La « séquence Corse » du film Napoléon vu par Abel Gance

            Napoléon cumule la particularité d’être un personnage historique exceptionnel devenu un mythe universel toujours actif, capable de susciter de grandes images collectives et d’intenses mythologies personnelles ; il ne pouvait devenir qu’un sujet de choix pour l’art cinématographique.

Ainsi, occupe-t-il la première place des personnages historiques interprétés à l’écran (plus de mille films[1]).

Ces fictions cinématographiques sont particulièrement révélatrices de l’évolution du mythe napoléonien, des diverses stratégies destinées à en tirer parti, à le récupérer, à le désamorcer, en fonction des enjeux du moment.

En 1923, en établissant son premier budget pour « le plus grand film des temps modernes », Abel Gance affirmait vouloir relever le défi abandonné par D. W. Griffith[2] de mener à bien un film sur Napoléon.

Pour Abel Gance, qui tenta de s’imposer sur l’immense marché américain, le sujet napoléonien semblait bien convenir pour produire une œuvre grandiose et novatrice.

Même si le rêve américain s’effondra, Napoléon vu par Abel Gance marqua indéniablement le cinéma dès l’accueil triomphal de sa version muette et abrégée, lors de la Première[3] à l’Opéra de Paris en avril 1927.

Ce film-évènement devint la référence obligée ; et il fixa des cadres qui restèrent bien longtemps inamovibles. L’actuel engouement suscité par sa reconstruction et sa restauration confirme son statut exceptionnel.

1. Commémorations napoléoniennes et roman national.

            Le Napoléon du film d’Abel Gance s’inscrit dans le contexte particulier de la IIIe République. Il fut la sublimation du célèbre « petit caporal », élément central du roman national destiné, dans un premier temps, à soutenir le redressement de la France après la défaite de 1870 face à la Prusse.

a) Galvaniser l’effort des Français et soutenir la Revanche

Au théâtre, après la présentation du Napoléon humain et populaire de Madame Sans-Gêne (1893), L’Aiglon (1900) d’Edmond Rostand s’impose comme un autre succès considérable. Dans son Napoléon II, Jean Tulard indique que, « si les spectateurs applaudissent l’Aiglon, c’est qu’ils pensent à l’Alsace-Lorraine ».

En effet, la IIIe République, tout en prenant soin d’étouffer le mouvement bonapartiste[4] a préparé la Revanche en élaborant un récit national centré sur la mise en exergue d’un Napoléon génie militaire certes ambigu, mais brisant tout particulièrement la Prusse à Iéna. L’élaboration de cette Figure de guerrier invincible participa grandement à la « fabrique du consentement » des populations à la guerre. La génération qui luttera dans les tranchées durant la guerre 14-18 a été bercée par une sorte d’idolâtrie de la puissance française en Europe lors des années consulaires et impériales. Même si l’aspect épique fait défaut, la bataille de Verdun fut placée dans la suite glorieuse de Iéna, l’Allemagne de Guillaume II étant systématiquement comparée à la Prusse de 1806. Et les héros de l’Empire furent associés aux Poilus et au maréchal Foch.

Après l’armistice de 1918, le centenaire de la mort de Napoléon[5] (1921) présenté comme l’inspirateur et le « professeur d’énergie » (Barrès) des vainqueurs, fut fêté dans un véritable délire populaire. Le discours du maréchal Foch aux Invalides consacra la stature exceptionnelle, unique, de Napoléon dans l’Histoire de la France.

Dans ce contexte, Elie Faure pourra publier un Napoléon (1921) imposant l’image du surhomme héroïque marqué par le romantisme, et égalant les demi-dieux antiques libérateurs et terribles. Il est le prophète des temps modernes.

b) Evolutions et nouveau contexte

Cette image du Héros vainqueur va rapidement se dégrader. Deux courants politiques puissants vont contester la glorification dont bénéficie Napoléon : le Parti communiste et l’Action française. Pour les communistes, il mit un terme au processus révolutionnaire et à l’émancipation des classes laborieuses, en assurant par la force et la tyrannie le pouvoir de la nouvelle élite bourgeoise. De son côté, le mouvement monarchiste reproche à Napoléon d’avoir brisé la lente et progressive construction de l’Etat par les rois de France[6], Louis XIV en particulier, et d’être à l’origine de la constitution de l’unité allemande et du déclin de la France. Napoléon serait donc le responsable originel de la guerre de 14-18. Cet argumentaire sera bien synthétisé dans l’opuscule de Charles Maurras, Napoléon avec la France ou contre la France ?

Ces critiques reçoivent de plus en plus d’échos favorables en cette période d’après-guerre. L’heure est à l’envie folle de vivre, à la reconstruction, aux espoirs d’un futur meilleur, et l’image de Napoléon reste trop associée au souvenir des effroyables sacrifices consentis (1,4 millions de morts et 4 millions de blessés pour la France).

Pourtant, malgré les circonstances de victoire assouvie, de paix et d’oubli de la guerre, la volonté de rendre impossible un nouveau conflit dans une conjoncture s’annonçant peu rassurante[7], permet de comprendre pourquoi le Napoléon invincible chef de guerre adulé de ses soldats-citoyens, continuateur de la Révolution émancipatrice, est encore célébré.

