Symbolique d’une figure nationale dans la musique populaire insulaire
En Méditerranée, la lamentation est une coutume funéraire utilisée comme un moyen de faire part de sa douleur et de sa souffrance à Dieu, dans l’espoir d’obtenir de l’aide pour traverser la période de deuil qui suit la perte d’un être cher. Dans l’archipel de Kerkennah, situé en face de la côte Est de la Tunisie, les femmes lamentaient leurs morts d’une manière singulière, entre poésie et structures mélodiques plus proches des pleurs que du chant, dans lesquelles elles citaient les mérites et les qualités de leurs défunts.
Dans les années 1950, cette forme a été revisitée par un poète originaire de l’archipel lors de l’assassinat de Farhat Hached, une figure syndicaliste tunisienne également originaire de l’archipel, par l’occupation française. À travers sa poésie, « Ya ain nouh’i1 « Oh mon œil pleure ». Le texte original et sa traduction en français se trouvent en annexe. », il a exprimé sa colère et son indignation face à ce crime. En 1962, la poésie a été adaptée par un groupe populaire de musiciens-danseurs, Tabbel Kerkennah2 Tabbel Kerkennah est une formation type composée de quatre membres dont deux percussionnistes et deux joueurs de zokra qui anime des célébrations sociales dans l’archipel telles que des mariages. La zokra est un instrument à vent à double anche de la famille du hautbois.. « Ya ain nouh’i » est encore aujourd’hui l’une des chansons phares du patrimoine musical kerkennien.
Grâce à un travail ethnographique effectué pendant plusieurs années, j’ai particulièrement étudié les émotions suscitées par le personnage emblématique de Farhat Hached comme la réification d’une conscience kerkennienne et l’expression d’un sentiment collectif. Aussi, au cours de cet écrit, j’interrogerai les processus à l’œuvre quant au détachement de la représentation nationale d’un leader devenant un emblème insulaire à part entière et finalement, à la patrimonialisation et à la commémoration d’une figure tutélaire portée par un répertoire musical populaire. Plus précisément, je tenterai de répondre à cette question : Quel rôle la musique populaire insulaire peut-elle jouer dans la représentation d’une figure nationale et dans l’incitation à la résistance et à la rébellion contre le colonisateur ?
Pour répondre à cette question, je m’attacherai tout d’abord à présenter le contexte historique et politique de l’assassinat de Farhat Hached. J’explorerai ensuite la figure de ce leader politique dans l’imaginaire artistique kerkennien. Je développerai enfin les fonctions esthétiques et sociales de la chanson « Ya ain nouh’i ».
Farhat Hached : aperçu historique et conjoncture sociopolitique
Farhat Hached est né à l’archipel Kerkennah au village d’El-A’abbassia le 2 février 1914 dans une famille pauvre dont le père était pêcheur. Il a fait ses études primaires à l’école du village de Kallabine mais, en raison de la pauvreté de sa famille, il a été contraint de travailler à Sfax en 1932, puis à Sousse, où il s’est inscrit à la CGT et a fondé un bureau syndical avant d’être renvoyé. Il a ensuite déménagé à Sfax où il a réussi un concours de fonction publique3Abdelhamid Fehri, Kerkennah de Cercina à Hached, Sfax-Kerkennah, ed. Centre Cercina pour les recherches sur les îles méditerranéennes, 2003, p. 6..
En novembre 1944, en raison de diverses circonstances, notamment la discrimination exercée entre les travailleurs européens et tunisiens, Hached démissionna de la CGT pour fonder l’Union des syndicats autonomes des travailleurs du Sud tunisien. En mai 1945, il fonda l’Union des syndicats autonomes des travailleurs du nord de la Tunisie, et en avril de la même année, la Fédération des fonctionnaires tunisiens. En janvier 1946, lors d’un grand congrès syndical organisé à Tunis, il fusionna les différents syndicats tunisiens et fonda l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail), dont il fut élu unanimement premier secrétaire général et resta à ce poste jusqu’à son assassinat en 1952.
Hached était convaincu de la primauté de l’indépendance nationale sur l’émancipation sociale. Il considérait que la possibilité de se débarrasser de la colonisation dépendait de la destruction de ses causes, notamment l’exploitation des ressources du pays. Il était conscient qu’il fallait s’occuper de la masse ouvrière en la sensibilisant et en l’instruisant, en mettant en évidence la relation dialectique entre la dignité et le travail.
Le 5 août 1947, la commission administrative de l’UGTT lança la grève générale dans tout le pays, mais les forces militaires françaises reçurent l’ordre de tirer sans sommation sur les piquets de grève avec des balles réelles, provoquant un massacre de 30 morts et plus de 100 blessés parmi les ouvriers. L’oppression meurtrière de la grève des travailleurs agricoles à Enfidha par les autorités françaises le 20 novembre 1950, ayant causé 5 morts et 10 blessés, combinée à d’autres événements politiques, a mené les organisations nationales à décréter une grève générale le 29 novembre 19514 Abdelwahed Mokni, Farhat Hached : Le Fondateur, le Témoin, le Chef Martyr, Sfax, Dar Samed, 2012, p. 64.. La proclamation de cette grève générale a été un facteur décisif dans les événements qui ont abouti à la rébellion de janvier 1952, où le peuple tunisien s’est soulevé contre l’occupation française. Cette mobilisation a marqué le début du processus de décolonisation de la Tunisie.
