À la recherche d’une coexistence perdue ? La tolérance aux Emirats arabes unis

Résumé :

Les Emirats arabes unis, connus par leurs villes globales (Dubai et Abu Dhabi) incarnent une modernité singulière. Solides dans leur identité musulmane, les Emiriens cherchent à développer un modèle de coexistence entre les différentes communautés qui travaillent et vivent aux Emirats. L’islam n’est pas une religion mais un fait social total qui engage la totalité de l’individu dans son quotidien. Aucune forme de laïcité « à la française » n’y est donc possible. Comment dans ces conditions faire vivre ensemble les différents segments d’une population dont les 9/10e sont étrangers au pays ? La création d’une maison d’Abraham est une tentative pour faire dialoguer les différentes religions du livre. Dans le même ordre d’idées, des initiatives comme un ministère de la tolérance, l’inclusion de Doubaï dans le réseau des villes de la paix, montrent aussi que les autorités émiriennes recherchent un modèle de coexistence aux contours encore flou. La référence culturelle, même si elle n’est jamais avouée, pourrait être la coexistence au temps des empires (abbasside ou ottoman). Comme dans le Liban d’avant 1975, les communautés vivaient ensemble, se connaissaient et se respectaient. Mais la protection imposait aussi une soumission au dépositaire de l’autorité (du chef de tribu au sultan). Aujourd’hui, dignité, égalité profonde, société inclusive sont des concepts qui pourraient aider à penser ce qui est en jeu aux Emirats.

 

Tolérance EAU, Coexistence EAU, Visite papale Abu Dhabi, ministère de la Tolérance, Maison de la Famille d’Abraham

 

Summary :

The United Arab Emirates, known for its global cities (Dubai and Abu Dhabi), embodies a unique modernity. Firm in their Muslim identity, Emiratis seek to develop a model of coexistence among the various communities that work and live in the Emirates. Islam is not just a religion but a total social fact that engages the entirety of an individual’s daily life. Therefore, no form of “laïcité à la française” is foreseeable there. Against this backdrop, how can different segments of a population (90% of whom are foreign) live together? The creation of the Abrahamic House is an attempt to foster dialogue among the different religions of the Book for instance. Similarly, initiatives such as a Ministry of Tolerance and Dubai’s inclusion in the network of Peace cities also indicate that Emirati authorities, federal and local, are searching for a model of coexistence, albeit with still undefined contours. The cultural reference, though never openly acknowledged, could be the coexistence seen during the time of empires (Abbasid or Ottoman). Just as in Lebanon before 1975, communities lived together, interact, and respected one another. However, protection also required submission to the holder of authority (from tribal chiefs to the sultan in the Arab World). Today, dialogue, dignity or inclusive society are concepts that could help shape the ongoing discussions about coexistence in the Emirates.

UAE tolerance; UAE coexistence; Papal visit in Abu Dhabi; Abrahamic Family House

Résumé

Les Emirats arabes unis (EAU), tout comme Doubaï qui a été leur porte-étendard, n’échappent pas aux idées simplistes. Entre les détracteurs de la yellow press anglaise, toujours prompts à lancer une campagne de bashing à la faveur d’une crise financière ou d’inondations, et les zélateurs, influenceurs et autres entrepreneurs convaincus par le modèle économique de Doubaï, il est difficile d’avoir une approche sereine, et universitaire, de cet espace particulier de la mondialisation. Si l’on tente de passer derrière les façades potemkiniennes de la presse internationale, la déconstruction de ce modèle est un champ de mines pour la recherche.

Les Emirats sont-ils tolérants ? Cette seule question invite immédiatement à la prudence. Les autorités émiriennes le mettent en avant ce qui mérite d’être examiné dans le détail. Et si les Emirats étaient les héritiers de Damas sous les Omeyades, du Caire, d’Istanbul voire de l’Etat chérifien du Maroc ? La réponse suppose alors que l’on s’attache au sens des mots. De quoi parle-t-on ? De la tolérance telle que l’UNESCO l’a définie en 1995 ou d’une tolérance moyen-orientale qui repose sur la protection du sultan, de l’émir ou du chef de tribu, garants de la concorde communautaire ?

Ce sont bien ces éléments épars qu’il faut rassembler, en déconstruisant un modèle qui ne ressemble en rien à celui de l’Occident. Les relations intercommunautaires, surtout entre juifs et musulmans, s’inscrivent dans un temps long mais sont souvent télescopées par des événements ponctuels qui, eux, s’inscrivent sur le temps court. Si les Emirats sont un centre, ils ne sont pas hermétiques aux périphéries. Comme pour le temps, il existe une interpénétration des espaces : ce qui se passe à Marrakech ou à Raqqa voire dans la banlieue de Londres ou de Paris affecte les Etats du Golfe, théoriquement protégés par leurs frontières nationales. Dans ce monde en mouvement, les EAU tentent d’accompagner la fluidité temporelle et spatiale avec la recherche d’un consensus social (une société inclusive ?), d’une tolérance religieuse qui est peut-être une des caractéristiques majeures du Dar al-Islam depuis la conquête du VIIe siècle mais qui avait disparu sous la colonisation et la construction des Etats nationaux.

I : Les Emirats, à la croisée des traditions et de impératifs du temps

Les lignes de force qui structurent les relations entre les Emiriens et les communautés du Livre s’inscrivent dans un temps long. Comme souvent au Moyen-Orient, les événements semblent modifier des dynamiques que l’on pourrait qualifier d’atemporelles. C’est en croisant ces temps longs et très courts que l’on comprend mieux les relations avec juifs et chrétiens – qui ne sont d’ailleurs pas individualisés forcément caractérisés comme tels (la nationalité est ainsi, depuis le XIXe siècle, aussi importante).

