L’université, une affaire constitutionnelle ? La contribution du constitutionnalisme Corse des lumières

Résumé

Résumé : L’Université est-elle un objet de droit constitutionnel ? L’examen des normes fondamentales de notre temps permet d’en douter et, en tout cas, d’affirmer qu’elle est étrangère au noyau dur de la matière. Pourtant, la question figure en bonne place parmi les préoccupations des philosophes des Lumières comme des pères fondateurs du constitutionnalisme moderne. Cela est particulièrement vrai pour ce qui concerne les grands textes juridiques et politiques du constitutionnalisme corse du XVIIIe siècle. De l’émergence d’un droit à l’éducation aux enjeux dialectiques entre le Regnum – le pouvoir politique – et le Studium – le pouvoir universitaire – l’expérience corse du siècle des Lumières offre des pistes de réflexion fécondes afin d’envisager le statut constitutionnel de l’Université à notre époque.

Mots-clés : constitutionnalisme ; Université ; Lumières ; éducation ; Corse.

Résumé

Le rapport de l’institution universitaire au droit constitutionnel est pétri de paradoxes. À cet égard, un constat liminaire s’impose : alors que la question universitaire constitue une préoccupation majeure parmi les pères du constitutionnalisme moderne, elle n’occupe qu’une place périphérique au sein des textes constitutionnels du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.

Au siècle des Lumières, Pasquale Paoli, pour la Corse, John Adams, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et Georges Washington, pour les États-Unis, auront notamment en partage d’avoir été les principaux artisans de l’avènement d’une Constitution, dans son acception moderne, et d’avoir activement contribué au développement du savoir universitaire dans leur pays.

Paoli est, en effet, l’auteur principal de la Constitution corse de 1755 et celui qui donna corps, en 1765, à la création d’une Università degli Studi, vieille revendication des révolutionnaires corses depuis le début des années 1730[1]. Du côté des Pères fondateurs américains, Benjamin Franklin et Thomas Jefferson participèrent activement à la création des Universités de Pennsylvanie et de Virginie de leur vivant alors que l’Université de Columbia verra le jour grâce au legs posthume de Georges Washington. Quant à John Adams, il s’employa à protéger les privilèges de l’Université d’Harvard en les inscrivant au cœur de la Constitution du Massachussetts[2].

De façon tout aussi significative, la création et le développement de l’Université publique apparaît comme l’élément central de leur testament politique. Au crépuscule de leurs vies, Paoli[3], Washington[4] et Jefferson[5] y consacrent, à des degrés divers, leurs dernières volontés. John Adams, pour sa part, écrit en 1805 dans une lettre adressée à Benjamin Waterhouse, professeur de médecine à l’Université d’Harvard, qu’il souhaiterait que le chapitre de la Constitution de l’État du Massachussetts dédié à l’éducation et à l’Université soit gravé sur sa tombe en guise d’épitaphe[6].

Afin d’attester du compagnonnage existant entre le constitutionnalisme des Lumières et la question universitaire, l’œuvre intellectuelle de Gaetano Filangieri peut être associée à celle chefs d’État précédemment évoqués. Auteur des Lumières napolitaines, élève d’Antonio Genovesi, Filangieri est considéré, sur le plan théorique, comme l’un des précurseurs du droit constitutionnel[7] et consacra de nombreux développements de sa Scienza della legislazione à l’importance de l’instruction publique et d’une réforme de l’enseignement universitaire[8].

Ceci étant dit, depuis cette période, le droit constitutionnel ne cesse d’entretenir un rapport distant avec la question universitaire. L’examen des Constitutions actuelles des 27 États membres de l’Union européenne en atteste. Au sein de cette Europe qui fut à la fois le berceau de l’Université[9] et, pour une part significative, de l’idée constitutionnelle, seule une dizaine d’États consacre, de façon expresse, des dispositions relatives au statut de l’Université au plus haut niveau de la hiérarchie des normes[10].

Au XVIIIe siècle déjà, l’intérêt des pères fondateurs du constitutionnalisme pour le sujet universitaire ne s’accompagna pas de son inclusion mécanique au sein des différents textes constitutionnels de l’époque. Aussi, la question universitaire – et plus largement la question éducative – est totalement absente de la Constitution américaine de 1787. Quant aux Constitutions françaises de l’an I et de l’an III, elles s’intéressent bien à la question de l’instruction publique mais ignorent superbement l’institution universitaire. L’attitude répond, somme toute, à une forme de logique, celles-ci ayant été supprimées, au début de la Révolution au même titre que l’ensemble des corporations.

De ce point de vue, on peut comprendre que John Adams qualifie, a posteriori, de « curiosité » ou de « bizarrerie » (oddity), les dispositions de la Constitution du Massachusetts relatives à ces questions[11]. Cette « curiosité » ne doit cependant pas une vue comme une singularité au sens où elle fut devancée d’expériences plus précoces encore.

Si à l’échelle du constitutionnalisme américain, dès 1776, la Constitution de Pennsylvanie invitait l’État à encourager la création d’établissements universitaires (art. 44)[12], le constitutionnalisme corse du XVIIIe siècle se distingue, à cet égard, par son antériorité. En effet, le premier exemple de consécration de la question universitaire au sein d’une norme de nature constitutionnelle revient factuellement à la Constitution du Regno di Corsica d’avril 1736, usuellement dénommée Constitution théodorienne – par référence à Théodore Ie, élu en cette occasion, Roi des Corses – ou Constitution d’Alisgiani[13] qui, en son article 16, prévoit la création « [di] una pubblica Università di Studj, tanto delle Scienze, come d’arti Liberali ». Sur cet aspect – entre autres choses –, l’expérience théodorienne, largement méconnue et parfois minorée eu égard à la personnalité très controversée du monarque[14], mérite sans doute d’être réévaluée quant à sa modernité[15].

La fin prématurée du règne de Théodore Ier[16] ne permit pas la concrétisation immédiate du projet universitaire mais, quelques décennies plus tard, celui-ci trouvera – nous l’avons dit – une concrétisation sous le Généralat de Pasquale Paoli (1755-1769).

Cependant, à la différence de la Constitution de 1736, l’Université disparaît formellement du texte constitutionnel de 1755 et cette carence se confirmera au moment de l’adoption de la Constitution dite du « Royaume anglo-corse » en juin 1794. Cela étant, il serait particulièrement réducteur de considérer l’institution universitaire, qui fut présentée comme « la pièce maîtresse du système national[17] », comme un corps étranger au constitutionnalisme paolien. Dès lors que l’on s’éloigne d’un normativisme étriqué, il est possible d’admettre, en considérant pleinement le droit constitutionnel comme un « droit politique », que celui-ci ne se limite pas « aux énoncés juridiques mais inclut d’autres formes de régularités – des comportements, des actes, des interprétations, des raisonnements, des discours, des principes, ou des idées – parce qu’elles sont vécues comme telles par les acteurs juridiques ou parce qu’elles s’imposent comme telles[18] ». Lato sensu, la Constitution, au sens matériel peut donc aisément se concevoir comme « l’ensemble des grands principes qui régissent l’organisation de l’État[19] ». À l’évidence, en Corse, au XVIIIe siècle, l’Université y trouve bonne place.

