Présence de l’imaginaire du sacré dans l’espace politique corse : Le cas des débats à l’Assemblée de Corse (mandature 2010-2015)

Résumé

Cet article aborde la question centrale du colloque –religions et laïcités– à partir du champ politique et institutionnel corse. C’est, plus particulièrement, l’espace politique corse dans son rapport au sacré qui y est examiné. Si la relation singulière de l’île et de sa représentation politique à la religion catholique ne semble pas devoir être démentie, nous nous proposons d’en explorer ici les contours. Quelles sont les figures du sacré qui apparaissent dans le champ politique ? Sont-elles uniquement de nature religieuse ? Quel est le rapport entre identité corse et sacré pour les élus de l’île ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous nous proposons de répondre, à partir de l’étude des séances de l’Assemblée de Corse, des pratiques et des discours ayant lieu en son sein.

 

Summary

This paper explores the central question of the conference -religions and secularities- from the political and institutional field in Corsica. It is, more particularly, the Corsican political space in its relation to the sacred that is examined. If the singular relationship of the island and its political representation to the Catholic religion does not seem to be denied, we propose to explore here the contours. What are the figures of the sacred that appear in the political field? Are they only religious ? What is the relationship between Corsican identity and the sacred for the island’s elected officials? These are some of the questions we propose to answer, based on the study of the sessions of the Corsican Assembly, practices and speeches taking place within it.

 

Mots-clés : Imaginaire, discours, pratiques, institutions, identité, sacré, laïcité

Résumé

Le présent article se propose d’aborder la question centrale du colloque –religions et laïcités– à partir du champ politique et institutionnel corse. Nous examinerons plus particulièrement l’espace politique corse dans son rapport au sacré.

Quelles sont les figures du sacré qui apparaissent dans le champ politique ? Sont-elles uniquement de nature religieuse ? Quel est le rapport entre identité corse et sacré pour les élus de l’île ? Quel est l’imaginaire du sacré des élus de la Corse ? Ce sont quelques-unes des questions sur lesquelles nous nous pencherons. Nous le ferons, en particulier, à partir de l’étude de l’Assemblée de Corse, de son imaginaire, des pratiques et des discours ayant lieu en son sein. Le corpus examiné provient principalement de la mandature 2010-20151 Période principale étudiée au sein de notre travail de thèse « L’imaginaire politique en action : le cas des débats à l’Assemblée de Corse (2010 à 2015) », Università di Corsica/Università della Svizzera Italiana, soutenue le 18 décembre 2020, à Corte., même si le présent travail se prolonge jusqu’à la période actuelle.

Avant d’interroger le rapport des élus de la Corse au sacré, posons ici quelques éléments de définition nous permettant d’ancrer le cadre théorique de notre réflexion.

Les notions d’imaginaire, d’archétype et de représentations, qui seront les fils conducteurs de cet article méritent d’être précisées.

Le terme « imaginaire » n’est pas synonyme d’« imagination » ou de « fiction », comme c’est le cas dans son sens courant. Il est entendu, ici, comme le cadre à travers lequel l’homme perçoit le réel, l’interprète, lui donne du sens, y vit et y agit. En grande partie, ce processus n’est pas conscientisé. Il agit comme un filtre, ou pour reprendre l’image du sociologue Raphaël Liogier, comme des lunettes de soleil : « (…) à force de porter les mêmes lunettes, nous finissons par oublier qu’elles sont collées à notre nez »2 Raphaël Liogier, Les évidences universelles, Paris, Les Ed. de la librairie de la Galerie, 2011, p. 12..

L’imaginaire est, en somme, un ensemble d’images mentales, de valeurs, de cadres de références qui nous permettent de lire le monde et d’y agir. L’imaginaire, dont certaines caractéristiques sont universelles, est en grande partie déterminé par l’histoire, la culture et l’identité des différentes communautés. Cette spécificité en la matière conduit à des prises de décision, à des actions, à des pratiques propres à l’individu mais également au groupe. Le collectif étudié dans ce travail est composé des élus de la Corse.

Pour comprendre ce processus, une notion est essentielle : celle d’inconscient. On sait que les travaux du psychanalyste Sigmund Freud sont à l’origine de la conception actuelle de « l’inconscient ».

(…) l’inconscient pour Freud est cette « autre scène » où agit une force cachée qui téléguide les individus en sous-main3 Jean-François Dortier, « L’histoire mouvementée de l’inconscient », Sciences Humaines Grands Dossiers, n° 21, décembre 2010 / janvier-février 2011..

L’inconscient freudien va se transformer par la suite, caractérisé par les pulsions (désirs sexuels refoulés et pulsion de mort). Le psychanalyste finira même par récuser l’emploi de ce terme.

Disciple puis dissident de la pensée Freudienne, Carl Gustav Jung fait évoluer ce concept vers celui d’« inconscient collectif »4 Précisons que la notion d’inconscient connaîtra également d’autres prolongements que ceux de C.G. Jung : théories de différents psychanalystes et notamment de Lacan, apport des sciences cognitives, etc.. Pour Jung, chaque individu, via l’inconscient collectif, a accès à tout le vécu de l’humanité, à toutes les expériences faites par le psychisme humain. Celles-ci arrivent à la conscience, notamment par les rêves, mais également par la culture et les représentations culturelles. Elles sont contenues dans de grands schèmes universels : les archétypes. Observons la définition que donne C.G. Jung de ce concept :

On croit souvent que le terme “archétype” désigne des images ou des motifs mythologiques définis. Mais ceux-ci ne sont rien d’autre que des représentations conscientes : il serait absurde de supposer que des représentations aussi variables puissent être transmises en héritage.

L’archétype réside dans la tendance à nous représenter de tels motifs, représentation qui peut varier considérablement dans les détails, sans perdre son schème fondamental5 C. G. Jung, Marie-Louise Von Franz, Joseph L. Henderson, [et al.], L’homme et ses symboles, Paris, Robert Laffont, 1990 (1964), p. 6..

Les archétypes sont les grands schèmes à travers lesquels le psychisme humain exprime toutes les expériences fondamentales, et donc à travers lesquels l’homme donne du sens au monde, ou selon l’historien Lucian Boia, un « schéma organisateur dont la matière change, mais dont les contours restent »6 Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, Paris, Belles Lettres, 1998, p. 17.. « La matière change », et c’est ainsi que l’imaginaire se « diversifie dans les cultures particulières »7 Olivier Battistini [et al.], Dictionnaire des lieux et pays mythiques, Paris, Robert Laffont, 2011. p. 32.. Car si les archétypes sont universels, leur expression prend des formes différentes en fonction des communautés humaines.

