Cette conception est statique. Dieu est inaccessible et il est entièrement spirituel et si le Coran parle de « main » de Dieu ou de « face » de Dieu, ces mots ne sont employés qu’au sens figuré. Si Dieu est éternellement Un, quel est le rapport entre Dieu et Sa Parole, c’est-à-dire le Coran, qui n’est apparu qu’à un moment de l’histoire et qui est non consubstantiel à Dieu ? Les Mu’tazilites donnent la réponse suivante : lorsque Dieu veut faire parvenir sa parole aux prophètes, il la crée dans un substrat matériel et le Coran est une création « directe » de Dieu née sur les lèvres de celui qui le récite.
Al-Asharî, qui fut Mu’tazilite avant de devenir opposant, estime aussi que la connaissance de Dieu ne peut être acquise et obtenue que par raisonnement. Car cette connaissance n’est pas créée en nous directement sans intermédiaire. Selon lui, seul le raisonnement peut conduire à la connaissance de Dieu, il constitue même la première des obligations. Cependant, par définition, « le postulat premier d’un Dieu vivant qui parle aux hommes est le fondement doctrinal et dogmatique du monothéisme. Dans sa coloration islamique, la parole de Dieu est par essence inépuisable, dès lors qu’elle lui est connaturelle ».
Quant à la justice de Dieu, tous les théologiens sont d’accord sur le principe que Dieu est nécessairement « juste » et « sage » en toutes ses actions. Mais, ils divergent sur le sens à donner au terme. L’attitude des Mu’tazilites consiste donc à définir la justice et la sagesse de Dieu à partir de ce que nous, hommes, croyons être la justice et la sagesse, telles que notre raison les conçoit. Dès lors, les Mu’tazilites appliquent les mêmes conceptions à Dieu « Juste » et « Sage ». La nécessaire justice de Dieu, est donc un de leurs dogmes fondamentaux.
Pour eux, concrètement cela veut dire que Dieu a obligation de donner à tous les hommes les mêmes moyens de croire et, ainsi, de faire leur salut (ce qui exclut donc l’idée d’une grâce) Qu’Il leur impose des obligations en proportion de leurs capacités, Il récompense ou châtie en proportion des mérites. Dieu serait injuste, pensent les Mu’tazilites, s’Il dispensait arbitrairement ses faveurs, s’Il imposait l’obligation à l’impossible. […] Puisqu’il est juste, Il n’a pas créé des êtres pour les tourmenter.
Par ailleurs, les Mu’tazilites considèrent que la « promesse » et la « menace » (al-wa’d wal wa’īd) ou l’éternité des peines de l’enfer pour tout musulman coupable de fait grave et mort sans repentir, seront appliqués. Cependant, il existe un rang intermédiaire (al-manzila bayna -l-manzilatayn), pour un musulman coupable d’une faute grave mais qui n’est sans doute pas un mécréant (kâfir) et qui n’est plus un véritable croyant. Il relève d’une catégorie à part : celle d’un malfaiteur (fâsik). En fin, les Mu’tazilites font obligation faite à chaque croyant d’ordonner le bien et d’interdire le mal.
De ces principes Mu’tazilites, il en ressort deux conceptions principales : À l’égard de Dieu, c’est le principe de la transcendance et de l’unicité absolue ; et à l’égard de l’homme, c’est le principe de liberté individuelle entraînant la responsabilité immédiate de ses actes.
En effet, les Mutazilites cherchaient à expliquer et à faire prévaloir une conception « raisonnable » et « raisonnée » de l’islam. La controverse devint donc une science réglée et régie par des principes bien définis du fait de sa conception même de la raison. L’acte de raisonner (nazar) est pris au sens figuré, il est considéré comme « regard du cœur », mais avec comme équivalent fikr (rélexion), ta’ammul (méditation) i’tibar (examen attentif). Le processus du raisonnement est, selon Ibn Fūrak : « la réflexion et la méditation concernant l’état de ce sur quoi on raisonne, pour ensuite y comparer autre chose, afin de savoir si (cette autre chose) relève d’un jugement semblable ou différent ». Transposé chez les Mu’tazilite, ce mode de raisonnement devient la base pour déterminer la responsabilité de Dieu et celle de l’homme. Dans une démarche très singulière, les Mu’tazilites estiment que l’homme possède un libre arbitre illimité de ses actes ; qu’il est le créateur de ses actes, sinon Dieu serait injuste de l’en rendre responsable. Or Dieu est nécessairement juste. Un Dieu juste doit récompenser les bons et punir les méchants. Donc, pour les Mu’tazilites, il y a un bien et un mal absolu, dont la raison est la mesure. Ils voulurent aux VIIIe st IXe siècles, défendre le dogme musulman contre l’influence de la philosophie grecque ; mais en utilisant, pour ce faire les armes de la philosophie. Cette démarche influença le calife al-Ma’mun (813-833) et le savant Al-Jahiz (752-840) qui adoptèrent la doctrine mu’tazilite.
Les notions de libertés, de volonté et de responsabilité, débattues par les Mu’tazilites restent toujours d’actualités, puisque les Mu’tazilites considéraient la liberté individuelle comme une condition nécessaire pour que l’homme puisse agir sur sa propre responsabilité et respecter les principes coraniques. Dans cette logique, l’homme ne pouvait être tenu pour responsable, si sa liberté n‘était pas pleine et entière.
Mais face l’apparition des opinions divergentes, certains juristes cherchèrent à codifier le droit musulman en le fixant sur le texte coranique et la tradition (sunna). Ce qui donna par la suite quatre écoles d’interprétation orthodoxes sunnites qui portent les noms de leur fondateur : Malikisme (Malik ibn Anas, m.795), Hanafisme (Abou Hanifa, m.767), Shâfi’isme (Shâfi’î, m.820) et Hanbalisme (Ahmad b. Hanbal, m.855) et tout musulman sunnite, appartient à une de ces écoles. Le calife Al-Mutawakkil (847-861) interdit alors la théologie dogmatique. Les Mu’tazilites furent sévèrement combattus. Le grand théologien sunnite Al-Ash’ari (873-935) imposa une autre doctrine, qui d’ailleurs portera son nom, centrée sur l’affirmation du Coran « incréé » ; l’inaccessibilité du mystère de Dieu et de la réalité des attributs divins ; l’absolu précellence de la Loi sur la raison ; la négation du libre arbitre humain. Progressivement la doctrine d’Al-Ash’ari s’imposa aux musulmans sunnites. Par la suite, des théologiens sunnites, Ibn Taymiyya (1263-1328), Ibn Qayyim al-Jawziyya (1292-1350) et Ahmad b. Hanbal refusèrent, catégoriquement, le raisonnement analogique (al-‘qiyas) s’il s’autonomise et se dispense des textes légaux (sharia). Ils rejettent l’opinion personnelle (al-ra’y) l’appréciation personnelle (al-istihsân). Selon eux, la foi c’est simplement croire sans se poser la question, « ni comment », ni « pourquoi ».
Cependant, ces questions théologiques trouvent aujourd’hui leurs prolongements dans le débat sur les modalités plurielles de lecture du texte religieux :
Le caractère créé – on dirait aujourd’hui situé et contextualisé –, sinon du texte divin, du moins de sa lecture, suggère l’existence d’autres approches et d’autres sens possibles de la parole divine, ouvrant un espace à tous ceux qui contestent aujourd’hui, dans le monde musulman, l’idée d’une signification figée, univoque et autoritaire des textes religieux, et appellent à un renouvellement des méthodes d’interprétation .