Mme Wanda MASTOR (Professeure de droit public),
Wanda Mastor, je suis professeure de droit public et spécialiste de droit constitutionnel. Je suis Corse aussi, donc on a un peu souri quand vous avez parlé de jacobinisme, de politique d’assimilation, notamment linguistique, parce que c’est ce que nous vivons tous ici au quotidien. Justement, je n’en parlerai pas. Je laisse d’autres amis bien plus spécialistes que moi de la question en parler. Et aussi, en tant que constitutionnaliste, vous avez raison, la Constitution de 58 qui porte l’héritage colonial, ça, c’est évident et c’est même très difficile d’ailleurs de l’expliquer à l’étranger, tellement ça semble complètement incroyable. Je n’entre pas dans ces détails. Je voulais juste faire une remarque. Ce qui me fait très plaisir, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes dans le public aujourd’hui. Monsieur Stora est aussi connu pour être extrêmement pédagogue, très clair, et je suis heureuse qu’il y ait autant de jeunes ici présents.
J’ai une remarque à faire parce que c’est vous qui l’avez initiée et puis c’est un lien à la jeunesse. J’ai une question un peu redoutable et qui est en lien avec la bataille culturelle. La remarque, c’est parce que vous avez dit à un moment donné qu’il fallait qu’on réfléchisse un peu plus sur la responsabilité des élites. Moi, je travaille beaucoup sur ce thème, pour la question de la « terminaison » – le mot est horrible mais je fais exprès de le traduire ainsi – des native americans aux États-Unis. Vous avez dit qu’il fallait davantage réfléchir sur le consentement et c’est vrai que ça – c’est la juriste qui parle –, c’est la responsabilité morale. Vous, historiens, vous y travaillez beaucoup mais effectivement, il faudrait plus se pencher sur la question de la réparation comme on l’a fait nous, pour la Shoah par exemple, évidemment, mais tardivement, beaucoup trop tardivement.
Quand je vous écoutais, je voulais vous dire, je ne sais pas si vous avez encore des étudiants de première année, mais le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, il faut savoir que dans les facultés de droit, les étudiants n’en ont jamais entendu parler. Idem pour Henry David Thoreau aux États-Unis sur la désobéissance civile. Les discours de Martin Luther King, à la limite, ils ont la fiche, mais ils ne connaissent pas tout ça, c’est en lien avec ce que vous disiez, puisque tous ces auteurs, au prix d’un anachronisme bien sûr, ont dit à un moment donné « le monstre, qu’il soit esclavagiste et après colonisateur ou ségrégationniste », je parle de la ségrégation raciale, en gros, je schématise pour les étudiants ici présents, « il suffit de décapiter le monstre ». Et pour décapiter le monstre, ça, c’est l’image de la Boétie, il ne faut peut-être pas le servir. Sauf que souvent, je le dis à mes étudiants, mais c’est trop cruel de dire ça à un peuple. En revanche, les élites, elles, savaient. Ou étaient peut-être plus à même de… Henry David Thoreau, par exemple, il décide de ne pas payer ses impôts. Comme ça, il dit : « en ne payant pas mes impôts, je ne paye pas l’esclavage et je ne paye pas la guerre au Mexique et d’autres choses ». Ça, c’était la première réflexion, parce que c’est quelque chose que j’ai du mal à creuser. Je suis en train de le faire pour les États Unis, mais effectivement, en France, je trouve qu’on a beaucoup de mal de toute façon avec la rédemption de manière générale, mais je n’ai pas le temps d’en parler.
Ma question est beaucoup plus précise et je suis presque gênée de vous la poser, parce que pour la guerre d’Algérie, j’ai la prétention, la faiblesse plutôt, de faire de la science molle, en droit, et donc je ne peux que faire une confiance aveugle à mes amis historiens. Moi, je fais beaucoup d’histoire constitutionnelle, évidemment, mais je ne suis pas historienne. Et sur la guerre d’Algérie, il se trouve que c’est une histoire qui me touche personnellement. J’ai beaucoup de mal, parce que j’essaye de tout lire, notamment tout ce que vous avez écrit. Ça, c’est une évidence, c’est un minimum quand on est scientifique. Mais aussi les livres que vous préfacez. Dès qu’il est sorti, j’ai donc lu Ni valise ni cercueil de Pierre Daum, puisque vous en avez fait la préface. Vraiment, quand j’ai fini le livre, j’ai dit « Mais définitivement, cette guerre est une abomination », parce qu’on sait qu’elle s’est basée sur plusieurs mensonges et parce que nous avons beaucoup de mal à… là, je parle vraiment en tant qu’universitaire. Je me dis « Si moi, je n’arrive pas à la comprendre », c’est quand même mon métier de lire, vous voyez ? Vraiment, quand j’ai fini ce livre, j’étais extraordinairement perturbée. Pour les étudiants ici présents, c’est sur les pieds-noirs qui ont décidé de rester en Algérie.
Si vous voulez, tant qu’il y a des chiffres, « tant de pieds-noirs ont décidé de rester, etc… » Mais il y a quand même une partie du livre qui m’a beaucoup gênée parce qu’il y avait un quasi-angélisme sur « Ils étaient très heureux, ils pouvaient rester facilement ». Et je lis d’autres choses évidemment qui sont… Et c’est ça qui me gêne, c’est que je me dis « Moi, je ne suis pas spécialiste de la guerre d’Algérie ». Pour l’histoire, je travaille sur d’autres thèmes. J’ai beaucoup travaillé sur l’histoire et la mémoire de la Shoah. En gros, j’ai fermé ce livre et je me suis dit « Mais c’est quand même très compliqué ». C’est très compliqué encore de parler de la guerre d’Algérie. C’est très compliqué de savoir ce qu’il faut lire, ce qu’il ne faut pas lire. Je ne vous dis pas que je n’ai pas cru ce que j’ai lu. On se comprend, j’imagine. Sur ce goût de doute et de douleur, quand même… Merci. Pardon, j’ai été trop longue.