Incontestablement, cette image de Napoléon sera magistralement réalisée cinématographiquement par Abel Gance soutenue par l’ardente interprétation d’Albert Dieudonné.

2. Abel Gance cinéaste

Cinéaste atypique, Abel Gance, comme D.W. Griffith, Carl Theodor Dreyer et Fritz Lang, s’impose comme un pionnier qui fut attentif aux créations du cinéma expressionniste allemand et à ses évolutions. Il saura élaborer de nouveaux procédés visuels, des innovations associées à de nouvelles méthodes techniques époustouflantes capables de « faire éclater l’écran ». En les coordonnant au choix détaillé des décors, des visages, en faisant appel à des amateurs, il impose un style visuel capable de s’adresser à l’imaginaire des foules.

Car Abel Gance recherche par-dessus tout à transformer le spectateur passif en acteur de l’histoire, à le faire participer à l’action des héros[8]. Il échouera[9], mais il laisse toujours entrevoir ce que le cinéma aurait pu devenir.

Son influence fut énorme, et les cinéastes soviétiques comme américains étudieront ses œuvres devenues sources d’inspiration, en particulier J’accuse, La Roue, et évidemment Napoléon.

Gance ne s’engagea pas dans la réalisation d’un tel sujet par simple calcul. Il fut véritablement fasciné par la question napoléonienne[10]. Le réalisateur allemand, Lupu-Pick, reprendra même un de ses scénarios pour son film La fin de Napoléon à Sainte-Hélène (1929), où Werner Krauss joue un magnifique et complexe Napoléon.

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a) Napoléon vu par Abel Gance

Le chef-d’œuvre du cinéma muet d’Abel Gance pourrait s’intituler « Napoléon Bonaparte »[11], car il présente la jeunesse, la Révolution et les premiers évènements de la campagne d’Italie jusqu’au 16 avril 1796. Gance avait prévu cinq autres parties : « D’Arcole à Marengo », « Du 18-Brumaire à Austerlitz », « D’Austerlitz aux Cent-Jours », « Waterloo », et « Sainte-Hélène ». Il pourra tourner les trois premiers épisodes.

 

b) Les sources historiques et l’objectif du film

Pour étayer le renouvellement de cette page de l’histoire nationale, et pour parer aux inévitables critiques, Gance ne va pas se contenter de faire appel à des conseillers, mais il va mener lui-même, avec l’aide de son documentaliste William Delafontaine, des recherches consciencieuses et approfondies. Il veut atteindre une « exactitude historique sans faille ». Il annote en particulier les ouvrages d’Arthur Chuquet et de Frédéric Masson reconnu comme le plus grand historien napoléonien de cette époque.

Friand d’anecdotes destinées à soutenir son récit, Abel Gance va lire le Napoléon de Lacour-Gayet, préfacé par le maréchal Joffre, et l’Itinéraire général d’Alfred Schuermans qui s’appuie sur des témoignages, des mémoires et des études, pour suivre pas à pas, au jour le jour, l’existence de Napoléon.

Pour élargir ses investigations, il consulte Napoléon intime d’Arthur-Lévy, et l’ouvrage d’Olivier des Armoises Avant la Gloire.

De même, les dix volumes des Mémoires de Bourrienne, pourtant si suspectes, lui permettent d’enrichir son scénario d’anecdotes. Il y trouve la séquence fameuse qui ouvre le film : la bataille de boules de neige entre camarades de l’école militaire.

Pour comprendre le sens des évènements révolutionnaires auxquels Napoléon Bonaparte sera mêlé, Gance va consulter, outre Chuquet et Masson, l’Histoire de France de Bainville, les ouvrages de Madelin, et ceux de l’historien titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution à la Sorbonne, Alphonse Aulard.

Parmi le grand nombre de mémoires qu’il consulte, citons ceux de la duchesse d’Abrantès, et de Chateaubriand. Il fait souvent référence à Stendhal, à Alexandre Dumas, et au Culte des héros de Carlyle.

Pour décrire le maelström de la Révolution et le bouillonnement de la Convention, il va s’inspirer de Quatrevingt-treize de Victor Hugo[12].

 

c) Sens : « une force qui va »

Abel Gance cherche à rendre sa force et son énergie première au mythe. Ainsi que le souligne Georges Mourier, le Napoléon d’Abel Gance est « une force qui va plus qu’un personnage historique ». Le cinéaste anime par sa virtuosité les images d’Epinal, il happe le spectateur et le projette dans l’époque révolutionnaire, le propulse dans ce torrent d’exaltation libératrice des armées de la République en Italie, et lui permet de s’identifier avec les acteurs de cet immense mouvement qui bouleversa l’Europe et le monde. Il veut redonner vigueur à l’élan dynamique vécu à l’époque.

S’il concentre ses efforts sur la restitution de l’énergie d’un moment historique, Abel Gance ne peut mettre en avant la formation politique et morale du personnage. Prime le Héros instrument de l’Histoire en marche. Il la canalise, il incarne ce souffle quasi métaphysique.