Cette précaution étant posée, le constitutionnalisme corse du XVIIIe siècle, permet d’assigner deux fonctions principales à l’institution universitaire : elle s’apparente, d’une part, à un attribut essentiel de la souveraineté étatique (I) et participe, d’autre part, de la balance interne des pouvoirs (II).

1. L’Université, un attribut de l’État

Selon les mots de Franco Venturi, L’Université fait figure de « symbole de l’indépendance et de la liberté[20] » de l’État paolien. Cette idée est d’ailleurs explicitement illustrée par l’un des grands manifestes édités, après la défaite de Ponte Novu, par les paolistes exilés en Toscane – Sentimenti dei nazionali corso contro l’invasion delle loro patria (1770) – au détour duquel l’auteur anonyme érige l’« Università degli Studj » au rang des attributs les plus essentiels de la souveraineté au même titre que l’existence d’un gouvernement, le pavoisement du drapeau national ou le droit de frapper monnaie[21]. Maillon indispensable à l’existence de l’État, l’institution doit, d’abord, être vue comme la condition de mise en œuvre d’un devoir de l’autorité étatique à travers la diffusion du savoir universitaire (A), ensuite, et parallèlement, comme un instrument à son service (B).

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A) Un devoir de l’État

Par l’édit du 25 novembre 1764, le Général de la Nation et le Suprême Conseil d’État concrétisent le projet d’une Université « désirée depuis tant de temps et contrariée jusqu’alors par les circonstances inopportunes des temps[22] ». La création, sur initiative du pouvoir politique, d’une Université publique est assurément un élément de modernité. Cela ne constitue en revanche pas une nouveauté. L’historien Jacques Verger observe, en effet, à cet égard, qu’au cours des XIVe et XVe siècles déjà, la plupart des universités étaient de création princière[23]. Plus en amont encore, la fondation de l’Université de Naples, en 1224, à l’initiative de l’Empereur Frédéric II de Prusse témoigne d’une première expérience de laïcisation du savoir universitaire[24].

Ceci étant dit, le constitutionnalisme corse du XVIIIe siècle se singularise par deux novations importantes. La première consiste à inscrire l’institution universitaire au sein d’un texte constitutionnel et à intégrer, ipso facto, le Studium à la problématique de la limitation du pouvoir par le droit. La seconde est de considérer la création d’une université publique non comme une simple faculté pour le pouvoir étatique mais bien comme l’un de ses plus impérieux devoirs.

À cet effet, la Constitution théodorienne de 1736 impose conjointement au Roi et à la Diète la double obligation d’ériger l’Université puis d’en assurer la pérennité en s’assurant de fixer les ressources suffisantes à son financement[25]. Dans un même esprit, quelques années plus tard, en 1753, le Général Gaffori présentera, lors d’un Congresso Generale, un Progetto di amministrazione e governo prévoyant la création d’une université qui y est décrite comme la « perpetua incombenza » (la tâche perpétuelle) du gouvernement[26].

L’expression la plus explicite de l’existence d’un devoir de l’État en matière d’éducation, et conséquemment d’enseignement universitaire, peut être identifiée durant la période paolienne, à la lecture de la Giustificazione della Rivoluzione di Corsica. Il s’agit là d’une œuvre de philosophie politique et non d’un texte normatif mais celle-ci participe, à l’évidence, du corpus constitutionnel corse de l’époque. Accusant le pouvoir génois d’avoir maintenu les Corses « nell’incoltura e nell’ignoranza[27] », le « Justificateur » énonce clairement l’existence d’une responsabilité des autorités étatiques en la matière. En effet, contrairement aux acteurs de la sphère privée « che non hanno obbligo di procurar l’educazione alla gioventù Corsa[28] », les révolutionnaires corses affirment que « il Principe è padre e pastore » et « come tale ha l’obbligo di far educare e ammaestrare i suoi popoli[29] ».

En outre, malgré l’absence de référence explicite à ce sujet au sein de la Constitution de novembre 1755, il n’est pas inconsidéré d’identifier un fondement constitutionnel à l’action universitaire de Paoli en examinant son Préambule. Antonio Trampus confère, en effet, à celui-ci une fonction de légitimation de l’action de la Diète et de reconnaissance d’un certain nombre de « droits et libertés naturels[30] » parmi lesquelles se situe l’affirmation conclusive d’un « droit au bonheur[31] ». Or, dans la pensée des Lumières, le lien entre la diffusion du savoir et le bonheur des peuples fait figure de lieu commun.

Parmi les Lumières napolitaines, Antonio Genovesi, dont Paoli lui-même revendiqua être l’un des disciples[32], envisage le « bonheur public » comme le « fruit du savoir et de la vertu[33] » et en déduit que « les écoles jouent un rôle majeur, de la plus basse à la plus haute » quant à « la conservation et au bonheur de la république[34] ». À sa suite, Filangieri voit « l’éducation [comme] le moyen le plus efficace afin de rendre les peuples heureux » et sa promotion comme l’une de missions essentielles du « sage législateur[35] ». Fortement inspirés par l’œuvre de John Locke, on retrouve pareils propos parmi les pères fondateurs américains et notamment sous plume de Thomas Jefferson[36]. Un an avant l’adoption de la Constitution des États-Unis, ce dernier écrit à ce sujet : « Je pense que par-dessus tout, l’orientation essentielle de notre législation doit être la diffusion du savoir dans le peuple. Aucun fondement plus sûr ne peut être trouvé pour la préservation de la liberté et du bonheur[37] ». En définitive, le discours inaugural du Recteur Mariani, au moment de l’ouverture officielle de l’Université en janvier 1765 est ici parfaitement convergent avec l’esprit des temps lorsqu’il défend la « la nécessité et l’utilité des sciences et des bonnes études et combien celles-ci participent au bonheur et au bon gouvernement des États[38] ».

Par-delà l’expérience corse, l’appréhension de l’Université comme un objet constitutionnel se manifesta, de la façon la plus nette, avec l’adoption de la Constitution de l’État du Massachussetts en 1780. À l’initiative de John Adams, le chapitre V du texte place la « connaissance » comme l’une de conditions essentielles à « la préservation [des] droits et libertés » et fonde, par voie de conséquence, le « devoir des législateurs et des magistrats (…) de chérir les intérêts de la littérature et des sciences (…) et surtout de l’Université de Cambridge[39] ».

Devoir pour l’État, l’accès au savoir universitaire implique, déjà, l’émergence concomitante d’un droit pour les citoyens. À cet égard, le projet de gouvernement de Gaffori, de 1753, apparaît comme étonnamment novateur en revendiquant l’universalité et la gratuité de l’enseignement universitaire, celui-ci devant, selon ses termes, être accessible « à chaque habitant de notre Royaume sans aucune dépense[40] ». L’édit de novembre 1764 annonçant l’ouverture de l’Université paolienne vient concrétiser le souci de promouvoir l’accès au savoir universitaire à destination du plus grand nombre. Le pouvoir exécutif y annonce des mesures sociales afin de diminuer le coût du logement et de l’alimentation et exprime porter une attention particulière « à la subsistance des étudiants les plus pauvres[41] ». Celle-ci se matérialisera par la concrétisation de la gratuité des cursus et la création d’un système de bourses universitaires[42]. En somme, pour utiliser un vocabulaire constitutionnel contemporain, les germes d’un droit-créance en matière d’accès au savoir universitaire sont posés en des termes particulièrement modernes[43].