Israël et la communauté juive des Emirats

La relation des Emirats avec le judaïsme ne peut être séparée de l’attitude de l’Etat fédéral envers Israël. Aux premiers temps de l’indépendance après 1971, la perception émirienne du monde structure sa politique étrangère. La nation arabe, entendue comme les Arabes de la Péninsule du même nom, forme la pierre angulaire de cette construction autour de laquelle s’organise différents cercles concentriques. Le monde arabe, comprenant les Etats de la Ligue arabe, dessinent le premier cercle. Au-delà, l’oumma, la communauté des fidèles, est un troisième cercle élargi. Ce dernier n’a pas forcément d’assise territoriale. Les communautés musulmanes du Sénégal ou des Philippines en font partie. Au-delà, les Etats et autres partenaires, sont considérés comme « extérieurs » et sont mis sur un pied d’égalité. Ainsi les EAU peuvent signer un accord de défense avec les Etats-Unis ou l’Inde auxquels les Emiriens accordent un crédit identique1 Abdul Monem Al-Mashat, “Politics of Constructive Engagement: The Foreign Policy of the United Arab Emirates.” In B.D. Korany and A.E. Hillal Dessouki (eds.) Foreign Policies of Arab States: The Challenge of Globalization, Cairo, Cairo University Press, 2008, pp. 457–80.. Cette perception du monde détermine des préférences et influence les choix de politique étrangère. Aussi les Palestiniens sont-ils intégrés du deuxième cercle. Leur « cause » a été l’un des rares sujets consensuels dans le monde arabe. Sheikh Zayed Al Nahyan, considéré comme le fondateur de la nation émirienne, est très engagé dans leur défense. L’année précédant la Guerre des Six Jours, le président émirien prend un décret qui stipule qu’aucun Palestinien résidant à Abu Dhabi ne peut être déporté sans son accord explicite2 Hassan Hamdan Al-Alkim, The Foreign Policy of the United Arab Emirates. London, Saqi Books, 1989, p. 172.. Les EAU s’alignent sur la Ligue Arabe qui déclare en 1967 qu’il n’y aura aucune paix, aucune reconnaissance et aucune négociation avec l’Etat hébreux. Or, en raison de sa petite taille (« small state »), de son alliance avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la jeune fédération s’est toujours tenue à l’écart du conflit palestinien en maintenant toutefois une aide substantielle dans les territoires occupés3 Khalid S, Almezaini, The UAE and Foreign Policy: Foreign Aid, Identities and Interests, London, Routledge, 2012, pp. 121 sq. . La réalité est néanmoins plus complexe car, à l’instar du Maroc et de la Tunisie en Afrique du Nord et de ses partenaires du Conseil de coopération du golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Oman et Qatar), les Emirats entreprennent une normalisation discrète, à défaut d’être secrète, avec Israël. Bien que la visite à Abu Dhabi du ministre israélien des Infrastructures en janvier 2010 soit ternie par l’assassinat de Mahmoud al-Mabhouh, cofondateur des Brigades al-Qassaem, la branche armée du Hamas, le 19 du même mois, la diplomatie émirienne travaille dans le sens d’un rapprochement. En 2016, le chef de la Sécurité de Doubaï déclare qu’il faut accepter Israël4 Gadi Hitman and Chen Kertcher, “The Case for Arab-Israeli Normalization during Conflict,” The Journal for Interdisciplinary Middle Eastern Studies vol. 2, 2018, p. 60.. Il est de notoriété publique qu’Israël a, d’ores et déjà, une part croissante dans la sécurité et l’économie du pays. Les Accords d’Abraham du 15 septembre 2020, finalisent le rapprochement5 Elham Fakhro, “An Open Affair: As the UAE and Israel Normalize Ties, Gulf Actors Respond,” International Crisis Group, 20 août 2020. Dans un cadre diplomatique plus large, cette ouverture correspond aussi aux nouvelles ambitions diplomatiques émiriennes6 William Guéraiche, “The UAE’s Innovative Diplomacy: How the Abraham Accords Changed (or Did Not Change) Emirati Foreign Policy”, The Palgrave Handbook of Diplomatic Reform and Innovation, Cham, Springer International Publishing, 2023, pp. 543-557..

La possibilité d’un rapprochement avec la communauté juive est un projet qui a été portée par les autorités émiriennes – et non une volonté de la communauté juive des Emirats d’extérioriser sa foi et sa culture. Force est de contacter que cette communauté représente une infime minorité de la population totale. Quand un étranger postule pour établir sa résidence dans le pays, les services de l’immigration demandent obligatoirement quelle est sa religion. Les juifs sont dans une catégorie « autres », non musulmans (74%) ou chrétiens (13%) qui représente 1,9% de la population7 https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/united-arab-emirates/#people-and-society consulté le 24 août 2024.. Minuscule, cette communauté sait aussi être discrète et saisir ses chances. L’émirat de Doubaï, fidèle à sa tradition d’anticipation des tendances nationales et régionales, est la première à établir une synagogue en 2008, phénomène singulier s’il en est. Comme les mosquées shiites, ces lieux sont tolérés mais sous haute surveillance. Selon un mode opératoire désormais classique, le monde des affaires a ouvert la route aux évolutions culturelles et sociales8 William Guéraiche, The UAE. Geopolitics. Modernity and Tradition, London, I.B. Tauris, 2017 pp. 52-71.. Mohamed Alabbar, directeur de Emaar Properties, la plus puissante société de promotion immobilière du pays, a exercé un rôle fondamental dans le rapprochement communautaire. De par son activité professionnelle, proche des milieux juifs orthodoxes de New York, il a joué de son influence auprès de Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, l’émir de Doubaï. Si la communauté d’affaires juive a pu prospérer sous la protection de ce dernier (qui est aussi le premier ministre de la fédération), le prix à payer fut de maintenir une discrétion absolue9 Miriam Herschlag, “For the first time, Dubai’s Jewish community steps hesitantly out of the shadows”, The Times of Israel, 5 décembre 2018.. Les fondements étaient déjà là quand les gouvernements (fédéral et local, Doubaï et Abu Dhabi en tête) décident de franchir une nouvelle étape dans la tolérance au début des années 2010. En ce sens, la communauté juive a bénéficié du rapprochement entre chrétiens et musulmans.

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[1] Abdul Monem Al-Mashat, “Politics...

Abdul Monem Al-Mashat, “Politics of Constructive Engagement: The Foreign Policy of the United Arab Emirates.” In B.D. Korany and A.E. Hillal Dessouki (eds.) Foreign Policies of Arab States: The Challenge of Globalization, Cairo, Cairo University Press, 2008, pp. 457–80.

[2] Hassan Hamdan Al-Alkim, The...

Hassan Hamdan Al-Alkim, The Foreign Policy of the United Arab Emirates. London, Saqi Books, 1989, p. 172.

[3] Khalid S, Almezaini, The UAE and...

Khalid S, Almezaini, The UAE and Foreign Policy: Foreign Aid, Identities and Interests, London, Routledge, 2012, pp. 121 sq.

[4] Gadi Hitman and Chen Kertcher...

Gadi Hitman and Chen Kertcher, “The Case for Arab-Israeli Normalization during Conflict,” The Journal for Interdisciplinary Middle Eastern Studies vol. 2, 2018, p. 60.