L’année 1952 a été marquée par de nombreux événements significatifs, en particulier avec la décision de Farhat Hached de militer pour l’indépendance à l’étranger après que l’UGTT ait a quitté l’Organisation communiste internationale pour rejoindre la Confédération internationale des syndicats libres (CISL). Grâce à cette action, le leader acquiert une notoriété à l’international et fut élu pour présider le conseil de quarante personnalités représentatives de l’opinion tunisienne, réuni par Amine Bey pour discuter et étudier le plan de réformes présenté par le gouvernement d’Antoine Pinay. La décision du conseil fut le refus à l’unanimité, ce qui suscita l’inquiétude croissante des autorités coloniales.
Pour le colonisateur, Hached représentait une véritable menace, les tentatives de liquidation contre lui ont commencé, tout comme les actes de sabotage et de piégeage de sa maison, signés de « la Main rouge ». Le petit hebdomadaire nord-africain « Paris », dirigé par Camille Aymard et proche des colons français, a publié le texte suivant :
Avec Ferhat Hached et Bourguiba, nous vous avons présenté deux des principaux coupables. Nous en démasquerons d’autres, s’il est nécessaire, tous les autres, si haut placés soient-ils. Il faut, en effet, en finir avec ce jeu ridicule qui consiste à ne parler que des exécutants, à ne châtier que les « lampistes » du crime, alors que les vrais coupables sont connus et que leurs noms sont sur toutes les lèvres. Oui, il faut en finir, car il y va de la vie des Français, de l’honneur et du prestige de la France. « Si un homme menace de te tuer, frappe-le à la tête » dit un proverbe syrien. C’est là qu’il faut frapper aujourd’hui. Tant que vous n’aurez pas accompli ce geste viril, ce geste libérateur, vous n’aurez pas rempli votre devoir et, devant Dieu qui vous regarde, le sang des innocents retombera sur vous5 L’Observateur, n°135, 11 décembre 1952, p. 8..
Le 5 décembre 1952, Farhat Hached a été pris en traître dans la banlieue sud de Tunis, après avoir été pris en chasse par une voiture depuis sa maison. Un commando l’a mitraillé par des rafales de balles et a quitté les lieux lorsque la voiture du syndicaliste déroutait vers le bas-côté. Hached, criblé de balles, mais encore vivant, est sorti du véhicule cherchant l’aide de quelques ouvriers qui étaient sur place. Un second groupe armé est arrivé à bord d’un autre véhicule et a convaincu les ouvriers que leur voiture était plus rapide pour atteindre l’hôpital en prenant une autre route. Le commando a criblé Hached de balles pour l’achever puis l’a jeté sur le bas-côté de la route de Naacen, où un berger l’a trouvé et a informé les gendarmes à 9 h du matin.
Bien que l’assassinat ait été revendiqué par une organisation terroriste appelée « la Main rouge », cette revendication était une couverture pour dissimuler la vérité. En réalité, Farhat Hached a été tué par le Service action du SDECE, un service officiel français qui dépendait directement d’Antoine Pinay, président du Conseil depuis le 6 mars 1952.
Cet assassinat a eu des répercussions importantes dans l’ensemble du Maghreb, en particulier au Maroc, où les réactions les plus violentes ont été enregistrées faisant plusieurs morts et blessés. Cet acte a été le déclencheur de la lutte armée du peuple marocain contre le protectorat français6 Pierre BROCHEUX, Samya EL MECHAT, FREY Marc et al., « Chapitre 10 – Le Maghreb : Les indépendances arrachées », in Les décolonisations au XXe siècle. La fin des empires européens et japonais. Paris, Armand Colin, « Collection U », 2012, p. 152. URL : https://www.cairn.info/les-decolonisations-au-xxe-siecle–9782200249458-page-148.htm.
En décembre 2002, Antoine Méléro, un agent des services secrets, a déclaré dans le numéro 2187 du magazine Jeune Afrique, que c’était bien son organisation secrète, la Main Rouge, qui avait assassiné le leader syndicaliste tunisien le 4 décembre 1952 en le mitraillant7 Jeune Afrique, n°2187, 22 décembre 2002, p. 102-103. : « Hached a bien été assassiné par la Main Rouge ». Il a également témoigné de son implication dans cette affaire dans le documentaire diffusé en 2009 par la chaîne Aljazeera8 Documentaire intitulé : « L’assassinat de Farhat Hashad », diffusé en 2009 par la chaîne Aljazeera. Consulté sur YouTube : https://youtu.be/RU8rGfTErdI..
Suite à ces révélations, le fils du défunt, Noureddine Hached, a demandé la réouverture de l’enquête sur cette affaire qui avait été close faute de suspects. Selon lui, le témoignage d’Antoine Méléro visait à dissimuler le rôle de l’État français dans cet assassinat, considéré comme un crime d’État.
