La création de l’università vue par les agents de l’Intelligence génoise à Rome, 1755-1765[1]

Résumé :

Cet article étudie les différentes phases de l’élaboration du projet universitaire au travers de la documentation des agents de l’Intelligence génoise chargés de surveiller la communauté corse romaine. Ces archives nous apprennent que le projet d’une structure éducative s’est aussi élaboré dans la Cité éternelle. En effet, la mort de Gaffori en 1753 ne fait pas disparaître son projet d’instituer une structure universitaire, puisque plusieurs notables balanins se réapproprient l’idée. Entre mai 1755 et mai 1756, Antonio Graziani porte devant les Pontificaux le projet d’une « maison d’éducation » à Monticello. Après son départ, l’affaire reste discutée par des patriotes réunis autour du chanoine Natali ; ceci expliquant la tentative d’assassinat dont il sera victime en 1757. Après cela, bien que Natali ait décidé de se retirer des affaires politiques, le projet d’une structure continue d’être discuté à Rome jusqu’en 1758. L’Intelligence donne toutes les informations destinées à l’opérationnel pour « l’en empêcher », mais les choses ont désormais changé : c’est Pascal Paoli qui s’est accaparé l’idée et qui veut en faire, non plus une structure régionale, mais une destinée à la jeunesse de la Nation tout entière. Cette affaire cristallise alors les dynamiques conflictuelles internes aux rebelles tout autant que diplomatiques entre la République et le Saint-Siège.

Mots-clés : Espionnage, républicanisme, influence, diplomatie, hiérarchie des normes.

Résumé

De tous les éclats des Révolutions corses (1729-1769) et plus particulièrement de son « moment paolien » (1755-1769), l’université – l’università ou l’Accademia Gregoriana Cyrnensis expression présente sur certains documents – ouverte en janvier 1765[2] est sans doute la mesure la plus exposée. Le projet ne naît cependant guère ex nihilo, mais déploie ses racines entre 1753 et 1765, de façon concomitante à la concurrence entre l’État national naissant (gafforien puis paolien) avec la puissante région de Balagne ; le présente article prolonge des pages déjà publiées[3] en versant de nouvelles pièces au dossier. L’affaire de l’université se révèle être un précieux observatoire pour apprécier la détermination de la République de Gênes à empêcher qu’une structure éducative ne s’ouvre sur l’île, tout autant que le fonctionnement de la communauté diasporique corse à Rome. À partir d’un article fondateur d’Antoine-Marie Graziani dédié au Visiteur apostolique[4], auquel se sont jointes plusieurs missions de recherche à Rome ainsi que des investigations dans les documentations de l’intelligence génoise[5], il m’était apparu que la communauté corse dans la Ville éternelle réservait encore des perspectives d’études. C’étaient là des pistes et des hypothèses à propos desquelles je trouvai racines réflexives et prolongement dans la thèse de Paul Turchi-Duriani récemment soutenue à l’Università di Corsica[6]. Aussi, plusieurs pièces conservées dans des collections particulières relatives à la tentative d’assassinat de Giulio Matteo Natali en avril 1757 ont également contribué à élaborer un cadre global incitant à formuler des questionnements non pas sur la communauté corse romaine comme entité circonscrite, mais entendue comme un objet dynamique dans le sens où les mobilités de ses membres sont constantes. L’insularité et l’enfermement de la Corse n’ont pas été une réalité durant la période génoise, mais elles le seront davantage du temps de la Corse française : les pouvoirs français ont cassé et empêché les mobilités structurelles en direction de la Péninsule. Pensons à ce Corse que les autorités religieuses interrogeaient à la fin du xviie siècle sur les raisons pour lesquelles il se trouvait, quelques années plus tôt, à Naples et dont la réponse était que c’était « par caprice, pour courir le monde, comme le font les Corses »[7] ! Ou encore aux « Lettres d’instructions » que le Magistrato di Corsica adressait à son gouverneur nouvellement élu précisant que les insulaires étaient des « vagabonds » !

À cette dimension sur les mobilités, s’ajoute pareillement une réflexion dédiée au dynamisme du flux de cet espace public à la fois national (dans le sens où il intéresse les affaires corses) et par-là même trans-étatique (puisque ses différents pôles sont implantés dans des points urbains méditerranéens dépendant de différents États). L’on a souvent étudié de façon superficielle la relation entre l’île et les communautés diasporiques ; or, bien des documents semblent faire de ces dernières de véritables foyers idéologiques bien plus actifs que la Corse stricto sensu. En effet, la dimension dialogique entre la communauté locale et l’expatriée est fréquemment négligée : la voix de la diaspora compte au point qu’elle va jusqu’à teinter – si ce n’est structurer – le format de la pamphlétistique révolutionnaire. Le premier imprimé, la Lettera de Giulio Matteo Natali de 1732, ne s’adresse-t-elle pas à un de ses compatriote qui vit ailleurs ? Tout en mimant une fausse proximité avec son correspondant fictif, Natali feint de s’adresser à un vieil ami soucieux des évènements en cours. De même, les communautés continentales (Venise 1731[8], Bergame 1734[9]) ne vont pas hésiter à prendre parole, en leur nom, pour s’adresser à leurs compatriotes qui résident sur l’île et, à l’inverse, ceux qui y vivent ne manqueront pas de se justifier auprès de ceux qui sont en Terraferma. Ce format – l’une des rares véritables permanences du discours ! – se maintiendra jusqu’aux Lettere scritte da persona di Corti in Corsica, ad un amico suo in Firenze publiées en 1769. Toutefois, il va sans dire que ces lettres peuvent autant être véridiques qu’être des mises en scène à l’instar de la lettre coécrite par Pascal Paoli et Don Gregorio Salvini en 1764[10]. Elles demeurent, malgré tout, incontestablement l’émanation d’une réalité perçue et sensible pour tous : bien que parfois faussement localisées, elles représentent quelque chose de vrai. Pour ces femmes et ces hommes, la Corse n’est pas qu’une île, mais elle admet l’ensemble du réseau polycentrique[11] des communautés diasporiques.

L’Università dans les discours révolutionnaires

Pour expliquer l’absence d’une université ou d’un collège d’études avancées voire même d’une imprimerie sur l’île[12], tout autant que pour renforcer le malgoverno de la République de Gênes à l’encontre des Corses[13], nombreux ont été tentés de porter la comparaison avec la Sardaigne. Or, si le rapprochement entre les deux îles voisines semble tout à fait naturel, il faut objecter que ces deux espaces insulaires ne répondent pas au même modèle de l’insularité : la Sardaigne est, pour reprendre la catégorisation de Fernand Braudel et de Michel Fontenay[14], une île « fermée »[15] – bien que l’on commence aujourd’hui à appréhender la maritimité des Sardes[16] – tandis que la Corse est « semi-ouverte »[17] et, qui plus est, semi-intégrée dans le fonctionnement de la Toscane. En effet, à bien regarder les documentations relatives à Bastia, la metropoli du Regno di Corsica, l’on découvre des élites bourgeoises dont on ne saurait déterminer si elles sont davantage bastiaises ou livournaises[18] ! Ceci explique les raisons pour lesquelles les élites corses n’éprouvent guère le besoin de développer localement des structures éducatives et culturelles, dans la mesure où la proximité et l’intégration de la Corse à la Terraferma est suffisamment importante. L’évocation du temps du gouverneur Giovanni Prato (1690-1692) apparaît, comme écrit par ailleurs, d’ordre strictement contextuelle. À l’inverse, l’éloignement de la Sardaigne conduit à un allongement des mobilités et donc au besoin de développer localement les structures culturelles nécessaires à l’équilibre territorial : l’université de Cagliari ouvre ainsi ses portes en 1606 et celle de Sassari en 1617.

