une tradition toscane héritée des Lumières, l’idée d’une morale pratique, affranchie des excès de l’abstraction et tournée vers l’amélioration du niveau intellectuel et économique aurait pu faire partie intégrante de la culture des élites européennes. Dans bien des couches sociales l’ignorance et l’absence d’instruction sont jugées comme l’un des plus grands fléaux de la société contemporaine.

Lorsque la générosité des principes philanthropiques s’exprime au sein de la bourgeoisie, elle s’accompagne de considérations plus pratiques et matérielles. Les bouleversements des trente premières années du XIXe siècle sont souvent lus à travers l’ignorance des masses qui en apparaît la cause. Les nouveaux régimes imprégnés des idées libérales reposent sur le consentement des citoyens aux actes du pouvoir. Or l’adhésion au politique ne peut se faire sans la compréhension de l’action du législateur et des politiques qui en découlent. La nécessité d’administrer le pays exige également des progrès rapides de l’instruction populaire car les progrès ne peuvent intervenir sans la diffusion généralisée de l’instruction dans les masses laborieuses que celles-ci soient paysannes ou citadines. Cependant, les philanthropes aux commandes de l’instruction s’attachent à en limiter la portée et le cours. L’enseignement du peuple ne doit pas en effet bouleverser la hiérarchisation des classes mais permettre de conforter l’édifice politique en place par l’amélioration du niveau de vie et l’adhésion des individus à leur condition d’origine. Il y aura donc deux types d’enseignement à la limite plus nette encore que précédemment : le primaire et le secondaire-supérieur.

         L’enseignement populaire apparaît donc comme l’une des priorités de la France nouvelle dans les années qui suivent la chute de l’Empire. La stabilité politique et sociale du nouveau régime, la prospérité de son économie et l’acceptation par les Français des institutions qui régissent leur vie sont dans bien des esprits tributaires des progrès de l’instruction. Dans les cinq premières années de la Restauration, un effort particulier va se trouver engagé en France grâce tout d’abord à des initiatives privées qui permettront la création d’une Société pour l’instruction élémentaire et le développement de l’enseignement mutuel.

         Quant au second, il ne pouvait que submerger la France dans un mouvement qui en quelques années atteindrait une extension universelle. Les succès de l’initiative privée conduisirent très rapidement à l’officialisation partielle puis à la généralisation de principes qui devinrent alors la doctrine de l’Etat.

         Des difficultés de tous ordres au premier rang desquelles se signalent l’opposition de l’Eglise et la réaction ultra provoqueront de 1824 à 1827 l’éclipse d’un mouvement original qui est à l’origine de la loi Guizot de 1833 et des développements croissants de la politique scolaire en France tout au long du XIXe siècle.

La Société d’Instruction publique fondée en 1803 par le préfet du Golo avait cessé toute activité en 1810. Ressuscitée en 1818 par le préfet De Vignolle, elle a répercuté les échos insulaires de cette nouvelle politique.

Dans cette institution dont le secrétaire est alors Francesco Ottaviano Renucci et Salvadore Viale l’un des animateurs principaux, auraient pu se rencontrer et s’unir deux courants également porteurs des idées nouvelles : le dynamisme des élites insulaires et la mission des fonctionnaires gouvernementaux en charge de l’instruction en Corse. L’éloignement culturel, la disparité des enjeux intellectuels et politiques, sans doute aussi la méfiance réciproque des individus provoquèrent au contraire l’espacement des réunions, puis dès 1821 l’effacement définitif des travaux de cette société littéraire. Le P.V. de la séance du 20 août 1820 indique nettement l’orientation suivie par la Commission qui se rend aux avis de l’inspecteur Mourre.

1. L’Université de Corte :

Depuis 1817 différents rapports établissent la probabilité de sa réouverture et bientôt l’imminence de celle-ci (la date de novembre 1820 apparaît à plusieurs reprises). Une lettre du préfet de février 1820 porte que « Bonaparte avait décrété qu’il y aurait en Corse une académie. Il savait que les fortunes de ses compatriotes ne permettraient qu’à un petit nombre d’entre eux d’envoyer leurs enfants sur le continent et que par l’effet d’anciennes habitudes ou par des vues d’économie, ceux qui prenaient ce parti envoyaient leurs enfants en Italie plutôt qu’en France. De là une éducation qui entretient des mœurs et des idées étrangères aux nôtres. L’établissement d’une académie vraiment française aurait donc le double objet d’éclairer et de nationaliser les Corses. » (ANF1711755).

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Le rapport présenté à la Société Centrale d’Instruction de la Corse par le médecin Santini en 1820 va dans le même sens (« nos jeunes gens ont continué à passer en foule à l’étranger et à y porter une partie de leurs modiques fortunes pour acquérir des connaissances et acheter des diplômes » (ANF1711755).

         Or Mourre émet des doutes, quant à lui, sur l’utilité de l’établissement de cette institution. Le moment « n’est pas encore arrivé ». Les obstacles sont nombreux: extrême rareté des professeurs compétents, livres introuvables dans l’île, absence de collections, faiblesse du potentiel étudiant. Dans l’état actuel des choses, on doit selon lui se borner à établir une grande école où, comme dans les collèges de l’Italie, aux enseignements habituels des collèges seraient ajoutés des enseignements complémentaires dispensés par des régents pour les études littéraires, religieuses et juridiques.