Lors de sa visite en Tunisie en 2013, le président français François Hollande a demandé pardon à la veuve du martyr, Emna Om el Khir Hached, pour l’assassinat de son époux et a promis, au nom de la France, de révéler toute la vérité sur son assassinat en donnant l’ordre d’ouvrir les archives sur l’organisation paramilitaire « la Main Rouge », qui était liée au service secret des autorités coloniales9 https://nawaat.org/2013/07/05/francois-hollande-sengage-a-restituer-toutes-les-archives-sur-lassassinat-de-farhat-hached/. Leur fils, Noureddine Hached, continue cependant de nier l’existence de la Main Rouge et affirme qu’il s’agissait bien d’une opération des services secrets français.
Page 1
« Oh mon œil pleure ». Le texte original et sa traduction en français se trouvent en annexe.
Tabbel Kerkennah est une formation type composée de quatre membres dont deux percussionnistes et deux joueurs de zokra qui anime des célébrations sociales dans l'archipel telles que des mariages. La zokra est un instrument à vent à double anche de la famille du hautbois.
Abdelhamid Fehri, Kerkennah de Cercina à Hached, Sfax-Kerkennah, ed. Centre Cercina pour les recherches sur les îles méditerranéennes, 2003, p. 6.
Abdelwahed Mokni, Farhat Hached : Le Fondateur, le Témoin, le Chef Martyr, Sfax, Dar Samed, 2012, p. 64.
L'Observateur, n°135, 11 décembre 1952, p. 8.
Jeune Afrique, n°2187, 22 décembre 2002, p. 102-103.
Documentaire intitulé : "L'assassinat de Farhat Hashad", diffusé en 2009 par la chaîne Aljazeera. Consulté sur YouTube : https://youtu.be/RU8rGfTErdI.
[9] https://nawaat.org/2013/07/05...
François Hollande s’engage à restituer toutes les archives sur l’assassinat de Farhat Hached
Farhat Hached dans l’imaginaire artistique kerkennien
Après un mois de l’assassinat de Farhat Hached, Rabeh Ezzeddine, poète kerkennien originaire du village d’Awled Bouali, écrivit un poème dédié à la mémoire du martyr. Il présenta pour la première fois ce poème à la radio de Sfax en 1963. L’année suivante il demanda à Mohamed Zekri, connu sous le nom de Whichi, de composer une chanson avec ses paroles. Whichi chanta cette chanson dans les fêtes de mariages dans l’archipel, avant de l’enregistrer dans un album de Tabbel Kerkennah en 1987.
Au sein des musiciens kerkenniens, l’unité de la chanson « Ya ain nouh’i » fait débat. Saaid Jaber et Mohamed Graja10 Mohamed Graja, entretien effectué le 02 septembre 2022 à Sfax.Saaid Jaber, entretien effectué le 22 septembre 2022 à Sfax. affirment qu’il s’agit d’une seule chanson en deux parties complémentaires, tandis que Chady Cheffy, Saaid Graja et Rochdi Werda affirment qu’il s’agit bien de deux chansons distinctes sur le plan mélodique et poétique11 Chady Cheffy, entretien effectué le 22 septembre 2022 à Sfax. Rochdi Werda, entretien effectué le 19 septembre 2022 à Sfax. Graja, Saaid, entretien effectué le 19 septembre 2022 à Sfax.. Effectivement, les différences de structures poétiques et de caractéristiques musicales semblent indiquer qu’il s’agit de deux chansons distinctes.
Whichi a choisi le mode Ardhawi pour ces deux chansons, un mode musical employé dans les improvisations chantées. On remarque que pour le chœur, il a choisi des femmes qui chantaient avec lui le refrain, ce qui n’est pas habituel chez Tabbel Kerkennah, une troupe formée exclusivement d’hommes. On peut expliquer ce choix par la volonté du chanteur à faire allusion aux lamentations habituellement chantées par des femmes lors des cérémonies funéraires dans les villages kerkenniens.
En examinant la première chanson, on peut remarquer un aspect inhabituel dans sa structure mélodique. Pour la présenter, on pourrait la décrire comme suit :
Description de la structure musicale
A : Phrase principale jouée par la zokra
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
B : Istekhbar zokra (improvisation)
Des corrompus de l’armée des Rwamas l’ont tué
C : Mawal de Whichi (ad libitum)
Le pauvre Farhat
D : Couplet
E : Refrain
A : Phrase principale jouée par la zokra
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
B : Istekhbar zokra (improvisation)
Des corrompus de l’armée des Rwamas l’ont tué
C : Mawal de Whichi (ad libitum)
Le pauvre Farhat
D : Couplet
E : Refrain
A : Phrase principale jouée par la zokra
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
B : Istekhbar zokra (improvisation)
Des corrompus de l’armée des Rwamas l’ont tué
C : Mawal de Whichi (ad libitum)
Le pauvre Farhat
D : Couplet
E : Refrain
Début des paroles en phonétique
miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
meskin Frahat
ebki w nawah’
Ya ain nouh’i
miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
meskin Frahat
rah’ khsara
Ya ain nouh’i
miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
meskin Frahat
rah’ khsara
Ya ain nouh’i
La première chanson est donc structurée en cinq parties, avec une improvisation de la zokra, un mawal ad libitum de Whichi, un couplet et un refrain. La deuxième chanson se distingue par son rythme plus soutenu et une absence d’ad libitum et d’improvisation. Elle est constituée d’une mélodie jouée par la zokra et d’un refrain chanté avant et après chaque couplet. Sa structure peut être présentée de la manière suivante :
A : Mélodie principale du refrain, jouée par la zokra et répétée deux fois
B : Refrain, chanté en solo la première fois et en chœur la deuxième fois
C : Couplet 1
B : Refrain, chanté en chœur une seule fois
A : Variation de la mélodie principale (1ère partie); mélodie principale jouée par la zokra (2ème partie)
D : Couplet 2
B : Refrain, chanté en chœur une seule fois
A : Variation de la mélodie principale (1ère partie); mélodie principale du refrain jouée par la zokra (2ème partie)
E : Couplet 3
B : Refrain, chanté en chœur deux fois
La première chanson est mélodiquement riche et se compose de cinq parties répétitives. Elle commence par une phrase mélodique principale jouée par l’instrument mélodique unique du groupe, la zokra. Ensuite, elle se poursuit avec une improvisation instrumentale appelée localement « istekhbar », toujours avec la zokra. Puis, le chanteur commence un ad libitum sous forme d’improvisation vocale non rythmée, connue sous le nom de « mawal ». Enfin, le chanteur chante directement le couplet 1 avant que la chorale ne reprenne le refrain.
