Le point de vue de Battista Acquaviva, artiste corse et doctorante. Religion et Laïcité, le fait musical corse

Nimu di Diu o di i santi
Ùn pudia dì   
Parchì erami tutti quì
Par creda cridiami
Ma à a noscia manera
Quidda chì nhà contu à renda
Chè à stu lumu
Aggrunchjatu in a sapara
Di a noscia cunscienza
Nurbertu Paganelli1 Poésie « In Biancu è neru » (« En Noir et Blanc ») de Norbert Paganelli, extraite de l’ouvrage collectif : Alain di Meglio, Francescu Ferrara, Norbert Paganelli, Parolli in biancu è neru, éd. Le Bord de l’eau, coll. Sponde, 2006, p. 41. Ni Dieu ni les saints Ne pouvaient dire Pourquoi nous étions là Pour sûr nous croyions Mais à notre manière Celle qui n’a de compte à rendre Qu’à cette clarté Blottie dans la grotte De notre conscience

Tra u lume di sta puesia, quellu di i Lumi di stu colloquiu, è a cuscienza spirituale di Norbertu Paganelli, ci truvemu à mezu à a nostra fede tradiziunale, chì un anderà micca, ind’è u nostru discorsu, senza a nostra musica sacra tradiziunale.

Entre les Lumières de ce colloque LUMI et la conscience spirituelle qui apparaît dans la poésie de Norbert Paganelli, nous voici au milieu de notre foi traditionnelle qui ira de pair, pour sûr, avec notre musique sacrée traditionnelle corse.

On se souvient avec mélancolie des maires et autres prétendants au titre, encostumés : conseillers municipaux, généraux, territoriaux, … entassés dans de petites chapelles de village, ou à Notre-Dame des Neiges à Bavella. On a en mémoire le corps politique corse à la Santa du Niolu, « the place to be », sur fond de la bande originale de notre vie. Tout Corse qui se respecte a encore dans l’oreille certaines messes chantées : la brillance des sons, les hauteurs tendues des voix timbrées, la poussière qui s’élève dans l’essaim des retrouvailles de toute une île lors de fêtes patronales politisées, lieux névralgiques de célébrations populaires, où invisible et sacré convoquent le citoyen politisant et l’homme politique, et dans laquelle la musique, et donc l’art, ont une place prépondérante, se confondant et se superposant aux fonctions culturelles et ethnologiques à étudier.
Dans le Corse-Matin du 8 septembre 2024, on peut lire : « Ce dimanche 8 septembre, la naissance de la mère de Jésus-Christ est prétexte aux messes, processions et autres festivités. Un anniversaire qui passe pourtant inaperçu sur le Continent2 Véronique Emmanuelli, « A Santa, vénération au carrefour de la foi, de l’histoire et du village », Corse Matin, 8 septembre 2024, p. 4.. » C’est bien a contrario de ce « Continent »-là, cité avec une majuscule, qu’à l’évidence, par un jeu de miroirs, se ressent la différence de pratiques dans la ferveur de la foi, que l’on qualifiera ici de foi traditionnelle corse, dans une dévotion occasionnelle (tout du moins dans la pratique en public), qui serait plus apparentée à la dévotion de certains peuples méditerranéens chez qui soudain une statue de la Vierge fait irruption dans l’espace public. Religion ou tradition ? Religion traditionnelle ou religiosité, chez nous, les messes, on les garde pour les saints patrons de villages. « Toutes ces connections avec A Santa (…) poussent sans doute à s’arranger avec le principe de laïcité3 Ibid. ». « Depuis 2014, cette journée est banalisée pour les écoles, les collèges et les lycées, signes d’une laïcité corse décomplexée par comparaison au Continent où on peut voir surgir de vraies oppositions »4 Pierre-Francois Marchiani interrogé par Véronique Emmanuelli, Journal Corse Matin du 8 septembre 2024. Ibid.

Dans la luminosité rasante de la célébration de La Santa au Niolu – parangon des fêtes patronales de l’île -, les polyphonies sacrées de la messe du matin, on les entend d’ailleurs souvent de loin. Puisque, soit on est décalés par rapport à la scène où se déroule la messe, scène placée devant l’église, soit on se retrouve, pendant la procession, sur le champ de foire. Je ne parle donc pas de la Granitula de la Semaine Sainte mais plutôt de celle de la Santa, fête patronale politisée au cœur du rural5 Depuis, les foires mettent aussi en lumière le fait que : qui est Corse va à la foire, que cela permet un rendez-vous corsiste, et que le lien se fait aussi à travers les articles disponibles à l’achat et proposés en périphérie de l’église (ou de la Granitula du matin), avec un certain développement d’une mode revendicative avec l’apparition de certaines figures politiques historiques corses sur des bleus de chine (vêtement devenu identitaire), ou de pratiques traditionnelles de passementerie, de vannerie, ou de certaines pratiques traditionnelles culinaires, etc.. Puis, arrivent les heures de la journée lors desquelles les polyphonies profanes prennent le pas sur les polyphonies sacrées du matin, et où les chjam’è rispondi6 La pratique re-démocratisée du Chjam’è Rispondi pour l’aspect poétique et profane du patrimoine vocal notamment à la foire de la Santa justement, où cette pratique a pu se réancrer.  hantent les baraques. Enfin, vient l’heure du concert du soir, où la scène (encore une) est sur le champ de foire, et non plus devant l’église.

Mais la politisation laïcisante des fêtes patronales sur un fond vocal en flux tendu – où les voix des chantres elles-mêmes se heurtent aux interprétations chorales françaises de l’ordinaire de la messe – n’est pas le seul fait marquant à ce sujet.