Une université ne semble donc pas viable à la commission qui prône l’ouverture d’un collège central, structure intermédiaire entre le collège royal et la faculté, un enseignement supérieur partiel, dispensé par des professeurs venus du Continent français et attirés par des avantages financiers.

2. L’enseignement secondaire :

Mourre a trouvé les deux collèges communaux de Bastia et d’Ajaccio dans un état pitoyable. Son premier soin est donc de donner un bureau d’administration à chacun de ces établissements: les gens éclairés qui le composent établiront des bases financières saines pour la réorganisation des études. Un règlement identique à celui des collèges de France viendra compléter le dispositif.

La Commission suit dans le détail ses recommandations et entend conformer les études de ces établissements à ce qu’elles sont en France. Elle se déclare en particulier vigilante sur la question de l’enseignement du latin. À travers la définition précise des limites de l’accès à l’enseignement secondaire se vérifient les dispositions des élites libérales vis-à-vis de la mobilité sociale des individus: l’empêcher ou la contenir dans l’exception.

3. L’enseignement primaire :

C’est indéniablement ce degré qui fixe l’attention de Mourre et de la Commission. Aux mains de desservants que l’on juge pour la plupart grossiers et ignorants, ce premier enseignement est à l’abandon. Les rivalités sont très fortes entre instituteurs laïques et ecclésiastiques.

C’est alors que sont adoptées les mesures que conseille Mourre:

1°) L’organisation et la composition des comités cantonaux;

2°) L’extension des écoles des frères de la doctrine chrétienne. En 1806 le cardinal Fesch en a institué une à Ajaccio qui compte 250 élèves en 1820. Une autre va s’ouvrir à Corte. Mais ces écoles coûtent 2000 francs par an et seules 5 à 6 communes peuvent soutenir une telle dépense;

3°) L’ouverture d’écoles d’enseignement mutuel. Avec 100 francs par an et une petite rétribution des élèves on peut en créer une dans chaque commune un peu peuplée.

4°) La surveillance du dispositif sera confiée à un inspecteur qui séjournera dans l’île pendant de longs mois.

         Nommé inspecteur chargé des fonctions rectorales en 1820, Antoine-Félix Mourre va s’attacher à mettre en œuvre la politique ainsi définie. Il développera les écoles des frères qui enseignent en français, dispensent un enseignement très limité et une morale chrétienne bien propre à rendre les Corses respectueux des lois. Il entend faire passer à 8 les 4 écoles en activité en 1820 (Ajaccio, Bastia, Calvi, Sartène). L’enseignement mutuel est moins cher et peut, par son système pédagogique, généraliser la discipline en même temps que la langue française. Mourre élabore un plan d’ouverture de 30 écoles cantonales de ce type. Pour financer en partie la dépense, une souscription est lancée et créée une Société pour l’encouragement de l’instruction élémentaire à l’instar de celle de Paris: les maîtres de ces nouvelles écoles seront directement formés par l’inspecteur. Comme l’enseignement est aux mains du clergé corse, Mourre entend convertir les gens d’église à la pratique du français, en particulier par un examen auquel sera soumis tout candidat aux fonctions ecclésiastiques.

         Ces dispositions représentent un effort sans précédent dans l’histoire de l’instruction publique en Corse. Trois sortes d’obstacles devaient se dresser contre la volonté conquérante du résolu philanthrope Mourre: le sentiment de la hiérarchie administrative qui entrave l’action d’un préfet, Eymard, pourtant acquis aux intentions de Mourre; l’attitude des élites corses, préoccupées seulement de la réouverture de l’Université de Corte, attachées à leur système traditionnel d’enseignement et réfractaires à toute imposition du Conseil Général en faveur de ce plan; les fins de non-recevoir du ministère hostile à un effort financier présenté comme trop important.

         En définitive, les années passeront sans que soient vraiment effacées les difficultés. Il faudra attendre le dernier quart du siècle pour voir apparaître une modification structurelle. Entre-temps, les différentes mesures adoptées par le pouvoir central, mises en place et peu ou prou servies par les représentants de Paris et/ou les notables locaux, ne modifieront qu’irrégulièrement la situation observée dans la première moitié du siècle.

Il est possible de distinguer quelques-unes des mesures les plus… profondes qui sont, pour nous, le début et la continuité d’une institution d’État pour le primaire.

Les archives étudiées réfèrent aux premiers constats généraux et significatifs effectués sur les enseignements du primaire après la période dite de l’enseignement mutuel (Mourre et Cottard).

Il s’agit en particulier de documents concernant des options jugées illégales et dangereuses, dites « écoles clandestines » soumises à diverses manipulations locales. Ces écoles primaires sont dénoncées et jugées en 1832 pour l’extorsion de fonds et leur appui par des élus locaux. Ces opérations sont soumises aux Commissaires du Roi et aux fonctionnaires et élus responsables locaux.

         On constate pourtant que tous les jugements indiqués dans les rapports et documents sur ces écoles primaires, se concluent par des acquittements! Le document intitulé « L’État des individus qui ayant ouvert des Écoles Clandestines ont été déférés au ministère public, durant les années 1830, 31 & 32 » en confirme la réalité.

On comprend dès lors comment s’imposait sur le terrain, la référence à une loi comme la loi Guizot de 1833.

Mais on entrevoit déjà les difficultés rencontrées à ce niveau par l’instruction publique tout au long de la période qui s’étirera au moins jusqu’à la fin du XIXe siècle.

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