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Du temps des Révolutions, le projet d’une université publique d’études sera avancé à plusieurs reprises par les rebelles. La première occurrence date du temps de Théodore de Neuhoff (avril 1736[19]), dans le texte dit de la constitution. En fait, ce roi élu aux allures de podestat[20] n’en est pas à l’origine, puisque les délibérations d’Alesani sont l’œuvre de Giacinto Paoli et de Sebastiano Costa, deux hommes qui ont émergé grâce à l’éducation dispensée au Collège del Bene de Gênes et qui voient, dans cette posture sécessionniste, s’évanouir l’instrument de distinction sociale qu’est l’éducation. Selon la formule de Costa, acteur et mémorialiste avide d’une gloire tout à fait personnelle, c’est ici, désormais, « au milieu de nous, que les sciences auront asile. Les universités s’ouvriront, les collèges se construiront. C’est sur son sol que naîtront les chevaliers, les comtes et les marquis, les prélats, les évêques, les abbés »[21]. Il reste que le projet ne disparaît guère du corpus contestataire : le 19 novembre 1750, plusieurs notables du Delà-des-Monts – parmi lesquels Giacomo Antonio Forcioli, Giacomo Roccatagliata, Gio Batta Bianchi, Paolo Agostino Colonna d’Istria, Gio Agostino Pozzo di Borgo et Gionchino Celli – reprennent à leur charge l’idée d’une structure éducative[22]. Il reviendra cependant à Gian Pietro Gaffori – dont la dynamique est assurée par le parti Matra (reprenant les débris du Rivarola) – de réinsuffler ce projet au sein de sa dynamique : il apparaît lors des premières négociations avec Séraphin-Marie-Rioult de Douilly (1705-ap. 1765) dit marquis de Cursay lors de la consulta du 14 janvier 1749[23] puis régulièrement replongé dans les négociations comme à Oletta lorsque l’on suggère que 15 à 16 000 sequins soient retranchés des impôts et y soient dédiés[24]. Vers 1753, Gaffori rédigera même un mémoire[25] dans lequel est évoquée l’idée de développer les « sciences et les arts sans aucune dépense. Et dans l’espace de quelques années, suivra une florissante université »[26] ; expression qui affichera une nette proximité avec celle de Pascal Paoli retranscrite par James Boswell[27] ! C’est donc bien ce mémoire détenu avec d’autres papiers par la veuve Faustina Maria Matra que le nouveau général parvient à obtenir grâce à la médiation du docteur Paolo Casabianca[28] !

L’assassinat de Gaffori organisé par le front de parenté des Romei en date du 2 octobre 1753[29] fait, d’une part capoter le projet de conciliation porté par le parti Matra, mais également celui d’une structure éducative soutenue par une entité suprarégionale. La mort du général ne signe pas pour autant la fin des discussions relatives à ce sujet : en effet, le projet d’une structure universitaire ne disparaît pas pour autant et complaît aux notabilités de la riche et puissante région de Balagne au point que plusieurs d’entre elles – sans que ces notables ne soient, à ce jour, formellement identifiés, mais sans aucun doute ce sont ceux que l’on retrouvera autour de Don Gregorio Salvini lors du nœud de 1761-1763 – décident de se réapproprier le projet pour forcer l’ouverture d’une structure éducative dans la province : en mai 1755, le Balanin Antonio Graziani – membre de la délégation qui s’était rendue à Bastia en juin 1753[30] et où participait Salvini – rejoint Rome pour porter devant les Pontificaux le projet d’une « maison d’éducation »[31] à Monticello, le tout, en prospectant pour que quelques bénéfices lui soient dédiés. Si l’espionnage génois suit de près le Balanin, c’est lui qui, à la surprise générale, vient rencontrer l’envoyé consulaire pour recevoir la bénédiction de la République[32] ! Ainsi, pendant près d’un an, Graziani s’installe à Rome où il fréquente quotidiennement le consul Scipione Giuseppe Casale et, à force de rencontres[33], il acquiert même son amitié[34]. Dans sa dépêche du 1er mai 1756, Casale écrit que « le prêtre Graziani n’ayant rien pu obtenir […] est sur le point de repartir »[35], chose faite dans les semaines qui suivent. Si le Balanin se confronte à une fin de non-recevoir (dont les raisons ne sont pas explicitées : le projet ne reçoit-il juste pas d’écho positif ? ou bien sont-ce les concurrence locales qui l’emportent ?), l’affaire de la structure éducative n’est pas terminée : le projet continue d’être discuté à Rome, sans interruption apparente dans la documentation de l’espionnage, par deux autres religieux, le prêtre Casabianca et le chanoine Natali[36], entrés depuis quelques temps déjà dans le phare documentaire de l’intelligence génoise.

Si l’identité du prêtre Casabianca n’est pas aisée à découvrir, l’on peut spéculer sur le fait qu’il s’agisse du docteur Paolo Casabianca (c. 1725 – ap. 1787) – chargé de récupérer les papiers de la veuve Faustina Maria – et que l’on saura être un membre pivot des Cinque pievi dans la conquête du pouvoir. En effet, on sait que Paolo est présent au côté de Pascal Paoli au moins à partir du 26 décembre 1755[37] ; dès lors, il ne le lâche plus et l’accompagnera jusqu’à la conquête avant d’intégrer les consulte françaises comme membre du Tiers États. Avant ces deux périodes, on sait que l’homme s’est formé à Rome où il participera aux milieux académiques pontificaux – point qui fera l’objet d’une publication prochaine – ; en somme, tout colle. Quant à Natali, les choses sont moins embrumées : il s’agit de Giulio Matteo (1702-1782) originaire d’Oletta, riche bourgade du sud de Bastia d’où bien des grandes familles de la metropoli du royaume sont originaires. Après des études au Collège del Bene et possiblement quelques autres années passées en Terraferma – il est encore à Gênes en février 1729 puisqu’il rédige plusieurs lettres au sujet d’une de ses connaissances partie aux « Indes » avec patente pontificale[38]. Natali est, ensuite, déjà en poste en Corse lorsqu’éclate la révolte et quand les « gouverneurs » et les « capitaines du peuple » Andrea Colonna Ceccaldi et Luigi Giafferi convoquent les vingt religieux au couvent d’Orezza du 4 au 9 mars 1731. Selon les Génois, Il Natali n’aurait pas été de ceux qui adoptèrent la posture la plus radicale mais, tout au contraire, peut-être la plus modérée ; chose tout à fait intéressante dans la mesure où, dès le 15 avril 1732, il signe le premier imprimé révolutionnaire, la Lettera di un Corso[39],[40] puis, plus célèbre encore, le Disinganno intorno alla guerra di Corsica[41] publié à Cologne en 1736, vraisemblablement un faux lieu d’impression. Cette œuvre radicale – qui porte onze références à la guerre juste sur un peu moins d’une centaine de pages[42] – fit la réputation de Natali puisqu’on dit de lui qu’il est celui qui prône une « cruciata »[43] contre la République de Gênes.

Le parcours de Giulio Matteo est donc celui d’individus qui ne sont guère favorables au conflit puis qui se trouvent engagés dans une démarche de radicalisation. Il est, dès lors, repéré comme l’une des figures idéologiques les plus radicales et les réseaux génois ne le lâcheront plus. Très souvent d’ailleurs, quand les réseaux de l’intelligence génoise discutent de Natali, c’est pour désigner tout un groupe qui agit autour de lui[44]. En 1739, Natali[45] et les siens apparaissent comme un groupe favorable à une posture d’union autour du contesté roi Théodore et livrera l’un des écrits révolutionnaires parmi les plus intéressants et structurés suggérant que premièrement « lecita e lodevole la sottrazione de’Popoli Corsi dal Comando veramente Tirannico Genovese Senato »[46] ; deuxièmement « valida, e giovevole l’Elezzione del Baron di Neuhoff comme Rè Theodore » ; troisièmement, nécessaire et indispensable selon le droit divin, naturel et humain l’obéissance des « Popoli Corsi » puis, quatrièmement, que la soustraction des « Popoli della Corsica dal Dominio del’Genovese Senato » est bonne, nécessaire et surtout légitime. À ce stade, la posture n’est donc guère alignée sur la tendance révolutionnaire qui a pris la main des affaires en Corse, à savoir le parti Rivarola (puis in extenso Matra-Gaffori). Le Disinganno secondo daté du 1er janvier 1745 franchissait, lui aussi, un cran supplémentaire dans la radicalisation des révolutionnaires romains[47]. Ces Romains ont donc une posture qui diffère de ceux qui tiennent, sur l’île, les rênes de la révolte. Ainsi, le nom qui réapparaît dans les réseaux de l’intelligence au lendemain de la mission du Balanin Antonio Graziani n’est pas celui d’un inconnu : c’est un homme qui, entre 1732 et 1756, concentre les inquiétudes et apparaît comme une menace à l’ordre. Et c’est immédiatement à la suite de cet épisode qu’apparaît, parmi les discussions politiques des Sérénissimes Sénats, le projet de l’éliminer. Si bien des éléments liés à l’oralité des débats échappent à la production documentaire, il apparaît de façon nette que les sénateurs pensent supprimer un homme ayant une fonction nodale au sein des réseaux de révolutionnaires. Supprimer l’homme aura pour finalité de déstructurer le réseau et l’empêcher dans son action, et en effet, les réseaux diasporiques corses se structurant autour de réseaux personnels (souvent eux-mêmes structurés autour des origines régionales).