Sur fond de l’engouement de la Corse pour son « évêque-cardinal », on peut voir évoluer ce dernier au contact de la population corse, de ses politiques, en Corse et hors de Corse7 Voir le documentaire France 3 Corse Via Stella d’Angelin Leandri (Panourgos Productions), 2024, dans lequel on mentionne notamment feu l’Abbé Stra (Alex Stra) – figure de proue de cette île qui prie -, qui rassemblait d’ailleurs des générations de jeunes en les faisant marcher dans les montagnes corses, en leur faisant pratiquer du sport. Juste après, on y entend des chants polyphoniques profanes, paghjelle au soir venu pendant un instant de détente à l’hôtel, dans l’espace commun de la cour. Alors qu’au matin on entendait le Dio. Le réalisateur explique bien : « En nous voyant ici, je prends aussi conscience de l’image qui est la nôtre » et poursuit en concluant : « Après tout c’est bien à Rome que se réconcilient le berger païen et le successeur des apôtres ». Tout est dit, et tout préfigure notre article., accompagné et entouré par eux. Cet évêque semble lui-même vivre sa foi dans la laïcité de l’espace public avec une certaine forme de recul, en sachant incarner sa fonction dans ses atours or et colorés ou gris franciscain, avec son accent régional chantant qui nous rappelle notre propre particularisme culturel.

Lors de la dernière édition 2024 du festival littéraire ajaccien Racines de Ciel au Palais Fesch et à laquelle je participais en tant que chanteuse, « l’évêque-cardinal » François Bustillo évoquait en entretien public ce que nous pourrions désormais désigner sous le terme de statut particulier de la laïcité corse : « La Corse a beaucoup de leçons à donner en termes de laïcité et de manière de partager sa foi ». La Corse semble avoir une manière très « old fashioned » et à l’italienne, de vivre sa foi dans une pratique presque traditionnelle, à tel point que son évêque le note et le commente publiquement. Lors de mon entrevue avec Monseigneur le Cardinal Bustillo le 14 août 2024 chez lui à l’Évêché d’Ajaccio, celui-ci confirmait : « La laïcité corse est saine et intelligente »8 Extrait d’une interview de Monseigneur François Bustillo réalisée par mes soins, le 14 août 2024., autrement dit, elle est souple. D’autant que les Corses pratiqueraient parfois sur fond de réminiscences, ce qui ressemblerait à un paganisme. Pour mieux comprendre la foi toute particulière des Corses, Jean-Dominique Poli explique que même chez le personnage historique d’origine corse Napoléon, se retrouve une « religiosité fruste9 Jean-Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, Chap. Le lien immatériel, éd. Le Bord de l’eau, Coll. Sponde, 2023, p. 62. » sur un « fond immémorial de la civilisation qui persista en Corse »10 Ibid. comme si le catholicisme était une greffe sur le christianisme des Corses11 Ibid..

            Je ne parlerai pas des barques de Notre-Dame-du-Grand-Retour qui abordèrent les côtes de l’île en 1947, ni de la présence du culte orthodoxe et vocal dans l’église grecque de Carghjese, joyau iconique. Je ne parlerai pas ici de la Semaine Sainte en Corse12 Pour laquelle nous devons un large tribut à l’anthropologue Dominique Verdoni. Rappelons d’ailleurs que pour les sujets de la Musique et la Corse, de manière plus générale, nous devons aussi un large tribut au Professeur Dominique Salini., ni des vocératrices qui accompagnent le mort en chantant devant les maisons mais hors de l’église et montrées du doigt par elle, et qui, très loin de la liturgie, sont plutôt dans un discours biographique de lamentation sur le mort, une individualité. Je ne parlerai pas non plus de l’intérieur des maisons ni de leurs longues veillées ni des chants de vendetta, ni des berceuses, mais bien d’un espace empli d’icônes, avec force fresques et couleurs, avec démesure baroque parfois, et austérité13 Notamment pour les petites chapelles de villages excentrées qui célèbrent tel ou tel saint et plus élevées dans la montagne, où il fut difficile de porter des matériaux, sur des chemins escarpés empruntés d’ailleurs parfois pour la transhumance. par défaut d’autres fois. Je parlerai donc de chants qui ne se chantaient qu’en l’ancienne langue du latin14 Jusqu’à ce que, rarement, des traductions de la messe du latin en corse apparaissent telles que celle, partielle, de Monseigneur Ange Guidicelli. et je parlerai surtout… d’une église, dans la concentration harmonique de la fréquence sonore qui s’élève dans une dynamique ascensionnelle et qui, coordonnée à l’acoustique du lieu, forme un son symptomatique d’un recueillement, une résonance, une réverbération propre au sacré musical et qui est significatif, même les yeux fermés, d’un espace-temps. La configuration des lieux, l’acoustique qui confine au divin, la « réverb » angélique, l’ambiance, et l’histoire du lieu15 Avec le nombre d’enterrements, de mariages ou baptêmes opérés parfois par les chanteurs eux-mêmes historiquement protagonistes de ces lieux ou témoins. Aujourd’hui, on ne sait plus très bien si on croit en ce qu’on chante (dans l’ordinaire de la messe), ou si on croit en la Corse, avec la foi du charbonnier. Je ne sais pas en tant que chanteuse si je vois la Corse, ses rochers quand je chante, ou si je vois la Corse comme elle a été représentée entre autres par l’Église de Corse avec un voile qui recouvre le Cap Corse.. La solennité de la mise en scène architecturale et de la paraphrase biblique en des références visuelles à l’Évangile participent à l’aspect augmenté, et quelque peu plus grandiose que l’espace public habituel du quotidien (villes ou villages d’ailleurs). Aussi, quiconque a déjà chanté pour un enterrement et accompagné un défunt – ou même un vivant, aura compris le rôle important que joue le chant dans l’accompagnement physique et symbolique du défunt, son utilité dans une dimension, par extension, presque artistique, si on s’aventure sur les terrains de la philosophie de la musique16 Et de l’esthétique musicale.. À l’intérieur de cette église, « j’ai entendu des voix puissantes de jeunes qui chantaient la messe, et là tu sens la puissance et l’élévation17 La citation dans son intégralité est la suivante : « Dans le panorama d’Occident, en Europe, ce sont les femmes qui chantent à l’église. Mais en Corse et au Pays Basque, ce sont les hommes qui chantent. Hier, j’ai entendu des voix puissantes de jeunes qui chantaient la messe, et là tu sens la puissance et l’élévation ». Cette phrase est extraite d’une interview de Monseigneur François Bustillo effectuée par mes soins, le 14 août 2024. L’évêque parle ici de la veille de notre entrevue du 14 aout, et renvoie à la date du 13 août 2024 à l’occasion d’une messe qu’il célébrait à Ghisoni. Au cours de l’entrevue, l’évêque répètera plusieurs fois le mot « puissantes » pour qualifier les voix corses. » dit Monseigneur François Bustillo.