B) Un instrument au service de l’État

Si l’Université de Paoli est bien l’une des manifestations les plus éclatantes de la liberté de la Nation, elle s’éloigne de la conception traditionnelle des libertés universitaires au sens où elle se présente avant toute chose comme un instrument au service de l’État, étroitement contrôlé par celui-ci.

Le pouvoir législatif a, en effet, arrêté le principe de sa création[44], a décidé de son emplacement[45] et a grandement influé sur son mode de financement[46]. Quant au pouvoir exécutif, il en a minutieusement réglementé l’organisation et le fonctionnement, a déterminé le contenu des enseignements et a même édicté des mesures très énergiques afin de contraindre les étudiants corses à suivre leur cursus au sein de l’université nationale en refusant, pour l’avenir, la délivrance de passeports aux étudiants désireux d’effectuer leur cursus dans les universités de Terraferma[47].

De ce point de vue, il s’agit d’une rupture nette avec la tradition médiévale où l’Université pouvait se définir comme « une communauté autonome de maîtres et d’élèves[48] ». Néanmoins, cet interventionnisme étatique apparaît tout à la fois conforme aux idées des Lumières et aux théories républicaines. Dès lors que le bonheur de la Nation et l’existence même du gouvernement républicain reposent sur l’existence d’un peuple éduqué, l’État ne saurait se désintéresser d’une mission aussi capitale. À cet égard, l’action de Paoli, qui plaça l’Université « sotto gli occhi del Supremo Governo[49] », est en parfait accord avec les préceptes de son maitre napolitain, Antonio Genovesi, lorsque ce dernier énonce qu’en vue de garantir la pérennité de la République, l’éducation doit être soumise « al pubblico imperio ». Aussi, à ce titre, « le souverain » a donc « le droit de savoir qui enseigne, où, quoi, comment ; et s’il considère que cela contrevient au bien public, d’abolir, de créer, de modifier, et de corriger[50] ». Plus largement, ce rôle actif conféré à l’État paolien fait écho à un mouvement d’affermissement du contrôle étatique sur les Universités qui caractérise l’époque moderne et notamment le XVIIIe siècle.

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Mais si, à travers la création de l’Accademia gregoriana Cyrnensis, le dessein assumé de Paoli est bien de former une jeunesse corse « au service de Dieu et de la patrie », la mainmise étatique sur l’institution n’implique nullement une quelconque hostilité à la diffusion d’idées nouvelles et, partant, à la formation d’esprits critiques. Fernand Ettori souligne, à cet égard, combien l’instauration d’une chaire d’éthique, incluant l’étude du « droit de la nature et des gens », revêtait un caractère novateur pour une université de l’aire italienne[51]. Au cœur du siècle des Lumières, l’enseignement de la philosophie « selon les systèmes les plus plausibles des philosophes modernes[52] » témoigne également d’une perméabilité à la controverse. Le témoignage de l’officier français Pommereul, volontiers acerbe à l’endroit de Paoli et de son œuvre, corrobore le propos lorsque celui-ci affirme avoir vu les ouvrages d’éminents philosophes des Lumières orner les bibliothèques des professeurs de l’Université[53].

L’emprise du gouvernement national sur l’institution universitaire se doit, par ailleurs, d’être quelque peu tempérée du point de vue de son fonctionnement. Bien que l’existence d’une véritable autonomie universitaire s’avère totalement illusoire, le modèle paolien ménage l’existence d’une sphère universitaire, formellement distincte du pouvoir politique. Sans minorer aucunement le rôle décisif de Paoli eu égard à une institution que Franco Venturi considèrera comme « la prunelle de ses yeux[54] », on voit, à son initiative, se constituer un embryon d’administration universitaire autour du Recteur Mariani, dès la phase d’élaboration du projet et, naturellement, après l’inauguration officielle de l’établissement[55]. Quant aux modalités de financement de l’institution, on perçoit les prémices d’une autonomie budgétaire. Le projet de délibération présenté à la Consulté de 1765, dont fait mention Cambiagi, évoque la création d’une autorité ad hoc, extérieure à l’appareil d’État : les Procuratori Generali dell’Università[56]. Ces ecclésiastiques, élus au sein des diocèses, se voyaient chargés de la gestion d’une une caisse, « separata da quella del Pubblico », et constituée par le don annuel du Clergé, afin de subvenir aux traitements des professeurs et aux autres dépenses courantes de l’Université. Cependant, le compte-rendu de la réunion des délégués du Clergé à la Consulta, s’il valide bien le principe du don gratuit, ne fait nulle mention des Procuratori. Il précise, en revanche, que cette somme devra être directement remise « a mani del cassiere della prefata università[57] ».

La législation du Royaume anglo-corse (1794-1796) qui anticipait la réouverture, finalement avortée, de l’institution reflète, de son côté, une tentative d’équilibre entre liberté universitaire et contrôle étatique. La loi du 3 décembre 1795 assigne ainsi au gouvernement l’administration des biens et des ressources alors que la responsabilité du cursus universitaire revient principalement au Recteur et Professeurs de l’Université qui agissent, néanmoins, sous le contrôle du Roi[58].

Mais pour peu que l’on aborde ces sujets avec le regard d’un universitaire du XXIe siècle, c’est de nouveau la Constitution d’Alisgiani de 1736 qui apparaît résolument moderne. Par-delà l’obligation qui incombe à l’État de doter la Nation d’une Université publique, le texte constitutionnel assigne au Roi la fonction de protecteur des libertés universitaires en l’appelant à veiller à ce que l’établissement « jouisse de l’ensemble des privilèges dont disposent les autres universités européennes ». Sur ce point également, elle est en syntonie avec l’œuvre constitutionnelle de John Adams, la Constitution du Massachussetts confirmant et protégeant les « pouvoirs, autorités, droits, libertés, immunités et franchises » dont disposait l’Université d’Harvard depuis des siècles.

Or, la question de l’autonomie universitaire ainsi que la protection des libertés académiques apparaissent comme des enjeux constitutionnels de notre temps. Aussi, parmi les États-membres de l’Union européennes, onze d’entre eux consacrent le principe d’autonomie universitaire au cœur de leur Constitution[59] et Plus nombreux encore sont les États qui offrent une base constitutionnelle expresse aux libertés universitaires en matière d’enseignement et de recherche[60]. Particulièrement en pointe sur cet aspect, la Constitution portugaise précise que cette autonomie revêt, à la fois, une dimension « statutaire, scientifique, pédagogique, administrative et financière » (art. 76, al. 2), qu’en outre, conformément à la tradition médiévale, celle-ci implique, un « droit de participer à la gestion démocratique » des établissements au bénéfice des professeurs et étudiants (art. 77). À l’inverse, en France, il y a quelques années seulement, la Conférence des Présidents d’Universités appelait à l’inscription des libertés académiques au sein de la norme constitutionnelle[61]. À cette heure, alors que plusieurs universitaires mettent fréquemment en exergue les menaces auxquelles celles-ci étaient confrontées[62], l’Université n’a pas encore accédé à la pleine dignité constitutionnelle[63].