Chaque culture a un imaginaire spécifique, un « pôle incarné dans une culture, une langue, une civilisation8 « Une cartographie de l’imaginaire », entretien avec Gilbert Durand, propos recueillis par Philippe Cabin, Sciences Humaines Mensuel n° 90 – Janvier 1999. ». Cette spécificité s’exprime, en particulier, dans les « représentations », mentales et sociales. Inscrites au cœur de l’imaginaire, elles en sont l’élément cognitif de base. Nous pouvons les définir comme les différentes images mentales qui permettent à l’homme, consciemment ou non, de percevoir et de donner du sens à la réalité. Nous pouvons rapprocher la notion de représentation de celle de frame, exposée par le professeur de linguistique George Lakoff :

Quand j’enseigne ce qu’est un frame (« cadre » ou « structure ») et comment on le crée, dans mes cours de première année de Sciences cognitives à l’Université de Berkeley, le premier jour je donne un exercice à mes étudiants. L’exercice consiste en ceci : ne pensez pas à un éléphant ! Quoi que vous fassiez, ne pensez pas à un éléphant. Je n’ai jamais réussi à trouver un élève qui y arrive. Chaque mot, comme par exemple « éléphant » évoque un frame, un cadre de référence, qui peut être constitué d’une série d’images ou de connaissances d’autres types. Les éléphants sont grands, ils ont les oreilles pendantes et une trompe, font penser au cirque, et ainsi de suite. Chaque mot se définit en relation à un cadre9 George Lakoff, Non pensare all’elefante!, Fusi Orari, 2006, p.17. Traduction en français de l’auteure de l’article..

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[1] Période principale étudiée au sein...

Période principale étudiée au sein de notre travail de thèse « L’imaginaire politique en action : le cas des débats à l’Assemblée de Corse (2010 à 2015) », Università di Corsica/Università della Svizzera Italiana, soutenue le 18 décembre 2020, à Corte.

[2] Raphaël Liogier, Les évidences...

Raphaël Liogier, Les évidences universelles, Paris, Les Ed. de la librairie de la Galerie, 2011, p. 12.

[3] Jean-François Dortier, « L’histoire...

Jean-François Dortier, « L’histoire mouvementée de l’inconscient », Sciences Humaines Grands Dossiers, n° 21, décembre 2010 / janvier-février 2011.

[4] Précisons que la notion d’inconscient...

Précisons que la notion d’inconscient connaîtra également d’autres prolongements que ceux de C.G. Jung : théories de différents psychanalystes et notamment de Lacan, apport des sciences cognitives, etc.

[5] C. G. Jung, Marie-Louise Von Franz...

C. G. Jung, Marie-Louise Von Franz, Joseph L. Henderson, [et al.], L’homme et ses symboles, Paris, Robert Laffont, 1990 (1964), p. 6.

[6] Lucian Boia, Pour une histoire de...

Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, Paris, Belles Lettres, 1998, p. 17.

[7] Olivier Battistini [et al.], Dictionnaire...

Olivier Battistini [et al.], Dictionnaire des lieux et pays mythiques, Paris, Robert Laffont, 2011. p. 32.

[8] « Une cartographie de l’imaginaire...

« Une cartographie de l’imaginaire », entretien avec Gilbert Durand, propos recueillis par Philippe Cabin, Sciences Humaines Mensuel n° 90 - Janvier 1999.

 

[9] George Lakoff, Non pensare all’...

George Lakoff, Non pensare all’elefante!, Fusi Orari, 2006, p.17. Traduction en français de l’auteure de l’article.
Cette fonction constitutive de la réalité du frame, ou de la représentation est autant mentale que sociale, individuelle que collective.

« Ce que les représentations collectives traduisent, c’est la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui l’affectent »10 Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Presses universitaires de France, 1956. (Durkheim).

Nous interrogerons donc les représentations du sacré d’un groupe particulier : celui des élus de la Corse. Concernant la notion de « sacré », outre son sens premier pour lequel nous présentons ici une définition classique – « qui appartient au domaine séparé, intangible et inviolable du religieux et qui doit inspirer crainte et respect »11 Dictionnaire Larousse en ligne, www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sacr%C3%A9/70445-, il nous semble utile d’apporter quelques précisions complémentaires.

Pour Lucian Boia, le sacré est un des archétypes essentiels présents dans l’imaginaire12 Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, op.cit., p. 31., et ce, quelle que soit la période historique concernée. La permanence est d’ailleurs le propre de l’archétype, en tant que « schéma organisateur dont la matière change, mais dont les contours restent13 Ibid., p. 17. ».

« Dieu est mort », proclamait Nietzsche14 L’apparition de problématiques religieuses nouvelles relativise aujourd’hui largement l’idée de désenchantement du monde, notamment développée par Max Weber et Marcel Gauchet..

Quel que soit le crédit que l’on puisse faire à une telle affirmation, il est certain que l’archétype du sacré, lui, n’était pas mort :

« Que reste-t-il de cette vision archétypale d’un univers “enchanté”, dans la société technologique moderne dont une des particularités est censée être le désenchantement du monde ? Le sacré serait-il en train de s’effacer, d’abandonner peu à peu l’esprit des hommes ? Supposition apparemment justifiée par le reflux, d’ailleurs relatif, des croyances et pratiques religieuses. En fait, la soif d’Absolu n’a pas diminué. Il n’y a aucune perte de substance, mais uniquement un “réinvestissement”, une nouvelle distribution des archétypes15 Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, op.cit., p. 31. ».

Pas de fin du religieux, mais réinvestissement de ce dernier dans d’autres sphères :

« Il y eut métamorphose du religieux, de la sacralité. L’État, le Peuple, la Nation furent investis d’attributs mystiques. L’archétype cosmique de l’unité qui se trouve au cœur de toute religion, assura, au niveau du corps social, la perpétuation d’une attitude essentiellement religieuse. L’unité et la cohérence de l’organisme social furent sacralisées ; la marche vers l’avenir devint à son tour une nouvelle forme de rédemption16 Ibid., p. 203.».

Ce phénomène s’accompagne de « liturgies politiques » (Claude Rivière), et de la sacralisation des héros, individuels et collectifs (tels que le peuple).

En ce qui concerne la Corse, cette sacralisation est largement perceptible au sein des discours des élus, mais, et c’est sans doute une des spécificités de l’imaginaire insulaire, elle s’accompagne encore aujourd’hui et de façon significative de la présence de figures appartenant à la religion catholique17 Voir également à ce sujet notre travail de thèse « L’imaginaire politique en action : le cas des débats à l’Assemblée de Corse (2010 à 2015) », op. cit..

Explorons-en ici les contours.

La sacralisation de la Corse

 
La première figure sacrée se dégageant de façon évidente de notre corpus est celle de la Corse elle-même, qui apparaît comme « un monde en soi », un monde touchant au sacré.