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[1] Poésie "In Biancu è neru" ("En Noir et...

Poésie "In Biancu è neru" ("En Noir et Blanc") de Norbert Paganelli, extraite de l’ouvrage collectif : Alain di Meglio, Francescu Ferrara, Norbert Paganelli, Parolli in biancu è neru, éd. Le Bord de l’eau, coll. Sponde, 2006, p. 41.
Ni Dieu ni les saints
Ne pouvaient dire
Pourquoi nous étions là
Pour sûr nous croyions
Mais à notre manière
Celle qui n’a de compte à rendre
Qu’à cette clarté
Blottie dans la grotte
De notre conscience

[2] Véronique Emmanuelli, « A...

Véronique Emmanuelli, « A Santa, vénération au carrefour de la foi, de l'histoire et du village », Corse Matin, 8 septembre 2024, p. 4.

[3] Ibid.

Ibid.

[4] Pierre-Francois Marchiani...

Pierre-Francois Marchiani interrogé par Véronique Emmanuelli, Journal Corse Matin du 8 septembre 2024. Ibid.

[5] Depuis, les foires mettent aussi...

Depuis, les foires mettent aussi en lumière le fait que : qui est Corse va à la foire, que cela permet un rendez-vous corsiste, et que le lien se fait aussi à travers les articles disponibles à l’achat et proposés en périphérie de l’église (ou de la Granitula du matin), avec un certain développement d’une mode revendicative avec l’apparition de certaines figures politiques historiques corses sur des bleus de chine (vêtement devenu identitaire), ou de pratiques traditionnelles de passementerie, de vannerie, ou de certaines pratiques traditionnelles culinaires, etc.

[6] La pratique re-démocratisée du...

La pratique re-démocratisée du Chjam’è Rispondi pour l’aspect poétique et profane du patrimoine vocal notamment à la foire de la Santa justement, où cette pratique a pu se réancrer.

[7] Voir le documentaire France 3 Corse...

Voir le documentaire France 3 Corse Via Stella d'Angelin Leandri (Panourgos Productions), 2024, dans lequel on mentionne notamment feu l'Abbé Stra (Alex Stra) - figure de proue de cette île qui prie -, qui rassemblait d'ailleurs des générations de jeunes en les faisant marcher dans les montagnes corses, en leur faisant pratiquer du sport. Juste après, on y entend des chants polyphoniques profanes, paghjelle au soir venu pendant un instant de détente à l'hôtel, dans l'espace commun de la cour. Alors qu'au matin on entendait le Dio. Le réalisateur explique bien : « En nous voyant ici, je prends aussi conscience de l'image qui est la nôtre » et poursuit en concluant : « Après tout c'est bien à Rome que se réconcilient le berger païen et le successeur des apôtres ». Tout est dit, et tout préfigure notre article.

[8] Extrait d’une interview de Monseigneur...

Extrait d’une interview de Monseigneur François Bustillo réalisée par mes soins, le 14 août 2024.

[9] Jean-Dominique Poli, Napoléon inconnu...

Jean-Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, Chap. Le lien immatériel, éd. Le Bord de l’eau, Coll. Sponde, 2023, p. 62.

[10] Ibid.

Ibid.

[11] Ibid.

Ibid.

[12] Pour laquelle nous devons un large...

Pour laquelle nous devons un large tribut à l’anthropologue Dominique Verdoni. Rappelons d’ailleurs que pour les sujets de la Musique et la Corse, de manière plus générale, nous devons aussi un large tribut au Professeur Dominique Salini.

[13] Notamment pour les petites...

Notamment pour les petites chapelles de villages excentrées qui célèbrent tel ou tel saint et plus élevées dans la montagne, où il fut difficile de porter des matériaux, sur des chemins escarpés empruntés d’ailleurs parfois pour la transhumance.

[14] Jusqu’à ce que, rarement, des...

Jusqu’à ce que, rarement, des traductions de la messe du latin en corse apparaissent telles que celle, partielle, de Monseigneur Ange Guidicelli.

[15] Avec le nombre d’enterrements...

Avec le nombre d’enterrements, de mariages ou baptêmes opérés parfois par les chanteurs eux-mêmes historiquement protagonistes de ces lieux ou témoins. Aujourd’hui, on ne sait plus très bien si on croit en ce qu’on chante (dans l’ordinaire de la messe), ou si on croit en la Corse, avec la foi du charbonnier. Je ne sais pas en tant que chanteuse si je vois la Corse, ses rochers quand je chante, ou si je vois la Corse comme elle a été représentée entre autres par l'Église de Corse avec un voile qui recouvre le Cap Corse.

[16] Et de l’esthétique musicale.

Et de l’esthétique musicale.

[17] La citation dans son intégralité est...

La citation dans son intégralité est la suivante : « Dans le panorama d’Occident, en Europe, ce sont les femmes qui chantent à l’église. Mais en Corse et au Pays Basque, ce sont les hommes qui chantent. Hier, j’ai entendu des voix puissantes de jeunes qui chantaient la messe, et là tu sens la puissance et l’élévation ». Cette phrase est extraite d’une interview de Monseigneur François Bustillo effectuée par mes soins, le 14 août 2024. L’évêque parle ici de la veille de notre entrevue du 14 aout, et renvoie à la date du 13 août 2024 à l'occasion d’une messe qu’il célébrait à Ghisoni. Au cours de l’entrevue, l’évêque répètera plusieurs fois le mot « puissantes » pour qualifier les voix corses.

