Le PSNS n’est pas isolé sur cette position dans le Liban d’aujourd’hui. Il est rejoint par un courant consensuel comprenant des musulmans de divers rites aspirant à abolir le multiconfessionnalisme qui caractérise aujourd’hui les institutions libanaises et le remplacer par une laïcité de l’Etat et du droit, dans un pays désormais majoritairement musulman sur le plan démographique.
À condition de ne pas sombrer dans l’intégrisme, l’islam est une religion qui prône la tolérance, un certain nombre de versets coraniques l’atteste. Des représentants d’associations des musulmans de France prétendent que l’islam peut se satisfaire, en tous cas s’accommoder, du principe de laïcité, même dans l’exigeante conception française. Mais reconnaître la liberté religieuse en France compromet en réalité la neutralité de l’Etat. Quand l’on sait que dans de nombreux pays européens ou encore dans un pays comme le Liban, décliner son appartenance religieuse, il y a encore quelques années, constituait un élément d’identification personnelle, on peut se demander si la laïcité n’est pas la solution ou le moyen pour le croyant de vivre pleinement sa religion, en tous cas, de limiter les conflits de cultures et éviter les pièges du communautarisme.
Une société multiconfessionnelle est une société dans laquelle existe l’attachement à plusieurs religions et le confessionnalisme est l’attachement à une confession religieuse. Défini dans les dictionnaires d’aujourd’hui comme le « système politique du Liban qui répartit entre les différentes confessions (maronite, sunnite, chiite, orthodoxe) les sièges au Parlement et les postes dans les grandes fonctions publiques », il fait du Liban le pays modèle du confessionnalisme. Le corollaire du confessionnalisme est le communautarisme, mot que l’on emploie beaucoup plus aujourd’hui en France qu’au Liban alors que ce concept a bien plus de réalité que chez nous. Le Littré ne mentionne aucunement le mot « communautarisme ». Le terme est donc récent et voici les deux sens que donne le Petit Larousse : premièrement, « tendance du multiculturalisme américain qui met l’accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.) » ; deuxièmement, « toute conception faisant prévaloir l’organisation de la société en communautés sur l’exigence d’assimilation des individus selon des règles et un modèle équivalents pour tous ».
Si l’on suit les propos de Didier Motchane, on peut se permettre d’affirmer que la laïcité est « une chance française » pour l’islam, n’en déplaise à al-Mawdudi, farouche opposant de la laïcité et pour lequel il est impératif non seulement de revenir aux sources premières de l’islam, mais encore de transformer le pouvoir politique en théocratie. L’exemple du Pakistan, dont le régime politique a sombré dans le radicalisme le plus total à la mort du Président Ali Bhutto en 1979, et le fait d’être passé du hanafisme au hanbalisme, autrement dit, de basculer de l’école la plus libérale à la plus radicale, ne peut que conforter l’idée que la laïcité reste une solution. On se souvient qu’à l’avènement du généralat de Zia-ul-Haq, une réislamisation du pays a été opérée, avec notamment une ordonnance définissant la qualité de musulman et de non-musulman et nommant les « minorités religieuses ».
Or, la laïcité limite l’instrumentalisation des religions et l’éclosion de ce que Georges Corm appelle des « nationalismes civilisationnels », et elle facilite le « cosmopolitisme », c’est-à-dire la fréquentation de tous les habitants du monde, que ce même auteur oppose au « multiculturalisme », défini comme un repli des communautés sur elles-mêmes.
Longtemps, le statut personnel musulman a été considéré comme incompatible avec la citoyenneté française alors même que d’autres statuts personnels de communautés autochtones des territoires coloniaux ont été considérés comme compatibles. Pour devenir citoyen français, il fallait renoncer audit statut personnel. C’est ce qui a constitué pendant longtemps un obstacle à l’intégration des populations musulmanes. Ce n’est qu’à la fin de la période coloniale, sous la IVe République, que le statut personnel musulman a été reconnu comme compatible avec la citoyenneté française.
