Conclusion
Dans cet article, nous avons vu comment la musique peut servir à édifier des figures tutélaires et témoigner de l’histoire, comme en témoignent deux chansons phares du répertoire musical kerkennien dédiées à Farhat Hached, figure syndicaliste nationale tunisienne originaire de l’archipel de Kerkennah, assassiné par les forces spéciales françaises le 5 décembre 1952. Ces chansons ont été écrites par Rabeh Ezzeddine et composées par Mohamed Zekri, connu sous le nom de Whichi. Elles sont chantées par un groupe de musiciens-danseurs appelé Tabbel Kerkennah jusqu’à nos jours à différentes occasions et pour plusieurs raisons.
Dans ce texte, nous avons démontré comment les émotions de colère, d’amertume et d’indignation ont été reflétées dans ces chansons tout en érigeant une figure tutélaire qui a nourri l’imaginaire artistique collectif. Les auteurs de ces chansons les ont utilisées comme un moyen de narrer l’histoire avec une optique historique, afin de témoigner et de documenter les événements pour qu’ils ne soient pas oubliés. Leur but était d’immortaliser la tragédie en marquant l’assassinat à travers une description détaillée. Ils ont retracé en musique et en mots les événements de l’assassinat en décrivant les meurtriers et les faits, et ont visé à imprimer les souvenirs dans la mémoire collective. Ils ont évoqué les détails de l’assassinat, en utilisant notamment des fonctions de déploration et de lamentation, de supplication envers Dieu, d’incitation à la résistance et à la rébellion, ainsi que de documentation historique alternative.
Enfin, il est possible de constater que la musique, en tant qu’expression culturelle spontanée, joue un rôle essentiel dans la formation de la conscience collective d’une communauté. Les chansons populaires en particulier, sont des témoins précieux de l’histoire et de la culture d’un peuple, et celles dédiées à Farhat Hached témoignent de l’histoire de la Tunisie et de la lutte pour son indépendance. En somme, l’étude de ces chansons populaires du répertoire musical kerkennien a permis de comprendre comment la musique peut être utilisée comme moyen d’expression et de communication, permettant de transmettre des émotions, des sentiments et des idées de manière plus efficace que les mots seuls.
Annexe
Texte de la première chanson en arabe
مسكين فرحات حشاد قعدت إصغارا أيتاما
قتلوه ناس فساد من جيش قوم الروامه
ها وكان مشكور في كل ميعاد
الله الله يرحم عظامه
ابكي ونوح
على خاطره يمشى غريب مسوّح
على علم تونس كي صبح ملوّح
جات دفنتو في خيار العباسية
يا عين نوحي بالدموع سخية
علي زعيمنا فرحات راح رزية
الي قتل فرحات حشاد
يجعلو معذب مصدر
قتلوه ناس فساد وخلاو دميتو تقطر
راح خسارة
قالوا خرج نصف النهار من داره
من بعد ما ودّع جميع صغاره
جانا الخبر عليه ضياقه عشيه
مسكين فرحات حشاد قعدت إصغارا أيتاما
قتلوه ناس فساد من جيش قوم الروامه
ها وكان مشكور في كل ميعاد
الله الله يرحم عظامه
راح خسارة
قالوا آه خرج نصف النهار من داره
من بعد ما ودّع جميع صغارهقتلوه
كفره ناس نصرانيه
Texte transcrit en phonétique
Miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
Ha w ken mashkur fi kol mia’ad