Si la Corse a pu conserver un patrimoine musical sacré colossal, c’est parce qu’elle a résisté aux injonctions incessantes de l’Église catholique et romaine, notamment à célébrer et chanter l’ordinaire de la messe en français18 Mais bien avant cela, d’autres paliers furent franchis : tout d’abord celui de ne plus chanter la messe en latin, puis d’adopter les compositeurs des Conciles via les différents prêtres primo arrivants et fraîchement formés aux nouvelles directives de l’Église. De surcroît, outre la politique musicale appliquée de l’Église, la politique génoise mise en place par différents évêques chargés de la faire respecter ne fut pas bien reçue en Corse. Rappelons ici que la Corse connut des assassinats d’évêques, notamment, celui de Mariana, de nationalité génoise. (Cf. Antoine FRANZINI, La Corse du XVème Siècle, Politique et société 1433-1484, Ajaccio, éditions Alain Piazzola, 2005, p. 299-307).. Il s’agit de la résistance des Corses à l’uniformisation mélodique et linguistique, et presque structurellement idéologique (et culturelle) notamment à contre-courant du Concile de Trente. L’art des Corses de vivre leur foi a mené à la sauvegarde, par cette tradition, du patrimoine des chantres. Chaque village avait sa messe, avec la variété et la multiplicité de chants que cela implique, et de différences de chants d’un village à l’autre19 Dans la même pieve du Ghjunssani en Haute Balagne, où les villages d’Olmi cappella et Pioggiola ne sont qu’à quelques encablures (15 min. en voiture), les « versi » des messes différaient sur la totalité de la messe chantée. où chaque village avait sa messe à travers régions, villes, villages, confréries. La musique, et plus exactement le chant, ont une place prépondérante dans la pratique religieuse, identitaire et communautaire corse. La résistance de la tradition musicale corse ne va pas sans le fait religieux. La raison et le départ de la magnificence du patrimoine musical religieux insulaire est le fait religieux (par tradition). Cependant, si résister au Concile de Trente était déjà politique, il y a fort à penser et à supposer que les populations corses d’alors l’ont fait avec le naturel déconcertant qui leur est propre à résister20 On note aussi que les Corses sont de manière générale « réfractaires au cléricalisme et à son exigence de soumission absolue. Leurs attitudes furent renforcées par la forte influence franciscaine qui soumet les hiérarchies à l’appréciation de l’authenticité. (…) Cette culture humaine du sacré réalise l’alliance de la religion et de la liberté humaine, ce qui préserva ces générations des diverses formes de fanatisme ». Jean Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, op.cit., p. 72-73.  presque par évidence, sans compter que l’île favorise une tradition ou une certaine forme de sclérose, qui devient en l’occurrence un atout.

            Le fait politique, survenu plus tard à l’époque des premiers concerts du groupe Canta U Populu Corsu, au début du Riacquistu culturel, fait monter sur scène l’hymne religieux du Dio Vi Salvi Regina qui est chanté à la fin de concerts formés majoritairement de chants profanes21 Sauf par exemple le chant sarde du Diu Ti Salvi Maria, interprété d’ailleurs la plupart du temps par une femme. Chant connu en Sardaigne sous le titre « Diu Ti Salvet Maria » dans sa forme polyphonique par les hommes, il fut repris (accompagné à l’orgue) par la voix soliste sarde de Maria Carta. Pour la Corse, c’est Christophe Mac Daniel qui assure la partie accompagnement.. Cette époque permet donc, dans le même temps, la conservation du caractère prolifique retrouvé d’un patrimoine profane22 Le volume de création profane aurait fini par dépasser la richesse du répertoire religieux par la somme de chansons et créations profanes qui ont suivi la reconquête d’un répertoire traditionnel général par les collectages (y compris ceux réalisés par Canta U Populu Corsu) et par la création profane florissante voire écrasante et à la fois pleine d’espoir(s) d’innombrables propositions des groupes corses., jusqu’à sa re-création par les compositions du même groupe, de ses satellites et des groupes suivants qui ont succédé à cette planète dont certains météorites ont fusé vers d’autres sphères, et dont les premiers étaient issus du grand sillon de Canta, Dans un culturel associatif où tous les groupes qui montent sur scène deviennent des associations loi 1901, à l’instar des confréries d’ailleurs, les Passions, recréées dans les années 80 et mettant en scène les derniers moments de la vie du Christ, sont jouées par des associations en Balagne : U Svegliu Calvese et E Voce di u Cumune dont les membres créent ou soutiennent des groupes culturels musicaux (tels que A Filetta ou A Cumpagnia). « Culturel » par définition, le groupe – ou groupe humain pour l’anthropologue – traduit la notion de collectif qui préexiste à toute célébration, religieuse ou culturelle : « La culture de l’île fut pétrie de religion, et la religion pétrie de culture »23 Jean Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, op.cit., p. 74..  Se rencontrer et chanter ensemble des messes pour les grands évènements, fêtes et morts, d’anonymes ou de personnalités, fédère et fait à nouveau communier tout une île. C’est une majorité de corsistes24 Nous les nommerons ainsi. (dont beaucoup de nationalistes corses25 Dits « natios » dans le langage courant actuel.), bien loin de la politique de l’Église elle-même voulant régenter aussi la musique, qui se rassemblent notamment à la Santa. La messe d’enterrement d’Edmond Simeoni à la télévision26 Replay de France 3 Corse – Via Stella du lundi 17 décembre 2018. en décembre 2018 alors que je chantais en Jordanie, m’a donné une autre idée de la Corse retransmise à l’écran au temps de l’anthropocène : une laïcité mise de côté, un hommage de tradition religieuse sous forme de messe chantée à une grande personnalité du nationalisme corse avec autant de recueillement que le demandent les chants résonnant sur le pont détaché et détruit de Ponte Novu en mai de chaque année, se concluant sur l’hymne du Dio Vi Salvi Regina, comme à la fin des premières séries de concerts de Canta et longtemps après encore, entonné par I Muvrini à Bercy (quelle était la part sacrée de ce concert qui rassemblait la Corse hors d’elle à Paris…). Le fait que les Corses aient pour hymne un chant religieux – ou du moins une partie des paroles – est hautement significatif, et contraire à une laïcité. Dimension sacrée de la pensée corse. Et Nicolas Mattei27 Auteur de l’ouvrage de référence Le Baroque Religieux Corse (paru chez Albiana et épuisé à ce jour), nous l’avons interrogé à plusieurs reprises pour un travail de thèse. d’ajouter : « quand anticléricalisme et déchristianisation se mettent en place, la corse résiste et ne marche pas dans cette optique ».