2. L’Université, actrice de la balance des pouvoirs

Le jeu de l’influence entre le Savant et le Politique[64] n’est pas unidirectionnel. Si le pouvoir politique s’est arrogé, pour partie, le contrôle de l’institution universitaire, l’Université peut également être appelée à intervenir directement dans le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels. Le constitutionnalisme corse du XVIIIe siècle illustre cette contribution de l’organe universitaire à l’équilibre des pouvoirs, par sa participation à la sélection des gouvernants d’une part (A), par son association à l’exercice du pouvoir législatif d’autre part (B).

A) L’ambition d’un gouvernement de lettrés 

Corrélativement au renforcement de l’influence étatique à son endroit, l’Université s’affirme, à l’époque moderne, comme le foyer principal de formation des élites nationales. Cette nécessité est d’autant plus prégnante au sein de l’État républicain qui se doit tout à la fois d’« éduquer le peuple[65] » afin de former des citoyens et non de simples sujets, mais également de permettre l’émergence de gouvernants dévoués à la promotion du bien commun. Dans cette perspective, sous Paoli, l’Università degli Studj, semble remplir une double fonction : d’une part, diffuser le savoir, et ainsi rompre avec l’ « obscurité » forcée imposée par Gênes, grâce à l’enseignement de disciplines de l’esprit, à dominante théorique, telles que le droit naturel ou la philosophie[66] ; d’autre part, assumer une mission de professionnalisation en formant des praticiens, notamment dans le domaine juridique[67], ce qui, comparativement aux universités de l’époque, peut être vu comme un élément d’originalité et de modernité[68].

Faisant écho à l’ambition de l’édit paolien de prodiguer aux jeunes corses les « connaissances nécessaires afin de les habiliter à exercer les charges publiques » au sein de l’État, le chapitre V de la Constitution du Massachussetts rappelle, par effet de symétrie, combien l’enseignement des arts et des sciences au sein du Harvard College contribua, depuis sa fondation en 1636, à « [qualifier] pour les emplois publics, tant dans l’Eglise que dans l’État » des générations d’étudiants.

Si naturellement, les États ont tendance, à cette époque, à « [réserver] aux gradués des facultés supérieures un certain nombre d’emplois dans le clergé ou la judicature[69] », la formulation de l’édit gouvernemental de 1764 va plus loin quant à la participation de l’Université au processus de sélection des gouvernants au sens où la fonction d’ « habilitation » à exercer les magistratures publiques dont il est fait mention est appelée à trouver une concrétisation juridique et qu’elles inclut les plus hautes fonctions politiques de l’État. En ce sens, le texte indique clairement que le gouvernement est disposé à prendre « les mesures les plus efficaces afin que soient toujours préférés, pour l’accès aux charges civiles et ecclésiastiques [du] Royaume, ceux qui auront brillamment effectué ou effectueront actuellement leur cursus au sein de [l’] université[70] » nationale. Il précise d’ailleurs, à cet effet, que les charges de « conseillers d’État, de présidents, d’auditeurs, et de consulteurs des juridictions et provinces ainsi que les autres emplois les importants de la Nation[71] » ont vocation à être occupées par des lauréats de l’Université publique du Royaume.

Cependant, sans doute faute de temps et donc de ressources en nombre suffisant, on ne trouve sous le Généralat de Paoli aucune trace de législation réservant, ou privilégiant, l’accès auxdites magistratures aux gradués de l’Université. Seule fait exception la profession de notaire dont l’accès est conditionné, par la consulta de 1766, à un an d’étude de droit civil au sein l’université nationale [72]. Quelques décennies plus tard, la législation du Royaume anglo-corse se montrera plus ambitieuse en instaurant l’exigence d’être diplômé de l’ « Università del Regno » – ou d’ « une autre université reconnue » – pour quiconque souhaiterait accéder aux professions du pouvoir judiciaire[73].

Assurément, les velléités de Paoli visant à conditionner l’accès aux charges publiques aux diplômés de l’Universià gregoriana sont, pour une large part, motivées par des considérations utilitaristes. Il s’agit, à n’en pas douter, d’inciter la jeunesse corse à privilégier l’université nouvelle au détriment des universités du continent italien, terre d’élection séculaires des étudiants corses, tout en accompagnant l’émergence d’une élite lettrée toute acquise au projet national[74]. Ceci étant, il est permis d’y voir l’expression d’une préoccupation plus idéologique, à savoir la promotion d’une République méritocratique. En adéquation avec la doctrine thomiste, si « chacun peut se faire nommer[75] », le choix des gouvernants doit se porter vers des responsables « qualifiés par leur vertu[76] ». Cette inclination méritocratique du régime a d’ailleurs reçu une application tout à fait concrète au moment de la révision constitutionnelle de 1764. En cette occasion, la Consulta instaura le principe du cursus honorum, tout droit issu de la tradition romaniste, afin d’accéder aux différentes magistratures[77]. Ainsi, les fonctions de conseiller d’État – à savoir de membre du gouvernement – étaient, en théorie[78], réservées aux citoyens ayant préalablement exercé les fonctions de Président du Magistrato provincial, cette dernière fonction n’étant accessible qu’aux responsables ayant antérieurement exercé une fonction subalterne au sein dudit Magistrato.  La certification du savoir universitaire peut dès lors être interprétée comme un complément utile à cette carrière des honneurs, à la fois afin de s’assurer que seront désignés les personnes jugées les plus aptes à exercer les fonctions les plus éminentes de l’État et, accessoirement, les patriotes les plus fidèles.

Cette vision, que l’on entrevoit chez Paoli n’échappe pas à une part de spéculation. En revanche, l’idée est clairement explicitée chez Francesco Mario Pagano qui a en partage avec Paoli la double caractéristique d’avoir été un disciple napolitain de Genovesi et, dans les dernières du XVIIIe siècle, l’auteur d’un projet de Constitution pour l’éphémère République parthénopéenne. Dans son rapport introductif au projet de Constitution, Pagano défend l’idée que si le droit de suffrage doit être le plus large possible, le droit d’éligibilité doit être organisé de façon à déterminer « les qualités morales » des futurs magistrats, sous peine de menacer l’édifice républicain. Or, parmi ces règles figurent la combinaison du cursus honorum classique (« aver trascorsop le minori magistrature, tirocinio e pruove per le maggiori ») et du cursus scolaire (« aver compito un corso di studi nelle pubbliche scuole »), dont on peut penser qu’il puisse naturellement inclure une dimension universitaire[79].

Si l’on peut identifier sous le régime paolien une illustration de gouvernants ayant répondu aux critères du double cursus honorum, à travers la figure de Giuseppe Nobili Savelli, diplômé de l’Université, président du Magistrato de Balagne puis Conseiller d’État, la chute prématurée de la République napolitaine limitera le projet de Pagano à la seule théorie politique.

B) Savant et Politique : la figure de l’Universitaire-législateur

Parallèlement à sa mission de formation et d’accréditation des futurs dirigeants de l’État paolien, l’Université fut appelée à verser une autre contribution directe à l’édification d’une République méritocratique. En effet, le compte-rendu de la Consulta de l’année 1767 publié aux Ragguagli dell’Isola di Corsica, le Journal Officiel du gouvernement national, révèle une participation active des Professeurs de l’Université à la fonction législative. Ceux-ci siègent au sein de la « députation spéciale », un organe mixte réunissant les autorités exécutives (le Général de la Nation et le Conseil d’État), des délégués du pouvoir législatif (la Consulta désignant en son sein les représentants « les plus zélés et éclairés de chaque Province ») et élargi, outre les universitaires, aux auditeurs du tribunal de la Rota Civile, aux représentants du Clergé ainsi qu’aux anciens Conseillers d’État[80].

