La première définition proposée appréhende les territoires non-autonomes de manière négative. Dans une résolution du 2 décembre 1949, l’Assemblée générale, compétente pour se prononcer sur cette question, établit une première liste de facteurs révélant le caractère autonome ou non d’un territoire[30]. Le 18 janvier 1952, cette liste est approuvée[31] puis révisée le 27 novembre 1953 par un comité ad hoc[32]. La nouvelle liste expose le détail des conditions dans lesquelles un territoire est soustrait du régime de non-autonomie selon deux hypothèses : l’accession à l’indépendance ou à une autre forme d’autonomie séparée par population qui réside sur ce territoire ou son association fondée sur l’égalité citoyenne à la métropole ou à un autre État. En définitive, la période durant laquelle le territoire est placée sous ce régime sert à créer les conditions politiques et économiques afin que le droit à l’autodétermination s’exerce sous les meilleurs auspices.
L’appréciation du caractère non-autonome d’un territoire par l’Assemblée générale des Nations unies fait suite au compte rendu des puissances administrantes. L’Assemblée décide alors « s’il y a lieu de continuer ou de cesser de communiquer les renseignements prévus au chapitre XI de la Charte[33] ». Dès lors que les territoires sont reconnus non-autonomes, cette qualification n’est plus modifiable sauf si leur statut constitutionnel change conformément au souhait exprimé par la population. L’Assemblée générale est seule compétente pour apprécier si la mutation opérée est réelle et régulière à la lumière des facteurs qu’elle a elle-même approuvés et que les puissances administrantes sont contraintes de respecter.
Par la suite, un comité spécial[34] proposera une définition positive des territoires non-autonomes fondée sur douze principes établissant une double-présomption de non-autonomie au sens du chapitre XI et de séparation ethnique ou culturelle de la puissance administrante, que l’on retrouvera dans la Déclaration de 1960. Ces principes ne diffèrent pas en substance de la liste de 1953 cependant, une rédaction plus ferme et synthétique en facilitera la compréhension et l’application.
9. Obligation de décoloniser – La Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux issue de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1960 marquera un tournant décisif en droit international de la décolonisation. Elle sera appuyée dix années plus tard par la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies issue de la résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970. La spécificité de ces textes repose sur la proclamation expresse d’une obligation de décoloniser laquelle apporte en réalité une protection réelle et objective aux peuples coloniaux dans la mesure où elle impose à l’État de renoncer à sa compétence territoriale et à l’exercice de sa souveraineté sur les territoires concernés à la différence de la version subjective du droit des peuples pour lequel un referendum d’autodétermination est nécessaire à sa mise en œuvre. Concernant les parties en cause, ce régime fait des États colonisateurs les débiteurs de cette obligation dont les peuples deviennent les bénéficiaires directs dans la mesure où l’absence de personnalité juridique internationale empêche qu’ils en soient les créanciers. Ces deux textes emblématiques en matière d’auto-disposition restreignent le « droit à l’indépendance » (§4) pour les peuples soumis « à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangère » (§1), c’est-à-dire les peuples coloniaux. La majorité des Nations unies cherchait en effet à rendre obligatoire la décolonisation en la plaçant sous l’égide d’un texte. La restriction susmentionnée nous conduit nécessairement à nous demander ce que le Droit international entend par « colonie » sachant qu’il existe une classification communément admise fondée sur deux catégories : les colonies d’exploitation et les colonies de peuplement.
10. Colonies d’exploitation – Les colonies d’exploitation correspondent à l’analyse des territoires non-autonomes faite par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution 1541, laquelle comportait deux conditions : être un territoire géographiquement séparé et ethniquement ou culturellement distinct du pays qui l’administre et se trouver arbitrairement placé dans une position ou un état de subordination[35]. Autrement dit, ce sont les territoires « dont l’occupation coloniale a été motivée par la volonté d’en tirer les avantages économiques (approvisionnement en matières premières, fourniture de produits finis…), ou stratégiques sans que l’installation sur place du personnel métropolitain nécessaire à l’exercice des fonctions administratives ou des activités économiques dépasse un faible pourcentage de la population autochtone[36] ». La conduite à tenir par la puissance colonisatrice à l’égard de ce type de colonie semble assez évidente, elle doit cesser d’exercer sa souveraineté sur ce territoire et le quitter. Un tel raisonnement implique que les fonctionnaires dépêchés pour assurer l’administration de ces terres soient rapatriés en métropole, les quelques personnes privées restantes devenant alors des étrangers.
11. Colonies de peuplement – Les colonies de peuplement sont celles dont « la conquête a été assurée par une population ayant quitté la métropole pour des raisons diverses (économiques ou politiques) et qui s’y est installée sans esprit de retour[37] ». Dans ce cas précis, un équilibre quantitatif entre métropolitains et autochtones au fil du temps est assez fréquent ce qui n’empêche pas l’application du principe de décolonisation laquelle demeure cependant plus compliquée notamment par rapport à la question de la renonciation de la puissance coloniale à ses compétences personnelle et territoriale. En ce sens, il parait judicieux de se questionner sur le sort réservé aux ressortissants métropolitains : doivent-ils rester sur le territoire ou être rapatriés au risque de se sentir arrachés d’un endroit qu’ils considèrent comme « chez-eux ». Au nom du « caractère souverain du choix de l’État dans la détermination du national[38]», le droit international laisse aux États la discrétion de traiter de cette difficulté en équité. « Il appartient à chaque État de déterminer quels sont ses nationaux. C’est là une question de souveraineté[39] ». Concernant l’établissement des règles relatives à l’octroi et la perte de la nationalité, cette tâche relèvera de la compétence souveraine du nouvel État.
[30] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 334 (IV), 2 décembre 1949
[31] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 567 (VI), 18 janvier 1952
[32] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 742 (VIII), 27 novembre 1953
[33] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 742 (VIII), 27 novembre 1953, § 3
[34] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 1467 (XIV), 12 décembre 1959 : Désignation du comité spécial en charge de définir les territoires non-autonomes
[35] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 1541, 20 septembre 1960, 15ème session, supp. 16, p. 31-32, Doc NU A/4684 (1960)
[36] CHARPENTIER Jean, « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international positif », op. cit., p.207.
[37] Ibid.
[38] MADEIRA Anne-Virginie et DRAGO Guillaume, Nationaux et étrangers en droit public français, Bibliothèque de droit public, tome 300, Issy-les-Moulineaux : LGDJ, une marque de l’extenso, 2018, p.20.
[39] FULCHIRON Hugues, La nationalité française, Que sais-je ? 3567, Paris : Presses universitaires de France, 2000, p.26.