            Dans Visa pour un miroir, on peut lire un témoignage du sens du Dio en hymne fédérateur. Jean-Claude Rogliano et son équipe partent de Corse en voyage humanitaire en Roumanie. Leurs hôtes voulant les remercier, se trompent d’hymne et jouent la Marseillaise, avec orchestre s’il vous plaît.

  Quand l’orchestre se tut, nos hôtes esquissèrent un mouvement pour se rasseoir. Notre immobilité persistante les fit se redresser aussitôt : au même instant, sans qu’aucun d’entre nous se fût donné le mot ou adressé le moindre signe, un chant s’éleva.

  Suivant un genre harmonique venu du fond des âges et détenu par les seuls habitants de notre île, puisant, selon sa tessiture, dans les trois registres qui en composaient la trame (…), chacun poursuivait son propre chemin mélodique, comme emmuré dans sa propre voix. (…) les voix se poursuivaient, s’épousaient, s’entremêlaient avec des bruits de fleuve et de vent.

Et nos hôtes, interdits, découvraient qu’au-delà même des mots le seul hymne de ce peuple venu à leur rencontre était ce mystère d’airain et de cuivre qui les emportait dans son déferlement magique. […]

Serban se tourna vers moi : (…)

Il nous demanda ce que ce chant représentait pour nous, en quelles circonstances nous le chantions.

— Elles sont assez nombreuses, répondit Cignalone, et on peut dire qu’il s’accorde aussi bien à la musique des orgues qu’au tonnerre de la poudre28 Jean-Claude Rogliano, Visa pour un miroir, Paris, éditions du Rocher, 1998, p. 107 sq..

Dans l’harmonie de cette polyphonie, chacun est comme « emmuré dans sa propre voix », ou comment Rogliano réussit l’explication de texte musicale de ce chant (et par extension, de l’art polyphonique) qui rassemble (les protagonistes font corps, représentant le peuple), tout autant qu’il responsabilise et demande le travail de chacun portant sa pierre à l’édification d’un discours musical d’un genre séculaire, et d’une société. La dimension métaphysique de ce chant, parangon des polyphonies sacrées de l’île, et la force représentée par les métaux énoncés dont les couleurs rappellent celles des orgues – instruments ascensionnels délibérément cités par le personnage de Cignalone – qui rejoignent « le tonnerre de la poudre ». Autrement dit, les sons explosifs retentissant dans l’espace public, retranscription politique de la force du métal musical en déferlement dans l’église comme pour exprimer le chant d’une revanche ou d’une revendication.

C’est bien à l’abri d’une église que s’ouvrait enfin l’un des romans les plus emblématiques de la Corse, du même auteur : « Tout a commencé à l’église, le premier dimanche d’automne29 Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio, éditions Clémentine, 2018, p. 7. Réédition. ». Le roman Mal’concilio aurait, selon Jérôme Garcin, la beauté collective d’un chœur d’opéra30 Op. cit., quatrième de couverture. : les voix donc, que le coryphée Rogliano appelle et met en scène. L’incipit qui nous jette d’emblée dans l’église avec des chants traditionnels corses en dit long sur nos pratiques culturelles, à l’abri d’un édifice religieux où le collectif est présent, les filles et les garçons se font face, et où les seules femmes en noir se confondent avec la pénombre. Mal’concilio lui-même assiste à la messe et commente :

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[18] Mais bien avant cela, d’autres paliers...

Mais bien avant cela, d’autres paliers furent franchis : tout d’abord celui de ne plus chanter la messe en latin, puis d’adopter les compositeurs des Conciles via les différents prêtres primo arrivants et fraîchement formés aux nouvelles directives de l’Église. De surcroît, outre la politique musicale appliquée de l’Église, la politique génoise mise en place par différents évêques chargés de la faire respecter ne fut pas bien reçue en Corse. Rappelons ici que la Corse connut des assassinats d’évêques, notamment, celui de Mariana, de nationalité génoise. (Cf. Antoine FRANZINI, La Corse du XVème Siècle, Politique et société 1433-1484, Ajaccio, éditions Alain Piazzola, 2005, p. 299-307).

[19] Dans la même pieve du Ghjunssani...

Dans la même pieve du Ghjunssani en Haute Balagne, où les villages d’Olmi cappella et Pioggiola ne sont qu’à quelques encablures (15 min. en voiture), les « versi » des messes différaient sur la totalité de la messe chantée.

[20] On note aussi que les Corses sont...

On note aussi que les Corses sont de manière générale « réfractaires au cléricalisme et à son exigence de soumission absolue. Leurs attitudes furent renforcées par la forte influence franciscaine qui soumet les hiérarchies à l’appréciation de l’authenticité. (…) Cette culture humaine du sacré réalise l’alliance de la religion et de la liberté humaine, ce qui préserva ces générations des diverses formes de fanatisme ». Jean Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, op.cit., p. 72-73. 

[21] Sauf par exemple le chant sarde du...