Abel Gance arrive ainsi à capturer le courant électrique de cette force paroxystique, et à la restituer dans « la musique de lumière » de visions fulgurantes. Les spectateurs doivent oublier leur propre substance, et rouler dans les vagues du Destin, dans les mouvements stellaires (« regarde mon étoile ! »).

Le Napoléon selon Abel Gance est une formidable réussite qui ne s’intéresse pas à la réalité du personnage Napoléon, mais au souffle épique de la Révolution qui se concentra dans ce Héros.

La « séquence corse » s’intègre d’une part dans les impératifs du roman national tel qu’il évoluait après la Victoire de 14-18, et d’autre part dans la volonté du cinéaste de rendre de nouveau vivant le souffle énergique de l’épopée napoléonienne issue de la Révolution. Dans ce contexte, quelle place Abel Gance donne-t-il au rapport de Napoléon à la Corse ?

 

3. La séquence corse du film

 

            La Première partie du film, intitulée « La jeunesse de Napoléon. Brienne, décembre 1793 », est divisée en trois parties : « L’arroseur », « La vengeance de Pozzo di Borgo », « En Corse ».

 

a) Le rapport de Napoléon à la Corse

            Contrairement aux récits qui oublient radicalement le rapport à l’île natale, Gance met en valeur un Napoléon marqué par des traits de caractère attribués aux Corses, des attitudes, son accent corse[13], ce qui fait sa différence.

L’élément-clef du rapport historique du jeune Bonaparte à la Corse réside, pour le metteur en scène, dans l’épisode de la rupture avec Pascal Paoli[14].

Abel Gance sublime les interprétations communément admises que nous retrouvons appuyées par les images littéraires de la nouvelle de Maupassant, « Une page d’histoire inédite » (1880).

Nadine Satiat résume avec pertinence le récit : « “Une page d’histoire inédite” racontait comment le jeune Bonaparte avait échappé de justesse aux sbires du général Paoli, gouverneur monarchiste de l’île, qu’il voulut, en 1793, empêcher de livrer la Corse aux Anglais »[15]. Paoli devenu « gouverneur monarchiste » et « royaliste dévoué, qui haïssait la Révolution », est cantonné au rôle de l’homme d’Ancien Régime, odieux traître livrant la Corse à l’Angleterre, avec l’aide « des principaux chefs corses, tous ennemis des idées républicaines ». Jeune officier formé aux « idées nouvelles » en France, étranger à son île natale, Bonaparte lutte pour faire évoluer « ce pays toujours sauvage ». Le personnage est dépouillé de tout ce qui le rattache à l’histoire de la Corse et très significativement un partisan corse cherche à l’abattre en s’écriant « Mort au traître à la patrie ! ». Enveloppé du drapeau tricolore, il ne doit son salut qu’à un navire français qui le recueille avec sa famille et le « ramena » dans sa véritable « mère patrie »…

Le récit de Maupassant contient tous les éléments qui structurent, dans le film, le conflit opposant le jeune Napoléon à Pascal Paoli. Il clarifie les antagonismes et il en schématise les enjeux.

 

b) Le choix des acteurs

            Les préférences ou les rejets de personnages historiques sont aussi nettement exprimés par le choix des acteurs. Lorsqu’il sera question des responsables révolutionnaires, Abel Gance montrera sa préférence pour Danton (Alexandre Koubitzky), plutôt que pour Robespierre (Van Daele) ou pour Marat (Antonin Artaud).

Enfant, Bonaparte est joué par l’émouvant Vladimir Roudenko. Et avec l’inoubliable Albert Dieudonné, Abel Gance sublime Bonaparte de Brienne à la campagne d’Italie.

Maurice Schutz interprète un « Pasquale Paoli » froid, hautain et calculateur. Il jouera admirablement Der Schlossherr (le châtelain) dans Vampyr (1932) de Carl Theodor Dreyer.

 

c) Le tournage du film à Ajaccio et dans sa région

Le tournage d’un film sur Napoléon, dans les lieux mêmes de sa naissance et de sa jeunesse, reçut des échos très positifs. Encore aujourd’hui, cette particularité est rappelée d’autant plus que l’œuvre d’Abel Gance restera longtemps l’unique film intégrant un épisode de l’histoire de la Corse (éloignée des sempiternelles histoires de bandits), et accordant un véritable rôle à Paoli, et de façon plus secondaire à Pozzo di Borgo, à Saliceti, comme à Letizia et à ses jeunes enfants.

Le projet cinématographique intégra donc de nombreux insulaires.  Participent à l’aventure Henri Andreani[16], réalisateur du film Le Siège de Calais, et l’écrivain Pierre Bonardi[17]. Un autre très proche ami d’Abel Gance, le préfet de Police Jean Chiappe[18], né à Ajaccio en 1878, accepta de tourner un bout d’essai pour le rôle de Napoléon âgé.

Henri Andreani et Pierre Bonardi vont se rendre à Ajaccio en mars 1925, afin d’obtenir des accords et un agrément officiel pour entreprendre le tournage du film.

