Napoléon Bonaparte et le droit constitutionnel

Pour mieux saisir la présente étude, il convient au préalable de poser des prémisses méthodologiques. Depuis notre doctorat, le prisme de travail a toujours été double : l’histoire d’une part, le droit comparé d’autre part. En résumé, l’analyse d’une constitution ne s’extrait jamais de celle de son origine, du contexte de son adoption, de son évolution historique ni de ses points de convergences et de différences avec d’autres constitutions dans le monde. Jamais le texte n’est isolé de son contexte, ce prisme historique et comparatiste irriguant absolument tous nos travaux. On ne peut comprendre, critiquer, se permettre de tenter de faire évoluer la Constitution française qu’à la lumière de l’histoire constitutionnelle. Les constitutionnalistes qui épousent cette vision « contextualisée » de la discipline commencent toujours leur cours de première année de droit à l’été 1789. Et dans le panorama de l’une des histoires constitutionnelles les plus riches au monde, Napoléon Bonaparte tient une place singulière. 

Il avait lui-même conscience de sa propre singularité, comme cela transparaît nettement de ses Mémoires écrits sous sa dictée à Sainte-Hélène, avec toutes les précautions d’usage qu’il faut prendre avec ce genre de littérature et les correspondances. « Je réussissais dans ce que j’entreprenais », dicte-t-il à son valet de chambre en 1829, « parce que je le voulais : mes volontés étaient forte et mon caractère décidé. Je n’hésitais jamais : ce qui m’a donné de l’avantage sur tout le monde. La volonté dépend, au reste, de la trempe de l’individu : il n’appartient pas à chacun d’être maître chez lui[1]. Mon esprit me portait à détester les illusions. J’ai toujours discerné la vérité de plein saut : c’est pourquoi j’ai toujours vu mieux que d’autres le fond des choses. Le monde a toujours été pour moi dans le fait et non dans le droit : aussi n’ai-je ressemblé à peu près à personne ; j’ai été, par ma nature, toujours isolé »[2].

Fatalement, une telle singularité ne peut être que controversée et s’il y a bien une figure qui n’est pas fédératrice, c’est celle de Napoléon Bonaparte. Polémiques qui s’étendent naturellement à la question des commémorations. Le cycle de conférences à l’origine du présent ouvrage n’y a pas échappé mais relisons plutôt, pour réfléchir au bien-fondé des célébrations et autres manières d’« honorer » la mémoire, la séance du 26 mai 1840 à la Chambre des députés. Ces derniers débattent de la question du rapatriement de Sainte-Hélène des restes de Napoléon. Le député Gauguier, survivant de la campagne de Russie, proclame que Dieu lui-même a dû s’étonner « du génie surhumain de Napoléon », pendant que le démocrate Glais-Bizoin préconise de « laisser dans son tombeau les idées bonapartistes, les idées napoléoniennes, que je regarde comme une des plaies les plus vives de notre ordre social, comme ce qu’il y a de plus funeste pour l’émancipation des peuples, comme ce qu’il y a encore aujourd’hui de plus contraire à l’indépen­dance de l’esprit humain »… Intervention ponctuée des « très bien ! » du député -et poète- Lamartine[3].

Souvent, il faut bien l’avouer, les visions ne sont pas séparables des options idéologiques, voire sentimentales des auteurs. En tant que juriste positiviste, notre rôle est de tenir à distance notre objet d’étude, même si la tâche n’est pas aisée. Le présent article entend s’attacher à l’étude de Napoléon Bonaparte sous le seul angle de son rapport, de son apport au droit constitutionnel.

Si les idées constitutionnelles de Napoléon Bonaparte émergent dès la Révolution, son inscription dans l’histoire constitutionnelle se fait précisément le 18 Brumaire An VIII. À partir de ce coup d’État, il marquera de son empreinte pas moins de quatre temps constitutionnels et autant de textes fondateurs de nature différente : le Consulat, le Consulat à vie, le Premier Empire et la Parenthèse des Cent jours.

Napoléon Bonaparte a-t-il laissé une œuvre constitutionnelle ? Assurément. Il est possible de voir dans le jeune militaire un esprit de synthèse entre l’héritage de l’Ancien Régime et l’apport de la Révolution. Devenu chef du pouvoir exécutif, ses idées constitutionnelles évoluent et se traduisent concrètement par quatre régimes qui font un bloc constitutionnel complexe mais surtout très ambigu.

[1] En italiques dans le texte.

[2] Mémoires de Napoléon, écrits sous sa dictée à Sainte-Hélène, par un de ses valets de chambre, Paris, Philippe Librairie, 1829, page 2, disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6151195z/f7.item.texteImage

[3] Napoléon en débat, 1840 : La mémoire de Napoléon Ier en en discussion dans l’hémicycle, publication de l’Assemblée nationale, disponible sur le site https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2021/napoleon-en-debat

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