Le droit international s’est également abstenu de se prononcer sur la nécessité d’une éventuelle consultation de la population locale[40]. Selon la plupart des résolutions onusiennes, les peuples dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination doivent faire connaître leurs vœux[41] [42]. Cependant, la Cour internationale de Justice a décidé que « la validité du principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée par le fait que dans certains cas, l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire[43] ». Il appartient donc à chaque État d’amorcer la phase de décolonisation en adéquation avec les intérêts des peuples autochtones.

Une autre difficulté relative à la décolonisation des colonies de peuplement, dont la cause est due à un exercice tardif du droit à l’autodétermination, concerne la réduction du peuple autochtone au statut de minorité face à l’arrivée massive de population métropolitaine. Face à une telle situation, le régime de l’obligation de décoloniser ne peut plus être appliqué, le sort de ces populations relevant le cas échéant, du droit des minorités.

12. Obligation coutumière – L’obligation de décoloniser, consacrée par les résolutions 1514 (XV) et 2625 (XXV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies ONU et mise en œuvre par la pratique des puissances coloniales directement intéressées, a une valeur coutumière. Dans la mesure où nous avons choisi pour cette étude, d’intégrer l’obligation de décoloniser au régime du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et non de la considérer comme un dispositif indépendant, il semble logique de tirer les conséquences de nos propres constatations en lui appliquant un caractère erga omnes. En ce sens, la valeur de l’obligation de décoloniser serait alors supérieure à celle des accords futurs ou passés que l’ex-puissance coloniale pourrait signer ou avoir signé avec les autorités de l’ex-colonie et cela en optimiserait la mise en œuvre, considérant, suivant le raisonnement exposé par la Cour internationale de Justice, que tous les États auraient alors un intérêt juridique à la faire respecter[44].

13. Sort de l’obligation de décoloniser – En 1994, le Conseil de tutelle chargé de la transition des territoires vaincus lors de la Première Guerre mondiale suspendait ses activités et à ce jour, 80 colonies ont obtenu leur indépendance grâce à l’intervention des Nations Unies. Bien que la phase de décolonisation soit considérée comme majoritairement achevée, le régime de l’obligation de décoloniser n’a pas pour autant perdu de son utilité.

D’une part, toutes les colonies n’ont pas disparu à la suite de la Déclaration de 1960 ; d’ailleurs au début des années 80, 4 millions de personnes vivaient encore sous domination étrangère. Nous pouvons à ce titre citer l’exemple du Timor oriental, occupé par l’Indonésie depuis le départ des Portugais. À ce jour, on compte encore 17 territoires non-autonomes[45] dans les océans Atlantique et Pacifique et aux Caraïbes[46] ce qui implique que 2 millions de personnes subissent encore le colonialisme. Le Comité spécial de la décolonisation, organe subsidiaire chargé de la question de la décolonisation institué par la résolution 1654 (XVI) du 27 novembre 1961, se réunit encore afin d’émettre des recommandations sur la meilleure marche à suivre pour que les territoires déjà qualifiés de non autonomes puissent exercer leur droit à l’autodétermination, ou encore pour traiter du cas de ceux susceptibles d’être ajoutés à la liste de ces territoires. Il est en effet possible d’intégrer ou de réintégrer un territoire sur cette liste, comme ce fut le cas en 2013 pour la Polynésie française[47] alors que les archipels en avaient été extraits en 1947[48].

D’autre part, la porosité de la notion de colonie semble se présenter comme un atout en faveur des peuples non-identifiés comme coloniaux mais réclamant l’auto-disposition. Le bénéfice du régime de l’obligation de décoloniser pourrait en effet leur être accordé si d’emblée les territoires faisant l’objet de leurs revendications s’avéraient correspondre aux critères posés par la doctrine et la pratique internationale pour être qualifiés de colonies.

14. Contradictions – Le régime de l’obligation de décoloniser se révèle cependant quelque peu contradictoire au sens où il permet en effet l’indépendance pour les peuples qualifiés de coloniaux mais pas pour les autres. En outre, ce régime part du postulat que tous les peuples colonisés souhaitent devenir indépendant ; parler d’autodétermination ou de décolonisation revient ainsi au même. Le cas de Mayotte où la population a exprimé par trois fois (24 décembre 1974, 8 février 1976, 11 avril 1976) le souhait de rester rattachée à la France et de se séparer des autres îles de l’archipel des Comores pour lesquelles l’indépendance avait été proclamée le 6 juillet 1975 semble être un bon exemple de cet écueil dans la mesure où l’Assemblée générale des Nations unies a condamné cette prise de position l’assimilant à une violation de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République indépendante des Comores[49].

            Il n’empêche que l’obligation de décoloniser n’est pas le seul aspect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à constituer un remède à la colonisation. Dans une certaine mesure, ce régime fait de l’État colonisateur un débiteur et de peuple autochtone un bénéficiaire mais l’affirmation selon laquelle le peuple ne dispose pas d’une personnalité transcendant les membres de sa communauté et ne dispose de ce fait, d’aucun moyen juridique pour faire valoir son droit à l’autodétermination est à nuancer.

[40] CHARPENTIER Jean, « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international positif », op. cit., p. 208.

[41] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 1514, note 10 p.71 : « vœux librement exprimés par les peuples »

[42] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2625 (XXV), note 11 p.131 : « vœux librement décidés par eux »

[43] Cour internationale de Justice, Sahara occidental, avis consultatif, p.33 §59

[44] Cour internationale de Justice, obiter dictum dans l’arrêt Barcelona Traction, note 26, p.32

[45] Listes des territoires non autonomes : https://www.un.org/en/decolonization/nonselfgovterritories.shtml

[46] PIDOUX Flora, « La décolonisation, un processus inachevé », FICSUM | Fonds d’investissement des cycles supérieurs de l’Université de Montréal 28, no 3 (2019), Disponible sur : https://www.ficsum.com/dire-archives/automne-2019/societe-la-decolonisation-un-processus-inacheve/

[47] Assemblée générale des Nations Unies, résolution, A/67/L.56/Rev, 17 mai 2013

[48] PIDOUX Flora, « La décolonisation, un processus inachevé », op. cit.

[49] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 376, 17 octobre 1975

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