La ville est alors animée par la campagne électorale, et les bonapartistes tentent de reconquérir la mairie qu’ils avaient récemment perdu, Ajaccio hormis quelques rares intermèdes étant resté depuis 1870 le dernier bastion bonapartiste sous la IIIe République. Les élections s’annoncent tendues. Le maire radical (PRC), Jérôme Peri, proposa que le tournage du film commence après les élections. Bonardi argumenta sur la diffusion mondiale du film, sur la glorification internationale de l’image de la Corse, d’Ajaccio, et le maire accepta[19].

En avril 1925, l’arrivée de l’équipe cinématographique enfiévra toute la région.

. L’ardeur des figurants
La presse va entretenir le bon contact entre l’équipe cinématographique, et les Ajacciens. Lorsqu’il est fait appel à des figurants « typés », « des hommes de préférence barbus », l’engouement fut tel que celui qui recevait les candidats[20], Constantin Geftman, évita difficilement l’échauffourée.

Malgré des conditions de tournage très dures auxquelles ils étaient soumis, les figurants participaient aux scènes si souvent reprises et rejouées avec une sorte de frénésie. Ils revivaient l’histoire. Ils redonnaient vie aux anonymes, aux membres du peuple.

Ainsi, un des figurants, Félix Guglielmi, était le petit-fils du berger de Bocognano[21] qui avait aidé Bonaparte. Trop âgé pour interpréter le rôle de son grand-père[22], il apparaît néanmoins dans les diverses scènes le concernant, reconnaissable à son imposante barbe blanche.

Avec la masse des figurants passionnés, les lieux sont investis par l’esprit du temps, les rues d’Ajaccio, la grotte où l’enfant Napoléon venait méditer, tout semble reprendre sens.

. Réincarnation
Lorsque, pour des prises de vue, Dieudonné parcourait les rues en uniforme (mais, pour suivre les directives de la préfecture, sans le fameux chapeau), il est raconté que l’effervescence le précédait, des foules le suivaient, elles réclamaient évidemment le port du bicorne (« Napoulione! Remets le chapeau ! »), les femmes âgées serraient les mains de l’acteur et les lui baisaient.

Une vive agitation gagnait irrésistiblement la population. Dieudonné raconte que lors de la préparation d’une scène, il avançait vêtu de son uniforme dans la campagne, lorsqu’au détour d’un chemin il rencontra un berger armé de son fusil : « Au bruit des sabots de mon cheval, il s’est retourné et est resté pétrifié. Il a ôté son chapeau et est demeuré là, me regardant fixement. Je lui ai fait un petit signe amical de la main et ai continué mon chemin. Je me suis retourné et il était là, toujours pétrifié, son chapeau toujours à la main. »

Une apparition… Comme si Nabuléo était de retour.

La population d’Ajaccio confectionne même des autels votifs où brulent parfois des cierges à la gloire du Héros sanctifié, associant toujours sans doute la célébration de l’Assomption/Assunta, à la saint Napoléon rappelant la naissance de l’Empereur le 15 août, rue Malerba. Sur ces autels érigés à des carrefours, dans des rues, se côtoient les images d’Epinal napoléoniennes, les objets naïfs ou plus élaborés qui trônaient dans toutes les maisons, souvent associés à de la diorite orbiculaire dite « Napoléonite » ou « Corsite », sur les manteaux des cheminées avec les photographies des êtres chers.

Des fêtes spontanées émaillent même les nuits. Ainsi, l’équipe cinématographique logée au Grand Hôtel, épuisée par les tournages, fut réveillée par un vacarme terrible venant de la rue, des coups de feu, des cris. Si Abel Gance et son équipe crurent à une émeute menée par des paolistes, l’immense foule rassemblée participait à une retraite aux flambeaux jusqu’à la grotte du Casone. Elle réclamait Dieudonné[23], lui enjoignant de revêtir son uniforme et de se joindre à eux. Malgré la fatigue, face à une telle ferveur, l’acteur ne put refuser. Il entonna lui aussi L’Ajaccienne un nombre incalculable de fois, et les réjouissances ne prirent fin qu’avec l’aube.

. Les lieux
En tournant sur place, en y choisissant des figurants, Abel Gance affirme vouloir serrer l’histoire au plus près. Il accorde une place éminente aux spécificités de l’île natale, aux lieux parcourus par le jeune Napoléon. Il veut donner tous les gages de l’authenticité : « Toutes les scènes, en Corse notamment, ont été prises dans les maisons et dans les sites exacts où les faits rigoureusement contrôlés se sont déroulés. »[24]

d) Napoléon Bonaparte versus Pasquale Paoli

Pour bâtir son récit, Abel Gance doit établir des choix dans le cadre qu’il a fixé : le rapport de Napoléon à l’île natale est soumis au conflit qui l’oppose à « Pasquale Paoli ».

Au-delà des éléments centraux constitués par l’affrontement direct des deux hommes au Quartier général de Paoli, et par la poursuite à cheval, toute une série d’actions et de remarques rappellent la dynamique de cette opposition.

Citons la scène concernant la propriété familiale des Bonaparte, les Milleli. Cette dernière était à l’époque dans un état d’abandon. Abel Gance y vit une belle chance. En effet, il fallait mettre l’accent sur l’assaut, le saccage et l’incendie de la maison par les paolistes. L’équipe cinématographique alluma un grand feu avec la végétation coupée pour défricher l’endroit, et tout un système de cordons imbibés d’essence permit de donner un aspect saisissant aux fenêtres qui s’enflammaient et au brasier qui gagnait l’intérieur de la maison.

