Éditorial

La question de la laïcité est dans de nombreux pays d’une actualité incandescente. On sait que les diverses formes de laïcité doivent beaucoup aux débats qui marquèrent l’âge des Lumières. Or, les Lumières ne furent pas toutes identiques, même si les auteurs emblématiques des différentes nations étaient en relation. Il a été observé par exemple que les Lumières italiennes furent moins antireligieuses que les françaises. L’historien Paul Hazard observait : « On voit chez elle [l’Italie] peu d’esprits absolus, et on y chercherait en vain l’équivalent du baron d’Holbach, elle n’éprouve pas le besoin d’abolir sa religion ancestrale… »1Paul Hazard, La pensée européenne au XVIIIe siècle, 2019, Librorium Editions (1946 Boivin et Cie), p. 494.. Aussi, la laïcité italienne se limite-t-elle aujourd’hui encore à la séparation entre l’ordre politique et l’ordre ecclésial, ainsi qu’à assurer la liberté de conscience et de culte, sans volonté d’éjecter le fait religieux de la société. Si la Cour constitutionnelle italienne a formellement reconnu le principe de laïcité, le Conseil d’État a refusé de faire retirer les crucifix des salles de classe.

En revanche, la laïcité française trouve son origine dans des Lumières dominées par un fort anticléricalisme. Aujourd’hui, ses défenseurs la présentent volontiers comme une « laïcité de combat ». Toutefois, ce modèle français ne fait pas l’unanimité et est parfois contesté en France même.

Autre exemple, la Corse. Au moment des Lumières, elle était dans le monde culturel italien, puis elle a reçu l’influence de la laïcité française dont les textes juridiques se sont imposés à elle. Toutefois, dans l’île, la pratique en la matière s’écarte souvent des textes de loi. On pourrait citer ici le rituel auquel nous assistons tous les ans, lorsque le maire d’Ajaccio et les autres élus municipaux renouvellent, au titre de leurs fonctions, les vœux prononcés par leurs lointains prédécesseurs du XVIIe siècle confiant la protection de la ville à Notre Dame de la Miséricorde !

Aujourd’hui, la laïcité en Corse semble se situer quelque part entre la laïcité à la française et la laicità à l’italienne.

Les trois exemples que nous venons d’exposer nous paraissent caractéristiques des débats qui agitent de nos jours les pays occidentaux. Mais bien d’autres régions du monde sont concernées. Dans certains pays musulmans comme le Maroc, on observe une aspiration à la laïcité2Karkbi, Badr. « La question laïque au Maroc : religion majoritaire, revendications minoritaires », Confluences Méditerranée, vol. 114, no. 3, 2020, pp. 85-95.. L’article 2 de la Constitution égyptienne de 1971 a cependant été conservé dans celle de 2014 : « L’islam est la religion de l’État. L’arabe est sa langue officielle. Les principes de la charia islamique sont la source principale de la législation ». Quant à la Turquie, sa laïcisation précoce par Mustafa Kemal est aujourd’hui remise en question. En Inde également, beaucoup considèrent que la laïcité est menacée par la politique du premier ministre Narendra Modi3Voir notamment l’éditorial du journal Le Monde en date du 17 décembre 2019, « Menace sur la laïcité indienne », https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/17/menace-sur-la-laicite-indienne_6023163_3232.html… 

Cette diversité des religions et des laïcités à travers le monde a été largement explorée au cours du colloque d’octobre dernier à Corte, que nous avons eu l’honneur de coordonner avec Sébastien Quenot. À cette occasion, la table ronde n’a pas seulement réuni de grands témoins, mais des acteurs de premier plan : le Cardinal et évêque de Corse, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, un ancien Grand Maître du Grand Orient de France… Ce dialogue instauré au plus haut niveau de responsabilité a donné lieu à des échanges passionnants que nous partageons dans le présent numéro de Lumi.

Par ailleurs, un focus a été fait sur le cas de la Corse, lequel apparaît comme tout à fait singulier, s’agissant tant du domaine de la religiosité populaire que de celui de la laïcité…

D’une certaine manière, ce colloque d’octobre a constitué une première esquisse du congrès de décembre à Ajaccio, organisé par l’Église de Corse, dont la conclusion a été prononcée par le pape François. À cette manifestation de dimension historique, l’Université de Corse et l’UMR Lisa étaient d’ailleurs, tout naturellement, représentées.

Ainsi, cette livraison de Lumi a vocation à s’insérer dans une démarche scientifique de longue haleine, aux enjeux à la fois culturels, politiques et sociétaux.

Résumé

[1] Paul Hazard, La pensée européenne...

Paul Hazard, La pensée européenne au XVIIIe siècle, 2019, Librorium Editions (1946 Boivin et Cie), p. 494.

[2] Karkbi, Badr. « La question laïque...

Karkbi, Badr. « La question laïque au Maroc : religion majoritaire, revendications minoritaires », Confluences Méditerranée, vol. 114, no. 3, 2020, pp. 85-95.

[3] Voir notamment l’éditorial du...

Voir notamment l’éditorial du journal Le Monde en date du 17 décembre 2019, « Menace sur la laïcité indienne », https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/17/menace-sur-la-laicite-indienne_6023163_3232.html

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