Nous empruntons ici la formule d’Anne Meistersheim, dans son article « Insularité, insularisme, iléité » de l’Encyclopaedia Corsicae :

La première figure de l’île qui s’impose à nous, semblant tout à la fois ouvrir sur toutes les autres et les contenir toutes, est celle de l’île comme “microcosme” : l’île comme “monde en soi”, un monde qui se détermine par sa propre fermeture. Ce monde qui s’auto-définit et s’affirme dans une aspiration à l’autonomie, ce monde est évidemment à lui–même son propre centre : le microcosme insulaire est aussi “centre du monde” 18 Anne Meistersheim, « Insularité, insularisme, iléité », in Encyclopaedia Corsicae, volume 3, Editions Dumane, 2005, p. 718..

Cette position centrale de la Corse dans l’imaginaire de son peuple19 Confirmée par Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse dans leur Histoire de la Corse et des Corses : « Pour les Corses eux-mêmes, la Corse n’a jamais été vécue comme une périphérie marginale mais comme un centre (…). » (Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, éditions Perrin/Colonna, 2008, p. 8.) ne lui serait donc pas propre, mais caractériserait « l’île » en général. En l’occurrence, l’île qu’est la Corse apparaît bien comme un « monde en soi », une figure symbolique supérieure à ce qui la compose.

Il ne s’agit pas là uniquement de la personnification d’une entité par un orateur, figure rhétorique fort répandue en communication politique. Ici, la personnification apparaît de façon saillante dans l’ensemble du corpus. Plus que d’un simple effet oratoire, nous sommes en présence d’une représentation commune à l’ensemble des élus. Cela transparaît, par exemple, dans un discours de l’élu nationaliste Jean-Christophe Angelini20 Au sein du débat institutionnel du 26 septembre 2013., et se manifeste notamment par le nombre d’occurrences de la parole « Corse » (ou « Corses ») en son sein : 11 occurrences. Cette figure émerge également à travers la présence des divers éléments qui la composent, éléments caractéristiques dont la portée dépasse largement un territoire administratif. Nous pensons en particulier à la terre, à la culture, au patrimoine et à la langue21 Sur ces différents thèmes, nous renvoyons le lecteur à notre thèse (op. cit.).. Derrière la symbolique de ces différents objets, apparaît en filigrane la figure de la Corse.

Autre élément constitutif de cette figure : le peuple corse. Cette expression se manifeste à de nombreuses reprises au sein des débats. Rappelons que l’affirmation de l’existence du « peuple corse » est l’un des marqueurs du mouvement national moderne, comme l’illustre cette déclaration liminaire du militant nationaliste Ghjuvan Paulu Roesch, devant la Cour de Sûreté de l’État, en 1979 :
 
Messieurs les Juges de l’État français. Si nous consentons à comparaître aujourd’hui devant vous, ne cherchez dans cet assentiment aucune velléité de mendier votre clémence, aucune intention visant à atténuer la portée de nos actes, qui comme vous le verrez, traduisent dans le concret les aspirations légitimes du Peuple corse dans sa volonté manifeste de se reconstituer en Nation souveraine. Forts de notre légitimité, il nous apparaît inconcevable que vous envisagiez un seul instant que l’acceptation de comparaître devant vous apporte un quelconque crédit à une légalité qui nous est totalement étrangère et que nous ne reconnaissons pas. (…) Il est indéniable que votre Justice n’est pas la nôtre ; flagrant qu’elle n’est pas celle de notre Peuple22 Déclaration liminaire de Jean-Paul Roesch,  Le Procès d’un peuple, Bastia, A Riscossa, 1980, p. 32-34..

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[10] Emile Durkheim, Les règles de...

Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Presses universitaires de France, 1956.

[11] Dictionnaire Larousse en ligne...

Dictionnaire Larousse en ligne, www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sacr%C3%A9/70445

[12] Lucian Boia, Pour une histoire...

Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, op.cit., p. 31.

[13] Ibid., p. 17.

 Ibid., p. 17.

[14] L’apparition de problématiques...

L’apparition de problématiques religieuses nouvelles relativise aujourd’hui largement l’idée de désenchantement du monde, notamment développée par Max Weber et Marcel Gauchet.

[15] Lucian Boia, Pour une histoire...

Lucian Boia, Pour une histoire de l’imaginaire, op.cit., p. 31.

[16] Ibid., p. 203.

Ibid., p. 203.

[17] Voir également à ce sujet notre...

Voir également à ce sujet notre travail de thèse « L’imaginaire politique en action : le cas des débats à l’Assemblée de Corse (2010 à 2015) », op. cit.

[18] Anne Meistersheim, « Insularité...

Anne Meistersheim, « Insularité, insularisme, iléité », in Encyclopaedia Corsicae, volume 3, Editions Dumane, 2005, p. 718.

[19] Confirmée par Jean-Marie Arrighi...

Confirmée par Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse dans leur Histoire de la Corse et des Corses : « Pour les Corses eux-mêmes, la Corse n’a jamais été vécue comme une périphérie marginale mais comme un centre (…). » (Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, éditions Perrin/Colonna, 2008, p. 8.)

[20] Au sein du débat institutionnel du...

Au sein du débat institutionnel du 26 septembre 2013.

[21] Sur ces différents thèmes...

Sur ces différents thèmes, nous renvoyons le lecteur à notre thèse (op. cit.).

[22] Déclaration liminaire de Jean-Paul...

Déclaration liminaire de Jean-Paul Roesch,  Le Procès d’un peuple, Bastia, A Riscossa, 1980, p. 32-34.
Toujours d’un point de vue historique, précisons que l’article 1er du « statut Joxe »23 Statut issu de la loi du 13 mai 1991 portant « statut de la collectivité territoriale de Corse ». L’article faisant mention du « peuple corse » sera finalement censuré par le Conseil Constitutionnel., faisant mention du peuple corse, avait été source de clivage à Paris. Dans l’île en revanche, dès 1988, une motion affirmant l’existence du peuple corse avait été votée à l’Assemblée de Corse grâce aux voix de la droite roccaserriste24 Droite traditionnelle incarnée par son leader, Jean-Paul de Rocca Serra. Héritier d’une vieille famille politique du Sud de l’île, Jean-Paul de Rocca Serra est l’un des personnages majeurs de l’histoire de la Corse. Voir, au sujet de ce vote, l’analyse du discours de Jean-Paul de Rocca Serra, que nous proposons dans l’Anthologie des grands discours sur la Corse et les Corses (XVIIIe-XXe siècle), Classiques Garnier, 2023.. En réalité, au fil des années, nombreux furent les hommes politiques dits « traditionnels » à parler de « peuple corse ». Cela ne constituait pas une adhésion à l’idée nationaliste liant « peuple » et « nation », et n’était en rien contradictoire, selon ces élus, avec l’appartenance au peuple français.

