Avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble important de donner deux ou trois précisions conceptuelles puisque je peux tout à fait concevoir que cette mise en parallèle entre Napoléon et le Christ puisse paraître aberrante voire choquante.
Premièrement, il est très important de savoir qu’il ne s’agit pas ici d’une comparaison mais d’une analogie au sens kantien du terme. Kant dans ses Prolégomènes à une métaphysique future, en donne une définition très précise : il nous explique qu’une analogie n’est pas une mise en rapport qui résulterait d’une simple comparaison justement et qui conclurait ainsi artificiellement à une identité. Le raisonnement par analogie établit une égalité de rapport entre deux choses qui peuvent être dissemblables voire opposées. Dans cet ouvrage, je n’ai pas effectué un listing de points communs qui m’auraient permis de plaquer grossièrement l’image napoléonienne sur l’image christique mais je m’y suis efforcée de tracer des ponts, non pas entre ce qui est le Même mais entre ce qui est Autre.
Deuxièmement, il y a dans l’idée que l’on se fait de Napoléon et Jésus un manichéisme poussé à l’extrême qui, me semble-t-il, mérite d’être nuancé. On peut avoir de Napoléon une vision très noire : Napoléon c’est, il est vrai, les guerres, un régime autoritaire, le regrettable rétablissement de l’esclavage qui, même s’il l’a assez vite aboli pendant les Cents jours, entache son règne de façon indélébile et qu’il convient, bien évidemment, de prendre en compte. Mais Napoléon c’est aussi l’esprit des Lumières, la fin des privilèges avec la mise en place d’un système méritocratique, des avancées politiques et sociales avec le Code Civil, la liberté religieuse avec le Concordat, l’avènement d’un Etat de droit – la France est à l’époque un des seuls pays à être doté d’un Etat de droit, etc… Napoléon a donc incontestablement sa part d’ombre mais il a tout aussi incontestablement sa part de lumière et de grandeur. Quant à Jésus, nous en avons aujourd’hui une vision très aseptisée. L’historien Jean-Christian Petitfils, qui en a écrit une très belle biographie, nous rappelle avec pertinence que Jésus n’est pas le doux missionnaire qui ne serait que paix et amour en toute circonstance. Et en effet, lorsqu’on lit les textes évangéliques, on constate que le Christ est le Fils de Dieu certes, mais que c’est aussi un homme qui crie, qui invective, qui voue aux gémonies les personnes refusant d’entendre sa parole, qui peut faire preuve d’une forme de violence verbale donc, mais également physique – tout le monde connait l’épisode où il chasse les marchands du temple. Il dira, par ailleurs, qu’il n’est pas venu apporter la paix mais le glaive et, en effet, lorsqu’on lit attentivement les textes évangéliques, il y a une dimension martiale qui s’en dégage (même si celle-ci, il est vrai n’est pas la plus saillante, elle est bel et bien présente). Le Christ se pose comme un soldat de Dieu et cela certainement parce qu’il avait conscience que l’avènement d’une nouvelle vision de la religion n’allait pas de soi et qu’il fallait parfois se battre pour l’imposer et lui conférer ainsi toute son effectivité par l’adhésion du peuple, ce qui n’était pas chose aisée. À l’époque le peuple juif était très attaché à la loi hébraïque qu’il suivait à la lettre et le Christ constituait précisément un grand bouleversement dans ces modalités d’application : Ex. « Le Shabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Shabbat » ce qui heurtait véritablement les consciences. D’où la nécessité de recourir, parfois, à une forme de persuasion un peu « musclée »…
Troisièmement, il y a souvent une méconnaissance de ce qu’est véritablement un messie. Le terme « Messie » vient de l’hébreu « Massiah » qui signifie « celui qui a été oint ». C’est une personne consacrée par l’onction, onction que l’on retrouve originairement dans le Nouveau Testament avec le rituel baptismal et qui se perpétuera par la suite avec le sacre des rois.
Dans la tradition judéo-chrétienne, le messie est un personnage clef puisque pour les Juifs, il est le Libérateur d’Israël, celui qui viendra instaurer le Royaume de Dieu sur la terre et que, pour les chrétiens, le messie, c’est Jésus-Christ.
[1] L’auteure Marie-Paule Raffaelli-Pasquini a publié Napoléon et Jésus, les éditions du Cerf, 2021.