Description de la structure musicale
A : Phrase principale jouée par la zokra
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
B : Istekhbar zokra (improvisation)
Des corrompus de l’armée des Rwamas l’ont tué
D : Couplet
E : Refrain
Début des paroles en phonétique
miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
rah’ khsara
Ya ain nouh’i
Cette structure est inhabituelle dans la musique populaire de Kerkennah. Saaid Jaber a affirmé que Whichi voulait que cette chanson soit unique même structurellement. Dans cette structure particulière, répétée trois fois successives, le chanteur met en avant l’importance au « mawal » en le précédant d’une improvisation de la zokra pour assurer une transition fluide au milieu de la chanson. Il attribue également à cette improvisation le rôle de refrain, précédant chaque nouveau couplet.
Français
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
Des corrompus de l’armée des Rwamas l’ont tué
Il était gratifié dans toutes les occasions
Que dieu bénisse ses os
Arabe phonétique
miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
ha w ken ken mashkur fi kol mia’ad mia’ad
allah allah yerh’am a’dhama
Dès le début, le nom complet du martyr est cité, et c’est peut-être voulu intentionnellement pour annoncer le sujet de cette chanson, attirer l’attention et ne pas laisser de place au doute. Dans le mawal, Whichi met l’accent sur l’aspect humain de la perte de Hached, soulignant que le plus important était que ses enfants étaient devenus orphelins, de même que l’ensemble des Tunisiens, selon les mots de Mostafa Fileli12 Documentaire » L’assassinat de Farhat Hashad », op. cit..
Page 2
Mohamed Graja, entretien effectué le 02 septembre 2022 à Sfax.Saaid Jaber, entretien effectué le 22 septembre 2022 à Sfax.
Chady Cheffy, entretien effectué le 22 septembre 2022 à Sfax. Rochdi Werda, entretien effectué le 19 septembre 2022 à Sfax. Graja, Saaid, entretien effectué le 19 septembre 2022 à Sfax.
Documentaire " L'assassinat de Farhat Hashad", op. cit.
Fonctions esthétiques et sociales de la chanson
L’analyse de ces deux chansons permet d’identifier différentes fonctions, esthétiques et sociales que je vais à présent développer.
Déploration et lamentation
On relève dans le texte des chansons des exemples significatifs :
Français
Oh mon œil pleure avec beaucoup de larmes
Notre leader est mort
Pleure et lamente toi
On n’entend que les pleurs/ lamentations
Arabe phonétique
Ya A’yn Nuh’i Bi-eddumu’ ikhiya
A’la Za’imanā Farhāt Rāḥ’ Rziya
ebki w nawah’
Mā Tesma’ Ken et-Taghrīd
L’utilisation de répétitions dans les lamentations revêt une importance capitale, car elle crée une familiarité avec le deuil, facilitant ainsi son acceptation et sa compréhension. La répétition de phrases, de mots ou d’images permet d’intégrer leur signification en profondeur, de les imprimer dans notre compréhension émotionnelle de la situation. Cette approche peut également nous aider à faire la paix avec notre perte et à l’accepter plus facilement.
Dans les deux chansons, on remarque une insistance sur l’appel aux pleurs qui incite les auditeurs à pleurer et à se lamenter pour exprimer leur douleur et leur chagrin en utilisant des termes comme : Ebkī, nūhi Bi-eddumu’, et-Taghrīd. Mélodiquement, on peut également observer une focalisation sur la répartition des parties chantées, surtout dans la première chanson, en répétant l’isikhbar et le mawal trois fois. Ces répétitions en début de chaque partie permettent d’engendrer un processus mélodico-rythmique qui met en évidence la volonté du compositeur à se lamenter par la zokra et le chant. Ainsi, il donne une nouvelle fonction à l’instrument mélodique, la zokra : un outil de lamentation. Cette improvisation ad libitum répétée, de la zokra et du chanteur, renforce l’aspect mélancolique de la première chanson, suscite une réponse émotionnelle chez les auditeurs et crée une atmosphère distinctive susceptible de les émouvoir profondément.
On constate donc une fonction de la déploration et de la lamentation, utilisée pour créer une connexion émotionnelle avec les auditeurs, en leur permettant de partager les sentiments du compositeur et de se sentir impliqués dans la situation décrite dans les chansons.