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[19] On y évoque une pubblica Università di Studj, tanto delle Scienze, comme…

[20] D’autant plus dans cette Europe de l’Ancien Régime où la monarchie élective…

[21] Sebastiano Costa, Mémoires (1732-1736), éd. critique, traduction et notes…

[22] Archivio di Stato di Genova, Corsica, 1471/29, Lettre de Giacomo Antonio…

[23] Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Kerenveyer, Demandes des Corses…

[24] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 347A.

[25] Lettre n° 86, Pascal Paoli à Gian Quilico Casabianca, le 19 octobre 1755.

[26] Cité dans Jean-Guy Talamoni, Le Républicanisme corse. Sources…

[27] James Boswell, État de la Corse suivi d’un Journal d’un voyage dans l’isle…

[28] Lettre n° 86, Pascal Paoli à Gian Quilico Casabianca, le 19 octobre 1755.

[29] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à…

[30] Biblioteca Civica Berio di Genova, r. r. VII 3 43, Memoria delle richieste che…

[31] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2397, Lettre de Scipione…

[32] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 7 juin 1755. (Il nominato prete…

[33] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, sd. (Essendo appunto venuto da…

[34] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 2 août 1755.

[35] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 1er mai 1756.

[36] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2157, Lettre du 10 janvier 1756.

[37] Lettre n° 118, le 26 décembre 1755, Lettre au popolo de Patrimonio.

[38] Collection particulière, Lettre de Giulio Matteo Natali, le 13 février 1729…

Décider « l’extinction » d’un individu nodal

La République de Gênes n’en est pas à son coup d’essai : en 1753, durant la révolution de Sanremo, les autorités génoises ont songé à éliminer les principales figures politiques locales. Deux siècles plus tôt, le commissaire Niccolò Grimaldi n’avait-il déjà pas élaboré un projet d’assassinat de Sampiero Corso[48] ? Ce même Sampiero qui prévoyait d’assassiner Charles Quint lors de sa venue à Rome ? L’on connaît l’existence d’actes notariés stipulant les modalités et instruments qui doivent être employés[49]. Mais ce sera à partir de 1689 que ces missions seront confiées au Magistrato degli Inquisitori di Stato[50], magistrature calquée sur la vénitienne[51]. Lors des Révolutions corses du xviiie siècle, l’assassinat appartient au panel des outils politiques à disposition de la République : Fabio Vinciguerra[52] – dit Filingheri dans les gazettes – ou encore Giovan Gavino de Loreto seront parmi les premières cibles et, en effet, l’absence de verticalisation de la société corse – eu égard à l’absence du développement d’une société de cour – conduit le chef à prendre de l’importance via son rôle de médiateur et d’intermédiaire ; ainsi, en Corse, le chef n’est guère le plus fort, mais celui disposant de la meilleure capacité médiatrice. Au début de la décennie 1750, l’on compte, avant d’y renoncer, parmi les cibles potentielles l’abbé Luigi Zerbi[53], ce religieux fanatique qui avait réussi à arracher au parti des Cinque pievi la consulta du 5 mai 1754 offrant la Nation à l’Ordre de Malte[54]. Idem pour ce jeune homme ambitieux – Pascal Paoli – que l’on soupçonne de vouloir « jouer un rôle en Corse »[55] qui se trouve à Porto Longone, lieu pivot dans la circulation de l’épistolaire entre la Corse et la Terraferma. Pour ces deux cas, il faut reconnaître que l’intelligence génoise sait faire remonter auprès des instances le nom d’individus qui jouent effectivement un fort rôle politique ; restent les modalités opérationnelles.

Quant à Natali, on avait songé une première fois à l’éliminer en 1753-1754, peu après la publication et la circulation de la Padria di bando, lors d’une séquence où planait le projet d’une conciliation. Certains patriotes nationaux avaient alors accusé les notables de ne prendre leurs responsabilités que quand cela les arrangeait[56] et on y lisait, également, l’importance de « rompre tout pourparlers avec la République, [afin de] reprendre les armes et mener contre elle une guerre acharnée, jusqu’au jour où sa domination aura disparu de l’île »[57]. Giuseppe Maria Mambilla, en ce temps commissaire de Calvi, affirmera que Natali était l’auteur dudit pamphlet et que « un po’ di veleno potrebbe far ammutolire questa lingua pestifera, che sino di Roma si fa sentire in Corsica »[58]. Reste que si la Padria in bando correspond bel et bien au style des Romains de l’école natalienne, il n’est pas si sûr que Giulio Matteo en soit à l’origine. Après la publication de la Giustificazione della rivoluzione di Corsica en 1758, Pier Maria Giustiniani[59] – ancien évêque de Sagone, désormais de Vintimiglia et anti-franc-maçon résolu – déclarera que l’œuvre est celle de Natali. Or, là encore, la chose n’est pas si vraie car, comme nous l’avons montré par ailleurs, si l’œuvre est majoritairement l’œuvre de Don Gregorio Salvini, elle est aussi composite car de la main d’un « Saliceti »[60], l’un des élèves avérés de Natali ; si le maître qui a attiré l’attention, c’était l’élève qui agissait.

Agir sur la personne de Giulio Matteo Natali requiert cependant une certaine subtilité dans l’action : l’homme n’est pas qu’un rebelle en état de pêché mortel, mais un religieux que la fonction vient partiellement protéger. Fin décembre 1755, les Sérénissimes Sénats décident de s’en référer auprès de leur théologien national, le jésuite Giuseppe Maria Farina élu cette même année à la charge à la suite de Solari, afin de produire un rapport sur la faisabilité théologique quant à ce « canonico Natali reo di ribellione »[61]. Après rédaction, le rapport est lu le 13 février 1756 et présente de fortes assises thomistes semblables à celles qui seront mobilisées pour « l’extinction » de Francesco Arena en 1762[62]. « L’estinzione » ne sera cependant réalisée qu’une année plus tard, dans les rues de Rome. Les modalités empruntées par ceux chargés des modalités opératives font que – plutôt qu’employer des tueurs professionnels – l’on décide de missionner un Corse qui permettrait de semer un trouble supplémentaire. Ainsi, comme l’écrira l’évêque Giustiniani, le méfait ne peut provenir de la République mais plutôt d’une « vengeance transversale selon une coutume de la Corse »[63] ! L’homme chargé du coup fatal est un certain Francesco Ambrosini d’Algajola, un de ceux qui, selon les mots de Buonfiglio Guelfucci – qui fixera durablement le récit en 1764 via les dires rapportés par servite Lorenzo Franceschi[64] –, auraient été « mis sur la bonne route par son Prince exemplaire »[65] ! Toutefois, à bien regarder de quelle famille provient Ambrosini, on ne saurait douter du fait que Guelfucci arrange le récit à sa façon. Le groupe familial apparaît en effet comme une famille implantée dans le préside puisqu’on en retrouve encore plusieurs lors du recensement de 1769 : un Giuseppe (27 ans) q. Saverio (sergent dans la compagnie de Gregorio Graziani en 1751[66]) marié depuis le 24 mai de cette année à une Anna Maria (30 ans). Les deux jeunes époux avaient même obtenu une dispense de consanguinité de Monseigneur Tommaso Struzzieri. On note également la présence de deux autres Ambrosini (Gio Luca et Anton Paolo) présents dans la compagnie Graziani[67]. Tout indique une famille d’Algajolais bien inscrits dans la démarche loyaliste ! S’il est plus que probable que les commanditaires institutionnels aient promis au jeune homme un pécule qu’il ne recevra jamais, l’action ne semblait pas pour autant relever de la part de son auteur d’un conflit moral et – à l’instar de la fratrie Romei qui a agi à l’encontre des volontés institutionnelles – Ambrosini devait certainement spéculer recevoir une juste récompense de son investissement.

