2) La protection collective subjective : Les mouvements de libération nationale titulaires d’une personnalité juridique internationale
Les mouvements de libération nationale sont des sujets de droit international chargés de représenter les peuples qui luttent contre la domination coloniale. Nous pouvons d’ores et déjà nous demander si l’octroi de cette personnalité se limite aux mouvements représentant les peuples coloniaux. Il fût un temps où seuls les mouvements de libération africains participaient aux travaux des organisations internationales[50], l’Afrique étant communément citée comme terre coloniale de référence. Cette faculté sera par la suite étendue aux autres mouvements ; nous pouvons citer à ce titre l’exemple de la Palestine[51]. L’Organisation de Libération de la Palestine créée le 29 mai 1964 à l’initiative de la ligue arabe est invitée à la 29ème Assemblée générale des Nations Unies[52] à « participer (à ses délibérations) sur la question de Palestine ». Le statut d’observateur lui est attribué par l’ONU[53] puis par l’UNESCO[54] et le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien proclame d’État de Palestine. Une Nation palestinienne est par la suite reconnue par une majorité d’États aux Nations unies[55].
15. Statut d’observateur aux Nations Unies et personnalité internationale – Le statut d’observateur né des décisions et de la pratique des Nations Unies et devenu le statut de droit commun des mouvements de libération nationale dans les Organisations internationales[56], leur permet l’accès à une tribune incomparable et cela en dépit de l’absence de texte. Cette opportunité qui leur est offerte de participer aux travaux de l’ONU leur confère ainsi un moyen d’expression dans le cadre des résolutions. Afin d’en bénéficier, les mouvements de libération nationale doivent au préalable être reconnus par les organisations régionales afin d’accéder aux institutions internationales. En effet, la « reconnaissance » accordée aux mouvements de libération nationale par les grandes conférences inter-régionales du Tiers-Monde (Conférence des pays non-alignés, Conférence islamique au sommet, etc.) est un acte éminemment politique, destiné à les promouvoir sur la scène internationale[57]. Par la suite, et ce afin de garantir l’effectivité de ce statut, une reconnaissance individuelle par chaque État est nécessaire. La reconnaissance de la personnalité internationale revêt un caractère déclaratif.
Dans le cadre des relations internationales, la personnalité conférée à ces mouvements leur ouvre l’accès aux débats intéressant le territoire en cause et aux conférences de codification et de développement du droit international. En outre, ils bénéficient de la protection accordée par le droit de la guerre dans le cadre de leur lutte pour la liberté. Les mouvements de libération reconnus ont également la capacité de conclure des engagements internationaux, ne serait-ce que pour signer un accord d’indépendance. Ainsi, lorsqu’un État accepte une relation conventionnelle avec un mouvement de libération internationale, il lui reconnait la qualité de sujet de droit international.
Cette personnalité juridique est fonctionnelle dans le sens où la capacité des mouvements de libération se limite à l’objectif poursuivi, c’est-à-dire leur transformation en un État indépendant. Cette personnalité est également transitoire car vouée à disparaitre dès lors que la création du nouvel État aura abouti, ce dernier se substituant dès lors au mouvement.
Bien que les protections collectives constituent les régimes de référence en matière de décolonisation, il existe une version plus récemment consacrée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; celle l’assimilant à un droit de l’homme.
B. La protection individuelle : Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa version l’assimilant à un droit de l’homme
16. Droit subjectif – Le régime de protection individuelle offre à chaque individu membre d’une communauté la faculté de se prévaloir de son droit à l’autodétermination dans sa version l’assimilant à un droit de l’homme laquelle ne prévoit aucune atteinte à l’intégrité territoriale de l’État ou à son unité politique. Il n’est ainsi plus question d’un droit collectif mais d’un droit subjectif individuel à caractère fondamental de jus cogens[58], garanti en droit international par la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP). L’article 2 de la DUDH énonce une la possibilité pour chaque individu de se prévaloir de ses droits fondamentaux et proclame le principe de non-discrimination entre les demandeurs, peu importe le statut du pays ou territoire dont ils sont les ressortissants[59]. Pour autant, la Déclaration universelle des droits de l’homme est dépourvue de valeur juridique contraignante[60] [61] ce qui en limite l’efficacité. Ce n’est cependant pas le cas du Pacte international relatif aux droits civils et politiques lequel s’impose aux États signataires. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes y est proclamé à dans le premier article[62] dont le paragraphe introductif énonce le principe du libre-choix du statut politique et du développement économique, social et culturel et le deuxième, les conséquences patrimoniales de l’autodétermination. À la différence des premiers, le troisième paragraphe, directement adressé aux États, leur rappelle leur devoir de garantir le respect du droit à l’autodétermination.