Supplication envers Dieu
Une des règles de l’Islam est le consentement à la volonté de Dieu. Dans la deuxièmechanson, le poète insiste essentiellement sur l’acceptation du sort et du destin de Hached en rappelant plusieurs fois « Notre seigneur a décidé ».
Français
Il a donné son jugement
Ils ont tué Hached
On ne discute pas du destin
Un nouveau jugement divin est arrivé
La terre l’a appelé
Son heure est venue et sa vie était courte
Arabe phonétique
Hkom qaddar
Qatlu Hashad
l-qudrah ma feehaash ‘inaad
Ja hukm ejdid
Torba nadatu
Wafa’ ajlu l-‘umr eqsaar
Le sentiment d’impuissance contre ce sort a poussé le poète à s’adresser à Dieu en le priant pour venger la mort de Farhat Hached. Il le supplie d’infliger les châtiments les plus sévères contre ces assassins, pour qu’ils brûlent et qu’ils soient torturés. Cela met en évidence le fort sentiment d’impuissance et de colère qui a pu être ressenti à cette époque.
Dans les deux chansons, le poète a emprunté plusieurs termes du lexique religieux musulman pour désigner les assassins de Hached et les décrire, comme :
Français
Corrompus
Peuple des Romains
Gredins
Mécréants
Licencieux
Des mécréants-chrétiens
Arabe phonétique
Ness Fossed
Qum Errwama
el-awghad
el-koffar
el-foojar
kofra ness nasranya
Dans la culture populaire, d’après l’ensemble des personnes interrogées, tous ceux qui n’étaient pas musulmans étaient considérés comme mécréants, alors que dans l’Islam, les chrétiens et les juifs sont considérés comme « gens du Livre » ou « ahl al-kitâb ». Le poète, en utilisant un vocabulaire religieux, insiste sur l’aspect religieux du crime et considère la mort de Hached comme un acte de martyre pour Dieu. Devant un sentiment d’impuissance contre ce drame, le poète s’agrippe à dieu et le prit pour qu’il les punisse et leurs inflige les plus durs des châtiments.
Incitation à la résistance et à la rébellion
Dans le premier couplet de la deuxième chanson, Whichi chante :
Français
Les truands
Ils veulent que le peuple vive en esclaves
Et la nation est réveillée
Nous voulons vivre libres (des maîtres)
Affrontons les gredins
Refusons la tyrannie
Arabe phonétique
qum el azfet
yh’ebbu el-umma ta’ish a’bid
w el-umma h’yet
nh’ebbu lkolna na’ishu syad
nsoddu lawghad
ma nh’bboush el-istebdad
On remarque l’utilisation dans la première chanson d’un mot emprunté à l’arabe standard, الاستبداد (al-Istebded), qui signifie « tyrannie ». Ce mot a été intégré dans le lexique dialectal tunisien grâce aux discours des dirigeants du mouvement de résistance nationale de l’époque, qui nourrissaient leur langage de termes de l’arabe littéraire.
Tandis que la première chanson se présentait plutôt comme une documentation de faits historiques et de chants de lamentation, la deuxième chanson adopte un ton plus révolté et militant, insistant sur la nécessité de la rébellion et de l’affrontement pour refuser l’esclavage du colonisateur. Le poète exprime la volonté de tout le peuple tunisien (en utilisant le pronom « nous » à la première personne du pluriel) de se libérer de l’oppression coloniale et affirme que la nation est prête à se battre pour une vie meilleure, marquée par la dignité et l’égalité. Le couplet se conclut sur un appel à l’insurrection, mettant ainsi en évidence la détermination du peuple tunisien à se libérer de l’oppression coloniale.
La documentation historique alternative
Pour témoigner et documenter des faits historiques, en retraçant avec des détails précis l’assassinat de Farhat Hached, mentionnant les tueurs et évoquant l’annonce de sa mort à la radio avec l’heure et le jour, ainsi que l’enterrement, dans le but de les imprimer dans la mémoire collective.
Son corps a été transporté jusqu’à l’archipel Kerkennah par frégate, tandis que sa famille a pris le chemin terrestre dans une simple voiture personnelle. Le 6 décembre 1952, seuls les proches de la famille ont été autorisés à assister à l’enterrement, ils l’ont enterré près de la maison familiale, en refusant de l’enterrer au cimetière du village d’El-A’abbassia selon la volonté du Cheikh de Kerkennah (représentant du bey).