Malgré le rôle que jouerait la figure du Génois dans les différents récits contemporains – tantôt le manipulateur, ou seulement le froid instigateur –, la présence du Ligure est une constante : un simple Genovese[68] quand chez d’autres l’identité apparaît, ce serait Romano Palombo[69]. Quoi qu’il en soit, Francesco Ambrosini fait réaliser à ses frais un poignard en bec d’oiseau avec le manche en vrille dans une boutique de Sottoripa, arme qui ne sera utilisée qu’au soir du 20 avril 1757, l’« atroce succedeto »[70] selon les envoyés génois dans la Ville éternelle. Les documents entre ces derniers et les Sérénissimes Sénats ne trahissent en rien un quelconque rôle des agents diplomatiques dans cet épisode : sont-ils informés ou les instances agissent-elles en dépit des agents locaux ? Car c’est ce que l’on constate lorsque les Sénats font assassiner le consul Francesco Arena dans les geôles bastiaises, épisode qui provoque un large étonnement de la part du commissaire général[71] ! Quant à Ambrosini, on sait qu’il est accompagné (probablement de Palombo) mais que lui seul frappe Natali, qu’il laisse à terre, mort. Enfin, c’est ce que pense Ambrosini puisqu’une telle lame laisse peu de doutes : elle cause par sa courbure d’importants dégâts, d’autant plus qu’elle requiert entre l’assaillant et la victime une proximité physique et, en conséquence, une violence dans la succession des chocs. Au sol et transpercé de plusieurs coups, Natali aurait lâché un « je suis déjà mort »[72] avant d’être porté à bout de bras par trois Capcorsins jusqu’au palais où il réside et où les premiers soins sont prodigués, vraisemblablement dispensés par Natale Saliceti. Conformément à son état de santé qui ne laisse qu’une place modérée à l’espoir, Natali reçoit l’eucharistie puis l’extrême-onction et, alors qu’il souffre déjà – au moins depuis 1739[73] – d’importants problèmes de santé « le digne ecclésiastique ne survécut que par miracle »[74] !

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[48] Giacomo Santo Lorenzi, « L’uccisione di Giampietro Gaffori », dans ASC…

[49] Antoine Franzini, La Corse du xve siècle. Politique et société (1433-1483)…

[50] Bibliothèque de l’Institut de France, Ms 54, Négociation et relation de Gennes…

[51] Paolo Costantini, La Repubblica di Genova nell’età moderna, Torino, UTET…

[52] Francis Pomponi, « Émeutes populaires en Corse : aux origines de l’insurrection…

[53] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2079, 14 octobre 1755…

[54] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face…

[55] Antoine-Marie Graziani (dir.), Histoire de la Corse, vol. ii. Des Révolutions…

[56] Archives de la Collectivité de Corse, Ajaccio, 5FG202, La Padria in Bando…

[57] Ambroise Ambrosi, « Un pamphlet célèbre. Le Disinganno attorno alla guerra…

[58] Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate…

[59] Antoine-Marie Graziani, « “Si è risposto a Lutero e si risponde ogni giorno…

[60] Lettre n° 1650, Pascal Paoli à Don Gregorio Salvini, le 12 janvier 1764. (Da Livorno…

[61] Biblioteca Universitaria di Genova, MS., BV21, Consulto etc. circa la persona…

[62] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2100, Decreto circa la…

[63] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue…

[64] Qui compte, selon lui, parmi les « nombreux ecclésiastiques que…

[65] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par...

[66] Archivio di Stato di Genova, Corsica, 424, Rollo della compagnia del capitano…

[67] Ibid.

En tout, ce sont deux médecins et trois chirurgiens qui se relaient auprès de Natali et, en dépit d’un fort scepticisme, un courrier fait savoir au bout d’une semaine que « Il sig. Abbate Natali si trova in qualche speranza di vita »[75] et qu’il aurait perdu une dizaine de livres de sang, somme hautement exagérée. Le 30 avril, on déclare Natali complètement hors de danger[76]. Giulio Matteo reviendra dans une lettre datée de juin sur l’importante quantité de sang perdue : il est confronté, écrit-il, à une fatigue extrême car son corps s’est vidé de « quasi tutto il sangue »[77] ! L’homme est désormais sauf et il devient socialement valorisant d’affirmer que l’on compte parmi les premiers à qui Natali a écrit à propos de son rétablissement. Ainsi, Paoli qui a bénéficié du soutien du groupe des patriotes romains pour accéder au pouvoir joue de cette proximité pour renforcer son aura personnelle : il écrit longuement dans sa correspondance être informé des dernières nouvelles du chanoine et assure à Giovan Paolo Quilici avoir même vu « des lettres du chanoine Natali, écrites de sa propre main, [qui] nous assurent de son rétablissement »[78]. Idem pour Luigi Zerbi qui écrit le 6 juin 1757 à Giacinto quant à la convalescence du chanoine[79]. Malgré tout, Pascal tente d’inviter son père à se comporter avec davantage de prudence, lui qui vit mondainement à Naples et qui participe à l’académie de la Stadera : « L’attentat commis sur la personne du chanoine Natali, vous aura rendu, je m’en félicite, plus circonspect pour sortir de chez vous. Les Génois, trop avides de notre sang, n’ont pas de vrais scrupules pour ce qui est des moyens employés pour le verser. Les patriotes ne manquent pas par là. Gardez-en toujours auprès de vous »[81]. Mais à cette époque, Giacinto n’occupe plus aucun rôle et nulle fonction nodale dans les réseaux de patriotes ; même pas le projet de l’éliminer n’apparaît dans la documentation. Le « vieux général » est, pour tout le monde, sorti des affaires.

La tentative d’assassinat stimule néanmoins immédiatement le réseau des communautés diasporiques : l’on cherche un coupable et quelques voix « calomnieuses »[82] portent l’accusation sur « il buon vescovo d’Aleria »[83] Matteo de Angelis qui aurait possiblement une responsabilité dans l’affaire, ce qui est faux. Après son acte atroce, Ambrosini se serait, selon Buonfiglio Guelfucci, rendu accompagné de son acolyte à Gênes où ils se présentent chez « le chancelier des Inquisiteurs (di Stato), puis chez le doge d’alors, un Brignole, pour recevoir du premier une récompense de cent génovines et du second, son salaire de quarante lires par mois »[84], chose que les autorités auraient refusée. C’est, à nouveau, le lieu commun du Génois qui trompe le pauvre insulaire et qui va jusqu’à lui refuser la confession avant de le mettre en prison ! Le tout, avant que Guelfucci ne précise non sans ironie, « non ho potuto sapere il motivo [de son incarcération] ; ma di certo non sarà stato per esser gallantuomo »[85]. Il faut toutefois écrire que cette anecdote rapportée par Guelfucci est parsemée d’erreurs et cela n’est pas sans intérêt : elle témoigne, au contraire, de façon épidermique, de l’une des grandes évolutions qui entourent le « moment paolien » des crises révolutionnaires corses, à savoir le renouvellement générationnel des élites rebelles. Ces fautes rendent compte du passage d’une génération qui a participé à la Corse génoise et qui suit son actualité politique vers une dont le génovisme n’est qu’un fait éloigné : ainsi, mentionnant l’identité du doge, Guelfucci écrit qu’il s’agit d’un Brignole alors que c’est Giovanni Giacomo Grimaldi[86] (22 juin 1756 – 22 juin 1758) qui est en fonction, ce grand personnage de la politique génoise bien connu des Révolutionnaires. Le doge Brignole le plus proche des évènements est Giovanni Francesco Brignole Sale entre 1746 et 1748 ! Nous sommes donc en présence d’une génération de trentenaires qui ne suit plus la vie politique génoise et, au fond, méconnaît bien des éléments de l’histoire de la Corse génoise : en effet, Guelfucci évoque dans ses mémoires[87] que l’orateur requérant le sopra più de 1715 est le docteur Marcello Mancini de Belgodere (qui n’est même plus xii à l’époque !) alors qu’il s’agit d’un Matra ! Difficile de passer à côté d’une telle information, surtout quand on connaît les oppositions entre paolistes et matristes. La troisième génération de Révolutionnaires est, par rapport à la première (Ceccaldi et Giafferi) et la deuxième (Rivarola), marquée par un fort décalage culturel.

