Résumé
À la différence du Liban et de l’Irak voisins avec lesquels la Syrie partage une diversité de communautés religieuses, le régime syrien maintient un système politique et administratif officiellement déconfessionnalisé. Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000 aime se donner l’image d’un régime laïque notamment devant les opinions politique et médiatique occidentales. Cependant, la « laïcité » du Baath se réduit, sous les Assad (père et fils), à la question de la protection des minorités « Chrétiens d’Orient » et/ou à la lutte contre les Frères musulmans (opposants politiques du régime). C’est ainsi que dans le contexte du soulèvement déclenché en mars 2011, le président syrien, confronté à une crise de légitimité interne et externe, rappelait lors de ses interviews avec les médias occidentaux, que son régime est le dernier bastion de la laïcité dans le monde arabe et que sa chute menacerait le sort des minorités notamment chrétiennes faisant le lien avec la chute de Saddam Hussein en 2003.
Depuis son instauration en 1970 par le père (Hafez al-Assad 1930-2000), le régime actuel, contrôlé essentiellement par la minorité alaouite, conduit une politique ambigüe vis-à-vis de ses composantes sociétales. Ainsi, malgré un discours officiel laïque dépassant les particularismes communautaires, la pratique du régime dissimule un système de représentation sectaire. Celui-ci se manifeste notamment par la manipulation des clivages tribaux, ethniques et confessionnels à travers des démarches de cooptation et d’incorporation de dignitaires religieux et la mise en place d’un islam officiel étatisé et aligné sur le régime.
Dans ce contexte d’autoritarisme et de déficit de légitimité, la pratique « laïque » de l’État se traduit par une alliance entre un régime politique à la recherche de sa pérennité au pouvoir et des chefs communautaires ambitieux et soucieux de contrôler leurs communautés respectives.
Cet article se propose donc de mettre l’accent, dans le contexte syrien, sur la question de l’ambigüité du régime syrien vis-à-vis de la laïcité, de l’islam et des communautés religieuses. Il s’agit d’analyser le discours du régime, de comprendre ses pratiques et son rapport aux communautés religieuses en s’appuyant sur les différentes productions des acteurs politiques et religieux syriens (textes officiels, lois, discours, documents audiovisuels). Le cadre temporel se limitera à la période relative au printemps syrien 2011 avec un intérêt particulier pour la période correspondant à l’arrivée de Bachar al-Assad au pouvoir en 2000.
Summary
Unlike neighbouring Lebanon and Iraq, with which Syria shares a diversity of religious communities, the Syrian regime maintains an officially non-denominational political and administrative system. Bashar al-Assad, who has been in power since 2000, likes to present himself as a secular regime, particularly to Western political opinion and the media. However, under the Assads (father and son), the Baath’s ‘secularism’ was reduced to the issue of protecting the ‘Eastern Christian’ minorities and/or fighting the Muslim Brotherhood (the regime’s political opponents). Thus, in the context of the uprising that began in March 2011, the Syrian President, faced with a crisis of internal and external legitimacy, recalled in his interviews with the Western media that his regime is the last bastion of secularism in the Arab world and that its fall would threaten the fate of minorities, particularly Christians, making the link with the fall of Saddam Hussein in 2003.
Since its establishment in 1970 by its father (Hafez al-Assad 1930-2000), the current regime, controlled essentially by the Alawite minority, has pursued an ambiguous policy towards its societal components. Despite an official secular discourse that goes beyond community particularisms, the regime’s practices conceal a sectarian system of representation. This manifests itself in the manipulation of tribal, ethnic and denominational cleavages through the co-opting and incorporation of religious dignitaries and the establishment of an official Islam which is state-run and aligned with the regime.
In this context of authoritarianism and lack of legitimacy, the ‘secular’ practice of the State is reflected in an alliance between a political regime seeking to remain in power and ambitious community leaders anxious to control their respective communities.
This article therefore aims to highlight, in the Syrian context, on the question of the ambiguity of the Syrian regime with regard to secularism, Islam and religious communities. The aim is to analyse the regime’s discourse, to understand its practices and its relationship with religious communities by drawing on the various productions of Syrian political and religious actors (official texts, laws, speeches, audiovisual documents). The time frame will be limited to the period relating to the Syrian Spring of 2011, with a particular focus on the period corresponding to Bashar al-Assad’s arrival in power in 2000.
Mots-clés : Syrie, parti Baath, laïcité, Assad, islam, Frères musulmans, alaouites.
Résumé
Introduction
La laïcité dans la pensée du parti Baath, entre islam et arabisme
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Les Assad, de la laïcité à l’islam ou la réappropriation du symbolique religieux
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Discours laïque et pouvoir communautaire
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Conclusion
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Bibliographie
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