Lors de la mandature 2010-2015, le terme de « peuple » sera employé à de nombreuses reprises par des orateurs non-nationalistes. Ce sera le cas, notamment, lors de la session consacrée au Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC), et singulièrement dans le discours d’ouverture du débat de la conseillère exécutive de gauche Maria Guidicelli25 « Notre communauté, notre peuple dispose d’un territoire, d’une histoire, d’une langue, de savoir-faire ancestraux, qui forgent notre identité, construite au fil du temps, au gré des rencontres avec d’autres communautés ». (Débat sur le PADDUC – 26 juillet 2012).. On retrouve également ce vocable lors des autres débats, en particulier celui sur la langue corse. Le terme « populu » ou « peuple » renvoyant au peuple corse, y est employé de façon récurrente, et pas uniquement par les groupes nationalistes. Nous pouvons, à cet égard, citer l’élue de droite Marie-Antoinette Santoni-Brunelli : « La coofficialité permettra non seulement de donner un statut à notre langue mais aussi de reconnaître une histoire, une culture, un peuple26 Mattea Lacave lors du débat consacré à langue corse du 16 mai 2013 . Trad. : « Pour Femu a Corsica, franchir ce premier pas sera le plus bel hommage rendu à tous ceux, femmes et hommes, qui saisirent le drapeau d’un peuple désireux de demeurer lui-même, de parler sa langue, et de croire en un avenir de paix, d’identité retrouvée et de développement. ». »

Derrière la notion de peuple corse, largement présente dans l’imaginaire des élus, toute une dimension symbolique est perceptible, comme nous pouvons le constater au sein du discours de l’élue nationaliste Mattea Lacave :

Per Femu a Corsica francà stu primu passu serà l’omagiu u più bellu, à tutti quelli, donne è omi, ch´inguantonu a bandera d’un populu in brama di firmà ellu stessu, di parlà a so lingua, è crede in un avvene di pace, d’identità ritrova è di sviluppu27 Marie-Antoinette Santoni-Brunelli lors du débat consacré à langue corse du 16 mai 2013..

Nous observons, dans cette citation, la présence de l’emblème que constitue « a bandera28 Le drapeau. », élément symbolique essentiel de la construction de la figure de la Corse. Nous parlons ici de construction, l’imaginaire n’apparaissant pas de lui-même mais étant le fruit d’une histoire et de choix opérés au sein de la mémoire collective. Auteur de référence s’agissant de cette notion, Maurice Halbwachs montre comment ces choix s’opèrent, privilégiant les similitudes par rapport aux différences : 
 
Le groupe, au moment où il envisage son passé, sent bien qu’il est resté le même et prend conscience de son identité à travers le temps. (…) le groupe qui vit d’abord et surtout pour lui-même, vise à perpétuer les sentiments et les images qui forment la substance de sa pensée29 Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Albin Michel, 1997 (1ère édition, posthume, en 1950), p. 139..


Parmi ces « images », les emblèmes occupent bien évidemment la place la plus éminente et provoquent les « sentiments » collectifs les plus élevés. Observons que pour Pierre Nora, qui a pour sa part, comme on le sait, travaillé sur la France30 Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, 3 t., 7 vol., Gallimard, 1984-1992., les emblèmes ont joué un rôle essentiel dans la formation de ce qu’il appelle la « religion républicaine »31 Cette notion de « religion républicaine » peut être rapprochée de celle, plus critique, de « religion politique » définie ainsi par Emilio Gentile : « Avec cette expression [religion politique] se définit une forme particulière de sacralisation de la politique, qui se manifeste à l’époque moderne et s’exprime lorsque une entité politique, après avoir conquis son autonomie institutionnelle par rapport à la religion traditionnelle, acquiert une dimension religieuse propre, en assumant un caractère sacré, jusqu’à revendiquer, pour elle, la prérogative de définir la signification et la finalité fondamentale de l’existence humaine, en tout cas sur cette terre, pour l’individu et la collectivité. Cela se produit chaque fois qu’une entité politique, comme la nation, l’État, la race, la classe, le parti ou le mouvement est transformée en une entité sacrée, et devient de ce fait transcendante, indiscutable, intangible, et comme telle se place au centre d’un système, plus ou moins élaboré de croyances, de mythes, de valeurs, de commandements, de rites et de symboles, devenant ainsi objet de foi, de révérence, de culte, de fidélité, de dévotion, jusqu’au sacrifice de la vie, si nécessaire ». (Emilio Gentile, Le religioni della politica : fra democrazie e totalitarismi, Roma, Laterza, 2001, p. 11-12). Emilio Gentile se réfère à l’époque moderne. Précisons toutefois que la sacralisation du politique n’est pas spécifique à cette période et est consubstantielle à l’existence des régimes politiques. :

La mémoire républicaine a (…) constitué une véritable religion civile et civique, à la liturgie plurielle, multiforme, ubiquitaire. Dans les années décisives de l’affermissement et de l’enracinement de la République, déclarée en 1880 le régime définitif de la France, cette religion a su très vite se doter d’emblèmes, d’hymnes et de fêtes, et même de temples, trois couleurs, Marseillaise et 14 juillet, Panthéon rendu au civil à l’occasion des funérailles de Victor Hugo ; et elle a bientôt investi le paysage des villes et des villages de ses plaques, noms de rues et monuments aux morts32 Pierre Nora, « Profane et sacré en République », Médium 3/ 2005 (N°4), p. 22-31..

Nous pouvons à cet égard rapprocher les cas français et corse puisqu’il s’agit, dans l’un et l’autre de ces deux cas, d’un élément essentiel d’affermissement, mais également d’expression de l’imaginaire collectif. Si nous poursuivons la mise en parallèle des deux phénomènes, nous observons que la figure de la Corse prend une dimension sacrée dont le drapeau serait l’emblème33 Sur cette question, voir le catalogue de l’exposition au musée de la Corse E figure di a Corsica. Symboles, emblèmes et allégories, Coédition Musée de la Corse, CdC / Albiana, 2018..


La « bandera » apparaît au sein d’autres sessions de l’Assemblée de Corse, comme à la suite de l’arrêté préfectoral interdisant « tout objet à l’effigie de la Corse », en octobre 2014, lors du match de football Bastia-Nice. Le joueur bastiais Jean-Louis Leca avait alors brandi la bandera sur le terrain, geste auquel succédèrent des échauffourées. Le joueur en fut sanctionné. Cet arrêté d’interdiction, de même que la suite des événements, provoquèrent une vive indignation dans l’île, où les mots « racisme anti-corse » parvinrent jusqu’au sein de l’hémicycle de l’Assemblée. Il s’agit du titre34 « Bandera corsa è razzisimu anti corsu ». Trad. : « Drapeau corse et racisme anti-corse ». de la question orale posée par l’élu nationaliste Xavier Luciani, qui, à cette occasion, présentait le drapeau corse comme « le symbole le plus fort du Peuple corse 35 « (…) di pettu à l’inghjulia fatta à u simbulu u più forte di u Populu Corsu, a nostra bandera ». Trad. : « (…) face à l’affront fait au symbole le plus fort du peuple corse : notre drapeau ». (« Question orale n° 2014/02/047 posée par M. Saveriu Luciani, au nom du groupe « Femu a Corsica » : Bandera corsa è razzisimu anti corsu »,  séance du 4 décembre 2014, Assemblée de Corse. ». Cette indignation était partagée par le président Giacobbi, qui s’exprimait alors en ces termes :

(…) j’ai tenu à saisir les autorités de cette question de manière à ce que l’on cesse d’agiter le spectre d’une Corse qui menacerait, par le simple rappel de son identité, les fondements de l’État ou de je ne sais quoi.