            Il reste que l’action de lobbying menée depuis plusieurs décennies par Natali fait qu’il reçoit de nombreux soutiens : un insulaire note « l’incredibile numerosità di cardinali, prelati, principi, religiosi, ed altro ceto […] comparsi ogni giorno colle imbasciate, e in persona per sentire le disposizioni del male »[88]. Les bruits et rumeurs affirmant qu’est « stata la Repubblica di Genova autrice dell’attentato »[89] arrangent bien du monde. À Rome, la tentative d’assassinat sur Natali marque les autorités : non pas que le chanoine corse soit une personnalité importante dans cette Ville éternelle regroupant parmi les plus importantes aristocraties de l’Europe entière, mais surtout que la responsabilité des Génois dans cet acte revient à une ingérence dans la souveraineté pontificale. Il y a, derrière la réaction romaine, la volonté de rechercher une cause pour raviver les flammes avec Gênes. À cela s’ajoute les 1 000 écus promis par les autorités à quiconque livrera des informations[90]. Malgré tout, si la tentative d’assassinat a manqué de peu d’emporter la vie de Natali, sa carrière ne connaît pas un arrêt : s’il déclare se retirer de la démarche révolutionnaire (« Io per la mia Patria non temo di sacrificare il poco sangue che mi è rimaso »[91] et encore moins pour « la cecità del volgo »[92] !), c’est son élève Natali qui prend en main la gestion du groupe sans que les Génois ne parviennent pas à formellement identifier. À la mi-décembre 1757, le pape le promeut au vescovato[93], forme de protection supplémentaire sur sa personne. Il est ensuite créé évêque de Tivoli le 5 juin 1765, là où sera nommé Barnaba Nicolò Maria Luigi Chiaramonti, futur Pie VII. Cette nomination ravive en Corse l’affaire puisque des Ambrosini d’Algajola seront arrêtés début octobre 1765[94] et quelque peu molestés par les rebelles. Malgré tout, comme l’atteste une lettre adressée à son cousin Matteo Rossi à Vallecalle en 1766, l’évêque de Tivoli reste encore bien attentif aux nominations réalisées sur l’île[95] ! À la veille de sa mort, en 1782, il continue d’être à l’honneur de célébrations musicales notamment organisées par Vergelli à Tivoli en 1781[96]. Comme Giacinto, lui-aussi s’est retiré dans une forme de mondanité.

La Corse, un conflit-prétexte pour un « État léger »

            Il faut enfin écrire que cet assassinat commandité par les Génois dans les rues de Rome vient s’ajouter aux fortes et profondes tensions qui animent les relations entre la République de Gênes et le Saint Siège : comme l’ont montré Fausto Fonzi[97], Franco Venturi[98] et, plus récemment Diego Pizzorno[99] pour les xvie-xviie siècles, la République de Gênes s’est engagée dans une voie d’autonomisation et de modernisation de son système étatique qui s’est entrechoqué avec les volontés des Pontificaux de conserver leur influence. Ce processus a donné dans le contexte républicain vénitien le cas de Paolo Sarpi[100] et tout un style de gouvernance concernant l’articulation entre politique et religion. La même problématique a aussi développé en France le gallicanisme (on sait Pascal Paoli très fin lecteur de réflexions gallicanes) ou encore les manières de faire dites « napolitaines » (que l’on reprochera également au général de la Nation !). La posture conservatrice et pontificaliste des Nationaux et plus spécifiquement du groupe des Romains – à l’origine de plusieurs productions livresques sur les raisons (historiques et juridiques) du Saint-Siège sur la Corse – doivent être lues comme contextuelles et ont contribué, d’une certaine façon, à une victoire diplomatique à la Pyrrhus, et, il n’y a qu’à voir les réactions des États européens – Naples en premier lieu – lors de la décision de l’envoi d’un Visiteur apostolique sur l’île. Comment soutenir des rebelles qui revendiquent un anachronique papisme ?

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Mais, là encore, le soutien des Pontificaux se doit d’être nuancé et expliqué par les cycles internes de la vie politique romaine : dans le bras de fer qui opposait Gênes et Rome aux jalons des xviie-xviiie siècles, il ne faut pas négliger qu’en 1730, c’était un cardinal génois, Giuseppe Renato Imperiali (1651-1737), ce grand réformateur et très habile gestionnaire de la Congregazione del Buon governo[101] (1701-1736) qui a manqué de peu de recevoir le trirègne avant d’être finalement devancé par Lorenzo Corsini qui prendra le nom de Clément XII (1730-1740). Mais c’est véritablement lors du pontificat d’Albani – son prédécesseur, Clément XI (1700-1721) – que l’ambition triomphaliste de la papauté était apparue comme un vestige du monde d’hier[102]. Prospero Lambertini devenu Benoît XIV (1730-1758) prônera, lui, dans le prolongement de son prédécesseur une démarche isolationniste concentrée sur les affaires spirituelles, sorte de repli stratégique pour un Saint-Siège en crise qui, lui aussi, était devenu un État léger[103]. À sa mort, il est remplacé par Carlo Castelbarco Pindemonte della Torre di Rezzonico sous le nom pontifical de Clément XIII (1758-1769), cet homme – qui, de l’avis du futur duc de Choiseul est un ignorant des « respects qui sont dus aux Cours »[104] – opère un revirement total de la politique pontificale : refusant que les clercs soient des « chiens muets »[105] et remettant en place une active stratégie sur le plan temporel, et, c’est dans ce cadre que les affaires de Corse apparaissent comme une occasion de reprendre le bras de fer avec une Sérénissime République qui a perdu de sa splendeur internationale.

Un Génois fait paraître dans le Mercure de France que : « Notre différend avec le St. Siège, puissance moins redoutable pour nous que le chef des rebelles de Corse, semble n’intéresser plus personne. Sénateurs ou roturiers, philosophes ou superstitieux, il n’est pas un seul d’entre nos concitoyens auquel ce brouillamini trouble la tête. Mais il y a 200 ans tout eût été en désordre en semblable circonstance ». Un billet de calice lu aux Sénats le 14 juillet 1760 questionne l’humiliation publique faite à l’encontre d’une « tête couronnée » : il faudrait, désormais, faire brûler toutes les gazettes évoquant cette affaire suggère un autre billet. Les affaires de Corse finiront-elles par menacer l’intégrité et la pérennité du Domaine demande encore un autre[106] ? Après que les autorités républicaines aient tout fait pour empêcher le départ de l’évêque de Segni Crescenzio de Angelis – quitte à décréter un bando d’arrestation tel un vulgaire bandit ! –, elles ne parviendront pas à empêcher son départ depuis Talamone le 22 avril et son arrivée en Corse le 23. Il est accueilli le 29 par le neveu par alliance du général, Giuseppe Barbaggi, qui prononce un discours relativement neutre mais qui connaît une bonne diffusion grâce à la Stamperia nazionale. Si le jeu du Visiteur ainsi que sa proximité avec le secrétaire d’État Torrigiani laissera un temps craindre à la République que les évêchés abandonnés soient transférés à l’archevêché de Pise, l’on sait que les pontificaux ont brièvement caressé l’idée de récupérer la Corse. Ne restera plus, dans ce cas, qu’à trouver que faire de Paoli ; c’est, en somme, la même question que celle que se poseront les Anglais à la fin du siècle. Les notables de l’île auraient, quant à eux, trouvé un grand profit d’une Corse pontificale, un État faible dont ils auraient pu trouver si ce n’est davantage mais au moins une équivalente marge de manœuvre que du temps de la République. Enfin, le remplacement de Crescenzio de Angelis en 1764 par le passionniste Tommaso Struzzieri (qui appartenait déjà à sa suite) ne changera en rien la dynamique, si ce n’est que le Visiteur sera nettement perçu comme philo-national. En fait, comme l’écrivait Paoli à Salvini en 1760, « le pape est, pour nous, en guerre avec les Génois »[107] mais à cette « guerre » les pontificaux n’ont pu s’y engager que parce que la République de Gênes était devenue faible et internationalement isolée.

In fine, bien avant son ouverture en janvier 1765, l’affaire de l’università témoigne de la problématique très dix-huitièmiste de la hiérarchie des normes[108] : peut-on passer au-dessus du droit républicain via le pontifical ? C’est, en somme, l’émergence du droit moderne. Au-delà du souhait d’éduquer une jeunesse, se pose la question de l’autorité de référence, Rome plutôt que la République. Telle est la formule que l’on retrouve dans la grande lettre-doctrine du 12 novembre 1759. Toutefois, à cette époque, celui qui souffle à l’oreille des paolistes n’est plus Natali mais Natale Saliceti, deux hommes d’Oletta dont les appellations affichent une sonorité proche et sont souvent confondus dans la documentation ! Après la vaine tentative d’assassinat, l’affaire de l’université réapparaît en février 1758. L’intelligence génoise réactive alors ses réseaux – qui n’ont guère été longtemps en sommeil – et fournit de nouvelles informations opérationnelles pour « empêcher »[109] les discussions de reprendre et de s’établir dans le temps. En ces années, le gouvernement de Pascal Paoli et de Gian Quilico Casabianca se confronte cependant au péril matriste puis à la guerre de Sept Ans (1756-1763) qui partage le monde entre les partisans de l’Angleterre et de la France et il faudra attendre les années 1763-1765 pour que les Nationaux puissent remettre sur la table la problématique d’une université publique des études mais, là encore, la situation a connu des évolutions : si le soutien du pape envers les Nationaux ne leurre plus personne, la bulle d’érection pontificale serait un soutien trop flagrant. L’université grégorienne qui fit plusieurs démonstrations publiques de son pontificalisme auprès du Visiteur ne recevra donc jamais sa bulle. Ainsi, le projet de création de l’università doit se lire parmi différentes dynamiques concurrentielles : la souverain pontife contre la République, l’État naissant contre les régions où les puissantes notabilités voient d’un mauvais œil ce nouvel entrant en politique. Ainsi, l’éducation et l’université sont donc bel et bien une affaire d’État et de conflits entre les États.