De même, lors du fracas qui réveilla l’équipe cinématographique logée au Grand Hôtel, le commentaire évoque cet antagonisme alors qu’il ne s’agissait pas du tout de la réincarnation des ennemis de Napoléon. Il est malgré tout rappelé la période de rivalité : « comme si les partisans de Paoli se livraient à un saccage »[25].

Il s’agit, pour Abel Gance, de bien ancrer cette irréductible et impérissable opposition. Eduqué en France, le jeune officier va affronter le vieux chef corse dont il représente l’antinomie.

. L’enfance d’un chef
Le film, dans sa version actuellement connue, commence par l’école militaire et la bataille de boules de neige entre bons camarades. La formation du jeune homme, sa pensée, l’accomplissement de son imaginaire avec son aigle prophétique, tout s’élabore à Brienne.

. La vigueur atavique
Si le « génie » du Grand homme se forme à l’école militaire, il puise une énergie ancestrale en Corse. Abel Gance l’associe au héros légendaire du Moyen Âge anglais : « Robin Hood de la Corse contre Paoli, il va, comme le grand Armoricain, développer ses forces de résistance et de promptitude pour les mettre dès Toulon au service direct de la gloire. »[26]

Bonaparte le rebelle, le résistant soutenu par le « peuple » (le vieux berger), combat en 1793 Paoli et les responsables corses assimilés à un pouvoir nobiliaire illégitime issu de l’Ancien Régime.

. Le « représentant officiel de la France » révolutionnaire
La séquence corse débute le 15 octobre 1792, et l’intertitre projeté à l’écran[27] précise : « Bonaparte, qui n’est pas revenu en Corse depuis quelques années, arrive à Ajaccio avec sa sœur Elisa pour essayer d’y réveiller le sentiment national. »

Dès les premières images de l’épisode, les enjeux sont posés : « Ce n’est pas le temps de rire, Napoléon. Il faut à l’instant que tu apprennes l’affreuse vérité. » ; « Paoli, notre vieux et grand Paoli, notre vénéré père à tous, est en train de nous vendre aux Anglais. » ; « Moi, vivant, jamais la Corse ne deviendra anglaise. » ; « Bonaparte, représentant officiel de la France, vit bientôt s’éloigner de lui tous les habitants aveuglément attachés au vieux Paoli, “Le Père de la Patrie”, qui demandait la domination anglaise. » ; « Mort à Napoléon Bonaparte ! » ; « Notre patrie c’est la France !… Avec moi ! »

Décidé à affronter seul les conspirateurs, Napoléon mène une course frénétique jusqu’à leur Quartier général. Il s’empare du drapeau tricolore rappelant la légitimité du pouvoir, et il lance aux conjurés : « Je l’emporte, dit-il aux politiciens stupéfaits, il est trop grand pour vous ! »[28] Le drapeau enroulé autour de la taille, il reprend sa chevauchée vers la mer, monte à bord d’une barque, hisse le drapeau tricolore qui se gonfle et fait office de voile. Il crie à ses poursuivants s’agitant sur le rivage : « je vous le rapporterai ! » Il quitte ainsi l’île mortifère, et vogue « vers la mère patrie ».

. La scène spectaculaire de la poursuite à cheval
Gance tenait à donner à la fuite de Napoléon traqué par la troupe paoliste, un aspect remarquable. Une « vraie scène de western », mais magnifiée. Pour cela, il engagea des cosaques Djigit qui réalisèrent de véritables prouesses dans des endroits tourmentés grâce à leurs agiles et infatigables chevaux corses.

Le metteur en scène fit commencer la poursuite près d’Ajaccio, à l’auberge Stephanopoli. Elle devait correspondre au « Moulin du Roy », à Bocognano, duquel Napoléon prisonnier des paolistes arrivait à s’échapper en grimpant sur un toit, et en sautant sur la selle de son cheval (Dieudonné fut doublé par le cascadeur Pierre de Canolle). Puis, il part à bride abattue, pourchassé par les « gendarmes de Paoli ». Si la reconstitution des uniformes de la maréchaussée nous étonne, remarquons que ce choix accentue l’aspect épique avec les casques à crinière étincelants, et les vastes capes immaculées. Gance s’inspirait de la chevauchée terrifiante du Ku Klux Klan dans The Birth of a nation, et il souhaitait garder cette impression donnée par les cagoules surmontées d’un casque, et les larges tuniques blanches. Mais il voulait produire un effet encore supérieur, avec des combinaisons plus riches, une tension plus forte.

Restons à cheval. Celui de Dieudonné, prénommé Bijou, venait des écuries d’une maison close. Il exécutait parfaitement les essais, et se montrait imprévisible et dangereux durant les tournages. Dieudonné fut une fois contusionné au bras lorsque Bijou qui était passé au pas sous un olivier lors des répétitions, fonça sur l’arbre. Une autre fois, son cheval se précipita vers un bois dense, et toute l’équipe de cosaques le suivirent. Nombre de cavaliers furent blessés, et Chakatouny, qui tenait le rôle de Pozzo di Borgo, fut blessé à la tête. Pour la course frénétique de Bonaparte vers la tour de Campo dell’Oro, le grand-père de Joseph-Lucien Colombani avait prêté à l’acteur son meilleur coursier.