[5] Elham Fakhro, “An Open Affair: As...

Elham Fakhro, “An Open Affair: As the UAE and Israel Normalize Ties, Gulf Actors Respond,” International Crisis Group, 20 août 2020.

[6] William Guéraiche, “The UAE’s...

William Guéraiche, “The UAE’s Innovative Diplomacy: How the Abraham Accords Changed (or Did Not Change) Emirati Foreign Policy”, The Palgrave Handbook of Diplomatic Reform and Innovation, Cham, Springer International Publishing, 2023, pp. 543-557.

https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/united-arab-emirates/#people-and-society consulté le 24 août 2024.

[8] William Guéraiche, The UAE...

William Guéraiche, The UAE. Geopolitics. Modernity and Tradition, London, I.B. Tauris, 2017 pp. 52-71.

[9] Miriam Herschlag, “For the first time...

Miriam Herschlag, “For the first time, Dubai’s Jewish community steps hesitantly out of the shadows”, The Times of Israel, 5 décembre 2018.
Musulmans et chrétiens : vers une convicencia moderne ?
 
La recherche universitaire s’est penchée sur les relations entre chrétiens et musulmans. Bien documentées historiquement, celles-ci ont aussi questionné les spécialistes des études sur la paix, curieux de comprendre comment des communautés religieuses vivent ensemble pacifiquement ou alors pourquoi elles s’affrontent. Force est de constater que musulmans et chrétiens ont dans l’ensemble vécu en bonne intelligence à partir du VIIe siècle. Les épisodes conflictuels sont l’exception qui confirment la règle. Même dans l’Espagne de la Reconquista, le devoir de vivre ensemble s’impose. Le terme de covivencia a été défini par Américo Castro pour désigner les relations pacifiques ente toutes les religions du Livre dans l’Espagne médiévale. Des considérations pratiques, pécuniaires au premier chef expliquent la volonté de pacifier les relations intercommunautaires voire d’institutionnaliser la tolérance10 Mark D. Meyerson, The Muslims of Valencia in the Age of Fernando and Isabel: Between Coexistence and Crusade, University of California Press, 1992, pp. 2-3.. En terre d’islam, ces questions de droit et de relations sociales se posent depuis la conquête. Le Shurut Umar devient le texte de référence pour déterminer le statut des non-musulmans (dhimmis). L’esprit du texte est de conjuguer les principes de la nouvelle religion (notamment sur les interdits religieux et les manifestations visibles de religiosité) et les traditions des populations conquises qu’il importe de ne pas aliéner. Les juristes musulmans comprennent qu’il en va de l’intérêt des nouveaux maîtres d’être le plus ouvert possible avec les populations conquises. Et ce sont d’ailleurs les versions les plus tolérantes des juristes qui s’imposent dans le temps11 Milka Levy-Rubin, Non-Muslims in the Early Islamic Empire: From Surrender to Coexistence, Cambridge, Cambridge UP, 2011, pp. 75, 86. Des pays modernes comme le Maroc ou le Liban ont gardé dans leurs cultures cet esprit de tolérance. Dans les travaux sur la paix, les chercheurs étudient dans l’espace les variations que l’on rencontre dans le temps. La coexistence pacifique peut être louée12 Rahman Khaista & Akram Muhammad, “Christian-Muslim Coexistence in Peshawar City”. Asian Social Science, 16 (4), 2020. Hasni Mawardi, Deni Miharja, Busro Busro, “Harmony in Diversity: An Exploration of Peaceful Coexistence between Muslim and Christian Communities in Aceh, Indonesia”, Khazanah Sosial, Vol. 5 No. 1: 152-164, 2023. ou alors les causes des conflits recherchées13 Matthews A. Ojo, Folaranmi T. Lateju. « Christian–muslim conflicts and interfaith bridge‐building efforts in Nigeria. » The Review of Faith & International Affairs 8.1, 2010, pp. 31-38. mais c’est l’alternance des tensions et des sorties de crise qui oriente la recherche universitaire14 Hussein Ahmed, “Coexistence and/or Confrontation?: Towards a Reappraisal of Christian-Muslim Encounter in Contemporary Ethiopia”, Journal of Religion in Africa, 2006. Sandra Toenies Keating, « Major Concepts in Muslim–Christian Encounters » Routledge Handbook on Christian-Muslim Relations, Oxon, Routledge, 2017, pp. 329-337. Raja Abillama “The Love That Muslims Have for Mary”: Secularism and Christian-Muslim Coexistence in Lebanon, Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, 42 (1), 2022, pp. 51–62..   
Dans le contexte des supposées « guerres des civilisations » au Moyen-Orient, et plus prosaïquement de l’insurrection à la suite de l’invasion de l’Iraq, le dialogue interconfessionnel, reprend vigueur. La région dans son ensemble forme historiquement un cadre propice aux échanges en raison de la diversité des communautés religieuses. Portées par un élan œcuménique, des Eglises d’Orient avaient déjà formé en 1974, avant la guerre civile du Liban, le Conseil des Eglises du Moyen-Orient dont l’un des objectifs d’approfondir les relations avec les musulmans15 Le conseil participe aux discussions de Camp David en 2000 sur le statut de Jérusalem Anthony O’Mahony, Emma Loosley (eds.) Eastern Christianity in the Modern Middle East. Vol. 20. London, Routledge, 2010 p. 98.. L’effort est mis sur l’éducation commune aux enfants de confessions différentes. Au tournant du XXIe siècle, ce dialogue prend un tour nouveau. À la suite des déclarations incendiaires du pape Benoît XVI en septembre 2006 sur l’islam, plus d’une centaine d’érudits musulmans écrivent le 13 octobre une lettre ouverte « Un monde en commun entre nous et vous » qui rappelle l’héritage commun des religions du Livre. Cette initiative provoque des réflexions, interpelle la classe politique et stimule des rencontres16 Miroslav Volf, Ghazi bin Muhammad, Melissa Yarrington (eds.), A Common Word: Muslims and Christians on Loving God and Neighbor, Grand Rapids-Cambridge, 2010.. Le Vatican, en tant qu’institution, ne reste pas l’écart. Il a régulièrement rappelé la nécessité de dialoguer au-delà du christianisme, notamment Paul VI avec sa Déclaration sur les relations entre l’Eglise et les religions non chrétiennes du 28 octobre 1965. Mais certains papes sont plus libéraux que d’autres et donc plus portés sur cet objectif. Aussi l’élection de François le 13 mars 2013 marque-t-elle un renouveau du dialogue interconfessionnel. Alors que les conséquences de l’invasion de l’Iraq n’en finissent pas de déstabiliser le Moyen-Orient et d’opposer chrétiens et musulmans, le nouveau pape rappelle que ce dialogue est une condition nécessaire à la paix dans le monde.
II : À toute tolérance malheur est bon ?
Il est difficile d’analyser les relations intercommunautaires aux Emirats, faute de source. Toutefois, des documents officiels et les dépêches de l’agence de presse WAM (Wakalat Anba’a al Emarat) gardent la trace des évolutions du discours officiel sur ces questions.
Tolérance interconfessionnelle
En août 2003, un peu plus d’un an avant sa mort, Sheikh Zayan Al Nahyan précise sa pensée sur la tolérance dans le domaine religieux. Pour le premier président des EAU, celle-ci s’entend comme une harmonie entre les religions qui doit être en permanence reflétée dans le discours et la pratique. C’est-à-dire qu’il faut toujours prendre garde à ne jamais offenser un croyant par des paroles ou des actions inconsidérées. Ce respect de l’autre, intrinsèquement lié au respect des religions du Livre, est un des enseignements de l’islam. Le président émirien encourage ainsi la coexistence entre les peuples du monde. Dès son entrée en politique en 1965, il autorise d’ailleurs la construction d’une église à Abu Dhabi17 WAM. 18 décembre 2018. Pope Francis will find in the UAE ‘a nation that has learned the instrumental value of tolerance’: Sheikh Nahyan.. Le dialogue, explique-t-il à l’été 2003, est toujours préférable à la violence dans la résolution des conflits. L’affirmation est lourde de sens si on la rapporte à l’invasion de l’Iraq qui commence en mars de la même année. Sheikh Zayed précise que ces principes devraient s’appliquer en Iraq mais aussi au Liban, à la Somalie ou au Kosovo. Cette ouverture d’esprit a d’ailleurs guidé la politique extérieure des Emirats jusqu’à aujourd’hui. Sheikh Zayed préfère l’action humanitaire à toutes formes de participation militaire18 WAM. 27 août 2003. President’s Office issue statement.. Il fait aussi ce rappel pour justifier la fermeture d’un think tank de la Ligue arabe, le Zayed Centre for Coordination and Follow-up, dont certains responsables avaient pris des positions antisémites19 Steven Stalinsky, The Think Tank of the Arab League: The Zayed International Centre for Coordination and Follow-Up Closes – Part III, September 11, 2003. https://www.memri.org/reports/think-tank-arab-league-zayed-international-centre-coordination-and-follow-closes-%E2%80%93-part-iii Consulté le 25 août 2024..
C’est sur cet héritage et l’influence du dialogue interconfessionnel que prennent forme les premières initiatives émiriennes. Les chrétiens dont la communauté est largement alimentée par les travailleurs d’outre-mer philippins20 En anglais : Overseas Filipinos Workers ou OFWs dont le nombre varie entre 500 000 et un million sur une population totale de 8-10 millions d’habitants. Il peut aussi y avoir des Libanais (maronites) ou des Sri Lankais. Mais les Philippins, très pratiquants, forment une large majorité dans les églises émiriennes. s’estiment privilégiés d’avoir le droit de pratiquer leur foi sans restriction. L’évêque de l’Eglise anglicane, Essam Barsoum, ne tarit pas d’éloges sur le Sheikh Khalifa Al Nahyan, fils et successeur de Sheikh Zayed, car cette tolérance favorise le dialogue interconfessionnel21 WAM 25 décembre 2006. Muslim-Christian interfaith ties in UAE are distinguished.. L’année suivante, c’est au tour du métropolite d’Alep de souligner l’ouverture d’esprit des autorités émiriennes, répondant favorablement aux conférences et séminaires proposés par les dignitaires religieux22 WAM 20 novembre 2007. Catholic Committee for Interfaith Dialogue Praises Khalifa.. L’écho de la déclaration d’Un monde en commun (cf. supra) se fait entendre aux Emirats23 WAM 26 novembre 2007. Christian leaders ask for Muslim forgiveness.. Un colloque sur cette déclaration est organisé à l’université Zayed d’Abu Dhabi permettant la rencontre de religieux, d’intellectuels et d’universitaires sur des thèmes de théologie mais aussi sur des aspects plus pratiques comme les modalités de coexistence entre les différentes communautés religieuses24 WAM. 26 mars 2009. Nahyan to attend inter-faith dialogue Thursday..