[1] Cet article doit, bien évidemment, beaucoup à Antoine-Marie Graziani pour nos riches discussions quotidiennes. À Paul Turchi-Duriani avec qui les échanges concernant la communauté corse de Rome ont été déterminantes, enfin, mes remerciements vont à Petru Santu Menozzi, importante source de réflexion concernant les écrits politiques et qui m’a aiguillé sur le manifeste conservé à Turin.

[2] Ragguagli dell’Isola di Corsica / Échos de l’île de Corse, 1760-1768, Première époque, Édition critique établie par A.-M. Graziani et Bitossi C., Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2010, pour le mois de novembre 1764.

[3] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, avec une préface d’Antoine-Marie Graziani et de Carlo Bitossi, Bordeaux, Édition Le Bord de l’Eau, 2024, pp. 249-258.

[4] Antoine-Marie Graziani, « Pascal Paoli et le Visiteur apostolique », dans Pascal Paoli, Correspondance (1758-1760), vol. iii, édition critique établie par Graziani A.-M. et Bitossi C., traduction de Antoine-Marie Graziani, Éditions Alain Piazzola et Istituto Storico Italiano per l’Età Moderna e contemporanea, Ajaccio-Rome, 2007, pp. xii-xlix.

[5] Les réflexions sur l’intelligence génoises doivent beaucoup au dernier essai de Diego Pizzorno (Genova e Roma tra Cinque e Seicento, Gruppi di potere, rapporti politico-diplomatici, strategie internazionali, Modena, Mucchi editore, 2018). Quant à la surveillance de l’espace public, il est bien intéressant de référer à l’affaire des Quatorze (Darnton Robert, L’affaire des Quatorze, Poésie, police et réseaux de communication à Paris au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 2014) puis, d’une façon globale, à Paolo Napoli (Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société, Paris, La Découverte, 2003) et Clive Emsely (Crime Police, and Penal Policy : European Experiences 1750-1940, Oxford, Oxford University Press, 2007). Quant à l’espace public, notre réflexion prend ses assises dans l’ouvrage fondateur de Jürgen Habermas (L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, traduit de l’allemand par Marc B. de Launay, Paris, Payot, 2014 [1978]) puis de différents autres travaux qui invitent à importer la notion d’espace public avant le xviiie siècle (Héloïse Hermant, « Guerres de plumes et contestation politique : un espace public dans l’Espagne de la fin du xviie siècle ? », dans Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2011, n° 5, pp. 7-44 ou encore Patrick Boucheron et Nicolas Offenstadt (dir.), L’espace public au Moyen Âge : Débats autour de Jürgen Habermas, Paris, Presses universitaires de France, 2011).

[6] La thèse de Paul Turchi-Duriani (« L’implantation des Corses à Rome et dans ses environs entre le viie et le xixe siècle », Thèse pour le doctorat en Histoire moderne, Université de Corse, 2022, 624 p.) a permis de reconsidérer de nombreux points, y compris de relativiser ce que l’on avait pris l’habitude de désigner comme cette « colonie vivante et agissante ».

[7] Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 3G3/49, Stato libero de Giacomo Filippo Casanova de Scolca, 1679. (Esser andato colà per capriccio, per correr il mondo, come fanno i Corsi…)

[8] Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Copia di una scrittura stampata colla data di Venezia nel 1731 e sparga nell’Isola di Corsica per animar maggiormente la rebellione e mantenere in sperenza i rebelli.

[9] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 347A, Lettera dei compatrioti corsi di Bergama alle autorità del Regno di Corsica.

[10] [Don Gregorio Salvini et Pascal Paoli], Lettera di un Corso abitante in Corsica ad un altro dimorante in Venezia, Campoloro, 1764.

[11] Quant au polycentrisme, je m’inspire de l’approche de Yasmina Rocío Ben Yessef Garfia, La Monarchia spagnola in una prospettiva policentrica. Reti, conflitti, negoziazioni tra scala locale e spazi imperiali (secoli xvi-xvii), Napoli, Federico II University Press, 2023.

[12] Sur la culture en Corse, se conférer notamment à Eugène F.-X. Gherardi, L’esprit Corse et Romantisme, Jalons pour une histoire culturelle, Ajaccio, Albiana, 2004, en part. p. 107.

[13] Pour ne citer que les pages les plus fameuses de la [Don Gregorio Salvini], Giustificazione della rivoluzione di Corsica e della ferma risoluzione presa da’ Corsi di non sottomersi mai più al dominio di Genova, Oletta, 1758, p. 75 et sq.

[14] Michel Fontenay, « La Corse île double », dans Antoine-Marie Graziani et Luigi Mascilli Migliorini (dir.), Pasquale de’ Paoli (1725-1807), La Corse au cœur de l’Europe des Lumières, Catalogue de l’exposition du Musée de la Corse, Ajaccio, Albiana, 2007, pp. 23-29.

[15] Christopher Denis-Delacour, Devenir marin de Rome. Cosmopolitisme de l’identité maritime du xviiie siècle, Palermo, New Digital Frontiers, Studi storici marittimi, 2021, p. 116. (« Contrairement à la Corse et, entre autres, à la tradition maritime des Capcorsins, les Sardes se désintéressent des activités liées à la mer alors que le Piémont est loin d’être une puissance maritime. »)

[16] Giampaolo Salice, Il mare degli altri. Colonie di popolamento del Regno di Sardegna (xviii secolo), Cagliari, Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea, 2023.

[17] Erick Miceli, « La Corse, d’une île “semi-ouverte » à “fermée” ? (xviiie siècle) », dans Carnet de recherche, Gouverner les îles. Territoires, ressources et savoirs des sociétés insulaires. Méditerranée, Atlantique, Pacifique (xvie-xxie siècle), Hypothèses, 6 avril 2023, https://gouviles.hypotheses.org/1444.

[18] C’est le cas des Favalelli, voir Erick Miceli, « La puissance du réseau. Les Favalelli, une famille de notables bastiais du xviiie siècle », dans Collectif, Des collections vivantes : vingt ans d’acquisitions des collections patrimoniales, Bastia, 2022, pp. 63-71 ; Antoine-Marie Graziani, Naissance d’une cité. Bastia. Capitale de la Corse génoise, vol. 2. 1652-1769, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2023.

[19] On y évoque une pubblica Università di Studj, tanto delle Scienze, comme d’arti Liberali. Biblioteca Universitaria di Sassari, MS. 257, Costituzione del Regno di Corsica, 1736.

[20] D’autant plus dans cette Europe de l’Ancien Régime où la monarchie élective est la norme et l’hérédité l’exception ; in extenso, sur Théodore vu comme un podestat, je renvoie à Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit.

[21] Sebastiano Costa, Mémoires (1732-1736), éd. critique, traduction et notes par Renée Luciani, Paris, Picard, 1972, vol. 2, p. 125.

[22] Archivio di Stato di Genova, Corsica, 1471/29, Lettre de Giacomo Antonio Forcioli, Giacomo Roccatagliata, Gio Batta Bianchi, Paolo Agostino Colonna d’Istria, Gio Agostino Pozzo di Borgo et Gionchino Celli, le 19 novembre 1750. (Sempre più intenta à far fiorire l’arti e le scienze in questo Regno generosamente esibisce a nationali Corsi, che migliore sarà stimato nelle prove di tema proposti…).

[23] Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Kerenveyer, Demandes des Corses à la consulte d’Oletta, le 7 mai 1749. (« Il y a cent raisons plus justes les unes que les autres qui militent pour l’érection et l’établissement d’une université dans le Royaume. Cette académie générale et universelle des arts et des sciences divines et humaines aurait la faculté ordinaire de couronner les savants de faire des docteurs, de conférer les autres degrés et jouirait de tous les privilèges des universités d’Italie… »).

[24] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 347A.

[25] Lettre n° 86, Pascal Paoli à Gian Quilico Casabianca, le 19 octobre 1755.

[26] Cité dans Jean-Guy Talamoni, Le Républicanisme corse. Sources, institutions, imaginaires, Ajaccio, Albiana, 2018, p. 78.