Français
Enveloppé du drapeau de la Tunisie
Son enterrement était au centre d’El-Abbassia
Arabe phonétique
Ala a’lam Tūnis ki Ṣbaḥ‘ Mlawah’
Jet dafntu fi khiyar al-‘Abbasia
Dans les deux chansons, on remarque deux versions différentes de l’horaire de l’assassinat de Hached. Dans la première chanson, la version des faits indique que Hached a quitté sa maison à midi et que la nouvelle de son assassinat a été entendue l’après-midi
Français
Ils ont dit (à la radio) qu’il était sorti de sa maison à midi
Après avoir salué tous ses enfants
On a reçu l’info sur son assassinat l’après-midi
Arabe phonétique
Qalou ah khraj nosf ennhar men dara
Men baa’d ma wadda’ jemia’ sghara
Jana el khebar a’lih dhyega a’chia
La deuxième chanson dit qu’ils ont reçu la nouvelle de sa mort un vendredi à midi :
Français
La nouvelle de son décès est arrivée
Un vendredi à midi
Arabe phonétique
Ja khbar emmatah
nhar joma’a fi nosf ennhar
Il est possible que midi soit l’heure qui a le plus marqué les esprits ou qui soit restée ancrée dans les mémoires, que ce soit comme heure de l’exécution ou de la réception de la nouvelle de l’assassinat de Hached. Bien que la version officielle indique que Hached a quitté sa maison à 7 heures du
Il est possible que midi soit l’heure qui a le plus marqué les esprits ou qui soit restée ancrée dans les mémoires, que ce soit comme heure de l’exécution ou de la réception de la nouvelle de l’assassinat de Hached. Bien que la version officielle indique que Hached a quitté sa maison à 7 heures du matin et a été assassiné vers 7 heures et demie, la chanson présente une heure différente. Lorsqu’il a été interrogé sur cette différence entre la version officielle et celle citée par le poète Rabeh Ezzeddine, Saaid Jaber a insisté sur l’exactitude des informations évoquées par le poète.
En effet, Farhat Hached avait reçu des menaces de mort et, après le dépôt d’une bombe devant sa maison, avait demandé à sa femme de partir chez ses oncles à la ville de Sousse. Cependant, sa femme avait refusé et avait insisté pour rester, ce qui lui a permis de voir son mari pour la dernière fois ce matin-là.
Dans un autre contexte, la chanson a joué un rôle important dans l’archipel dans les années 80. La demande de la chanson dans les mariages de Kerkennah représentait un acte de provocation et de protestation contre le gouvernement de Bourguiba, qui avait opprimé et emprisonné de nombreux syndicalistes. Lors de la grève générale décrétée par l’UGTT le 26 janvier 1978, le sang tunisien a coulé à flots, surtout à Tunis, par les armes tunisiennes, et l’état d’urgence a été décrété. Cette journée est désormais appelée le « jeudi noir ».
Enfin, les chansons peuvent également être considérées comme une forme de documentation historique alternative. Elles permettent de conserver la mémoire collective de l’événement, offrant une perspective unique sur l’histoire et la culture de la région. Ces chansons peuvent également être utilisées pour transmettre des messages de résistance et de rébellion, encourageant les auditeurs à lutter contre l’oppression et à défendre leurs droits.
matin et a été assassiné vers 7 heures et demie, la chanson présente une heure différente. Lorsqu’il a été interrogé sur cette différence entre la version officielle et celle citée par le poète Rabeh Ezzeddine, Saaid Jaber a insisté sur l’exactitude des informations évoquées par le poète.En effet, Farhat Hached avait reçu des menaces de mort et, après le dépôt d’une bombe devant sa maison, avait demandé à sa femme de partir chez ses oncles à la ville de Sousse. Cependant, sa femme avait refusé et avait insisté pour rester, ce qui lui a permis de voir son mari pour la dernière fois ce matin-là.
Dans un autre contexte, la chanson a joué un rôle important dans l’archipel dans les années 80. La demande de la chanson dans les mariages de Kerkennah représentait un acte de provocation et de protestation contre le gouvernement de Bourguiba, qui avait opprimé et emprisonné de nombreux syndicalistes. Lors de la grève générale décrétée par l’UGTT le 26 janvier 1978, le sang tunisien a coulé à flots, surtout à Tunis, par les armes tunisiennes, et l’état d’urgence a été décrété. Cette journée est désormais appelée le « jeudi noir ».
Enfin, les chansons peuvent également être considérées comme une forme de documentation historique alternative. Elles permettent de conserver la mémoire collective de l’événement, offrant une perspective unique sur l’histoire et la culture de la région. Ces chansons peuvent également être utilisées pour transmettre des messages de résistance et de rébellion, encourageant les auditeurs à lutter contre l’oppression et à défendre leurs droits.
Page 3
Conclusion
Dans cet article, nous avons vu comment la musique peut servir à édifier des figures tutélaires et témoigner de l’histoire, comme en témoignent deux chansons phares du répertoire musical kerkennien dédiées à Farhat Hached, figure syndicaliste nationale tunisienne originaire de l’archipel de Kerkennah, assassiné par les forces spéciales françaises le 5 décembre 1952. Ces chansons ont été écrites par Rabeh Ezzeddine et composées par Mohamed Zekri, connu sous le nom de Whichi. Elles sont chantées par un groupe de musiciens-danseurs appelé Tabbel Kerkennah jusqu’à nos jours à différentes occasions et pour plusieurs raisons.
Dans ce texte, nous avons démontré comment les émotions de colère, d’amertume et d’indignation ont été reflétées dans ces chansons tout en érigeant une figure tutélaire qui a nourri l’imaginaire artistique collectif. Les auteurs de ces chansons les ont utilisées comme un moyen de narrer l’histoire avec une optique historique, afin de témoigner et de documenter les événements pour qu’ils ne soient pas oubliés. Leur but était d’immortaliser la tragédie en marquant l’assassinat à travers une description détaillée. Ils ont retracé en musique et en mots les événements de l’assassinat en décrivant les meurtriers et les faits, et ont visé à imprimer les souvenirs dans la mémoire collective. Ils ont évoqué les détails de l’assassinat, en utilisant notamment des fonctions de déploration et de lamentation, de supplication envers Dieu, d’incitation à la résistance et à la rébellion, ainsi que de documentation historique alternative.