D’abord je rappelle que vous avez raison, notre emblème corse est plus ancien que le drapeau français (…)36 Séance du 4 décembre 2014, Assemblée de Corse..


L’atteinte, même symbolique, à la bandera, constitue alors un acte que de nombreux Corses ne peuvent tolérer et qu’ils considèrent comme une injure faite à la Corse.

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[23] Statut issu de la loi du 13 mai 1991...

Statut issu de la loi du 13 mai 1991 portant « statut de la collectivité territoriale de Corse ». L’article faisant mention du « peuple corse » sera finalement censuré par le Conseil Constitutionnel.

[24] Droite traditionnelle incarnée...

Droite traditionnelle incarnée par son leader, Jean-Paul de Rocca Serra. Héritier d’une vieille famille politique du Sud de l’île, Jean-Paul de Rocca Serra est l’un des personnages majeurs de l’histoire de la Corse. Voir, au sujet de ce vote, l’analyse du discours de Jean-Paul de Rocca Serra, que nous proposons dans l’Anthologie des grands discours sur la Corse et les Corses (XVIIIe-XXe siècle), Classiques Garnier, 2023.

[25] « Notre communauté, notre...

« Notre communauté, notre peuple dispose d’un territoire, d’une histoire, d’une langue, de savoir-faire ancestraux, qui forgent notre identité, construite au fil du temps, au gré des rencontres avec d’autres communautés ». (Débat sur le PADDUC – 26 juillet 2012).

[26] Marie-Antoinette Santoni-Brunelli...

Marie-Antoinette Santoni-Brunelli lors du débat consacré à langue corse du 16 mai 2013.

[27] Mattea Lacave lors du débat...

Mattea Lacave lors du débat consacré à langue corse du 16 mai 2013 . Trad. : « Pour Femu a Corsica, franchir ce premier pas sera le plus bel hommage rendu à tous ceux, femmes et hommes, qui saisirent le drapeau d’un peuple désireux de demeurer lui-même, de parler sa langue, et de croire en un avenir de paix, d’identité retrouvée et de développement. »

[28] Le drapeau.

Le drapeau.

[29] Maurice Halbwachs, La...

Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Albin Michel, 1997 (1ère édition, posthume, en 1950), p. 139.

[30] Les lieux de mémoire, sous la...

Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, 3 t., 7 vol., Gallimard, 1984-1992.

[31] Cette notion de « religion républicaine »...

Cette notion de « religion républicaine » peut être rapprochée de celle, plus critique, de « religion politique » définie ainsi par Emilio Gentile : « Avec cette expression [religion politique] se définit une forme particulière de sacralisation de la politique, qui se manifeste à l’époque moderne et s’exprime lorsque une entité politique, après avoir conquis son autonomie institutionnelle par rapport à la religion traditionnelle, acquiert une dimension religieuse propre, en assumant un caractère sacré, jusqu’à revendiquer, pour elle, la prérogative de définir la signification et la finalité fondamentale de l’existence humaine, en tout cas sur cette terre, pour l’individu et la collectivité. Cela se produit chaque fois qu’une entité politique, comme la nation, l’État, la race, la classe, le parti ou le mouvement est transformée en une entité sacrée, et devient de ce fait transcendante, indiscutable, intangible, et comme telle se place au centre d’un système, plus ou moins élaboré de croyances, de mythes, de valeurs, de commandements, de rites et de symboles, devenant ainsi objet de foi, de révérence, de culte, de fidélité, de dévotion, jusqu’au sacrifice de la vie, si nécessaire ». (Emilio Gentile, Le religioni della politica : fra democrazie e totalitarismi, Roma, Laterza, 2001, p. 11-12). Emilio Gentile se réfère à l’époque moderne. Précisons toutefois que la sacralisation du politique n’est pas spécifique à cette période et est consubstantielle à l’existence des régimes politiques.

[32] Pierre Nora, « Profane et sacré...

Pierre Nora, « Profane et sacré en République », Médium 3/ 2005 (N°4), p. 22-31.

[33] Sur cette question, voir le catalogue...

Sur cette question, voir le catalogue de l’exposition au musée de la Corse E figure di a Corsica. Symboles, emblèmes et allégories, Coédition Musée de la Corse, CdC / Albiana, 2018.

[34] « Bandera corsa è razzisimu anti...

« Bandera corsa è razzisimu anti corsu ». Trad. : « Drapeau corse et racisme anti-corse ».

[35] « (…) di pettu à l’inghjulia fatta...

« (…) di pettu à l’inghjulia fatta à u simbulu u più forte di u Populu Corsu, a nostra bandera ». Trad. : « (…) face à l’affront fait au symbole le plus fort du peuple corse : notre drapeau ». (« Question orale n° 2014/02/047 posée par M. Saveriu Luciani, au nom du groupe « Femu a Corsica » : Bandera corsa è razzisimu anti corsu »,  séance du 4 décembre 2014, Assemblée de Corse.

[36] Séance du 4 décembre 2014...

Séance du 4 décembre 2014, Assemblée de Corse.
S’agissant de la question des symboles, le groupe nationaliste Corsica Libera déposera une motion demandant la reconnaissance du 8 décembre comme « fête du peuple corse ». Cette fête, le jour de l’Immaculée Conception, fait écho à la décision de 1735, prise en Cunsulta et plaçant la Corse sous la protection de la Vierge Marie37 Sur le 8 décembre, voir notamment Gherardi Eugène F. -X., « La Vierge, les lycéens, la Corse. La “ fête nationale ” du 8 décembre », Ethnologie française, 2008.. Sa symbolique renvoie donc à l’imaginaire des Révolutions de Corse et en particulier à l’idée de nation corse. Lors de la session du 3 mai 2011, à l’occasion de laquelle cette motion sera discutée (puis reportée afin de rechercher un consensus), le choix de la date sera notamment débattu, les références tant à la « nation corse » qu’à la « Vierge Marie » ne faisant pas l’unanimité. Nous ne pensons pas avoir besoin d’expliquer en quoi l’idée de « nation corse » ne pouvait faire consensus. Sur la question de la référence implicite à la « Vierge Marie », c’est la dimension religieuse qui posa problème, celle-ci ne cadrant pas avec la conception française de la laïcité. Ce fut le cas notamment pour le groupe Gauche Républicaine, au nom duquel Marie-Paule Houdemer questionnait l’opportunité du choix du 8 décembre.