[27] James Boswell, État de la Corse suivi d’un Journal d’un voyage dans l’isle et des Mémoires de Pascal Paoli, traduit de l’italien par Mr. S.D.C, seconde édition, Londres, 1769., p. 216.

[28] Lettre n° 86, Pascal Paoli à Gian Quilico Casabianca, le 19 octobre 1755.

[29] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit, pp. 89-90.

[30] Biblioteca Civica Berio di Genova, r. r. VII 3 43, Memoria delle richieste che li signori…, f° 1r° ; une copie dans Archivio di Stato di Genova, Corsica, 1371.

[31] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2397, Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 31 mai 1755. (Sento che sia venuto di Corsica un prete, che mi si dice chiamarsi Antonio Graziani, uno di quei, secondo mi si suppone, che trattarono per i sollevati col Magnifico Gian Giacomo Grimaldi, quand’era Commissario in quel Regno. Questi, per quanto rappresenta, è venuto a trattare l’erezzione d’una casa d’educazione in Monticello di Balagna sua Patria ; al quel’effetto correbbe, che qui dalla Corte di Roma li si concedesse l’unione d’alcuni benefici, oltre la concessione di applicarvi le rendite di alcune cappellanie).

[32] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 7 juin 1755. (Il nominato prete venuto da me in un dei scorsi giorni. Mi hà egli parlato di tal affare…).

[33] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, sd. (Essendo appunto venuto da me, il prete Graziani corso a farmi complimento dopo il mio ritorno della villegiatura).

[34] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 2 août 1755.

[35] Ibid., Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 1er mai 1756.

[36] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2157, Lettre du 10 janvier 1756.

[37] Lettre n° 118, le 26 décembre 1755, Lettre au popolo de Patrimonio.

[38] Collection particulière, Lettre de Giulio Matteo Natali, le 13 février 1729. (Toccante al Simon Francesco suo Fratello, ecco brieve quel ragguaglio, che posso recargliene : egli è gia dà alcuni mesi partito verso Madrid, per Indi. L’hà onorato colla dignità di Commissario Apostolico e dicesi, avergli anche offerto un Vescovato, e tante il merite singolare in propagar la fede Xma in quelle parti Barbare e sconosciute…)

[39] [Giulio Matteo Natali], Lettera d’un Corso ad un suo amico nazionale abitante in Terraferma, Colonia, 1732, 12 p.

[40] Précisons qu’il a parfois été écrit que la Lettera avait été l’œuvre de Federico Brignole ce qui induira d’inverser le sens de la lecture pour y déceler du second degré ; si une telle proposition venait à être affirmée, cela ne ferait qu’étaler sur trois à quatre années supplémentaires la radicalisation de Natali puisque le Disinganno est bel et bien de sa main.

[41] [Giulio Matteo Natali], Disinganno intorno alla guerra di Corsica scoperto da Curzio Tulliano corso ad un suo amico dimorante nell’isola, Cologne, 1736.

[42] On compte 11 références pour les pp. 3-101 : statistique effectuée sur une Disinganno intorno alla Guerra di Corsica ovvero Corsica Giustificata di Curzio Tulliano Corso ad un suo amico dimorante nell’isola, Terza Edizione…, Colonia, 1739, p. 4, p. 18, p. 51 (référence au Congrès d’Orezza), p. 51, p. 59, p. 81, p. 92 (Lor tiranìa, unica radica della Guerra presente…), p. 95 (x 4).

[43] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2157, Registro delle lettere da Francia, e Corsica… 1755-1760, Lettre de Bastia, le 6 mars 1756.

[44] En étant, parfois, des sociabilités dormantes réveillées par les crises extérieures ; voir Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, 3e édition, Paris, SciencesPo : Les Presses, 2009.

[45] Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Lettre d’A.L.S., sl. nd. accompagnant une copie manuscrite du Disinganno de 1739. (Gia si era conferito con il Signore Canonico Natali la divisata scrittura, di cui ne riceverà à in questa ordinario il primo capitolo veramente fatta con tutto lo impegno o la misura del zelante compositore, e il canonico Natale medemo gli ne rese grazie in nome di tutta la nazione, perche veramente giustificata la loro caosa, da cui dipende la validità dell’elezzione fatta in persona di vostra Maesta. Non si è mandato il resto, perche il compositore faceva una forza grande per ribattere l’obiezzione, che fanno alcuni Corsi, dicendo che avevano eletto Vostra Maestà con alcune condizione…)

[46] Archivio di Stato di Torino, Negoziazioni con la Corsica, Mazzo 1 non inventoriato, Risposta ad alcuni Capi, e Popoli di Corsica sopra le presenti Turbolenze, e strane Vicende di quel Regno.

[47] Je renvoie à Erick Miceli, « La Corse entre trois souverainetés, 1750-1770. Dynamiques politiques, intellectuelles et ambitions personnelles durant le “moment paolien” des crises révolutionnaires corses », Thèse pour le doctorat en histoire moderne, Université de Corse – Università degli studi di Genova, 2022, 1408 p., en part. pp. 604-640.

[48] Giacomo Santo Lorenzi, « L’uccisione di Giampietro Gaffori », dans ASC, Anno xiv, n° 3, 1938, pp. 405-414 ; plus largement, voir Carlo Bitossi, « Assassinio politico o vendetta ? La morte di Gian Pietro Gaffori e la rivoluzione corsa (1753) », dans QSLSP, Ianuensis non nascitur sed fit Studi per Dino Puncuh, n° 7, 2019, pp. 231-252.

[49] Antoine Franzini, La Corse du xve siècle. Politique et société (1433-1483), Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2005, p. 385.

[50] Bibliothèque de l’Institut de France, Ms 54, Négociation et relation de Gennes, par le sieur de Saint-Olon, 1684, Des Magistratures. (« Celui des Inquisiteurs d’État a le soin de veiller sur tout ce qui se passe non seulement dans tout l’État, mais encore, par le moyen de ses émissaires dans les provinces et royaumes les plus éloignés. Leurs pouvoirs <sont> aussi considérables, principalement depuis la fin de l’année 16892 et immédiatement après qu’on sut qu’on avait nommé en France un ministre pour venir résister [au]près [de] cette République, auquel temps on leur a donné l’autorité (ex informata conscientia) et sans forme de procès, [de] faire emprisonner, exiler et bannir ceux qui conviendraient à certaines nouvelles lois qu’ils ont faites de quelque qualité et condition qu’ils puissent être. En 1684, le doge Lercara Impariale, quoi que dévot, fit plusieurs tentatives pour y ajouter l’autorité de faire empoisonner ou tuer secrètement ceux qu’ils jugeaient le mériter pour le bien public, mais cette proposition barbare, qui ne <trouva que> quelques approbateurs fit horreur à un nombre d’honnêtes gens qui fut suffisant pour s’y opposer et en empêcher l’exécution. Ce magistrat qui, en ce cas, eut put légitimement être appelé le Magistrat des assassins est ordinairement composé de six nobles, parmi lesquels il y a des sénateurs ex-doges qui président, on les change tous les deux ans ».).

[51] Paolo Costantini, La Repubblica di Genova nell’età moderna, Torino, UTET, 1978, p. 263. (Les Inquisitori di Stato una magistratura ricalcata su quella veneziana, che, dotata di larghi poteri di repressione e dii controllo dell’opinione…) ; in extenso, voir Romano Canosa, Alle origini delle polize politiche. Gli inquisitori di Stato a Venezia e a Genova, Milano, Sugarco Edizioni, 1989.

[52] Francis Pomponi, « Émeutes populaires en Corse : aux origines de l’insurrection contre la domination génoise (décembre 1729-juillet 1731) », dans Annales du Midi : Revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, t. 84, n° 107, 1972, pp. 151-181.

[53] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2079, 14 octobre 1755, Relazione degli Inquisitori.

[54] Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit, pp. 96-101.

[55] Antoine-Marie Graziani (dir.), Histoire de la Corse, vol. ii. Des Révolutions à nos jours. Permanences et évolutions, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2018 p. 77.

[56] Archives de la Collectivité de Corse, Ajaccio, 5FG202, La Padria in Bando. (Ditemi o Padri della Padria. Non conoscete forsi la vostra nobile condizione, il merito, la publica autorità che appresso di voj si ritrova, le patrie leggi, il Comando collocato nel vostro zelo dalla stessa natura, il gius delle genti, ed anche da Dio medesimo al Comun vantaggio della nazione ? e da qual parte risplende il lume de vostri vantaggi saggi consigli, la fè immutabile, la maggiorenza, il rispetto, la scelta la maturità de vostri giudicij ? voj ben sapete l’obligo che v’incombe sul discernimento di quelle cose che al fine della quiete commune maggiormente vengono. La massima delle quali esser deve la scelta di que sogetti destinati al governo de vostri Popoli…)

[57] Ambroise Ambrosi, « Un pamphlet célèbre. Le Disinganno attorno alla guerra di Corsica de Curzio Tulliano », dans Revue de la Corse, Ancienne et moderne. Historique, littéraire et bibliographique, pp. 26-34.