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[10] Mark D. Meyerson, The Muslims...

Mark D. Meyerson, The Muslims of Valencia in the Age of Fernando and Isabel: Between Coexistence and Crusade, University of California Press, 1992, pp. 2-3.

[11] Milka Levy-Rubin, Non-Muslims...

Milka Levy-Rubin, Non-Muslims in the Early Islamic Empire: From Surrender to Coexistence, Cambridge, Cambridge UP, 2011, pp. 75, 86

[12] Rahman Khaista & Akram...

Rahman Khaista & Akram Muhammad, “Christian-Muslim Coexistence in Peshawar City”. Asian Social Science, 16 (4), 2020. Hasni Mawardi, Deni Miharja, Busro Busro, “Harmony in Diversity: An Exploration of Peaceful Coexistence between Muslim and Christian Communities in Aceh, Indonesia”, Khazanah Sosial, Vol. 5 No. 1: 152-164, 2023.

[13] Matthews A. Ojo, Folaranmi T...

Matthews A. Ojo, Folaranmi T. Lateju. "Christian–muslim conflicts and interfaith bridge‐building efforts in Nigeria." The Review of Faith & International Affairs 8.1, 2010, pp. 31-38.

[14] Hussein Ahmed, “Coexistence...

Hussein Ahmed, “Coexistence and/or Confrontation?: Towards a Reappraisal of Christian-Muslim Encounter in Contemporary Ethiopia”, Journal of Religion in Africa, 2006. Sandra Toenies Keating, "Major Concepts in Muslim–Christian Encounters" Routledge Handbook on Christian-Muslim Relations, Oxon, Routledge, 2017, pp. 329-337. Raja Abillama “The Love That Muslims Have for Mary”: Secularism and Christian-Muslim Coexistence in Lebanon, Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, 42 (1), 2022, pp. 51–62.

[15] Le conseil participe aux discussions...

Le conseil participe aux discussions de Camp David en 2000 sur le statut de Jérusalem Anthony O'Mahony, Emma Loosley (eds.) Eastern Christianity in the Modern Middle East. Vol. 20. London, Routledge, 2010 p. 98.