L’instauration de cet organe nouveau, que l’on retrouve dès 1766 dans une composition quelque peu différente et sous l’appellation de « Congrès des députés », traduit une volonté de division et de spécialisation du travail législatif. La députation dispose, en effet, d’un rôle d’initiative législative et de conseil alors que la Consulta, en formation plénière, conserve le monopole du vote de la loi et demeure, de ce point de vue, seule « padrona della legge[81] », selon l’expression de Paoli.

La participation directe, et ès-qualité, des Professeurs d’Université à la fabrique de la loi peut apparaître – pour paraphraser Adams – comme une curiosité. Cependant, le droit constitutionnel, en des époques diverses, renferme – tantôt à l’état de projet, tantôt de manière effective – bien d’autres cas de participation active des universitaires à la fonction législative.  En droit positif, la Constitution de la République d’Irlande offre un exemple original de représentation universitaire au sein de la chambre haute, le Seanad Éireann[82] (art. 18, al. 4). À cet effet, les deux universités historiques du pays, l’Université nationale d’Irlande et l’Université de Dublin, font fonction de circonscription électorale, le corps électoral étant composé de l’ensemble des licenciés de ces deux universités qui élisent respectivement trois sénateurs en leur sein. Ces circonscriptions universitaires ont également existé en Grande-Bretagne jusqu’en 1948 où elles désignaient douze représentants aux Communes, c’est-à-dire à la chambre basse[83], comme cela était d’ailleurs le cas sous le régime de la Constitution de l’État libre d’Irlande de 1922. Etant admis que la fonction des chambres basses consiste usuellement à refléter la volonté de la généralité des citoyens, l’existence de collèges spécialisés en son sein peut être vue comme une anomalie. Le choix du constituant irlandais de transférer ces sièges universitaires vers le Sénat paraît plus conséquent au sens où l’une des fonctions des chambres hautes peut consister à représenter les intérêts socio-professionnels.

C’est d’ailleurs dans cette logique corporative que doit être située la plupart des manifestations d’une participation directe des universitaires au pouvoir législatif, avec toutefois des perspectives antagonistes. D’un côté, l’inclusion des universitaires à la chambre haute peut participer d’une volonté de régénération du parlementarisme en promouvant une idée du principe de représentation plus conforme à la réalité du pays. À côté de la chambre basse censée reproduire les tendances politiques exprimées par les citoyens, la chambre haute a, pour sa part, vocation à représenter les différents groupes d’intérêts[84]. Relèvent de cette catégorie, le projet de réforme du Sénat proposé par De Gaulle en 1969, et rejeté par voie de référendum, qui prévoyait une « représentation universitaire », comme cela fut d’ailleurs envisagée, un temps, durant les débats constituants italiens en 1947[85]. À l’opposé, la présence d’universitaires au sein d’une chambre corporative a pu relever, au contraire, de « survivances féodales[86] » et même de tendances clairement antiparlementaristes, à l’instar des régimes franquistes et fascistes.

L’Universitaire-législateur paolien procède d’une logique toute autre. Considérant l’adhésion du républicanisme paolien aux principes du gouvernement mixte, la « députation spéciale » de 1767 symbolise à merveille l’élément aristocratique du régime, tant par sa fonction que par sa composition. À cet égard, la similitude avec l’œuvre de James Harrington, grand auteur du républicanisme classique britannique, est tout à fait frappante[87]. Dans son Oceana, véritable manifeste républicain, Harrington promeut une division de la procédure législative entre un Sénat et une Assemblée du peuple. Le Sénat, « sorte d’aristocratie de sages[88] », débat et propose alors que l’assemblée du peuple « résout » et donc « décide » en dernière instance[89]. Quoique le Sénat harringtonien, tout comme la députation spéciale paolienne, soit censé incarner « la meilleure partie du peuple[90] », le recrutement de ses membres ne procède nullement d’un droit héréditaire, mais bien de « l’excellence de leurs qualités », témoignage de leur vertu et de leur capacité « à conduire le peuple[91] ». Cela étant, comme chez Paoli, les sénateurs ne sauraient être « des commandants, mais des conseillers du peuple[92] » car, écrit Harrington, « la sagesse de quelques-uns peut-être le flambeau de tous, mais l’intérêt de quelques-uns n’est pas l’intérêt de tous ou d’une république[93] ». C’est, en ce sens, que le monopole du vote de la loi doit demeurer entre les mains du peuple ou du corps ayant fonction de le représenter. Au sein de ce que l’on peut qualifier Sénat paolien, le rôle de l’Universitaire-législateur consiste donc à éclairer les choix du peuple souverain et non à exercer un magistère épistocratique[94].

Si l’instauration de cette « chambre haute[95] » à laquelle prennent par les universitaires, comme la volonté de favoriser les diplômés de l’Université aux charges exécutives, mettent bien en exergue une « tendance aristocratique » de l’État paolien, celle-ci n’invalide nullement son caractère républicain. D’abord, car si l’on accepte d’associer la députation spéciale à l’élément aristocratique du régime, ce constat ne vient pas heurter l’opposition constante de Paoli à l’institution d’une noblesse corse, et son plaidoyer pour une république fondée sur la « parfaite égalité[96] », dès lors que ses membres n’y accèdent ni « par droit héréditaire, ni en fonction de [leur] fortune[97] » mais bien en fonction de leur vertu, à savoir de l’excellence et de la sagesse dont ils ont fait preuve. Ensuite, car en toute hypothèse, le peuple demeure bien la source du pouvoir : la députation spéciale – dont une part importante procède d’ailleurs de l’élection – n’exerçant qu’un rôle d’initiative et consultatif.

Conclusion :

Droit à l’éducation, devoirs de l’État dans la démocratisation du savoir, autonomie de la sphère universitaire, formation des cadres, méritocratie républicaine, dialectique entre science et action politique : ces questionnements posés tout au long des Révolutions de Corse se révèlent être d’une résonance très actuelle. Il y a, certes, dans les expériences évoquées une large part d’inachevé. Il est vrai, aussi, que la transposition des mécanismes expérimentés ou envisagés alors n’est pas, de nos jours, transposable en l’état et par certains aspects, sans doute, n’est-elle pas souhaitable. En revanche, pour peu que l’on considère, dans le prolongement de la pensée des Lumières, que les sciences et les arts ont quelque influence sur le bonheur des peuples, le fait de placer l’institution universitaire au cœur des missions incombant à l’État[98] revêt une portée atemporelle. À cet égard, dans une lettre à l’abbé Salvini datée du mois de février 1764, Paoli considère le « plan sur le gouvernement », c’est-à-dire le grand projet de révision constitutionnelle qu’il doit présenter à la Consulta du mois de mois comme étant « tout aussi important » que le « plan de l’université » qu’il a confié au Père Mariani[99]. Le Regnum – le pouvoir politique – et le Studium – le pouvoir universitaire – sont ici placés à parité. Les lacunes, et parfois les silences, du droit constitutionnel contemporain disent, pour leur part, la marginalité de la question universitaire au XXIe siècle.