Allah allah yerh’am a’dhama
Ebki w nawah’
A’ala khatru yemchi ghrib msawah’
A’la a’lam tunis ki sbah’ mlawah’
Jet dafntu fi khyar ela’abbassia
Ya ain nouh’i beddumua’ eskhya
A’la za’imna Farhat rah’ rzya
Elli qtal Farhat Hached
Yjaa’lu ma’adhab msaddar
Qatlouh ness fossed w khallaw dmitu tqattar
Rah’ khsara
Qalu khraj nesf ennahar men darah
Men baa’d ma waddaa’ jemia’ sgharah
Jana lekhbar a’lih dheyaga a’ashya
Miskin Farhat Hashad qaa’det isghara ytama
Qatlouh ness fossed men jaych errwama
Ha w ken mashkur fi kol mia’ad
Allah allah yerh’am a’dhama
Rah’ khsara
Qalu khraj nesf ennahar men darah
Men baa’d ma waddaa’ jemia’ sgharah
Qatlouh ness kofra nasranya
Texte traduit en français
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
Des corrompus de l’armée des du peuple des Rwamas l’ont tué
Il était gratifié dans toutes les occasions
Que Dieu bénisse ses os
Pleure et lamente toi
Parce qu’il est parti comme un étranger
Allongé sur le drapeau de la Tunisie
Son enterrement était au centre d’el-A’abbassia
Oh mon œil pleure avec beaucoup de larmes
Notre leader est mort
Celui qui a tué Farhat Hached
Que Dieu le torture
Des corrompus l’ont tué et l’ont laissé Sanguinolent
Son sang coulait
On l’a perdu
Ils ont dit (à la radio) qu’il était sorti de sa maison à midi
Après qu’il ait dit au revoir à tous ses enfants
On a reçu l’info sur son assassinat l’après-midi
Le pauvre Farhat Hached a laissé des orphelins
Des corrompus de l’armée des du peuple des Rwamas l’ont tué
Il était gratifié dans toutes les occasions
Que Dieu bénisse ses os
On l’a perdu
Ils ont dit (à la radio) qu’il était sorti de sa maison à midi
Après qu’il ait dit au revoir à tous ses enfants
Des mécréants-chrétiens l’ont tué
Texte de la première en arabe
حكم قدر
القدرة ما فيهاش عناد
احكم قدر
تونس قعدت في التنكيد
مات ورب العزة مات شهيد
تكلم خبّر كل بعيد
ما تسمع كان التغريد
المرسى والقصر السعيد
ذهبت شعلت ناره وقيد
يحبوا الأمة تعيش عبيد
نحبوا لكلنا نعيشوا أسياد
ما نحبوش الاستبداد
حكمو ما فيهوش تبديل
القيناه في الكياس قتيل
هابط منه السيل يسيل
قعد ظلام بلاش دليل
المر اشربناه بلا كيل
عاطي راسه وراس أعناق
فايز عل جمع الميعاد
نهار جمعة في نصف نهار
عُظمى ما فيها تحتار
غافل غدروه الكفار
خلاتْ لُو دمه قطار
يحسبها تقبل لعذار
ظهرت من قوم الفجار
ما بحذاه من يفدي الثار
علينا قيّد لاستعمار
راسو قسموهولو أشطار
وفا أجلو العمر اقصار
كي خشت غِمق اللبحار
باتت طول الليل أنكاد
عليه تونس لبست لحداد
chanson
مولانا راد
قتلوا حشاد
جا حكم جديد
قتلوا فرحات
سي العاطي
في الرديونات
ضجة وعياط
حزنوا البايات
بدآ خوذ وهات
قوم الأزفات
والأمة حيات
نصدوا الأوغاد
حكم قدر
مولانا حكم
فرحات اخدم
مرغد بالدم
الحزب تِلْطم
ترياق وسمّ
ع السيد تظلم
سيد الأسياد
حكم قدر
جا خبر أماته
مصيبه صابته
كراهب لحقتاه
لأولى ضرباته
ثانية إلي جاته
وقفت هزاته
عرضولو شماته
رعب وناداته
في الصحرا
رماته
تربه ناداته
جات الفرقاطة
أم أوليداته
سيد الأسياد
حكم قدر
Texte transcris en
Mwlana raad
Qatlu Hashed
Ja hukm ejdid
qatlu Farhat
Sil a’ati mat
Fi rrdiunet
Dhaja w a’iat
Heznu elbayat
Bd’a khuth w het
Qum elazafet
Wel umma h’yet
nsoddu lawghad Hkom
qaddar
Mwlana hkom Farhat ekhdem
Emarghad bi eddam
Elhezb teltam
