La situation avantageuse des fonctionnaires corses leur permet de jouer un rôle parfois influent voire décisif, en s’appuyant sur le réseau des postes clés dans l’administration coloniale ([37]). Ils formèrent ainsi un véritable groupe de pression politique. Les Corses ont acquis leurs expériences professionnelles dans les métiers des forces armées, ce que leur permet la transmission de quelques savoirs et notamment les techniques de travail aux indigènes. Les originaires de l’île ont modernisé quelques services administratifs mais leurs postes avancés sont exploités pour intervenir au profit des agents délinquants qui sont impliqués dans des affaires de violence et de corruption ([38]). Les Corses, qui aiment le commandement et les fonctions publiques, ont eu une préférence notoire pour les domaines de l’armée et de la police ([39]). Ceux qui prenaient les armes sur l’île n’étaient pas forcement des gendarmes ou des policiers mais surtout des gens qui cherchaient à se venger ([40]). Les habitants de l’ile avaient l’habitude dès leur jeune âge de manier une arme à feu, fidèles aux traditions d’une communauté habituée aux combats héroïques. « Le Corse n’est pas et ne sera jamais agriculteur, il est né pour les armes » (Napoléon Bonaparte). Ce caractère violent est en relation avec la passion des armes chez les Corses qui est devenu un phénomène caractéristique la vie courante sur l’île. Il est dû selon certains spécialistes par à la longue histoire des luttes et des guerres qui ont sévi dans « l’île de beauté » dès l’époque ancienne jusqu’aux temps modernes ([41]). La violence et le banditisme n’ont pas disparu de la Corse après un siècle de domination française, et même après un demi-siècle de colonisation en Afrique du Nord. Le Corse lui-même ne s’est pas débarrassé complètement de son caractère violent, c’est le cas de plusieurs affaires d’agression chez quelques agents de la police ([42]). L’image du Corse violent ou le plus fort colon sur le terrain véhiculé par quelques ouvrages historiques et anthropologiques a été créée et encouragée par le système colonial français et mise au service du projet colonial. Les originaires de l’île qui sont restés longtemps marginalisés peuvent être classés comme un groupe fonctionnel mis au service des intérêts de la colonisation ([43]). Mais à quel point ont-ils réussi dans leur mission ? La communauté corse a bien essayé de changer la situation de misère des siens, en cherchant à satisfaire les besoins des employés installés en Tunisie, Algérie et Maroc, d’appuyer leurs revendications en profitant de la solidarité entre ses membres.
L’île de Corse était marginalisée depuis des siècles et l’émigration est devenue une tradition de ses habitants. La plupart de jeunes Corses ont choisi le départ vers plusieurs destinations pour améliorer leurs conditions et fuir de la misère. L’Empire colonial français qui avait besoin d’hommes pour satisfaire ses besoins a suivi une politique d’assimilation des Corses. Leur intégration dans la région de l’Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc) est un long processus et leur présence est différente suivant les circonstances et selon les pays eux-mêmes. L’autorité française a mené propagande politique qui a amplifié l’image du Corse comme étant le colon qui peut le mieux s’adapter et remplit les fonctions missions qu’on lui confie. C’était une bonne occasion pour le Corse de faire une carrière exceptionnelle et avoir une promotion sociale évidente, mais aussi le meilleur cadre pour transmettre ses techniques et des savoirs professionnels aux indigènes (photographie, archivage, décryptage…).
Les Corses sont connus pour leur conscience associative. Ils ont créé plusieurs associations dans les différentes villes de Maghreb, ces sociétés ont renforcé les liens entre leurs membres de défendre les intérêts de leur communauté. Les originaires de l’île ont été bien placés dans l’administration coloniale, leur position avantageuse leur permet de jouer un rôle important dans la politique coloniale française, ils se sont organisés en un vaste réseau et exercent une influence assez importante sur les hauts responsables de l’administration coloniale.
Quelques fonctionnaires ont profité de leurs postes pour commettre des abus et échapper aux sanctions, ils s’appuient sur leur groupe de pression qui intervient pour protéger les délinquants.
La plupart des ouvrages ont traité l’évolution de la présence des Corses dans l’administration coloniale française, mais l’étude des relations corse-colonies et surtout l’impact de la présence corse sur les pays colonisés en Afrique du Nord est assez rare. Le pays de Maghreb est peut-être un cadre exceptionnel d’échanges et d’acculturation imposée à travers les insulaires (qui sont finalement des Français). C’est un paradoxe où les colonisés qui sont intégrés dans l’administration coloniale sont devenus des colonisateurs.