[1] Eugène Gherardi, « Aux origines de l’université de Corse », in Jacques Fusina (dir.), Histoire de l’école en Corse, Ajaccio, Albiana, 2003, p. 117-139.

[2] Constitution de la République du Massachussetts du 15 juin 1780, chapitre V : « The University at Cambridge, and encouragement of literature etc. ».

[3] Lettre de Paoli au Préfet Pietri, 25 mars 1805, in in Lettere di Pasquale de’ Paoli. Con note e proemio di N. Tommaseo, Florence, Vieusseux editore, 1846, p. 186 : « Me remémorant avec quelque satisfaction des effets rapides et évidents que put produire, à mon époque, le Gouvernement national en instituant une Université à Corti, j’ai pensé ne pouvoir faire un usage plus avantageux de ce que la Providence a mis en ma possession de léguer à notre pays, qu’en le consacrant à la fondation et à l’entretien de quelques chaires […] qui puissent être vues comme une contribution au renouveau de cet établissement ».

[4] Testament de George Washington, 7 juillet 1799, http://founders.archives.gov : « Je donne et lègue à perpétuité les cinquante titres que je possède dans la compagnie du Potomac […] pour la fondation d’une Université, qui sera établie dans les limites du district de Colombie, sous les auspices du gouvernement général ».

[5] Testament de Thomas Jefferson, 16-17 mars 1826, http://founders.archives.gov : « Je lègue ma bibliothèque à l’Université de Virginie ».

[6] Lettre de John Adams à Benjamin Waterhouse, 7 août 1805, http://founders.archives.gov : « un paragraphe que je n’échangerai pas contre un sceptre et dont je souhaite qu’il puisse être gravé sur ma pierre tombale ».

[7] Alexis Le Quinio et Thierry Santolini (dir.), Trois précurseurs italiens du droit constitutionnel : Giuseppe Compagnoni, Gaetano Filangieri, Pellegrino Rossi, Paris, La Mémoire du Droit, 2019, 703 p. ; Vincenzo Ferrone, La politique des Lumières. Constitutionnalisme, républicanisme, Droits de l’homme, le cas Filangieri, Paris, L’Harmattan, 2010, 344 p. ; Antonio Trampus, « Filangieri et le langage de la Constitution », Nuevo Mundo Mundos, 2006, https://journals.openedition.org/nuevomundo/1811?lang=pt

[8] Gaetano Filangieri, Scienza della legislazione, T. V, Livre IV : « Delle leggi chez riguardano l’educazione, i costumi, e l’istruzione publica », Philadelphie, Stamperia delle Provincie Unite, 1799 (réed.), 392 p. ; sur la question universitaire : p. 115-119.

[9] Christophe Charle et Jacques Verger, Histoire des universités. XIIe -XXIe siècle, Paris, PUF, 2012, p. 2 : « Il semble bien, sans européocentrisme mal venu, que cette institution soit une création spécifique de la civilisation occidentale, née en Italie, en France et en Angleterre au début du XIIIe siècle ».

[10] La Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie consacrent des dispositions explicites au statut de l’institution universitaire.

[11] Lettre à Benjamin Waterhouse, op. cit.

[12] Constitution de la République ou État de Pennsylvanie, 28 septembre 1776, section 44 : « A school or schools shall be established in each county by the legislature, for the convenient instruction of youth, with such salaries to the masters paid by the public, as may enable them to instruct youth at low prices: And all useful learning shall be duly encouraged and promoted In one or more universities ».

[13] Sur la nature constitutionnelle du texte d’avril 1736 : Jean-Yves Coppolani et Florence Jean, « Les grands textes juridiques théodoriens », in Anne Mestersehim (dir.), Théodore de Neuhoff. Roi de Corse, prince des chimères, Bastia, Musée de Bastia, 2003, p. 61-69. Sur son adoption : Sébastien Costa, Mémoires. 1732-1736, éd. critique trad. et notes par Renée Luciani, Aix-en-Provence, La Mulatière, 1975, p. 94-141.

[14] Au seuil de son Théodore de Neuhoff, roi de Corse, Ajaccio, Albiana, 1999,464 p., Antoine-Laurent Serpentini observe que « c’est la longue dérive qui suivit son exil et sa fin miséreuse qui enflammèrent l’imagination des contemporains et sculptèrent définitivement la statue du roi Théodore sous les plumes acérées de Voltaire, du marquis d’Argens ou encore d’Horace Walpole » (p. 6). La biographie signée André Le Glay (Théodore de Neuhoff, roi de Corse, Monaco, Imprimerie de Monaco, 1907, 447 p.), publiée au début du XXe siècle, vient compléter ce portrait peu flatteur.

[15] Précisons à cet égard que l’œuvre, notamment constitutionnelle, de Théodore doit beaucoup au rôle des notables corses qui l’entourait. Pour un contrepoint sur l’expérience théodorienne : Anne Mestersheim (dir.), Théodore de Neuhoff : roi de Corse, prince des chimères ; Michel Vergé-Franceschi, Paoli. Un Corse des Lumières, Paris, Fayard, 2005, p. 145-206.

[16] De fait, « ce règne d’un été » (Antoine-Laurent Serpentini, op. cit.) prit fin dès le mois de novembre 1736.

[17] Fernand Ettori ; Marie-Thérèse Avon-Soletti, La Corse et Pascal Paoli. Essai sur la Constitution de Corse, Ajaccio, La Marge, 1999, p. 644.

[18] Manon Altwegg-Boussac, » Le droit politique, des concepts et des formes », Jus Politicum, n° 24, https://juspoliticum.com/article/Le-droit-politique-des-concepts-et-des-formes-1326.html.

[19] Joseph Barthélémy et Paul Duez, Traité de droit constitutionnel, réed., Paris, Université Panthéon-Assas, 2004, p. 184.

[20] Franco Venturi, Settecento reformatore, Turin, Einaudi, 1987, p. 17.

[21]Archivio di Stato di Torino, Negoziazioni colla Corsica, vol. 93 : « La posterità non potrà rammentar senza orrore i nomi de’ que pochi nostri sventurati Nazionali, che han cooperato a ridurre questa nostra Patria all’ultima desolazione[…] Trionfino pure in veder la loro Patria senza Magistrati, senza Bandiere, senza Università di Studj, senza monetazione ».

[22] Édit de fondation de l’Université, 25 novembre 1764, in Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ragguagli dell’Isola di Corsica, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2021, p. 552.

[23] Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Paris, PUF, 1973, p. 140.

[24] Jacques Verger, op. cit., p. 44-45. À la même époque, la fondation de l’Université de Salamanque par le roi Alphonse X de Castille procède également d’une initiative étatique.

[25] Art. 16 : La Constitution dispose que « il Re unitamente con la Dieta del Regno debba fissare il reddito sufficiente per il mantenimento della medesma Università, sotto que’ modi, e forme, che giudicheranno più proprie » (Le Roi, conjointement à la Diète du Royaume, devra fixer le revenu nécessaire au fonctionnement de ladite Université, sous les modalités et formes qu’ils jugeront appropriées).

[26] « Un projet de gouvernement exposé par Gafforio », Corse et Méditerranée, Catalogue de la vente du 9 novembre 2018 à Marseille, Marseille, Leclere Maison de ventes, p. 28 ; Jean-Guy Talamoni, Le républicanisme corse, Ajaccio, Albiana, 2018, p. 28.