. Fora !
En insistant sur ces poursuites endiablées, ces saccages et incendies, Abel Gance renforce sa volonté de présenter la rupture violente avec la Corse (historique et politique) comme un élément clef qui concerne toute la famille du futur Empereur des Français. Il n’est pas étonnant que les figurants interprétant Letizia et ses enfants aient été particulièrement mis à rude épreuve lors du tournage des scènes. Traqués par leurs poursuivants, leurs vêtements déchirés par les broussailles, souvent pieds nus, ils furent contraints de reprendre plusieurs fois ces scènes éprouvantes au cœur du maquis. Lorsqu’un terrible orage éclata sur le lieu de tournage, pour la scène se déroulant près des îles Sanguinaires, les vagues éclaboussant « la famille hors-la-loi », Abel Gance ne put retenir sa satisfaction.

La supposée rancune de Napoléon et de sa famille envers les Corses serait bien justifiée…

 

e) Des mémoires identiques et dissemblables

Bien des éléments témoignent qu’il subsistait encore en Corse, à l’époque du tournage du film, une perception très particulière du lien unissant Paoli à Napoléon, personnages essentiels de la résistance culturelle des Corses au XIXe siècle. Cette réalité s’effritera jusqu’à se transformer en adhésion sans nuance, sans particularisme, au roman national élaboré par la IIIe République.

Bien des confusions et des méprises découlent de la difficulté d’admettre que les mêmes évènements historiques sont interprétés selon des imaginaires collectifs et individuels radicalement différents. L’ardeur des figurants, leur fierté de participer à ce film sans prendre de distance, les autels votifs, l’attitude du berger tétanisé aux Sanguinaires…, témoignent d’attitudes, de codes, d’images symboliques motivées par une autre mémoire.

Ainsi, lorsque les figurants paolistes cernent Bonaparte, et qu’ils doivent crier : « À mort Napoléon Bonaparte ! », tous refusèrent.

 

f) L’énergie primitive

L’image de Napoléon n’était-elle pas, pour certains, une expression exceptionnelle de « l’âme corse » surgie de cette terre ?

Cette nature n’a-t-elle pas généré des hommes à la trempe exceptionnelle, dont les derniers avatars seraient les bandits[29] folklorisés, hôtes du maquis luxuriant et impénétrable ?

Napoléon serait issu de ce tellurisme et de cette force quasi animale si peu domestiquée. Pierrette Jeoffroy-Faggianelli a bien analysé ce « mythe corse » développé dans la littérature romantique[30]. Significativement, les Corses de Mérimée se rapprochent des énergiques barbares celtes, des Gaulois ou de Robin Hood… Ils façonnent le pays noir de la vendetta et de la mort, continent perdu d’une totale étrangeté, habité par un « peuple à part », spécifique, sans passé, sans héritage, issu directement de Chaos, de Gaïa – la Terre, où le voyageur privilégié découvre « la pure nature de l’HOMME »[31].

Napoléon n’est-il pas la plus parfaite expression de cette représentation, lui qu’Abel Gance décrit comme la « force qui va » ?

 

g) L’histoire et la Légende

Son énergie pulsionnelle, originelle, sera mise au service des principes de la Révolution de 1789 enfin canalisée et organisée[32]. Pourtant, Napoléon lui-même, si prompt à façonner sa légende dorée[33], avait bien conscience de la complexité des engagements, de leurs causes, et de leurs réécritures. L’histoire n’est-elle pas bien souvent une « fable convenue »[34] ?

À l’époque du tournage du film, comme nous l’avons vu plus haut, les enjeux du présent se projettent sur ce passé. Et le jeune officier subalterne, ignorant de la Corse, absent depuis « des années » avant son retour d’octobre 1792, peut débarquer comme « représentant officiel de la France » révolutionnaire.

Pourtant, confusément ou consciemment, pour un grand nombre dans la foule et parmi les figurants, Napoléon demeurait, selon les paroles même de Paoli, le Vengeur de la Corse puisque, grâce à ses succès, le nom de Corse n’est plus tenu dans le mépris. « Il (Napoléon) nous a vengés de tous ceux qui ont été des causes de notre abaissement »[35]. Paoli poursuivait : « L’exemple lumineux vous l’avez sous les yeux »[36].

De même, au moment des faits, durant la Révolution, Napoléon n’avait-il pas envoyé des extraits de son « Histoire de la Corse » à l’abbé Raynal, dans lesquels il affirmait que le peuple corse avait « toujours été le premier à leur donner l’éveil (aux autres peuples) et à secouer le joug » ? Dans le cadre de l’enchainement des révolutions alors évident à l’époque, n’a-t-il pas défendu la révolution de Corse et sa mise en pratique de la res publica ?[37] Et en réponse à la condamnation par la Convention de Paoli comme « traitre et tyran » n’avait-il pas pris le risque d’écrire son Adresse à la Convention ? Il argumentait : vous ne pouvez condamner Paoli que vous avez reconnu comme le premier martyr de la liberté (Robespierre, Assemblée nationale, 1790), d’autant plus qu’« il est le père de votre république. »[38]

            Abel Gance ne chercha pas à produire un documentaire historique. S’il conçut son Napoléon en fonction des connaissances de son temps, et des orientations choisies dans le cadre du roman national, la Légende devait surpasser la complexité de l’histoire. Elle devint plus vraie que l’histoire par la magie cinématographique. Elle imposa un portrait définitif et auquel plus rien ne semblait pouvoir être modifié.