Cette date sera finalement retenue comme « fête de la Corse », lors de la mandature suivante38 Lors de la séance du 29 mars 2019, à la suite d’une motion présentée par le président Talamoni.. Nous le voyons, ce n’est pas le principe d’une fête de l’île qui pose problème aux élus, mais des questions politiques liées à la symbolique du 8 décembre. Lors du débat de 2011, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli proposera d’ailleurs la formulation « Fête de la Corse ».

Pour conclure sur la question des symboles, signalons que nous n’avons pas trouvé mention, au sein de ces débats, de l’hymne de la Corse : le Dio vi Salvi Regina. Il sera, en revanche, entonné spontanément par le public lors de l’investiture nationaliste, le 17 décembre 201539 Sur cette question, voir Albertini Françoise et Lardellier Pascal, « Le serment des nationalistes corses en 2015 : retour sur un “rubicon rituel” », Performances de la culture et invariants, Bastia, Stamperia Sammarcelli, 2018, p. 108., suscitant une vive émotion dans l’hémicycle. Il serait cependant caricatural de cantonner cet hymne, ainsi que l’imaginaire des Révolutions de Corse40 Auquel est directement rattaché le Diu Vi Salvi Regina, qui aurait été érigé en hymne national par la Cunsulta d’Orezza de 1735. C’est cette même Cunsulta qui aurait placé l’île sous la protection de la Vierge Marie. C’est, du moins, ce que la mémoire en a retenu. Quant à ce qui est des fondements historiques, cela fait aujourd’hui l’objet de débats entre historiens, certains doutant même que cette Cunsulta se soit réellement tenue., au « camp » nationaliste. La « mémoire » concernant cette période – et ses symboles – est plurielle, et fait l’objet d’interprétations diverses, voire divergentes. À titre d’exemple, lors de la campagne des élections de 1984, le Dio Vi Salvi Regina résonnait au meeting de Jean-Paul de Rocca Serra, alors que dans la salle la « bandera » apparaissait derrière une tribune décorée aux couleurs de la République française41 Sur la présence du Dio Vi Salvi Regina lors de ce meeting, nous renvoyons au lien internet vers le reportage de France 3 Corse (« Campagne officielle élections régionales de 84 : Jean Paul de ROCCA SERRA et François GIACOBBI », Corsica Sera, France 3 Corse, 1984, https://www.ina.fr/video/AJ00001353799/campagne-officielle-elections-regionales-de-84-jean-paul-de-rocca-serra-et-francois-giacobbi-video.html)..

Quoi qu’il en soit, indépendamment des considérations idéologiques, ces symboles participent de la personnification de l’île. Personnification qui n’est pas nouvelle et qui se manifeste aussi, par exemple, à travers l’iconographie et la représentation de la Corse sous des traits féminins42 Cette association entre la Corse et la femme dans l’iconographie est ancienne. C’est le cas dès le XVIe siècle, comme l’explique Ange-Toussaint Pietrera dans sa thèse Imaginaires nationaux et mythes fondateurs ; la construction des multiples socles identitaires de la Corse française à la geste nationaliste (Université de Corse, soutenue le 23 octobre 2015, p. 50-51). Cette personnification est également perceptible sur certaines affiches promotionnelles à partir des années 1900 (voir sur ce sujet celles présentées dans l’ouvrage de l’historien Michel Vergé-Franceschi, Une histoire de l’identité corse, des origines à nos jours, Éditions Payot & Rivages, 2017). Pour une illustration plus contemporaine, ciblée sur l’imagerie politique, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage Guarda fratellu! Affissu è cuntestazione in Corsica : 1970-1990, éds. Andria Fazi et Associu Lingua scritta, Aiacciu, Albiana, 2017..

Cela se remarque également dans le domaine culturel. L’ouvrage de Patrizia Gattaceca, Cantu in mossa, met à cet égard en lumière la présence de la figure de l’île dans le domaine musical dès l’après-guerre, notamment sur les pochettes des disques43 Patrizia Gattaceca, Cantu in mossa : le chant corse sur la voie, Albiana, 2017..

Parmi une quantité quasi infinie d’exemples musicaux, citons simplement le titre, tout à fait significatif, du chant des Chjami Aghjalesi : « À tè la Corsica Regina ». En fait, la glorification de la Corse constitue le phénomène le plus notable du mouvement de réappropriation culturelle et artistique des années 1970 : le Riacquistu. Dans ce chant, c’est à la Corse que l’on s’adresse directement. Cette figure tend, par ailleurs, vers le sacré : les paroles « À tè la Corsica Regina » joignent et confondent la Corse et sa sainte patronne. 

Si la sacralisation de la Corse n’apparaît évidemment pas dans les discours des élus sous une forme aussi claire et explicite que dans le chant et la poésie, le caractère sacré est cependant bien présent, comme nous l’avons observé dans le discours de Mattea Lacave à travers la référence à la « bandera ». La Corse apparaît bien comme une figure absolue, inviolable, quasi-religieuse, donc sacrée au sens plein du terme, ce qui constitue une forme de mysticisme patriotique.

Observons que pour Anne Meistersheim, ce phénomène de sacralisation est typique de l’insularité :

 Homère, dans l’Odyssée, évoque l’image de l’île, montagne au-dessus des eaux, comme “le trait d’union naturel entre le ciel et la terre, entre le monde des Olympiens et celui des hommes” (…) C’est dans cette affirmation de sa centralité que le microcosme insulaire retrouve l’universel et dans cette affirmation qu’il traduit son caractère sacré, car l’île est aussi la reproduction la plus parfaite de Gaïa, la Terre, réduite à de modestes dimensions. 44 Anne Meistersheim, « Insularité, insularisme, iléité », op. cit., p. 718.

L’imaginaire universel construit autour de l’île sacralise ce territoire si particulier, en Corse comme ailleurs.

Les figures religieuses et symboliques


Dans ce registre du sacré, l’autre figure que nous rencontrons de façon récurrente dans les discours des élus corses est la figure religieuse par excellence, celle de Dieu. Quelle que soit la tendance politique, celle-ci s’invite dans l’imaginaire étudié. Nous pouvons l’identifier, entre autres, chez le nationaliste Jean-Christophe Angelini45 « Dieu nous en préserve » (Débat sur la violence – 15 décembre 2010)., l’élu de droite Camille de Rocca Serra46 « Si Dieu me prête vie » (Débat institutionnel – 26 et 27 septembre 2013)., la conseillière territoriale Gauche Républicaine Pascaline Castellani47 « Ce qu’à Dieu ne plaise » (Débat institutionnel – 26 et 27 septembre 2013)., et de façon récurrente chez le président communiste Dominique Bucchini48 Signalons, à titre d’exemple, ces deux citations du président communiste : « Dieu sait s’ils sont difficiles » (discours d’ouverture de la mandature 2010-2015), « Diu a benidica » (Dieu la bénisse, intervention du 27 juillet 2010).. Nous avons également pu constater la présence de références religieuses au sein du discours du conseiller exécutif Pierre Ghionga, lors du débat consacré à la langue corse : « A diversità linguistica hè a vera ricchezza di l’umanità. Luttà per u bislinguisimu in Corsica serà a nostra petra per a cunstruzione di sta nova Torra di Babel49 Pierre Ghionga lors du débat relatif à la langue corse du 16 mai 2013.». Citons également les mots de Maria Guidicelli, lors du débat précédemment cité relatif au PADDUC : « grâce à Dieu »50 Maria Guidicelli, Discours de présentation du PADDUC, 26 juillet 2012., ou ceux du président Paul Giacobbi lors du débat sur les institutions :

Je le dis solennellement, moi-même je m’opposerai avec la dernière énergie et Dieu sait que parfois pour m’opposer, j’ai de l’énergie jusqu’à devenir insupportable, à ce que même si le texte me convient parfaitement, il ne puisse entrer en vigueur sans avoir été préalablement validé par le peuple51 Paul Giacobbi lors du débat sur la réforme institutionnelle du 26 septembre 2013..