[27] Giustificazione della Rivoluzione di Corsica combattuta dalle riflessioni di un genovese e difesa dalle osservazioni di un Corso, Corte, Battini stampatore camerale, 1764, p. 237. Septième proposition du Justificateur (Don Gregorio Salvini).

[28] Op. Cit., p. 241, réplique de Bonfiglio Guelfucci à l’ « Anti-justificateur », Piermaria Giustiniani.

[29] Op. cit., p. 239, septième proposition du Justificateur.

[30] Antonio Trampus, Storia del costituzionalismo nell’età dei lumi, op. cit ., p. 67.

[31] Jean-Guy Talamoni, Le républicanisme corse, op. cit., p. 60-62.

[32] Fernand Ettori, « La formation intellectuelle de Pascal Paoli (1725-1755) », op. cit., Annales historiques de la Révolution française, n° 218, 1974, p. 490-491.

[33] Antonio Genovesi, Della Diceosina o si adel giusto e dell’onesto, réed., Milan, Società tipografica de’ classici taliani, 1835, p. 526.

[34] Op. cit., p. 477.

[35] Gaetano Filangieri, La morale de’ legislatori (1771-1772), mention in Antonio Trampus, , op. cit ., p. 163.

[36] Guy Scoffoni, « Le droit naturel et l’établissement de la démocratie américaine. La contribution théoriaue de Thomas Jefferson », Revue de droit public, n° 3, 1989, p. 854-855

[37] Lettre à George Wythe, 13 août 1786, http://.founders.archives.gov.

[38] Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ragguagli dell’Isola di Corsica, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2021, p.556-557.

[39] « Wisdom, and knowledge, as well as virtue, diffused generally among the body of the people, being necessary for the preservation of their rights and liberties; and as these depend on spreading the opportunities and advantages of education in the various parts of the country, and among the different orders of the people, it shall be the duty of legislatures and magistrates in all future periods of this commonwealth, to cherish the interests of literature and the sciences, and all seminaries of them; especially the university at Cambridge ».

[40] « Un projet de gouvernement exposé par Gafforio », op. cit. À l’inverse, la loi adoptée par le Parlement du Royaume anglo-Corse le 4 décembre 1795 impose aux étudiants des frais d’inscription d’un montant de 12 lires (art. 4).

[41] Édit de fondation de l’Université, op. cit., p. 554-555.

[42] « Les étudiants : la génération 1765-1768 », in Antoine-Laurent Serpentini (dir.), Pasquale Paoli. Aspects de son œuvre et de la Corse de son temps, Ajaccio, Albiana, 2008, p. 219-220

[43] Cette préoccupation sociale est posée en des termes non équivoques par la Constitution grecque (art. 16, al. 4) : « Tous les Hellènes ont droit à l’instruction gratuite à tous ses degrés dans les établissements d’enseignement de l’État. L’État soutient les élèves et étudiants qui se distinguent, ainsi que ceux qui ont besoin d’assistance ou de protection particulière, en fonction de leurs capacités ». La Constitution finlandaise réserve un article dédié au « droit à l’éducation » et proclame que « l’État garantit à chacun [….] une égale possibilité d’accéder, selon ses capacités et ses besoins particulier, à une instruction allant au-delà de l’enseignement de base ainsi que de se perfectionner, sans que le dénuement constitue un obstacle ».

[44] Consulta du 26 décembre 1763.

[45] Consulta di 26 décembre 1763 et lors de la Consulta de mai 1764.

[46] Les Ragguagli présentent le don annuel gratuit consenti par le Clergé comme une démarche spontanée (Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ragguagli dell’Isola di Corsica, op. cit., p. 590-591. Cependant, si l’on en croit Cambiagi, l’instauration d’une telle ressource a semble-t-il été débattue préalablement débattue en Consulta : Progetto che si propone all’esame della Suprema Generale Consulta del Regno in rapporto alla pubblica Università degli Studj, eretta l’anno corrente 1765, in Giovacchino Cambiagi, Istoria del Regno di Corsica, T. IV, 1772, p. 115.

[47] Édit de fondation de l’Université, op. cit.

[48] Christophe Charle et Jacques Verger, op. cit., p. 2.

[49] Progetto che si propone all’esame della Suprema Generale Consulta del Regno in rapporto alla pubblica Università degli Studj, op. cit.

[50] Antonio Genovesi, op. cit.,. p. 477.

[51] Fernand Ettori, « La République paolienne », in Francis Pomponi (dir.), Le Memorial des Corses, t. II, p. 352.

[52] Édit de fondation de l’Université, op. cit., p.

[53] François-René-Jean de Pommereul, Histoire de l’isle de Corse, t. II, Berne, Société typographique, 1779, p. 75. Pour autant l’évocation des écrits des philosophes des Lumières, et de leurs devanciers, ne vaut pas « adhésion automatique » (Marie-Thérèse Avon-Soletti, op. cit., p. 651) mais plutôt examen critique de la part de théologiens largement imprégnés de la pensée thomiste.

[54] Franco Venturi, op. cit., p. 17.

[55] Le Père Mariani eut une part déterminante dans la rédaction du « plan de l’université » (lettre de Paoli à Salvini du 18 février 1764). Une fois l’Université entrée en activité, Paoli évoque l’action du Recteur Mariani, du Père Leonardo Grimaldi et du Dottore Giannettini, tous trois membres du corps professoral, concernant les projets de l’université (lettre au Recteur Mariani du 26 avril 1765).

[56] Progetto che si propone all’esame della Suprema Generale Consulta del Regno in rapporto alla pubblica Università degli Studj, eretta l’anno corrente 1765, in Giovacchino Cambiagi, Istoria del Regno di Corsica,  t. IV, 1772, op. cit., p. 117.

[57] Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ragguagli dell’Isola di Corsica, op. cit., p. 590-591

[58] Parlement du Royaume anglo-corse, loi du 4 décembre 1795 sur l’instruction publique, art. 3.

[59] Il s’agit de la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, l’Italie, la Grèce, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie . On inclut ici les dispositions consacrant, sans autre précision, l’autonomie des établissement d’enseignement supérieur.

[60] Si l’on inclut les Constitutions faisant référence à la liberté de la science et de l’enseignement, on en dénombre pas moins de seize (Allemagne, Buglarie, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) auxquelles s’adjoint la France dont le principe d’indépendance des Professeurs d’Universités ne figure de façon textuelle mais a été consacrée par le Conseil Constitutionnel.

[61] « La CPU demande l’inscription de la liberté académique dans la Constitution », communiqué de presse du 6 novembre 2019.

[62] Par exemple : Olivier Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, Paris, PUF, 2021, 348 p. et Les libertés universitaires à l’abandon ?, Paris, Dalloz, 2010, 346 p.

[63] Mathieu Touzeil-Divina, « Et si l’université entrait – vraiment – dans la Constitution ? », Les Petites Affiches, n° 158, 2020, p. 6.

[64] Max Weber, Le Savant et le politique, réed., trad. de Julien Freund, Paris, Plon, 1959, 232 p.

[65] Antonio Trampus, Storia del costituzionalismo nell’età dei lumi, op. cit., p. 205 et s.

[66] Pour une illustration du versant théorique de l’Université de Paoli : Carlo Maria Bunonaparte, Exercitationes accademicae in secundam partem ethiae de jur. nat. et gent., Corte, Apud Sebastianum Franciscum Battini Impressorem Cameralem, 1766.