Sauf par exemple le chant sarde du Diu Ti Salvi Maria, interprété d’ailleurs la plupart du temps par une femme. Chant connu en Sardaigne sous le titre « Diu Ti Salvet Maria » dans sa forme polyphonique par les hommes, il fut repris (accompagné à l’orgue) par la voix soliste sarde de Maria Carta. Pour la Corse, c’est Christophe Mac Daniel qui assure la partie accompagnement.

[22] Le volume de création profane aurait...

Le volume de création profane aurait fini par dépasser la richesse du répertoire religieux par la somme de chansons et créations profanes qui ont suivi la reconquête d’un répertoire traditionnel général par les collectages (y compris ceux réalisés par Canta U Populu Corsu) et par la création profane florissante voire écrasante et à la fois pleine d’espoir(s) d’innombrables propositions des groupes corses.

[23] Jean Dominique Poli, Napoléon...

Jean Dominique Poli, Napoléon inconnu, De la Révolution de Corse à l’Europe impériale, op.cit., p. 74.

[24] Nous les nommerons ainsi.

Nous les nommerons ainsi.

[25] Dits « natios » dans le langage...

Dits « natios » dans le langage courant actuel.

[26] Replay de France 3 Corse - Via...

Replay de France 3 Corse - Via Stella du lundi 17 décembre 2018.

[27] Auteur de l’ouvrage de référence Le...

Auteur de l’ouvrage de référence Le Baroque Religieux Corse (paru chez Albiana et épuisé à ce jour), nous l’avons interrogé à plusieurs reprises pour un travail de thèse.

[28] Jean-Claude Rogliano, Visa pour un...

Jean-Claude Rogliano, Visa pour un miroir, Paris, éditions du Rocher, 1998, p. 107 sq.

[29] Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio...

Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio, éditions Clémentine, 2018, p. 7. Réédition.

[30] Op. cit., quatrième de couverture.

Op. cit., quatrième de couverture.

J’aimais les entendre chanter ; j’aimais la musique des orgues ; il me semblait que, par instants, les voix du torrent, du tonnerre et du vent jaillissaient, merveilleusement confondues de ces longs tuyaux magiques. Mais par-dessus tout, je m’enivrais de cette odeur d’encens que je ne respirais qu’ici et qui laissait en moi une idée de paix et d’éternité. Je suis sûr que si un jour Dieu sortait de l’église, il entraînerait ce parfum avec Lui31 Op. cit. p. 7 sq..

Outre les sons polyphoniques, les couleurs de la pénombre sur les femmes, et la nature organique présente dans la matière sonore, ces chants traduisent une nature corse.

Ressortons de l’église avec ce dieu parfumé d’encens, et nous nous trouverons à nouveau sur le parvis d’une église, celle de Carchetu pour Jean-Claude Rogliano et celle de Casamaccioli pour la statue de la Santa. Un témoignage d’une Corse née en 1947 assistant, enfant, aux célébrations et festivités des messes d’été dans le Ghjunssani en Haute Balagne, à Olmi Cappella : « Les hommes étaient en dehors de l’église la plupart du temps, ils parlaient et le curé leur demandait de se taire ». En réalité, les hommes de ce village dans les années 60 ne chantaient pas. S’il y a aujourd’hui un « confrérie revival32 Les confréries subsistent, masculines ou plus rarement féminines et parfois mixtes, et sont présentes depuis des siècles avec quelques ruptures dans les continuités de leurs existences. », la mode revenue des confréries a fait chercher aux Corses leurs derniers témoins. Notons au passage qu’initialement, les confréries étaient considérées comme laïques même au XVème siècle33 Cf. Antoine FRANZINI, La Corse du XVème Siècle, Politique et société 1433-1484, op. cit.. Se reformant dans le paysage de ces dernières décennies, elles ne chantaient pas toutes en polyphonies. Certaines pratiquaient selon les régions, un chant droit d’une même voix plutôt monocorde donc, ce qui reviendrait à évoquer un unisson. Pour autant, il ne s’agissait pas de chant chorale, où les voix étaient plus éthérées et aériennes. Le chant des confrères, s’exprimant d’une même voix, était incarné et forte – pour utiliser un langage musical conventionné – (ce qui pourrait se traduire par « à pleine voix » en l’occurrence) ; ne contenant cependant, pour certaines localités, presque aucun mélisme ou en tout cas, très peu de rivuccate (appoggiature précipitée faisant les riches heures de la pratique polyphonique34 Et monodique mais dans une moindre mesure. et vocale corse).