L’impérissable chef-d’œuvre d’Abel Gance, conçu parmi les exaltations des grandes commémorations de la Revanche et de la Victoire, peut aujourd’hui, reconstruit et restauré dans un moment de non-commémoration officielle des anniversaires napoléoniens (2004 et 2021), nous sembler d’autant plus sublime, fascinant et étrange.

Le Napoléon vu par Abel Gance écrase toujours les films napoléoniens, et en accordant à la Corse une place obscure, singulière et déterminante, il la replace au centre du mythe, il pousse aux réflexions décisives, il incite à la redécouverte des filiations enfouies.

 

Bibliographie

 

ABRANTÈS Laure, duchesse d’, Mémoires de Madame la duchesse d’Abrantès, ou Souvenirs historiques sur Napoléon, la Révolution, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration, Ladvocat, 18 vol., 1834-1835.

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[1]. Hervé Dumont, préface de Jean Tulard, Napoléon – L’épopée en 1 000 films, Ides et Calendes, 2015.

[2]. Abel Gance reconnaît l’influence des effets photographiques des films du célèbre réalisateur américain, particulièrement The Birth of a nation (1915).

[3]. Charles de Gaulle et André Malraux, appartenant alors à deux courants politiques opposés, assistèrent à la Première, cherchant à capter sans doute l’image de Napoléon qui pourrait leur convenir.

[4]. Après la mort tragique du prince Impérial en 1873, la stratégie de la IIIe République consistant à occuper l’ensemble du spectre républicain, la promulgation des lois constitutionnelles, puis la loi d’exil de 1886 finissent par marginaliser le mouvement bonapartiste.

[5]. Les commémorations du début du XXe siècle, 1904 (Austerlitz), 1906 (Iéna), et 1921 (mort de Napoléon) en particulier, participent au succès de Napoléon au cinéma. Le film du centenaire de la mort de Napoléon fut réalisé par Bernard Deschamps qui s’inspira du roman épique de Georges d’Esparbès. Les Demi-Solde (1899).

[6]. Le courant  monarchiste va, par insinuations ou directement, dénoncer l’origine étrangère de Napoléon qui l’aurait poussé à appliquer une politique en contradiction avec celle suivie durant plus d’un millénaire par les rois qui ont fait la France.

[7]. La commémoration du centenaire de 1921 restera l’occasion pour les responsables de la IIIe République, de ne pas se laisser déposséder des retombées de la Victoire, et de rappeler aux Alliés que la puissance acquise par la France lui donne des prérogatives : faire respecter le Traité de Versailles, empêcher le réarmement allemand, exiger le paiement des Réparations, veiller à la restauration d’une Pologne capable d’aider la France à prendre en étau l’Allemagne, comme de constituer une digue face à l’URSS naissante.

[8] Le cinéma doit contribuer à la défense de la mémoire des héros qui ont élevé les hommes lors des « grands moments de l’Humanité » (Roger Icart, Abel Gance, p. 307). Ainsi, Abel Gance peut écrire : « Je tournerai « Christophe Colomb » parce que le cinéma est une machine à ressusciter les héros », in Roger Icart, Abel Gance, p. 307.

[9]. L’échec du film fut souvent attribué à sa longueur (plus de sept heures), et aux multiples innovations techniques (triple écran clôturant la campagne d’Italie), les salles de spectacles n’étant pas équipées en conséquence.

[10]. Le personnage mythifié de Napoléon correspond au libérateur des hommes (« Napoléon, c’est Prométhée »  écrira-t-il dans « Comment j’ai vu Napoléon », texte de présentation du film). Il lui semble seul capable de mettre en valeur son projet artistique : « Napoléon est un paroxysme dans son époque laquelle est un paroxysme dans le Temps. Et le cinéma, pour moi, est un paroxysme de la vie. »

[11]. Il réalisera un film sur l’homme de pouvoir, sur l’Empereur, en 1960 avec son Austerlitz. Le film traite de la rupture de la paix d’Amiens reprochée à l’Angleterre, de la guerre continentale et de la victoire d’Austerlitz. René Mondy incarne un Napoléon à la tête d’une France qui ne fut jamais aussi puissante, rappel apprécié par le général de Gaulle, alors chef de l’Etat.

[12]. Abel Gance cite l’œuvre à propos de la tempête révolutionnaire : « Être membre de la Convention c’était être une vague de l’Océan ».

[13]. Dans un intertitre du Prologue, l’enfant Bonaparte se présente à ses professeurs et camarades en arrivant à l’école militaire : « “Napoléon” (Avec un accent corse, il le prononçait Nabulione.) », Abel Gance, scénario original du Napoléon, p. 11.