[16] Miroslav Volf, Ghazi bin...

Miroslav Volf, Ghazi bin Muhammad, Melissa Yarrington (eds.), A Common Word: Muslims and Christians on Loving God and Neighbor, Grand Rapids-Cambridge, 2010.

[17] WAM. 18 décembre 2018. Pope...

WAM. 18 décembre 2018. Pope Francis will find in the UAE 'a nation that has learned the instrumental value of tolerance': Sheikh Nahyan.

[18] WAM. 27 août 2003. President’s...

WAM. 27 août 2003. President’s Office issue statement.

[19] Steven Stalinsky, The Think Tank...

Steven Stalinsky, The Think Tank of the Arab League: The Zayed International Centre for Coordination and Follow-Up Closes – Part III, September 11, 2003. https://www.memri.org/reports/think-tank-arab-league-zayed-international-centre-coordination-and-follow-closes-%E2%80%93-part-iii Consulté le 25 août 2024.

[20] En anglais : Overseas Filipinos...

En anglais : Overseas Filipinos Workers ou OFWs dont le nombre varie entre 500 000 et un million sur une population totale de 8-10 millions d’habitants. Il peut aussi y avoir des Libanais (maronites) ou des Sri Lankais. Mais les Philippins, très pratiquants, forment une large majorité dans les églises émiriennes.

[21] WAM 25 décembre 2006...

WAM 25 décembre 2006. Muslim-Christian interfaith ties in UAE are distinguished.

[22] WAM 20 novembre 2007...

WAM 20 novembre 2007. Catholic Committee for Interfaith Dialogue Praises Khalifa.

[23] WAM 26 novembre 2007...

WAM 26 novembre 2007. Christian leaders ask for Muslim forgiveness.

[24] WAM. 26 mars 2009. Nahyan...

WAM. 26 mars 2009. Nahyan to attend inter-faith dialogue Thursday.

2008 est un tournant, une convergence entre un modèle local et de la nécessité conjoncturelle de renouer le dialogue entre chrétiens et musulmans pour éviter un antagonisme prôné par l’islam radical. L’année commence avec un événement déterminant dans l’élaboration d’une doctrine de la tolérance. Lors du premier forum pour l’Alliance des civilisations, Abdul Rahman Al Owais ministre de la Culture, de la Jeunesse et du Développement communautaire définit les Emirats comme une terre de tolérance où des travailleurs venant de plus de 200 nations différentes, mêlent cultures et foi. La coexistence est non seulement pacifique mais elle est même devenue un art de vivre. Ce principe résolument affirmé devient un élément de langage des autorités émiriennes. Aucun résident ne le conteste bien qu’il soit difficile à concevoir, même dans les démocraties occidentales. Le dernier point est tout aussi fondamental que l’interculturalité émirienne. Le ministre explique que ce positionnement idéologique n’est pas neutre. La tolérance et le dialogue sont l’expression sincère de l’islam. Il n’est en effet pas question de renoncer aux convictions religieuses profondes des Emiriens au prétexte d’une concorde internationale. Enfin, il reconnaît aussi qu’il peut y avoir des restrictions dans la liberté d’expression car des déclarations incendiaires peuvent conduire à de graves malentendus voire à « la violence et la mort25 WAM. 17 janvier 2008. Citizens from 200 countries live and co-exist peacefully in UAE. ». Ce nouveau credo est dès lors récité lors d’événements fréquents. Des représentants de différents confessions n’hésitent pas à faire l’éloge des EAU comme un lieu de tolérance. C’est le cas d’un symposium sur Les discours religieux et la communication culturelle entre les peuples le 17 mars 200826 WAM. 17 mars 2008. UAE hosts symposium on Religious Discourse and Cultural Communication. et d’une autre au mois de mai sur le rôle du Vatican dans la diffusion des principes de coexistence27 WAM. 17 mai 2008. Symposium on Vatican’s role in spreading tolerance, co-existence. prolongé par un forum Catholique-Musulman organisé à Rome le 4 et 6 novembre de la même année. Les Emirats sont dès lors sur la carte de ce dialogue interconfessionnel mondial. Les représentants émiriens, comme l’émir de Fujairah Sheikh Hamad sont invités à des réunions majeures sur ces questions.
Nouvelles menaces nouvelles opportunités
Le contexte change avec la menace de Daesh. La bonne échelle pour aborder les relations interconfessionnelles n’est plus locale mais régionale voire mondiale. Les discussions qui concernaient des groupes religieux minoritaires sont dorénavant des priorités au plus haut niveau. Le terrorisme de l’organisation Etat islamique met en exergue la nécessité de s’attaquer aux racines du mal. La situation internationale interpelle tous les Etats du Golfe.
Au printemps 2014, l’Etat islamique fait une irruption sur la scène médiatique mondiale mais son origine remonte à 1999. Al Musab Al Zarqawi met alors en place la Congrégation du monothéisme et du jihad (Jama’at al-Tawhid wal-Jihad) d’inspiration salafiste. Affiliée à Al-Qaeda, puis à Al-Qaeda en Iraq en 2004, cette organisation terroriste poursuit son expansion sous la forme d’un Conseil communautaire des mujahideen et de l’Etat islamique en Iraq jusqu’en 2009. Sa radicalité, une idéologie anti-sunnite, sa capacité d’acquérir des moyens financiers considérables, une utilisation novatrice des réseaux sociaux ainsi qu’une direction bien organisée font le lit du califat28 Charles R. Lister, The Islamic State: a brief introduction. Brookings Institution Press, 2015, pp. 5-24. La communauté des croyants, surtout la partie la plus tolérante, comprend la menace de l’islam politique. Al-Baghdadi, qui succède à Al Zarqawi après sa mort en juin 2006, insiste sur le caractère messianique de son organisation. Comme les mouvements millénaristes et messianiques précédents, l’organisation Etat islamique se développe au-delà des lois et de la foi normative (anti-nominalisme). Ses sympathisants forment un groupe sectaire qui ne connait pas de frontières. Mais ce nouveau tribalisme29 Jeffrey Kaplan & Christopher Costa, The Islamic State and the new tribalism. Terrorism and Political Violence, 27(5), 2015, pp. 951 sq. inquiète les représentants de la communauté des fidèles dans le Golfe.
Les Etats musulmans essaient de renverser la perspective en prenant des initiatives rappelant que l’islam est une religion de la paix. La première vient du Bahreïn, tiraillée par les tensions internes entre la communauté chiite, majoritaire dans le pays, et le l’élite sunnite à laquelle appartient la famille régnante. Comme ses voisins du Golfe, le Bahreïn subit la publicité négative de l’islam radical véhiculée par les médias. Mais le pays est aussi connu pour sa liberté religieuse. Chrétiens, juifs, hindous et seize autres communautés religieuses jouissent de la liberté de croyance30 S’ils s’inscrivent au ministère du développement social. Kenneth Katzman, « The United Arab Emirates (UAE): Issues for US Policy ». Library of Congress, Congressional Research Service, 2015, p. 15. Avec le Kuwait et les Emirats, cette partie de la péninsule donne l’image d’une société tolérante31 Elizabeth Monier, C. Popa, “Christians in Bahrain, Kuwait and the UAE: expanding tolerance?” From polarization to cohabitation in the New Middle East, p. 106.. En mai 2014, Manama accueille le Dialogue entre les civilisations et les cultures. Le thème choisi cette année-là, la civilisation au service de l’humanité, accouche d’une Déclaration dite du Bahreïn. Les principes de la coexistence mutuelle, de la compréhension entre les individus, les cultures, les religions, les civilisations sont réaffirmés. À l’inverse, sans que le nom de l’organisation Etat islamique soit mentionné, le fanatisme, l’extrémisme, la violence sous toutes ses formes dont le terrorisme sont fermement condamnés. La déclaration rappelle en outre qu’il importe de soutenir les Nations Unies et les organisations internationales pour promouvoir le dialogue au service de l’humanité32 WAM. 8 mai 2014. Bahrain Declaration underscores importance of optimizing the role of educational, cultural and media policies in promoting moderation, openness and peaceful co-existence.. L’usage de thèmes et de concepts occidentaux est délibéré. Les réunions interconfessionnelles, les prises de position invitant au dialogue entre les religions se multiplient. La lutte contre l’organisation Etat islamique prend aussi la forme d’un débat idéologique et permet de repenser le rôle des religions en terre d’islam.
La Déclaration de Marrakech approfondit la réflexion et l’engagement des Etats arabes qui apprennent à réfléchir et à agir. Ce texte reprend l’esprit de Manama. Le constat, qui devient flagrant avec l’organisation du pseudo califat à Raqqa, est qu’en 2016, des minorités religieuses sont encore persécutées, le monde arabe ne faisant pas exception. La recherche universitaire avait pointé les contradictions entre appartenance religieuse, minorités ethniques et citoyenneté mais depuis 2014, les chrétiens d’Orient sont (re)devenus les principales victimes de l’islam radical33 Alon Ben-Meir, “The Persecution of Minorities in the Middle East”, Kail C. Ellis (ed.) Secular Nationalism and Citizenship in Muslim Countries: Arab Christians in the Levant, Palgrave McMillan, 2018, pp. 159-160.. En janvier 2016, plus de 300 érudits musulmans se réunissent dans la capitale marocaine pour réaffirmer les droits des minorités religieuses et ethniques vivant en terre d’islam. Après un examen du droit et de la tradition, la Déclaration de Marrakech se veut une réponse aux exactions commises au nom de l’islam et notamment à l’encontre à la communauté yazidi en Iraq34 Hamza Tayebi & Ilham Bettach, “Minorities in Contemporary Morocco: Persecution, Digital ‘Intifada’, and Prospects of Secularization”, Dynamics of Inclusion and Exclusion in the MENA Region: Minorities, Subalternity, and Resistance, 1, 2019, p. 92.. Exprimant une volonté irénique, le texte essaie de lier le droit musulman, notamment la Charte de Médine35 C’est un texte du VIIIe siècle que l’on trouve dans le livre d’Ibn Ishaq pour régler la coexistence entre les différentes communautés religieuses. et les droits de l’homme sans que l’un ne l’emporte sur l’autre36 Susan Hayward, Understanding and Extending the Marrakesh Declaration in Policy and Practice. Washington, DC, United States Institute of Peace, 2016, p. 4..

