Pour Napoléon, le passage à l’Empire doit favoriser la formation d’une quatrième dynastie qui après les Mérovingiens, les Carolingiens et les Capétiens serait susceptible de régner pendant des siècles en France. Il s’inscrit ainsi dans une tradition, la translatio imperii, selon laquelle le pouvoir se transmet depuis l’Antiquité à un nouvel empereur. Il se perçoit ainsi comme le successeur d’Alexandre, des empereurs romains, mais aussi de Charlemagne dont la figure est omniprésente dans les semaines qui précèdent le sacre, comme pendant la cérémonie elle-même, organisée avec les ornements du sacre de Charlemagne. Or au-delà de Charlemagne, sacré à Rome en 800, c’est l’empire romain dont il était le successeur, qui est en toile de fond.
La fondation de l’empire a été validée par le peuple au terme d’un plébiscite qui a réuni plus de 3,5 millions de oui. Le souverain est donc aussi tribun de la plèbe et ne cesse de répéter qu’il tient son pouvoir du peuple, ce qui explique du reste qu’il ait refusé que le pape dépose sur sa tête la couronne impériale. L’auto-couronnement est la traduction de cette origine populaire de son pouvoir. Le peuple est aussi associé aux fêtes qui accompagnent la cérémonie. L’armée a également participé au plébiscite, votant par régiment, ce qui devait atténuer une éventuelle grogne chez les militaires. Elle est aussi mise en scène dans une cérémonie spécifique, la remise des aigles – autre symbole d’origine romaine – aux régiments présents à Paris. Cette manifestation s’apparente à une forme d’élection de l’empereur par les troupes comme à l’époque romaine.
Revêtu de la couronne impériale, Napoléon peut désormais se montrer en souverain magnanime, consolateur ou encore évergète. L’un des premiers actes qu’il accomplit au lendemain de la proclamation de l’Empire est de gracier une dizaine de conspirateurs impliqués dans la conspiration Cadoudal-Pichegru, qui avaient été condamnés à mort. Par la suite, Napoléon use encore de cette forme de clémence par exemple en acceptant la requête de madame de Hatzfeld, la femme de l’ancien gouverneur de Berlin condamné à mort pour avoir continué de correspondre avec le roi de Prusse. La scène, rapidement diffusée par l’imagerie populaire, contribue à la gloire de l’empereur. Au lendemain de la victoire d’Austerlitz, remportée un an jour pour jour après le sacre, ce que Napoléon ne manque pas de souligner, y voyant la trace d’une intervention quasi divine, il se fait consolateur auprès des veuves et orphelins des soldats et surtout des officiers tués au combat, exceptionnellement dotés. Cette attention aux vétérans de ses armées le conduit aussi à tenter d’organiser, dès l’époque du Consulat, des colonies militaires sur le modèle romain, ou tout au long de son règne de marier ces hommes, l’opération la plus spectaculaire se déroulant en 1810 à l’occasion de son mariage avec Marie-Louise.
Le culte impérial passe enfin par des fêtes chargées de glorifier le souverain. Deux fêtes sont créées en février 1806, au lendemain de la victoire d’Austerlitz. L’une doit célébrer l’anniversaire de Napoléon, le 15 août, jour de l’Assomption, ce qui permet d’associer au culte marial l’éloge du souverain. Le dimanche le plus proche du 2 décembre, est par ailleurs célébré l’anniversaire du sacre et de la victoire d’Austerlitz. Dans les deux cas, cérémonies civiles et religieuses s’entremêlent, les clergés étant largement associés à ce culte rendu aux souverains. Des vivres et de la boisson sont distribués au peuple auquel sont également proposés des spectacles gratuits ou des feux d’artifice. Comme au temps de la Rome antique, l’empereur évergète entend nourrir son peuple et le distraire (« panem et circenses »). C’est le cas aussi à l’occasion des grandes cérémonies du régime, tels que le sacre, le mariage autrichien ou le baptême du roi de Rome.
La recherche de l’immortalité
Napoléon est obsédé par l’idée de laisser une trace dans l’histoire. Dès lors il contribue à forger sa légende de son vivant. Tout commence en Italie lorsqu’il impose, grâce notamment aux journaux qu’il a créés, l’image du jeune et fougueux général en chef volant de victoires en victoires. Il parvient en Egypte à masquer ses échecs, la défaite navale d’Aboukir notamment, et surtout l’échec de la campagne de Syrie, pour faire en sorte que l’on ne retienne que ses victoires, aux Pyramides ou à Aboukir. Il insiste sur l’œuvre des savants, contribuant à transformer une campagne militaire particulièrement meurtrière en une expédition scientifique. L’image joue un grand rôle dans cette mise en scène de ses actions. C’est tel un roi d’Ancien Régime qu’il se fait représenter par David franchissant le col du Grand Saint-Bernard en mai 1800, sur un cheval cabré, alors que l’essentiel de l’ascension s’est faite à pied ou sur le dos d’un baudet. Le peintre n’a pas oublié d’inscrire à côté du nom de Bonaparte ceux de ses prédécesseurs dans le franchissement des Alpes, Hannibal et Charlemagne. Au salon de 1804, Gros expose ses Pestiférés de Jaffa. On y voit Bonaparte visitant le lazaret de Jaffa et touchant un soldat atteint de la peste, de sa main dégantée. Le message est double : il doit répondre aux accusations anglaises selon laquelle il aurait fait empoisonner ses soldats malades lors de la retraite de Syrie, ce qui est avéré ; il doit aussi montrer un souverain qui n’a pas peur d’affronter la mort et même peut guérir les malades, tels les rois de l’ancienne France supposés avoir le don de guérir les écrouelles. À la veille du sacre, ce rappel implicite à une tradition ancestrale n’est pas le fruit du hasard.