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[37] Sur le 8 décembre, voir notamment...

Sur le 8 décembre, voir notamment Gherardi Eugène F. -X., « La Vierge, les lycéens, la Corse. La “ fête nationale ” du 8 décembre », Ethnologie française, 2008.

[38] Lors de la séance du 29 mars 2019...

Lors de la séance du 29 mars 2019, à la suite d’une motion présentée par le président Talamoni.

[39] Sur cette question, voir Albertini...

Sur cette question, voir Albertini Françoise et Lardellier Pascal, « Le serment des nationalistes corses en 2015 : retour sur un “rubicon rituel” », Performances de la culture et invariants, Bastia, Stamperia Sammarcelli, 2018, p. 108.

[40] Auquel est directement rattaché...

Auquel est directement rattaché le Diu Vi Salvi Regina, qui aurait été érigé en hymne national par la Cunsulta d’Orezza de 1735. C’est cette même Cunsulta qui aurait placé l’île sous la protection de la Vierge Marie. C’est, du moins, ce que la mémoire en a retenu. Quant à ce qui est des fondements historiques, cela fait aujourd’hui l’objet de débats entre historiens, certains doutant même que cette Cunsulta se soit réellement tenue.

[41] Sur la présence du Dio Vi Salvi...

Sur la présence du Dio Vi Salvi Regina lors de ce meeting, nous renvoyons au lien internet vers le reportage de France 3 Corse (« Campagne officielle élections régionales de 84 : Jean Paul de ROCCA SERRA et François GIACOBBI », Corsica Sera, France 3 Corse, 1984, https://www.ina.fr/video/AJ00001353799/campagne-officielle-elections-regionales-de-84-jean-paul-de-rocca-serra-et-francois-giacobbi-video.html).

[42] Cette association entre la Corse...

Cette association entre la Corse et la femme dans l’iconographie est ancienne. C’est le cas dès le XVIe siècle, comme l’explique Ange-Toussaint Pietrera dans sa thèse Imaginaires nationaux et mythes fondateurs ; la construction des multiples socles identitaires de la Corse française à la geste nationaliste (Université de Corse, soutenue le 23 octobre 2015, p. 50-51). Cette personnification est également perceptible sur certaines affiches promotionnelles à partir des années 1900 (voir sur ce sujet celles présentées dans l’ouvrage de l’historien Michel Vergé-Franceschi, Une histoire de l’identité corse, des origines à nos jours, Éditions Payot & Rivages, 2017). Pour une illustration plus contemporaine, ciblée sur l’imagerie politique, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage Guarda fratellu! Affissu è cuntestazione in Corsica : 1970-1990, éds. Andria Fazi et Associu Lingua scritta, Aiacciu, Albiana, 2017.

[43] Patrizia Gattaceca, Cantu in...

Patrizia Gattaceca, Cantu in mossa : le chant corse sur la voie, Albiana, 2017.

[44] Anne Meistersheim, « Insularité...

Anne Meistersheim, « Insularité, insularisme, iléité », op. cit., p. 718.

[45] « Dieu nous en préserve » (Débat...

« Dieu nous en préserve » (Débat sur la violence – 15 décembre 2010).

[46] « Si Dieu me prête vie » (Débat...

« Si Dieu me prête vie » (Débat institutionnel – 26 et 27 septembre 2013).

[47] « Ce qu’à Dieu ne plaise » (Débat...

« Ce qu’à Dieu ne plaise » (Débat institutionnel – 26 et 27 septembre 2013).

[48] Signalons, à titre d’exemple...

Signalons, à titre d’exemple, ces deux citations du président communiste : « Dieu sait s’ils sont difficiles » (discours d’ouverture de la mandature 2010-2015), « Diu a benidica » (Dieu la bénisse, intervention du 27 juillet 2010).

[49] Pierre Ghionga lors du débat relatif...

Pierre Ghionga lors du débat relatif à la langue corse du 16 mai 2013.

[50] Maria Guidicelli, Discours de...

Maria Guidicelli, Discours de présentation du PADDUC, 26 juillet 2012.

[51] Paul Giacobbi lors du débat sur...

Paul Giacobbi lors du débat sur la réforme institutionnelle du 26 septembre 2013.
Il ne faut sans doute pas surinterpréter l’usage de ces locutions en occultant le caractère quelque peu mécanique que leur emploi peut revêtir52 D’autant plus que les références à Dieu dans les discours ne sont pas spécifiques à la Corse. C’est ainsi que Charles de Gaulle employait notamment l’expression « Si Dieu me prête vie », dans certaines de ses interventions. Les travaux réalisés par l’observatoire du discours politique français « Mesure-du-discours » de l’Université Côte d’Azur, détectent d’ailleurs la parole « Dieu » dans les discours présidentiels français, chez Charles De Gaulle, Nicolas Sarkozy et François Hollande (http://mesure-du-discours.unice.fr/?qui=degaulle&quand=1969-03-11#). La spécificité, en la matière, du discours politique corse étudié tient à la récurrence de ces références, chez de très nombreux orateurs, et leur rémanence de nos jours alors qu’elles ont pu s’estomper quelque peu ailleurs.. Il n’en demeure pas moins intéressant d’observer ce type de formules chez un élu du parti communiste, dont l’idéologie devrait exclure de telles références à la religion, laquelle a pu être définie comme « l’opium du peuple53 Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843. ». De même que pour une élue de la Gauche Républicaine dont nous nous souvenons que le groupe s’était opposé à la date du 8 décembre comme fête de la nation54 Rappelons au demeurant cette évidence : les opinions des membres d’un même groupe politique ne sont pas forcément identiques, à propos de la religion comme de tout autre sujet.. Nous touchons du doigt ici toute la complexité des représentations en présence, des valeurs clairement antagonistes coexistant au sein d’un même imaginaire.