 

III : Tolérance et identité plurielle

 
Les autorités émiriennes accompagnent cette évolution en ménageant les Emiriens, sensibles sur les questions d’identité. Comme le dit très justement Drago Karl Ocvirk, la principale différence entre chrétiens et musulmans dans la perception de leur foi est que ces derniers ne séparent pas la religion du reste de leur vie37 Drago Karl Ocvirk, « Secularist Christophobic Fundamentalism and Islamic Monoreligionism: Obstacles for Dialogue and Peaceful Coexistence. » Bogoslovni vestnik 69, 2009, p. 423.. En effet, les chrétiens d’Occident, a fortiori français, distinguent pour leur part ce qui relève du politique et du social pour le mettre à l’écart du religieux. Dans ces conditions, parler de l’islam pour un musulman, c’est parler d’une identité totale et non pas seulement de religion qui ne concerne que le for intérieur. L’entrée dans la modernité d’une société traditionnelle a provoqué une crise de représentations38 Guéraiche 2017, op. cit., pp. 183-201.. Les autorités fédérales et locales ont continument proposé des solutions pour soulager cette crainte sécuritaire39 William Guéraiche, Demographics and Community Security in Facets of Security in the UAE, Routledge, 2022, pp. 251-256.. Face à l’occidentalisation des Emirats, les intellectuels se demandent comment être tolérant tout en restant fidèle à l’islam qui demeure la pierre angulaire de l’identité nationale. Ce débat peut devenir sulfureux en période de radicalisation de l’identité musulmane. Il présente différentes facettes : repenser les relations entre l’Etat et les citoyens, entre la religion et l’Etat de même qu’entre les autorités politiques et religieuses40 Fatma Al Sayegh, « Post-9/11 changes in the Gulf: The case of the UAE. » Middle East Policy, 11.2, 2004, pp.113-114..

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[25] WAM. 17 janvier 2008. Citizens from...

WAM. 17 janvier 2008. Citizens from 200 countries live and co-exist peacefully in UAE.

[26] WAM. 17 mars 2008. UAE hosts...

WAM. 17 mars 2008. UAE hosts symposium on Religious Discourse and Cultural Communication.

[27] WAM. 17 mai 2008. Symposium...

WAM. 17 mai 2008. Symposium on Vatican’s role in spreading tolerance, co-existence.

[28] Charles R. Lister, The Islamic State...

Charles R. Lister, The Islamic State: a brief introduction. Brookings Institution Press, 2015, pp. 5-24

[29] Jeffrey Kaplan & Christopher...

Jeffrey Kaplan & Christopher Costa, The Islamic State and the new tribalism. Terrorism and Political Violence, 27(5), 2015, pp. 951 sq.