Enfin, il est possible de constater que la musique, en tant qu’expression culturelle spontanée, joue un rôle essentiel dans la formation de la conscience collective d’une communauté. Les chansons populaires en particulier, sont des témoins précieux de l’histoire et de la culture d’un peuple, et celles dédiées à Farhat Hached témoignent de l’histoire de la Tunisie et de la lutte pour son indépendance. En somme, l’étude de ces chansons populaires du répertoire musical kerkennien a permis de comprendre comment la musique peut être utilisée comme moyen d’expression et de communication, permettant de transmettre des émotions, des sentiments et des idées de manière plus efficace que les mots seuls.
Annexe
Texte de la première chanson en arabe
مسكين فرحات حشاد قعدت إصغارا أيتاما
قتلوه ناس فساد من جيش قوم الروامه
ها وكان مشكور في كل ميعاد
الله الله يرحم عظامه
ابكي ونوح
على خاطره يمشى غريب مسوّح
على علم تونس كي صبح ملوّح
جات دفنتو في خيار العباسية
يا عين نوحي بالدموع سخية
علي زعيمنا فرحات راح رزية
الي قتل فرحات حشاد
يجعلو معذب مصدر
قتلوه ناس فساد وخلاو دميتو تقطر
راح خسارة
قالوا خرج نصف النهار من داره
من بعد ما ودّع جميع صغاره
جانا الخبر عليه ضياقه عشيه
مسكين فرحات حشاد قعدت إصغارا أيتاما
قتلوه ناس فساد من جيش قوم الروامه
ها وكان مشكور في كل ميعاد
الله الله يرحم عظامه
راح خسارة
قالوا آه خرج نصف النهار من داره
من بعد ما ودّع جميع صغارهقتلوه
كفره ناس نصرانيه
Texte transcrit en phonétique
Miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
Ha w ken mashkur fi kol mia’ad
Allah allah yerh’am a’dhama
Ebki w nawah’
A’ala khatru yemchi ghrib msawah’
A’la a’lam tunis ki sbah’ mlawah’
Jet dafntu fi khyar ela’abbassia
Ya ain nouh’i beddumua’ eskhya
A’la za’imna Farhat rah’ rzya
Elli qtal Farhat Hached
Yjaa’lu ma’adhab msaddar
Qatlouh ness fossed w khallaw dmitu tqattar
Rah’ khsara
Qalu khraj nesf ennahar men darah
Men baa’d ma waddaa’ jemia’ sgharah
Jana lekhbar a’lih dheyaga a’ashya
Miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
Ha w ken mashkur fi kol mia’ad
Allah allah yerh’am a’dhama
Rah’ khsara
Qalu khraj nesf ennahar men darah
Men baa’d ma waddaa’ jemia’ sgharah
Qatlouh ness kofra nasranya
Texte traduit en français
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
Des corrompus de l’armée des du peuple des Rwamas l’ont tué
Il était gratifié dans toutes les occasions
Que Dieu bénisse ses os
Pleure et lamente toi
Parce qu’il est parti comme un étranger
Allongé sur le drapeau de la Tunisie
Son enterrement était au centre d’el-A’abbassia
Oh mon œil pleure avec beaucoup de larmes
Notre leader est mort
Celui qui a tué Farhat Hached
Que Dieu le torture
Des corrompus l’ont tué et l’ont laissé Sanguinolent
Son sang coulait
On l’a perdu
Ils ont dit (à la radio) qu’il était sorti de sa maison à midi
Après qu’il ait dit au revoir à tous ses enfants
On a reçu l’info sur son assassinat l’après-midi
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
Des corrompus de l’armée des du peuple des Rwamas l’ont tué
Il était gratifié dans toutes les occasions
Que Dieu bénisse ses os
On l’a perdu
Ils ont dit (à la radio) qu’il était sorti de sa maison à midi
Après qu’il ait dit au revoir à tous ses enfants
Des mécréants-chrétiens l’ont tué
Texte de la première en arabe
حكم قدر
القدرة ما فيهاش عناد
احكم قدر
تونس قعدت في التنكيد
مات ورب العزة مات شهيد
تكلم خبّر كل بعيد
ما تسمع كان التغريد
المرسى والقصر السعيد
ذهبت شعلت ناره وقيد
يحبوا الأمة تعيش عبيد
نحبوا لكلنا نعيشوا أسياد
ما نحبوش الاستبداد
حكمو ما فيهوش تبديل
القيناه في الكياس قتيل
هابط منه السيل يسيل
قعد ظلام بلاش دليل
المر اشربناه بلا كيل
عاطي راسه وراس أعناق
فايز عل جمع الميعاد
نهار جمعة في نصف نهار
عُظمى ما فيها تحتار
غافل غدروه الكفار
خلاتْ لُو دمه قطار
يحسبها تقبل لعذار
ظهرت من قوم الفجار
ما بحذاه من يفدي الثار
علينا قيّد لاستعمار
راسو قسموهولو أشطار
وفا أجلو العمر اقصار
كي خشت غِمق اللبحار