Après une discussion sur le chant des confréries avec Jean-Dominique Poli (lui-même confrère en son village), le 19 juillet 2024 au couvent de Speloncatu, je me suis rendue à Pigna pour le final du festival Festivoce et j’ai entendu dans l’église la confrérie de Calvi : tout était droit, tout était corps. Ce n’étaient pas les sables mouvants de la polyphonie, difficiles à saisir pour un novice, ni le tuilage des voix, ni les rivuccate à répétition35 Dans un délire répétitif parfois fatiguant si le chanteur de seconda en présence abuse des rivuccate ou riccuccate, terme précisé plus haut., mais des droitures, pour ainsi dire « en ligne(s) » qui apportaient le soutien symbolique et pratique que représentait la confrérie, comme je l’ai récemment entendu à Bonifacio lors d’une mission pascale dans le cadre de ma thèse36 Titre de la thèse La Musique, la Corse et l’Ailleurs, doctorante Battista Acquaviva. Parmi les « ailleurs » intéressés au sujet, on peut penser tout d’abord à l’ailleurs géographique, celui d’autres terres, et avec elles d’autres musiques du monde, sœurs de la musique corse, notamment les musiques orientales qui ont plus de points communs qu’on pourrait le penser avec la Corse. L’ailleurs d’une intemporalité aussi sans doute, sans mesure du chant corse : la polyphonie ne suit pas un rythme métronomique et s’étire dans le temps, autant que le souffle humain le peut, et le tempo corse n’a en fait aucune autre mesure que le battement métronomique des cœurs comme j’ai eu le plaisir de l’expliquer dans mon intervention « La Musique et la Corse au temps de l’anthropocène, Colloque Insularités et transitions, Université de Corse, 8 septembre 2024. Enfin, se profile l’ailleurs d’un autre temps, celui du passé, à travers l’écoute active du Fonds Quilici, patrimoine sonore corse conservé au Musée de la Corse à Corte et trésor des collectages de chants corses réalisés par Felix Quilici ; mais aussi et surtout, en ce qui concerne le sujet d’aujourd’hui : l’ailleurs de l’invisible, l’ailleurs de l’impalpable, les Corses et leur musique sacrée, patrimoine hors normes., afin de recueillir les chants des confrères du Vendredi Saint plus exactement. Le chant se prolongeait dans une sorte de litanie, parfois scandée, où une voix se détachait comme pour effectuer une chjama (un appel), et attendait la réponse de la reprise du même motif par l’ensemble des confrères, répondant à l’unisson. Moins de recherche harmonique donc, pas de tuilage de voix et peu de motifs mélismatiques. La confrérie de Lavatoghju au contraire, présentait le même soir le produit de plusieurs années de travail innovant, notamment de création polyphonique parfois « dans le style de l’ancien », et carrément de composition. Voici donc une pratique ancestrale religieuse faisant irruption dans le public d’un festival et néanmoins programmée dans l’église du village37 Sachant que le final de Festivoce à Pigna programme différents groupes dans différents endroits du village.. Leur livret à la main, des confrères, comme dans une transe durant plus longtemps que le temps de la polyphonie…

Si l’on se penche sur la création de Canta, passée de profane à quasi musique classique corse, ou bien les créations d’une nouvelle musique sacrée38 Non seulement certaines confréries sont en train de recréer leur propre répertoire de messes mais il faut aussi se pencher sur le travail de « restauration » de Nando Acquaviva qui a rajouté des voix manquantes, notamment sur certaines messes chantées du Ghjunssani en Haute Balagne. Voir l’article de l’ethnomusicologue sarde Ignazio Macchiarella à ce sujet dans le chapitre « Il restauratore di polifonie » issu du livre Trè voici per pensare il mondo, Pratiche polifoniche confraternali in Corsica, Nota, 2011 (voir aussi Bernard Lorthat-Jacob, Chroniques Sardes, éd. Juillard, 1990). Le travail de restauration comme sur une fresque musicale par Nando Acquaviva dans le style de l’ancien est un travail de création malgré tout, de suppositions, et d’équation musicale, dans le sens où un équilibre doit être trouvé entre la part de supposition de ce que fut – ou put être – la tradition (déduction d’une équation), et le travail de prise de décision, inhérent à une certaine forme de création. des confrères de Lavatoghju, notre conclusion va vers une création sacrée, dont la voie nous est montrée par Monseigneur Bustillo.

Au moment de quitter l’Évêque et Ajaccio le 14 août 2024, symboliquement à la veille des festivités de la Vierge39 En l’occurrence, assomption du 15 août. « assumée » au ciel corps et âme, son éminence me dit : « La créativité n’est-ce pas ? N’oubliez pas (…) on a été créé par le souffle et donc on doit créer ». Ses derniers mots pour moi « continuez à créer » m’enjoindraient presque de rejoindre l’espace public au goût du jour, – et non plus seulement à l’église en bonne Corse qui chante pour les fêtes patronales-, à moins encore de composer pour le culte40 Comme jadis Palestrina, compositeur modèle du Concile de Trente, ou encore les nouvelles créations corses de messes de ces 15 dernières années : Requiem pour deux regards de A Filetta ou Messa di Sant’Amanza chantée par A Cumpagnia. Après que, dès les années 80, Marcel Pérès fasse re-découvrir aux Corses eux-mêmes, en l’occurrence aux groupes A Cumpagnia et Organum, les manuscrits de messes grégoriennes qui auraient été abandonnés en Corse.… Et au fond, on peut se poser la question : les chantres composaient-ils ? qui a mis la première pierre ? La composition originelle, dans la simplicité de son processus traditionnel d’origine, fut-elle, sans doute, le début d’une tradition41 Mes remerciements vont à mon ami Jean-Dominique Poli, à notre évêque-cardinal François Bustillo, à mon père Nando Acquaviva, à mon oncle Nicolas Mattei, à l’école doctorale, à l’UMR CNRS LISA, à Sebastien Quenot et Jean-Guy Talamoni.. Sur les ponts entre religion et musique, la laïcité quelque peu écartée reste dehors, sur le parvis où l’on retrouvait tout à l’heure les hommes et les politiques. La musique vocale, assumée traditionnellement et spirituellement par les Corses comme un prolongement d’eux-mêmes, la place à mi-chemin entre la pratique religieuse et le public. « Il est évident qu’en Corse, la discipline de groupe telle que voulue par Saint Augustin a toujours été difficile à appliquer. Le chant avait du mal à cadrer avec la Règle et l’apparat pouvait laisser à désirer même au sein des Confréries où le Masseru avec son grand bâton organisait le défilé42 Antoine Massoni, Les Musiques de Corse, Chants, instruments et danses, Tradition vivante, chap. Le rituel religieux, Ajaccio, Editions Alain Piazzola, 2006, p. 93. ». Dans les Granitule des confréries (qui elles-mêmes absorbent un peu du pouvoir clérical en s’y substituant parfois), entre religion et ce qui ne l’est plus et qui sort du cadre, presque du paganisme, entre pratiques religieuses traditionnelles (religiosités populaires)43 Cf. Dominique Verdoni, A Settimana Santa in Corsica, Ajaccio, Albiana, 2003. et déviances de la pratique induites par la tradition, nous sommes toujours ici entre l’intérieur de l’église et l’espace public laïque, un dedans et un dehors. Et « si Dieu sortait de l’église »44 Cf. Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio, Éditions Clémentine, 2018, p. 7. corse, il se retrouverait dans la même configuration que vu précédemment à la Santa, quand vous aviez l’impression d’entendre parler les hommes ou les politiques dehors sur la place d’une église, à la célébration de toute une île. Plus de monde à l’extérieur que dans l’église où sont enterrés les défunts. Et si Dieu, en Corse, sortait de l’église, il emporterait avec lui ses chants, dans une Granitula perpétuelle entre sacré et profane, entre religion et culte laïque. Moins à l’abri dans l’église avec les femmes et un peu plus sur la scène de Canta où l’hymne s’est exporté. Se lovant un peu plus dans un fond immémorial et culturel, que dans une pratique cultuelle à jour des directives de l’église. Du moins pour ce qui regarde le fait musical, quand Dieu sort de l’église, en Corse, il emporte ses chants avec lui.

