Les débats du comité de mendicité, présidé par un libéral proche de Louis XVI, sont ainsi à mettre en parallèle des ateliers de charité qui se développent à la même période dans le cadre d’une administration municipale. Le premier visait l’extinction de la pauvreté sans garantir un travail, quand les seconds garantissaient un travail contraint pour ceux qui n’en avaient pas. Les premiers s’inscrivaient dans « la liberté du travail à partir du droit qu’à chacun d’œuvrer à sa jouissance par la propriété »[6] au sens de John Locke, quand les seconds créent une propriété sociale organisée autour de la discipline et visant au rétablissement de l’ordre public. S’agit-il d’une superposition de dimensions divergentes, ou de dynamiques convergentes ? Une part de la réponse est sans doute dans l’articulation entre la proclamation de la liberté de travailler, et l’émergence d’une relation de travail subordonnée organisée dans le cadre d’un ordre social. On peut se demander s’il ne s’agit pas de l’émergence de l’emploi subordonné aux marges de la société.
Pour tenter de répondre à cette question, nous allons tout d’abord mettre en valeur l’objectif d’extinction de la pauvreté dans la Révolution française. Nous allons étudier le cas des ateliers de charité en tant qu’émergence d’une solution provisoire pour les sans-travail. Nous montrerons ensuite que cette solution philanthropique s’inscrivait dans un champ disciplinaire. Nous démontrerons enfin que ce travail prescrit entrave alors la liberté de travailler émergente.
L’objectif de l’extinction de la pauvreté, au cœur de la Révolution française :
Pendant la Révolution française, la question de la mendicité était au cœur des réflexions notamment à travers les débats du Comité mendicité. Ces débats sont aux prémices de la notion de solidarité nationale comme le souligne Jean-Baptiste Masméjan[7] dans un article consacré aux travaux de ce comité. On assiste ainsi à l’émergence de la sécularisation de l’assistance, du rôle de l’Etat où la nation doit se substituer par la législation aux initiatives privées, religieuses et municipales, et à la mise à l’écart de la charité chrétienne. Les travaux sur le projet de Constitution conduisent à investiguer tous les sujets des droits du citoyen. Le Comité de mendicité, constitué en janvier 1790 et présidé par le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, doit faire face à l’urgence sociale en réponse à la volonté de maintenir l’ordre public. Il y a en effet de nombreux mendiants et vagabonds dans le pays avec une forte concentration à Paris.
Le président du comité est un libéral, fidèle de Louis XVI, qui s’inspire de l’école des physiocrates qui avait déjà expérimenté l’idée de la mobilisation des indigents valides par le travail. Il observa notamment une expérience à la Charité de Lyon. Il faut préciser que la philanthropie du XVIIIème siècle s’inscrivait dans un principe simple : « si la charité est un devoir de l’homme, la bienfaisance est un devoir des nations, et tout administrateur animé par l’amour du bien public en fait la base de ses opérations. »[8] L’assistance doit donc être un service national.
L’un des bureaux du comité de mendicité est chargé des questions relatives à la mendicité et à sa répression. Les deux sujets sont associés lorsqu’il est de question de traiter de la mendicité des personnes valides. Il s’agit ainsi de réprimer l’oisiveté et d’agir par l’assistance par le travail. Il n’y a pas d’émergence d’un droit au travail dans les faits, pour des raisons techniques, et pour des raisons philosophiques comme le souligne Jean-Baptiste Masméjan.
[6] Ibid., Messerlé (Jordan). P. 61.
[7] Masméjan (Jean-Baptiste).- Le comité de mendicité mandaté par la nation : vers une harmonisation de la politique d’assistance des valides (1790-1791).- Université Jean Moulin Lyon 3, Cahiers Jean Moulin, 2 I 2016, https://journals.openedition.org/cjm/280?lang=en
[8] Des Essarts (Nicolas-Toussaint).- Dictionnaire unniversel de police.- Mot Hôpital. 1786-1790.