باتت طول الليل أنكاد
عليه تونس لبست لحداد
Chanson
مولانا راد
قتلوا حشاد
جا حكم جديد
قتلوا فرحات
سي العاطي
في الرديونات
ضجة وعياط
حزنوا البايات
بدآ خوذ وهات
قوم الأزفات
والأمة حيات
نصدوا الأوغاد
حكم قدر
مولانا حكم
فرحات اخدم
مرغد بالدم
الحزب تِلْطم
ترياق وسمّ
ع السيد تظلم
سيد الأسياد
حكم قدر
جا خبر أماته
مصيبه صابته
كراهب لحقتاه
لأولى ضرباته
ثانية إلي جاته
وقفت هزاته
عرضولو شماته
رعب وناداته
في الصحرا
رماته
تربه ناداته
جات الفرقاطة
أم أوليداته
سيد الأسياد
حكم قدر
Texte transcris en
Mwlana raad
Qatlu Hashed
Ja hukm ejdid
qatlu Farhat
Sil a’ati mat
Fi rrdiunet
Dhaja w a’iat
Heznu elbayat
Bd’a khuth w het
Qum elazafet
Wel umma h’yet
nsoddu lawghad Hkom
qaddar
Mwlana hkom Farhat ekhdem
Emarghad bi eddam
Elhezb teltam
Teryaq w somm
A’al esseed tethlam
Sayed lasyad
Hkom qaddar
Ja khbar emmatah
Mseebah sabateh
Kraheb lah’qatah
Lula dharbatah
Thaniah elli jatah
Weqfet hazzatah
A’ardulu shmatah
Roa’b w nadatah
Fessah’ra rmata
Torba nadatah
Jet elforgata
Omm auewlidatah
Sayd lasyed
Hkom qaddar
Phonétique
hkom qaddar
alqodrah ma fihesh aa’ned
hkom qaddar
twensa qaa’det fi ettanakeed
wrabb ela’ezza mat eshheed
tkallam khabbar koll eba’eed
ma tesaa’ kan ettaghreed
almarssah walqasr alsaaid
dhehbet shea’let narah ewgeed
yhbu el-umma ta’ish a’beed
nhebu lkolna na’ishu syad
ma nh’bboush el-istebdad
hokmu ma fihush tabdeel
lqeenah fil kayas eqteel
habet mennu esseel yseel
qa’ad ethlem blash edlyl
elmor eshrabnah eb la keel
a’aty rasu w ras aa’naq
fayez a’al jama’ elmeea’ad
nhar juma’a fi nosf ennhar
a’odhma ma feeha teh’tar
ghafel ghadruh elkoffar
khallet lu dammu eqtar
yh’sebha teqbel la’athar
dhohret men qawm elfojjar
ma bah’dheh men yfdy ethar
a’lina qayed lestea’mar
rassou qasmuhulu eshtar
wfa ajlu ela’omr eqsaar
ky khashet ghomk ellabhar
batet tul elleel anked
a’leeh tunis lebset lah’ded
Texte traduit en français
Notre Seigneur a décidé,
il a donné son jugement
Ils ont tué Hached
On ne discute pas du destin
C’est un nouveau jugement divin est arrivé
Ils ont tué Farhat
La Tunisie est dans le lugubre
Le donateur est mort
Au nom de Dieu, il est mort en martyre
Dans les radios
On a donné la nouvelle aux lointains
Du bruit et des cris
On n’entend que les lamentations
Les beys sont tristes
La Marsa et le palais de Ksar Saïd sont bouleversés
La situation est devenue brulante
Ils veulent que le peuple vive en esclaves
Et le peuple est réveillé
Nous voulons vivre maîtres
Affrontons les gredins
Refusons la tyrannie
Notre Seigneur a décidé.
Notre Seigneur a décidé,
il a donné son jugement
Farhat travaillait
On l’a retrouvé mort sur la route
Couvert de sang
Le sang coulait de son corps des rivières
Le parti est bouleversé
Il a sombré et il est devenu sans boussole
On a bu le poison sans réserve
Le maître est opprimé
Il a donné sa tête et d’autres têtes
Le maître des maîtres
Glorieux dans toutes les occasions
Notre Seigneur a décidé.
La nouvelle de son décès est arrivée
Un vendredi à midi
Un énorme malheur l’a frappé
Des voitures l’ont suivi
Inconscient du danger, ils des mécréants l’ont trahi
La première (balle) l’a atteint
L’a laissé ensanglanté
Il a cru que la deuxième (voiture) qui est arrivée, accepte les excuses
Il s’en est aperçu qu’elle apprêterait aux licencieux
Ils étaient là par jubilation
Il n’y avait personne à côté de lui qui pouvait le venger
La terreur l’a appelé ! le colonisateur a remporté une bataille
Ils l’ont jeté dans le désert et Lui ont tranché la tête.
La terre l’a appelé
Son heure est venue et sa vie était courte
Sa vie fut courte.
La frégate est venue
Quand elle a traversé la mer
La mère de ses enfants a passé la nuit atterrée
La Tunisie a porté le deuil pour le maître des maîtres
Notre Seigneur a décidé.
Mots-clés : lamentation ; archipel de Kerkennah ; colonisation ; résistance ; imaginaire artistique
Page 4