[14]. Antagonisme avec l’histoire politique de la Corse, puisque Bonaparte affrontera aussi Pozzo di Borgo (opposé à Paoli dès 1795) qu’il blessera d’un coup de cravache, et Saliceti (révolutionnaire et régicide).

[15]. Nadine Satiat, Maupassant, Grandes Biographies, Flammarion, 2003, p. 225.

[16]. Acteur reconnu, il fut aussi l’ancien secrétaire de Charles Pathé, un des frères dirigeant d’importantes entreprises françaises de l’industrie cinématographique.

[17]. Très proche du réalisateur, il sera le directeur de la production du film dans l’île.

[18]. Sa révocation sera à l’origine des émeutes du 6 février 1934.  Il disparaitra en mer en novembre 1940 alors qu’il rejoignait son poste au Liban ; son avion aurait été abattu par l’aviation anglaise.

[19]. L’opposant bonapartiste à Jérôme Peri, Dominique Paoli, sera élu.

[20]. À la villa Palmieri, cours Grandval.

[21]. Descendait-il de Bagaglinu, de la bergerie d’Alata ?

[22]. Rôle interprété par Henri Baudin.

[23]. Il sera fait citoyen d’honneur d’Ajaccio.

[24]. A. G., scénario original du Napoléon vu par Abel Gance, p. 57.

[25]. Brownlow, p. 107.

[26]. A.G., Scénario original, p. 57.

[27]. A.G., Scénario original, p. 57.

[28] Une affiche du film va illustrer cette scène centrale.

[29]. Dans son ouvrage sur le Napoléon d’Abel Gance, Kevin Brownlow (p. 107-108) synthétise « l’histoire politique » de la Corse au conflit Paoli-Napoléon relié à la présence des fameux bandits. Dans les représentations de la Corse, les bandits modernes n’occupent-ils pas la place des héros politiques du passé ? Abel Gance se devait de rencontrer « une autre célèbre personnalité corse », le bandit Romanetti aux exploits idéalisés, véritable légende de la Corse de la première moitié du XXe siècle. Au dos d’une photographie où il apparaît au premier plan avec un Romanetti resplendissant, (et en arrière-plan Marcelle Lemaire de Villers, la femme du préfet de police Jean Chiappe), Abel Gance note qu’il a réussi à filmer sa rencontre avec « le plus célèbre bandit corse » qu’il pourra interviewer, grâce « au romancier Pierre Bonardi » (ce dernier publiera Les rois du maquis, Romanetti et Cie). Il précise que Romanetti « qui a échappé à des centaines de gendarmes, fut tué dans une embuscade quelques mois après que cette photo a été prise ».

[30]. Pierrette Jeoffroy-Faggianelli, L’image de la Corse dans la littérature romantique française, P.U.F., 1979.

[31]. Mérimée précise aussi à propos des populations corses : « ce mammifère est vraiment fort curieux ici », in Correspondance générale, Paris, Le Divan, 1941-47, tome II, p. 288-290.

[32]. N’oubliera-t-il pas ces principes ? Ne deviendra-t-il pas alors un automate sanguinaire, un conquérant compulsif, l’Ogre Corse ?

[33]. Napoléon reprendra à son compte l’interprétation des responsables révolutionnaires opposant en Corse le « parti français » au « parti anglais ».

[34]. « Les véritables vérités sont bien difficiles à obtenir pour l’histoire » affirma-t-il. En effet, « cette vérité historique, tant implorée, à laquelle chacun s’empresse d’en appeler, n’est trop souvent qu’un mot », une « fable convenue », Le Mémorial de Sainte-Hélène, 20 novembre 1816, t. 2, p. 373.

[35]. In Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli, « 18 mars 1801, à l’abbé Poletti à Rome », p. 672, (version originale : « Ha fatto le nostre vendette contro di tutti quelli ch’erano stati cagione del nostro avvilimento »).

[36]. In Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli : « Oh, combien y en a-t-il qui ne se croient d’aucune manière inférieurs à Bonaparte ! Alors, si vous avez de nobles ambitions et du talent, l’exemple lumineux vous l’avez sous les yeux. » Pour le texte original en italien, voir Lettere di Pasquale de’Paoli con note e proemio di N. Tommaseo, Volume Unico, Firenze, G.P. Vieusseux, Direttore-Editore, 1846, p. 573 : « L’esempio luminoso l’hanno davanti alli occhi. »

[37]. Le jeune Bonaparte l’évoque dans ses écrits, à cette époque. Voir J.-D. Poli, Napoléon inconnu, Chap. 1. « L’Histoire de la Corse du jeune Napoléon Bonaparte », p. 13-40 ; Chap. 7. « 1789. L’enchainement des révolutions », p. 89-102 ; Chap. 8. « Instituer un peuple », p. 103-108.

[38]. S.d. Postérieure au 18 avril 1793, Napoléon Bonaparte, Correspondance générale, t. 1, p. 125. Pascal Paoli restait le modèle politique de Napoléon Bonaparte. John M.P. Mc Erlean, dans son Napoléon & Pozzo di Borgo, p. 142, a bien montré comment l’implication du jeune Bonaparte dans l’histoire de la Corse a été « durablement déformée par la perception historique de la guerre de propagande contre Paoli ».

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