Bibliographie
Archives
Archives Nationales Tunisiens (A.N.T), Corpus de 4000 dossiers administratifs des personnels de police 1881-1956 (classement provisoire)
Archives d’Outre-mer à Marseille (ANOM), des milliers des dossiers nominatifs dans les colonies françaises dès le XIXe siècle
La Corse Nord-africaine, Organe de défense des intérêts généraux des corses de L’Afrique du Nord, Années 1925-1926 (les numéros de la revue sont conservés à la bibliothèque nationale de la Tunisie)
Echo de la Corse, Cinquième année 1914
Livres
ARZALIER Francis, les Corses et la Question coloniale, Editions Albiana 2003.
ANTONETTI Pierre, Histoire de La corse, Editions Robert Laffont1973.
BROCHIER André, Dictionnaire des administrateurs de commune mixte en Algérie, volume1 2018.
ROSSI Henri, Les armes dans l’histoire, les mœurs et les traditions du pays corse, Editeur Belisane 1980.
BUGEAUD, Le peuplement français de l’Algérie, (d’après les écrits et discours du Maréchal), Introduit par SAURIN Jules, Editions du comité Bugeaud, Tunis 1933.
GRANCHAMPS Conte, La corse sa colonisation et son rôle dans la Méditerranée, paris, Librairie de Hachette 1859.
LA BARBERA Serge, Les français de la Tunisie (1930-1950), le Harmattan 2006.
ROCCA Pierre, Les corses devant l’anthropologie, Librairie J. Gambert, Paris 1919.
JACOBI, J-M, Histoire générale de la Corse, depuis les premiers temps jusqu’à nos jours(1835), ouvrage enrichi d’une carte géographique et d’un grand nombre de documents inédits par Jacobi (avocat), Tome, Paris, 1835.
Mémoires et Articles
BEDHIOUF Tarek, La politique de recrutement à l’administration coloniale et l’héritage de violence et de corruption, le cas des agents de police en Tunisie 1881-1956, Editions Latrach (GLD), Tunisie 2022.
BELAID Habib, Les associations régionales françaises en Tunisie pendant l’époque coloniale (Etudes réunies et préfacées par Abdjelil TEMIMI), Publications de la Fondation Temimi pour la recherche Scientifique et l’information (FTERSI), Tome premier, Zaghouan 1996.
CRISTOFARI Pasquin, La Corse entre France et Italie 1870-1913, mémoire pour l’obtention du diplôme de Maitrise, Université de Provence d’Aix Marseille I, 1999.
DEFRANCESCHI Jean, La Corse française) 30 novembre1789- 15juin 1794(, Thèse pour le doctorat du troisième cycle, Université de Sorbonne 1969.
PAOLETTI Marie, L’Emigration corse à porto-Rico au dix-neuvième siècle, Thèse de doctorat, Université de Provence Aix-Marseille 1989-1990.
PROFIZI Vanina, Les Corses au Gabon, recompositions identitaires d’une communauté régionale en situation d’expatriation, in Cahiers d’Etudes Africaines n° 221-222, 2016.
MATEOS Flora Faure, Les représentation de l’identité corse en Algérie Française, mémoire de Master 1, Université de Provence (lettres et Sciences Humaines) 2005.
VILLAT Louis, La Corse de 1768 à 1789, thèse pour le doctorat à la faculté des lettres de l’humanité de paris, 1925, Millot frères Editeurs.
Mots clés : Corses, Maghreb, Colonisation, acculturation, Transmission
BEDHIAFI Tarek
Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis (FSHST).
[37] ) GRANCHAMPS Conte, La Corse sa colonisation et son rôle dans la Méditerranée, paris, Librairie de Hachette 1859, p 71, sq.
[38]) A.N.T, (classement provisoire 4/2013), Carton n° 4, Dossier de Georges Mathieu, procès-verbal 14 Aout 1931 ;
[39] ) ANTONETTI Pierre, Histoire de La corse, Editions Robert Laffont1973, p 462.
[40] ) ROSSI Henri, Les armes dans l’histoire, les mœurs et les traditions du pays corse, Editeur Belisane 1980, p. 333.
[41] ) ROCCA Pierre, Les Corses devant l’anthropologie, Librairie J. Gambert, paris 1919.
[42] ) BEDHIOUF Tarek, La politique de recrutement à l’administration coloniale, op. cit, p 67.
[43] ) ARZALIER Francis, Les Corses et la Question coloniale, Editions Albiana 2003, p 15.