[30] S’ils s’inscrivent au ministère...

S’ils s’inscrivent au ministère du développement social. Kenneth Katzman, "The United Arab Emirates (UAE): Issues for US Policy". Library of Congress, Congressional Research Service, 2015, p. 15

[31] Elizabeth Monier, C. Popa,..

Elizabeth Monier, C. Popa, “Christians in Bahrain, Kuwait and the UAE: expanding tolerance?” From polarization to cohabitation in the New Middle East, p. 106.

[32] WAM. 8 mai 2014. Bahrain...

WAM. 8 mai 2014. Bahrain Declaration underscores importance of optimizing the role of educational, cultural and media policies in promoting moderation, openness and peaceful co-existence.

[33] Alon Ben-Meir, “The Persecution...

Alon Ben-Meir, “The Persecution of Minorities in the Middle East”, Kail C. Ellis (ed.) Secular Nationalism and Citizenship in Muslim Countries: Arab Christians in the Levant, Palgrave McMillan, 2018, pp. 159-160.

[34] Hamza Tayebi & Ilham Bettach...

Hamza Tayebi & Ilham Bettach, “Minorities in Contemporary Morocco: Persecution, Digital ‘Intifada’, and Prospects of Secularization”, Dynamics of Inclusion and Exclusion in the MENA Region: Minorities, Subalternity, and Resistance, 1, 2019, p. 92.

[35] C’est un texte du VIIIe siècle que...

C’est un texte du VIIIe siècle que l’on trouve dans le livre d'Ibn Ishaq pour régler la coexistence entre les différentes communautés religieuses.

[36] Susan Hayward, Understanding...

Susan Hayward, Understanding and Extending the Marrakesh Declaration in Policy and Practice. Washington, DC, United States Institute of Peace, 2016, p. 4.

[37] Drago Karl Ocvirk, "Secularist...

Drago Karl Ocvirk, "Secularist Christophobic Fundamentalism and Islamic Monoreligionism: Obstacles for Dialogue and Peaceful Coexistence." Bogoslovni vestnik 69, 2009, p. 423.

[38] Guéraiche 2017, op. cit., pp. 183...

Guéraiche 2017, op. cit., pp. 183-201.

[39] William Guéraiche, Demographics...

Mémoires de guerre, Paris, Plon [1954], rééd. Omnibus, 1996, t. 1, chapitre 1er, p. 9.

[40] Fatma Al Sayegh, "Post-9/11 changes...

Fatma Al Sayegh, "Post-9/11 changes in the Gulf: The case of the UAE." Middle East Policy, 11.2, 2004, pp.113-114.

Les Emirats, à l’instar d’autres pays du Golfe, comme le Bahreïn, Kuwait et dans un registre différent, le Qatar, comprennent que l’organisation Etat islamique leur fait courir, ni plus ni moins, un risque existentiel. John Fahy rappelle à juste titre que la tolérance a été déclinée de différentes manières dans les Etats du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) depuis le milieu des années 201041 John Fahy, “The international politics of tolerance in the Persian Gulf”, Religion, state & society, 46(4), 2018, pp. 312-313.. Après des années à avoir concilié tradition avec modernité et vanté un islam modéré, ces Etats essaient de montrer la sincérité de leur démarche. Les EAU ont voulu se poser comme modèle et ont mis en place des initiatives remarquées comme un ministère de la Tolérance et l’organisation de la première visite papale dans le Golfe.  

 

La création d’un ministère de la Tolérance

 

Peu après la conférence de Marrakech, Sheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum réorganise son gouvernement en février 2016. Parmi les innovations, un ministère de la Tolérance est créé aux côtés de nouveaux portefeuilles comme le ministère du Bonheur, du Futur ou de la Jeunesse42 WAM. 27 février 2016 Why Ministers for Happiness, Tolerance, Youth and the Future? By Mohammed Bin Rashid Al Maktoum..

 

En juin 2016, Sheikha Lubna Al Qasimi, ministre d’Etat de la Tolérance, présente une stratégie pour les Emirats. Si le multiculturalisme est vanté comme l’une des vertus cardinales, la famille, sous-entendu émirienne, est privilégiée dans l’application des programmes (cf. supra). Cette stratégie s’inspire de trois sources, l’islam, la constitution et l’héritage de Sheikh Zayed, considéré comme le père fondateur de la nation émirienne. L’islam est fondamental car considéré par nature comme tolérant43 William Guéraiche, “Security, Peace and Tolerance in a Post-Modern, yet Traditional State” in Facets of Security in the UAE, Routledge, 2022, pp. 292-293.. L’archéologie, l’histoire, les conventions internationales ou les valeurs émiriennes exercent aussi leur influence en tant que sources d’inspiration44 WAM. 3 novembre 2016 Seven main pillars for tolerance in UAE: Lubna Al Qasimi.. Le gouvernement intègre à son corpus la définition de la Tolérance élaborée par l’UNESCO en 199545  O’Mahony 2010, op. cit., p. 94.. La nouvelle politique passe par un plan d’action avec des axes prioritaires46 The National, “UAE ministry takes tolerance initiatives to the world” 15 novembre 2016.. Cinq thèmes structurent la nouvelle politique. La jeunesse doit faire l’objet d’une attention toute particulière. Sans que ce soit précisé, la radicalisation est l’une des craintes majeures du gouvernement et de la société émirienne. L’appareil d’Etat, gouvernement et administrations fédérales et locales47 Les 7 émirats disposent de leur administration locale – qui sont de véritables gouvernements en miniature. ont un rôle d’ « incubateur », terme emprunté au secteur privé, très utilisé pendant la période. L’idée est d’être « agile » (qui vient du même registre) en visant une meilleure productivité des services par l’ « innovation48 Mehmoud Khan, “UAE’s National Strategy of Tolerance”, Defence Journal, 19 (11), 2016, p.71. ». Des structures existantes comme Hedayat, Centre international d’excellence contre l’extrémisme violent, créé en 2012, ou le centre Sawab (le vrai chemin spirituel), mis en place en 2015, sont associés à l’action du ministère.

 

La visite papale

 

Si la visite du pape François à Abu Dhabi en février 2019 fut un événement, elle s’explique par des volontés convergentes de la part des différentes parties. Le contexte régional et la radicalisation de l’islam a questionné la communauté musulmane dans son ensemble (cf. supra). Depuis son élection au Saint-Siège, le pape a pour sa part été un fervent promoteur du dialogue interconfessionnel49 Catalano, R., 2022. Pope Francis’ Culture of Dialogue as Pathway to Interfaith Encounter: A Special Focus on Islam. Religions, 13(4), p. 278..