[58] Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate…, publié par Lucien Auguste Letteron (abbé), dans BSSHNC, Bastia, 1895-1909, vol. x, p. 60.

[59] Antoine-Marie Graziani, « “Si è risposto a Lutero e si risponde ogni giorno agli eretici”, Pier Maria Giustiniani l’antijustificateur », dans QSLSP, 2019, pp. 681-704.

[60] Lettre n° 1650, Pascal Paoli à Don Gregorio Salvini, le 12 janvier 1764. (Da Livorno mi scrivono ancora che pensano di far stampare nell’opera di Saliceti la lettera vostra del corso al suo nazionale in Venezia. Vi prego portarla con voi, acciò si possa dargli una rivista come desideranno.) ; en prolégomènes à cette affirmation, voir moi

[61] Biblioteca Universitaria di Genova, MS., BV21, Consulto etc. circa la persona del canonico Giulio Matteo Natali accusato di ribellione in Corsica.

[62] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2100, Decreto circa la proposizione al Minore Consiglio per l’estinzione di Francesco osia Francesco Antonio Arena.

[63] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois, l’évêque Pier Maria Giustiniani, et défendue par les observations d’un corse, Buonfigliolo Guelfucci, présentation, traduction et notes par Évelyne Luciani, Ajaccio, Albiana, 2013, p. 461.

[64] Qui compte, selon lui, parmi les « nombreux ecclésiastiques que la République emprisonna par pure volonté de nuire à l’Église » ([Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois… op. cit., p.. 462.) car « aderente alla rivolta » (Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate… op. cit., x, p. 202). Ce Franceschi aurait ainsi côtoyé entre le 12 novembre 1761 et au moins jusqu’au 18 février 1763 Ambrosini (Louis Belgodere de Bagnaja, « Des révolutions de Corse à la révolution française : les servites dans la tourmente (1729-1797», dans Jean-Christophe Liccia (dir.), Les Servites de Marie en Corse. Histoire, patrimoine, vie conventuelle, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2000, p. 889).

[65] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois… op. cit., p. 462.

[66] Archivio di Stato di Genova, Corsica, 424, Rollo della compagnia del capitano Gregorio Graziani, 1751.

[67] Ibid.

[68] Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate… op. cit., x, p. 201.

[69] « Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 1ère série », dans BSSHNC, 1884, 6 juin 1757.

[70] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2397, Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 2 mai 1757.

[71] Erick Miceli, « L’essor d’un républicanisme patriotique à la fin des révolutions corses », dans LUMI, Rivista di Studii nantu à l’età di i Lumi è di e Rivoluzioni, n° 3, en ligne.

[72] Collection particulière, lettre du 23 avril 1757.

[73] Collection particulière, lettre du 12 juillet 1739.

[74] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois… op. cit., p. 462.

[75] Collection particulière, lettre du 27 avril 1757.

[76] Collection particulière, lettre du 30 avril 1757.

[77] Archives de la Collectivité de Corse, Ajaccio, 1J3, lettre de Giulio Matteo Natali, Lettre du 18 juin 1757.

[78] Lettre n° 277, Pascal Paoli à Giovan Paolo Quilici, vers fin avril ou début mai 1757.

[79] « Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 1ère série », dans BSSHNC, 1884, 13 juin 1757. (Fin dal passato decembre, furono da Genova spediti a Roma, per assassinare il Signor canonico Natali : ma non potei allora individuarne i nomi, perchè non mi erano ancora rivelati, e non ne sapevo le circonstanza, che in appresso mi sono state notificate, e dora, che ne sono informato, devo renderne consapevole Lei ed il Signor Casabianca per loro precauzione…)

[81] Lettre n° 294, Pascal Paoli à Giacinto Paoli, le 28 mai 1757.

[82] Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate… op. cit., x, p. 204.

[83] Ibid.

[84] [Don Gregorio Salvini], Justification de la révolution de Corse combattue par les réflexions d’un génois… op. cit., p. 462.

[85] Ambrogio Rossi (abbé), Osservazioni storiche sopra la Corsica dall’Abbate… op. cit., x, p. 202.

[86] On peut se demander si cette information erronée ne provient d’une mauvaise lecture d’une lettre de Luigi Zerbi à Giacinto Paoli : « Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 1ère série », dans BSSHNC, 1884, 13 juin 1757. (Uno di questi ministri degno del Doge Grimaldi, e dell’Augusto suo Senato, è Francesco Ambrosini dell’Algajola…).

[87] Buonfiglio Guelfucci, « Memorie per servire alla Storia delle Rivoluzioni di Corsica, dal 1729 al 1764 », dans BSSHNC, 1882., p. 5.

[88] Ibidem.

[89] Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 52J5/3, Lettre d’un anonyme depuis Rome, le 3 mai 1757.

[90] Collection particulière, Lettre du 30 avril 1757.

[91] Archives de la Collectivité de Corse, Ajaccio, 1J3, Lettre de Giulio Matteo Natali, Lettre du 18 juin 1757.

[92] Ibid.

[93] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2397, Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 24 décembre 1757.

[94] Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 15, Lettre du 6 octobre 1765.

[95] Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 23, Lettre de Giulio Matteo Natali, le 16 décembre 1766.

[96] Giuseppe Radiciotti, L’arte musicale in Tivoli nei secoli xvi, xvii e xviii, Tivoli, Officina Poligrafica Italiana, 1907, p. 19.

[97] Fausto Fonzi, Le relazioni fra Genova e Roma al tempo di Clemente XIII, Estratto dal volume viii (1957) dell’Annuario dell’Istituto Storico Italiano per l’età moderna e contemporanea, Roma, 1957.

[98] Franco Venturi, Settecento riformatore. L’Italia dei lumi (1764-1790) 1. La rivoluzione di Corsica. Le grandi carestie degli anni sessanta. La Lombardia delle riforme, Torino, Einaudi, Biblioteca di cultura storica, 1969 ; in extenso Ibid., Settecento riformatore, La chiesa e la repubblica dentro i loro limiti, Torino, Giulio Einaudi editore, 1976.

[99] Diego Pizzorno, Genova e Roma tra Cinque e Seicento, Gruppi di potere, rapporti politico-diplomatici, strategie internazionali, Modena, Mucchi editore, 2018.

[100] Marie Viallon (dir.), Paolo Sarpi, Politique et religion en Europe, Classiques Garnier, 2010.

[101] Stefano Tabacchi, Lo Stato della Chiesa, Bologne, Il Mulino, 2023, p. 116.

[102] Ibid., pp. 115-116. (Evidenziò in maniera particolarmente chiara la tensione fra la riproposizione di una visiona ancora trionfalistica del ruolo del papato, che pure si apriva a prospettive di riforme interne, e una ormai strutturale incapacità di misurarsi con la realtà della politica europea e con i movimenti profondi della cultura contemporanea, inclusa quella religiosa…).

[103] Pour reprendre une expression généralement évoquée concernant la République de Gênes. Dans le prolongement, voir Ibid., p. 114. (Nel primo Settecento la posizione del papato e dello Stato della Chiesa nel sistema politico europeo conobbe un rapido deterioramento…).

[104] Maurice Boutry, Choiseul à Rome, Lettres et mémoires inédits, 1754-1757, Paris, Calmann Levy, 1895, p. 244.

[105] Cité dans Antoine-Marie Graziani, « Pascal Paoli et le Visiteur apostolique », art. cit.

[106] Archivio di Stato di Genova, Senarega, Colleggii Diversorum, 288, Billet de calice, lu le 14 juillet 1760. (La Repubblica Serenissima e stata minacciata della sua rovina… è presentamente la Corte di Roma, quella di Francia, quella di Spagna, d’Inghilterra, o Torino candone alla di lei destruzione si vuor disporre della Corsica…).

[107] « Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 3e série », dans BSSHNC, 1890, pp. 381-385.

[108] Francesco di Donato, « La hiérarchie des normes dans l’ordre juridique, social et institutionnel de l’Ancien Régime », dans Revus : Journal for Constitutional Theory and Philosophy of Law, N° 21, 2013, pp. 237-292.

[109] Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2397, Lettre de Scipione Giuseppe Casale, le 18 février 1758.

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