Cette nouvelle version du droit des peuples fondée sur la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu actualise la condition nécessaire à l’exercice de toutes les libertés individuelles qu’est le droit à la démocratie. Autrement dit, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques permet ainsi aux dictatures d’être indirectement condamnées ce qui était impossible avant son entrée en vigueur dans la mesure où le droit international ne tenait pas compte de la nature des régimes politiques à condition qu’ils soient effectifs.
17. Minorités – L’étude de cette version du droit des peuples nous amène naturellement à évoquer le cas des minorités ethniques et culturelles qu’il convient de différencier des peuples. Dans un avis consultatif rendu le 31 juillet 1930, la Cour permanente de justice internationale a posé les critères objectif et subjectifs d’identification de ces communautés[63]. La possession par l’individu de caractéristiques distinctives d’un groupe comme sa religion, sa langue, sa culture constitue l’élément objectif de cette définition, quant aux éléments subjectifs, l’élément collectif repose sur le désir du groupe de conserver son individualité et l’élément individuel, sur la libre déclaration d’appartenance à une minorité fondée sur la possession par l’individu des caractéristiques du groupe, si bien que ce dernier peut se considérer comme l’un des membres. Cette dernière déclaration doit être la constatation d’un fait et non l’expression d’un désir ou d’une volonté[64].
[50] LEWIN André, « Les Africains à l’ONU », Relations internationales 128, no 4 2006 : 55‑78, p.57.
[51] SALMON Jean, « La proclamation de l’Etat palestinien », Annuaire Français de Droit International 34, no 1, 1988 : 37‑62, p.38.
[52] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 3210 (XXIX), 14 octobre 1974
[53] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 3237 (XXIX), 22 novembre 1974, adoptée par 95 voix contre 17 et 19 abstentions.
[54] Assemblée générale des Nations Unies, résolution, Doc. U.N.E.S.CO 18C/117, p. 7, 25 octobre 1974,
[55] Assemblée générale des Nations Unies, résolutions 43/176 et 43/1 77, 15 décembre 1988, « Question de la Palestine ».
[56] Assemblée générale des Nations Unies, résolution E/1892 (LVII) sur l’Application de la Déclaration aux pays et aux peuples coloniaux, le C.E.S., prenant acte des décisions prises à l’O.N.U. et dans la plupart des Institutions spécialisées, invite celles qui ne l’ont pas encore fait à permettre aux représentants des mouvements de libération nationale, reconnus par l’O.U.A., de participer pleinement, en qualité d’observateurs, à toutes les délibérations concernant leurs pays et résolution 3280 (XXIX), § 6.
[57] Sur la « reconnaissance » du F.L.N. par ces conférences voir BEDJAOUI Mohammed, La révolution algérienne et le droit, Bruxelles : Edition de l’Association internationale des juristes démocrates, 1961, p.130.
[58] Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie, avis n°1, 29 novembre 1991, §1er : Les normes impératives du droit international général, et en particulier le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et des droits des peuples et des minorités, s’imposent à toutes les parties prenantes à la succession.
[59] Article 2 de la DUDH :
1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.
[60] La Déclaration universelle des droits de l’homme […] qui n’a pas été incorporée dans le droit devant être appliquée par les tribunaux belges ne [constitue pas une loi] au sens de l’art. 17 de la loi du 4 août 1832, dont la violation peut donner ouverture à un recours en cassation : Cour de cassation, 15 mars 1965, P., 1965, I, 736; id., 30 novembre 1976, P. 1977, I, 356; id., 10 mars 1980, P. 1980, I, 844.
[61] La Déclaration universelle des droits de l’homme ne revêt que le caractère d’une déclaration de principe qui n’engendre pas, comme telle, des effets juridiques et qui ne saurait, dès lors, constituer la base légale d’un recours en annulation : Conseil d’État, 9 février 1966, P., 1966, IV, 98 ; id., 16 mai 1967, RAACE, 1967, 481 ; id., 13 octobre 1967, RAACE, 1967, 852 ; id., 1er décembre 1983, RAACE, 1983, II, 2197.
[62] Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), New-York, 3 janvier 1976, Article 1er
[63] Cour permanente de justice internationale, Avis consultatif, 31 juillet 1930, Question des communautés gréco-bulgares, série B, n°17, p. 21
[64] Cour permanente de Justice internationale, avis consultatif, 26 avril 1928, Écoles minoritaires en Haute-Silésie polonaise, série B, n°6, p.25.