Teryaq w somm
A’al esseed tethlam
Sayed lasyad
Hkom qaddar
Ja khbar emmatah
Mseebah sabateh
Kraheb lah’qatah
Lula dharbatah
Thaniah elli jatah
Weqfet hazzatah
A’ardulu shmatah
Roa’b w nadatah
Fessah’ra rmata
Torba nadatah
Jet elforgata
Omm auewlidatah
Sayd lasyed
Hkom qaddar
phonétique
hkom qaddar
alqodrah ma fihesh aa’ned
hkom qaddar
twensa qaa’det fi ettanakeed
wrabb ela’ezza mat eshheed
tkallam khabbar koll eba’eed
ma tesaa’ kan ettaghreed
almarssah walqasr alsaaid
dhehbet shea’let narah ewgeed
yhbu el-umma ta’ish a’beed
nhebu lkolna na’ishu syad
ma nh’bboush el-istebdad
hokmu ma fihush tabdeel
lqeenah fil kayas eqteel
habet mennu esseel yseel
qa’ad ethlem blash edlyl
elmor eshrabnah eb la keel
a’aty rasu w ras aa’naq
fayez a’al jama’ elmeea’ad
nhar juma’a fi nosf ennhar
a’odhma ma feeha teh’tar
ghafel ghadruh elkoffar
khallet lu dammu eqtar
yh’sebha teqbel la’athar
dhohret men qawm elfojjar
ma bah’dheh men yfdy ethar
a’lina qayed lestea’mar
rassou qasmuhulu eshtar
wfa ajlu ela’omr eqsaar
ky khashet ghomk ellabhar
batet tul elleel anked
a’leeh tunis lebset lah’ded
Texte traduit en français
Notre Seigneur a décidé,
il a donné son jugement
Ils ont tué Hached
On ne discute pas du destin
C’est un nouveau jugement divin est arrivé
Ils ont tué Farhat
La Tunisie est dans le lugubre
Le donateur est mort
Au nom de Dieu, il est mort en martyre
Dans les radios
On a donné la nouvelle aux lointains
Du bruit et des cris
On n’entend que les lamentations
Les beys sont tristes
La Marsa et le palais de Ksar Saïd sont bouleversés
La situation est devenue brulante
Ils veulent que le peuple vive en esclaves
Et le peuple est réveillé
Nous voulons vivre maîtres
Affrontons les gredins
Refusons la tyrannie
Notre Seigneur a décidé.
Notre Seigneur a décidé,
il a donné son jugement
Farhat travaillait
On l’a retrouvé mort sur la route
Couvert de sang
Le sang coulait de son corps des rivières
Le parti est bouleversé
Il a sombré et il est devenu sans boussole
On a bu le poison sans réserve
Le maître est opprimé
Il a donné sa tête et d’autres têtes
Le maître des maîtres
Glorieux dans toutes les occasions
Notre Seigneur a décidé.
La nouvelle de son décès est arrivée
Un vendredi à midi
Un énorme malheur l’a frappé
Des voitures l’ont suivi
Inconscient du danger, ils des mécréants l’ont trahi
La première (balle) l’a atteint
L’a laissé ensanglanté
Il a cru que la deuxième (voiture) qui est arrivée, accepte les excuses
Il s’en est aperçu qu’elle apprêterait aux licencieux
Ils étaient là par jubilation
Il n’y avait personne à côté de lui qui pouvait le venger
La terreur l’a appelé ! le colonisateur a remporté une bataille
Ils l’ont jeté dans le désert et Lui ont tranché la tête.
La terre l’a appelé
Son heure est venue et sa vie était courte
Sa vie fut courte.
La frégate est venue
Quand elle a traversé la mer
La mère de ses enfants a passé la nuit atterrée
La Tunisie a porté le deuil pour le maître des maîtres
Notre Seigneur a décidé.
Mots-clés : lamentation ; archipel de Kerkennah ; colonisation ; résistance ; imaginaire artistique