 

Les Emirats ont fait l’actualité avec cette première visite papale sur la péninsule arabique qui peut être considérée comme l’aboutissement d’un processus. Du point de vue diplomatique, les Emirats ont toujours maintenu un lien avec le Saint-Siège depuis l’indépendance en 1971. En juin 2016, Sheikha Lubna Al Qasimi, ministre de la Tolérance, obtient une audience au Vatican. Elle explique au pape François la politique qu’elle a définie et lance l’idée d’un comité conjoint et d’un centre de dialogue interconfessionnel avec le Dr. Ahmed El-Tayeb grand iman de la mosquée Al Azhar au Caire50 WAM. 1er juin 2016. Pope Francis receives Lubna Al Qasimi.. Le 6 décembre 2018, il est officiellement annoncé que le pape François se rendra à l’invitation Sheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan, le Sheikh d’Abu Dhabi. Le thème de la visite est ainsi défini : « Fais de moi un instrument de ta paix51 WAM. 6 décembre 2018 UAE welcomes Pope Francis visit in February. ». Le 4 février 2019, le pape célèbre une messe dans un stade ouvert face à plus 120 000 personnes, de catholiques résidant aux Emirats, et en Arabie du Sud-Est. C’est la première fois qu’une messe est célébrée publiquement dans cette partie du monde depuis la fin de l’Antiquité tardive.

 

À l’occasion de cette visite, un document Sur la fraternité humaine pour la paix et le vivre-ensemble est signé. Ce document que j’ai signé, explique le pape, « avec mon frère le grand imam de la mosquée Al Azhar invite toutes les personnes qui ont la foi en dieu et qui croient en la fraternité humaine de se réunir et de travailler ensemble52 Gabriel Said Reynolds, “After Abu Dhabi: Pope Francis & The ‘Document on Human Fraternity’” ommonweal, 146 (7), 2019, p.10. ». Le 5 février, Sheikh Abdallah bin Zayed Al Nahyan, ministre des Affaires étrangères émirien, annonce lors d’une réunion de Haut comité pour la fraternité humaine, la construction d’un lieu de culte commun pour les religions du livre sur l’île de Saadiyat, la Maison de la famille d’Abraham, inaugurée le 16 février 2023.

 

Les auteurs qui s’interrogent sur le fondement même de la tolérance émirienne ne manquent pas. John Fahy, en tant que chercheur participatif, a bien montré que le discours officiel était parsemé d’éléments de langage dont certains pourraient relever de ce que l’on appelle en France l’utilisation politique de l’histoire53 Fahy 2018, op. cit. pp. 311-312. D’autres, comme David Warren, questionnent l’utilisation de la religion, de la tolérance religieuse dans des stratégies de nation branding, c’est-à-dire, de l’utilisation de techniques de marketing en diplomatie ou en politique54 David H. Warren, Interfaith Dialogue in the United Arab Emirates: Where International Relations Meets State-Branding. In Berkley Forum. Juillet 2021 Interfaith_Dialogue_in_the_United_Arab_Emirates_Where_International_Relations_Meets_State_Branding-libre.pdf (d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net) consulté le 30 août 2024.a. Si les autorités émiriennes sont effectivement passées maîtres dans l’utilisation de l’image de Doubaï et des Emirats, il est aussi vrai que cet effort de captatio benevolentiae ne fonctionne que si elle correspond à une réalité. Il est peut-être discutable que l’existence d’un monastère nestorien qui a survécu plus d’un siècle à la conquête du VIIe siècle ne prouve que les Emirats ont toujours été une terre de tolérance. Toutefois, il est aussi évident que la liberté de croyance y est aujourd’hui assurée. Cette tolérance religieuse peut aussi avoir partie liée à d’autres thèmes d’actualité comme le questionnement identitaire. Dans l’ensemble force est constater que les autorités émiriennes ont su prendre des risques pour favoriser t’établissement d’une société que l’on pourrait qualifier d’inclusive.

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[41] John Fahy, “The international...

John Fahy, “The international politics of tolerance in the Persian Gulf”, Religion, state & society, 46(4), 2018, pp. 312-313.

[42] WAM. 27 février 2016 Why...

WAM. 27 février 2016 Why Ministers for Happiness, Tolerance, Youth and the Future? By Mohammed Bin Rashid Al Maktoum.

[42] William Guéraiche, “Security...

William Guéraiche, “Security, Peace and Tolerance in a Post-Modern, yet Traditional State” in Facets of Security in the UAE, Routledge, 2022, pp. 292-293.

[44] WAM. 3 novembre 2016 Seven...

WAM. 3 novembre 2016 Seven main pillars for tolerance in UAE: Lubna Al Qasimi.

[45] O’Mahony 2010, op. cit., p. 94.

O’Mahony 2010, op. cit., p. 94.

[46] The National, “UAE ministry...

The National, “UAE ministry takes tolerance initiatives to the world” 15 novembre 2016.

[47] Les 7 émirats disposent de leur...

Les 7 émirats disposent de leur administration locale – qui sont de véritables gouvernements en miniature.

[48] Mehmoud Khan, “UAE's National...

Mehmoud Khan, “UAE's National Strategy of Tolerance”, Defence Journal, 19 (11), 2016, p.71.

[49] Catalano, R., 2022. Pope Francis...

Catalano, R., 2022. Pope Francis’ Culture of Dialogue as Pathway to Interfaith Encounter: A Special Focus on Islam. Religions, 13(4), p. 278.

[50] WAM. 1er juin 2016. Pope Francis...

WAM. 1er juin 2016. Pope Francis receives Lubna Al Qasimi.

[51] WAM. 6 décembre 2018 UAE...

WAM. 6 décembre 2018 UAE welcomes Pope Francis visit in February.

[52] Gabriel Said Reynolds, “After Abu...

Gabriel Said Reynolds, “After Abu Dhabi: Pope Francis & The 'Document on Human Fraternity'” ommonweal, 146 (7), 2019, p.10.

[53] Fahy 2018, op. cit. pp. 311-312

Fahy 2018, op. cit. pp. 311-312

[54] David H. Warren, Interfaith...

David H. Warren, Interfaith Dialogue in the United Arab Emirates: Where International Relations Meets State-Branding. In Berkley Forum. Juillet 2021 Interfaith_Dialogue_in_the_United_Arab_Emirates_Where_International_Relations_Meets_State_Branding-libre.pdf (d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net) consulté le 30 août 2024.a
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