 

Mots clés : Polyphonies / Corse / musique / sacré / profane

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[31] Op. cit. p. 7 sq.

Op. cit. p. 7 sq.

[32] Les confréries subsistent, masculines...

Les confréries subsistent, masculines ou plus rarement féminines et parfois mixtes, et sont présentes depuis des siècles avec quelques ruptures dans les continuités de leurs existences.

[33] Cf. Antoine FRANZINI, La Corse...

Cf. Antoine FRANZINI, La Corse du XVème Siècle, Politique et société 1433-1484, op. cit.

[34] Et monodique mais dans une...

Et monodique mais dans une moindre mesure.

[35] Dans un délire répétitif parfois...

Dans un délire répétitif parfois fatiguant si le chanteur de seconda en présence abuse des rivuccate ou riccuccate, terme précisé plus haut.

[36] Titre de la thèse La Musique, la Corse...

Titre de la thèse La Musique, la Corse et l’Ailleurs, doctorante Battista Acquaviva. Parmi les « ailleurs » intéressés au sujet, on peut penser tout d’abord à l’ailleurs géographique, celui d’autres terres, et avec elles d’autres musiques du monde, sœurs de la musique corse, notamment les musiques orientales qui ont plus de points communs qu’on pourrait le penser avec la Corse. L’ailleurs d’une intemporalité aussi sans doute, sans mesure du chant corse : la polyphonie ne suit pas un rythme métronomique et s’étire dans le temps, autant que le souffle humain le peut, et le tempo corse n’a en fait aucune autre mesure que le battement métronomique des cœurs comme j’ai eu le plaisir de l’expliquer dans mon intervention « La Musique et la Corse au temps de l’anthropocène, Colloque Insularités et transitions, Université de Corse, 8 septembre 2024. Enfin, se profile l’ailleurs d’un autre temps, celui du passé, à travers l’écoute active du Fonds Quilici, patrimoine sonore corse conservé au Musée de la Corse à Corte et trésor des collectages de chants corses réalisés par Felix Quilici ; mais aussi et surtout, en ce qui concerne le sujet d’aujourd’hui : l’ailleurs de l’invisible, l’ailleurs de l’impalpable, les Corses et leur musique sacrée, patrimoine hors normes.

[37] Sachant que le final de Festivoce...

Sachant que le final de Festivoce à Pigna programme différents groupes dans différents endroits du village.

[38] Non seulement certaines confréries...

Non seulement certaines confréries sont en train de recréer leur propre répertoire de messes mais il faut aussi se pencher sur le travail de « restauration » de Nando Acquaviva qui a rajouté des voix manquantes, notamment sur certaines messes chantées du Ghjunssani en Haute Balagne. Voir l’article de l’ethnomusicologue sarde Ignazio Macchiarella à ce sujet dans le chapitre « Il restauratore di polifonie » issu du livre Trè voici per pensare il mondo, Pratiche polifoniche confraternali in Corsica, Nota, 2011 (voir aussi Bernard Lorthat-Jacob, Chroniques Sardes, éd. Juillard, 1990). Le travail de restauration comme sur une fresque musicale par Nando Acquaviva dans le style de l’ancien est un travail de création malgré tout, de suppositions, et d’équation musicale, dans le sens où un équilibre doit être trouvé entre la part de supposition de ce que fut - ou put être - la tradition (déduction d’une équation), et le travail de prise de décision, inhérent à une certaine forme de création.

[39] En l’occurrence, assomption du 15 août.

En l’occurrence, assomption du 15 août.

[40] Comme jadis Palestrina, compositeur...

Comme jadis Palestrina, compositeur modèle du Concile de Trente, ou encore les nouvelles créations corses de messes de ces 15 dernières années : Requiem pour deux regards de A Filetta ou Messa di Sant’Amanza chantée par A Cumpagnia. Après que, dès les années 80, Marcel Pérès fasse re-découvrir aux Corses eux-mêmes, en l’occurrence aux groupes A Cumpagnia et Organum, les manuscrits de messes grégoriennes qui auraient été abandonnés en Corse.

[41] Mes remerciements vont à mon ami...

Mes remerciements vont à mon ami Jean-Dominique Poli, à notre évêque-cardinal François Bustillo, à mon père Nando Acquaviva, à mon oncle Nicolas Mattei, à l’école doctorale, à l’UMR CNRS LISA, à Sebastien Quenot et Jean-Guy Talamoni.

[42] Antoine Massoni, Les Musiques de...

Antoine Massoni, Les Musiques de Corse, Chants, instruments et danses, Tradition vivante, chap. Le rituel religieux, Ajaccio, Editions Alain Piazzola, 2006, p. 93.

[43] Cf. Dominique Verdoni, A Settimana...

Cf. Dominique Verdoni, A Settimana Santa in Corsica, Ajaccio, Albiana, 2003.

[44] Cf. Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio...

Cf. Jean-Claude Rogliano, Mal’concilio, Éditions Clémentine, 2018, p. 7.
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