La France étant un Etat laïque, il va sans dire qu’un droit à fondement religieux, musulman, canonique ou autre ne peut être appliqué. Pourtant, l’histoire de France a montré que le droit colonial français acceptait que certains de ses ressortissants relèvent, pour le droit privé, d’un statut personnel musulman. Il était appliqué en Algérie, dans les protectorats de Tunisie et du Maroc, dans les colonies d’Afrique occidentale et équatoriale, sur les côtes françaises des Somalie, à Madagascar et dépendances, dans l’Ile de La Réunion, dans les comptoirs de l’Inde… Dans tous ces territoires, ceux qui relevaient d’un statut personnel musulman se voyaient appliquer le droit musulman traditionnel du territoire et relevaient de juridictions coutumières. Jusqu’en 2011, le seul territoire français où le droit musulman était encore de droit positif était la Collectivité territoriale spécifique de Mayotte, partie restée française de l’archipel des Comores. Ce qui signifie que les habitants de Mayotte, qui avaient opté pour le maintien dans la République, bénéficiaient du statut personnel musulman. Depuis 2011, Mayotte est devenue département français.
Malgré cela, le droit musulman ne fait pas partie de l’ordonnancement juridique français, fondamentalement laïque, lequel ne distingue pas les Français musulmans des autres musulmans.
C’est pourquoi, certaines institutions du droit musulman comme la polygamie sont même réprimées par le droit français et la référence au droit musulman ne pourrait certainement pas être invoquée dans le cadre d’une procédure pénale. Les musulmans français représentent environ trois millions de personnes réparties entre les harkis et leurs descendants, les enfants nés en France de parents algériens en vertu du « double droit du sol », les musulmans naturalisés français et enfin les musulmans nés en France (droit du sol). Les musulmans étrangers, soit environ deux millions de personnes, sont les Maghrébins, en majorité, mais encore, les Africains subsahariens, les Moyen-Orientaux et les Asiatiques.
Mais les règles du droit international privé, et spécialement certaines conventions signées par la France avec des pays dans lesquels le droit musulman, s’appliquent directement ou constituent le fondement de la législation du pays en matière de droit privé (particulièrement en ce qui concerne le droit des personnes et de la famille : mariage, autorité parentale, successions, etc.) et conduisent les autorités françaises, mais aussi les juridictions, à appliquer des dispositions relevant du droit musulman, sur le territoire français, qu’il soit ultramarin ou métropolitain. Par exemple, les juridictions françaises peuvent être amenées à appliquer une législation inspirée par le droit musulman dans le cadre de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981. En d’autres termes, c’est le statut personnel marocain qui s’applique. Pourtant modifié en octobre 2003, celui-ci autorise encore la polygamie et la répudiation par le mari, bien qu’il les soumette à des conditions extrêmement strictes. Concrètement, une Marocaine mariée à un Marocain ne peut, même si elle est domiciliée en France, demander la séparation de corps car c’est une notion inconnue du droit marocain. À noter que l’application de cette convention doit se faire dans le cadre du respect de certains principes, tels que celui qui veut que les procédures soient contradictoires.
Le concept de laïcité à la française doit beaucoup à la confrontation de l’Église catholique dominante en France sous l’Ancien Régime et de l’idéologie de la Révolution, ravivée après 1870, au moment de l’enracinement de la République dont les partis de gauche ont été les artisans face à l’Église et les partis de droite. Malgré des accommodements, tels que le statut de l’Alsace-Lorraine après la Première Guerre mondiale et diverses lois favorables à l’enseignement privé sous les IVe et Ve République, c’est une notion qui reste extrêmement sensible et plus que jamais de nos jours en raison de la montée en puissance de l’islam, pratiquement inexistant en métropole au début du XXe siècle et qui est aujourd’hui la deuxième religion de France. Si l’on se réfère à la définition donnée à la laïcité par Claude Durand-Prinborgne, à savoir, « la séparation de la société civile de la société religieuse », les fondements mêmes de l’islam semblent être aux antipodes du principe de base de la laïcité.