[67] Erick Miceli, op. cit., p. 259 et 266, insiste, sur ce sujet, sur sa vocation à former des notaires et chanceliers. Sur l’élection de notaires formés par l’Université nationale aux fonctions de notaires : Erick Miceli, La Corse entre trois souverainetés, 1750-1770. Dynamiques politiques, intellectuelles et ambitions personnelles durant le « moment paolien » des crises révolutionnaires corses, Thèse de doctorat en Histoire, soutenue le 17 décembre 2022 à l’Università di Corsica Pasquale Paoli, p. 952-953.

[68] Jean-Yves Coppolani, Florence Jean et Antoine-Benjamin Leporati, « Histoire de l’enseignement du droit en Corse », in Jacques Fusina (dir.), Histoire de l’école en Corse, op. cit., p.179-180.

[69] Christophe Charle et Jacques Verger, op. cit., p. 53.

[70] Édit de fondation de l’Université, op. cit., p. 554-555.

[71] Ibid.

[72] Consulta du mois de mai 1766, Ambrogio Rossi, Osservazioni storiche sopra la Corsica, Livre XI, p. 244.

[73] Parlement du Royaume anglo-corse, loi du 6 mai 1795 concernant les fonctions et la hiérarchie des tribunaux civils, art. 11.

[74] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2024, p. 264.

[75] « La pluralité des votes est ce qui décide » ajoute Paoli dans sa célèbre lettre du 15 juillet 1764 à Casabianca, in Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Pascal Paoli. Correspondance, vol. VI : L’égalité ne doit pas être un vain mot, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2015, p. 465. Saint Thomas d’Aquin ne dit pas autre chose dans sa Somme théologique, I-II, question 105 : « la multitude n’est pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la possibilité d’être élus et tous étant d’autre part électeurs ».

[76] Saint Thomas d’Aquin, ibid.

[77] Consulta du mois de mai 1764, art. 5 à 8.

[78] Le texte ménage des dérogations au bénéfice de la Consulta elle-même concernant l’élection des conseillers d’État en présence d’un candidat témoignant d’un « mérite singulier » et du Supremo Consiglio di Stato pour ce qui est de la nomination des Présidents de Magistrato.

[79] Progetto di Costituzione della Repubblica napoletana. Rapporto del Comitato di legislazione al Governo provvisorio, 1799.

[80] Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ragguagli dell’Isola di Corsica, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2021, p. 656-657.

[81] Lettre de Paoli à Buttafoco, 12 février 1764 in Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Pascal Paoli. Correspondance, vol. VI : L’égalité ne doit pas être un vain mot, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2015, p. 296 : « [l’] assemblea generale la quale [è] padrona della legge »

[82] Franck Durand, « L’avenir incertain du Sénat irlandais », Revue française de droit constitutionnel, n° 2, 2012, p. 278-279.

[83] Max Beloff, « Les sièges universitaires », Revue française de science politique, n° 2, 1952, p. 295-302.

[84] Sur ce sujet : Santi Romano, Lo Stato moderno e la sua crisi, Pisa, Tipografia Vanucchi, 1909, p. 25-30, Léon Duguit, « La représentatoin syndicale au parlement », Revue politique et parlementaire, n° 3, 1911, p. 28-45  ; Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998, 491 p. ; Stéphane Pinon, « La représentation parlementaire des groupes sociaux et des intérêts professionnels : une question à oublier ? », in Carlos-Miguel Herrera et Stéphane Pinon (dir.), La démocratie, entre multiplication des droits et contre-pouvoirs sociaux, Paris, Éditions Kimé, 2012, p. 115-113.

[85] Art. 55 du texte définitif du Projet de Constitution élaboré par la Commission pour la Constitution. Parmi les différentes catégories de citoyens éligibles au Sénat figurent les « Professori ordinari di università ». Cette disposition ne fut finalement pas retenue. Cependant, la Constitution de 1947 confère au Président de la République la prérogative de nommer en qualité de sénateur à vie des « citoyens ayant honoré la patrie par des mérites exceptionnels dans le domaine social, scientifique, artistique et littéraire ». À ce titre, des universitaires ont pu intégrer la chambre haute, à l’instar du grand juriste positiviste Norberto Bobbio.

[86] Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 156. L’auteur mentionne à cet égard la Constitution du Grand-Duché de Bade.

[87] S’il est toujours hasardeux d’établir, avec certitude, la généalogie des idées politiques en l’absence d’écrits revendiquant explicitement telle ou telle influence, l’hypothèse d’une inspiration harringtonienne de la réforme entreprise par Paoli en matière législative, à compter de 1766, mérite d’être posée. L’identité entre le mécanisme théorisé par l’auteur d’Oceana et celui qui fut mis en œuvre dans les dernières années du gouvernement national est quasi parfaite. On se contentera de constater, à ce sujet, la circulation des idées des républicains classiques britanniques, en Corse, durant la période du Généralat. La correspondance entre Buttafoco et Rousseau en atteste, de même que l’œuvre de Boswell renseigne sur le fait que Paoli, lui-même, eut accès par son entremise, sans qu’il ne soit possible de certifier que ses lectures furent antérieures à la Consulta de 1766.

[88] François Quastana, « Catharine Macaulay et le projet constitutionnel néo-harringtonnien d’une république démocratique pour la Corse paolienne », Jean-Guy Talamoni (dir.), Héros de Plutarque. Les grandes figures de la Corse : Histoire, mémoires et récits, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2022, p. 49.

[89] Œuvres politiques de Jacques Harrington, t. I, Paris, Leclere & Quatremere, 1794, p. 89. Il est intéressant de noter qu’une procédure équivalente fut proposée à Paoli par la républicaine anglaise Catharine Macaulay postérieurement à l’instauration du double niveau d’élaboration de la loi par la Consulta de 1766. À ce sujet : François Quastana, op. cit., p. 43-69.

[90] Yves Charles Zarka, Philosophie et politique à l’âge classique, Paris, Hermann, 2015, p. 197.

[91] Œuvres politiques de Jacques Harrington, op. cit., p. 87.

[92] Ibid.

[93] Ibid., p. 88.

[94] Alexandre Viala, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation épistocratique, Paris, Dalloz, 2024, 190 p.

[95] L’expression employée par Marie-Thérèse Avon-Soletti (op. cit., p. 774) afin de qualifier le « Congrès des députés » ou « députation spéciale » est parfaitement recevable à la condition de l’extraire des schémas du bicamérisme contemporain. Il ne s’agit pas, en effet, d’un double examen de la loi par deux chambres distinctes mais d’une véritable division du travail législatif par deux chambres spécialisées qui se rapproche, de ce point de vue, du modèle antique.

[96] Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Pascal Paoli. Correspondance, vol. VI : L’égalité ne doit pas être un vain mot, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2015, p. 464-465.

[97] Yves Charles Zarka, op. cit.

[98] On entend ici l’État au sens large en incluant le mouvement de décentralisation des politiques éducatives que s’est développé, avec une intensité variable, dans de nombreux pays d’Europe.

[99] Lettre de Paoli à don Gregorio Salvini, 18 février 1764, in Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Pascal Paoli. Correspondance, vol. VI, op. cit., p. 302-303.

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