 

Que ces expressions soient employées de façon consciente ou non, leur récurrence dans le discours public témoigne du poids de la religion en Corse, dans une société où la sécularisation a sans doute fait son œuvre de façon moins complète qu’en d’autres contrées. Le langage étant l’expression vivante de l’imaginaire individuel et collectif, cette constatation est sans doute significative. D’autant que les études ethnolinguistiques confirment la place du religieux dans le corpus corse de proverbes et de locutions idiomatiques, comme l’a notamment montré Fernand Ettori qui consacre à cette thématique un chapitre de son Anthologie des expressions corses55 Chapitre VIII, « L’empreinte religieuse » (Rivages, Marseille, 1984, p. 79).. Observons, à titre de comparaison, que Michel Vovelle parle, à propos du corpus provençal, d’« absence quasi totale de métaphysique et de discours religieux »56 Michel Vovelle, Proverbes et dictons provençaux, Rivages, Marseille, 1983, p. 15..

 

Les observations auxquelles nous venons de nous livrer révèlent ce qui peut sans doute être considéré comme une singularité des représentations de la chose publique en Corse. Le caractère religieux des couches profondes de l’imaginaire insulaire pénètre jusqu’aux discours marqués par l’idéologie communiste57 Remarquons que cette ambivalence à l’égard de la religion s’observe aussi chez les communistes italiens, bien que se manifestant sous des formes différentes. Voir sur cette question C’era una volta il PCI: autobiografia di un partito attraverso le immagini della sua propaganda, ed. Edoardo Novelli, 1. ed, Roma, Editori riuniti, 2000. Nous remercions Lorenzo Di Stefano de nous avoir communiqué cette référence. ou la laïcité républicaine.

 

De ce point de vue, nous pouvons nous demander si la religion ne constitue pas un élément de l’imaginaire identitaire des élus de la Corse. La présence quasi systématique des femmes et hommes politiques lors des diverses fêtes religieuses plaide en faveur de cette hypothèse58 Voir sur ce point les photos de manifestations religieuses du fonds Amadori, disponibles sur le site de la Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses (http://m3c.univ-corse.fr/omeka/items/show/110063).. En tout état de cause, elle est une indication de représentations partagées entre les élus et la société corse, qui s’attend à retrouver ses représentants lors de ces occasions.

 

Représentations partagées entre les élus et la société insulaire qui ont trouvé à s’exprimer de manière plus évidente encore lors d’un événement se déroulant pourtant en dehors de l’île. Le 30 septembre 2023, l’évêque de Corse François Bustillo était créé cardinal par le pape François. À cette occasion, les élus et représentants de toutes les tendances politiques insulaires avaient fait le déplacement à Rome au sein d’une délégation corse de plus de 800 personnes59 Voir notamment, Ariane Chemin, « Monseigneur Bustillo est créé cardinal, toute la Corse le suit à Rome », Le Monde, 29 septembre 2023.. La ferveur exprimée par l’île à cette occasion est tout à fait significative de la relation singulière entretenue, aujourd’hui encore, par la Corse et ses représentants, avec la religion catholique. Signalons –puisque nous avons précédemment abordé cette question– la présence de nombreuses bandere sur la place Saint Pierre, lors de la cérémonie.
 
La bandera à Rome, lors de la cérémonie du 30 septembre 2023 – photographie Serena Talamoni
Concernant la religiosité de la société corse, nombreuses sont les études à avoir analysé la valeur culturelle tout à fait essentielle de la religion dans l’île. Citons, à cet égard, quelques mots du Professeur Dominique Verdoni, au sujet de son travail concernant la Semaine sainte dans l’île:

 

(…) tenter une approche anthropologique des “phénomènes religieux”, ici liés à la Semaine sainte, c’est aussi montrer comment l’étude d’un système religieux peut nous enseigner le social. Dans ce contexte, l’étude porte davantage sur les relations de fonctions et de sens entre le religieux et les autres dimensions du culturel, c’est-à-dire, plus exactement, sur les valeurs et les symboles mis en action et sans cesse réactualisés, aux confins de l’ordre social et de l’ordre spirituel60 Dumenica Verdoni, A Settimana santa in Corsica, Ajaccio, Albiana, 2003, p. 4..

 

Dans le cas qui nous occupe, il semble que nous nous situions aux confins des ordres social, spirituel et politique.

 

Il nous paraît opportun, à cet égard, de faire une incursion en dehors du champ politique pour observer comment les figures historiques, symboliques et religieuses peuvent être exaltées au service du sentiment d’appartenance à la Corse.

 

Un secteur nous semble particulièrement intéressant de ce point de vue : celui de la création et de l’artisanat en matière de mode et de design61 Pour l’étude d’autres champs d’expression du sentiment d’appartenance à la Corse, voir Sébastien Quenot, Sur les terrains du discours corse, Albiana-Università di Corsica, 2023.. Observons, à titre d’exemple, le festival Creazione, festival méditerranéen de la mode et du design, ayant lieu chaque année à Bastia. Dans son édition de 2016, que nous avons tout particulièrement étudiée, nous observions la présence marquante des figures historiques. Fait notable dans la perspective qui est la nôtre, cette symbolique était largement associée à des références religieuses. Sur 46 créateurs corses, 16 d’entre eux affichaient des modèles faisant appel à cette symbolique, soit plus d’un tiers des exposants62 Certains modèles de ces créateurs sont présentés (textes et photographies) dans le catalogue du festival (Office du tourisme de l’agglomération de Bastia, 2016).. C’est ainsi que les héros de l’histoire (et singulièrement Pascal Paoli et Napoléon Bonaparte63 Lors de son édition 2019, le thème du festival Creazione sera justement : Pascal Paoli et Napoléon Bonaparte. Ce sera cette fois sur commande que les exposants créeront un modèle spécialement réalisé pour le festival, renvoyant à cet imaginaire.), côtoyaient la Vierge Marie. La mode du sacré passait également par l’exposition d’objets à connotation religieuse ou mystique, tels que les bijoux en corail protecteur, et allait même jusqu’à la vente de sachets de sel béni, proposés avec les vêtements. Cette religiosité était d’ailleurs soigneusement mise en scène : « Cet aspect religieux de l’île sera mis en avant avec la participation d’un abbé pour la bénédiction du sel pour la confection de pochettes de coton contenant du gros sel béni, elle sera associée à cette collection de vêtements64 Marque Lacrima d’O, catalogue du festival Creazione, 2016, p. 28.. »

 

On assiste donc, au cours de la décennie 2010, à un investissement par le secteur de la mode et du design des imaginaires religieux et politiques, dès lors entremêlés. Les figures politiques se trouvent ainsi sacralisées, ce qui du reste constitue un élément classique de l’affirmation de l’imaginaire des communautés politiques65 Voir sur cette question, notamment Benedict Anderson, Comunità immaginate, origini e fortuna dei nazionalismi, Roma, manifestolibri, 2005, p. 29.. Ce qui est particulièrement intéressant ici est que la démarche n’émane pas du champ politique et institutionnel, mais d’un secteur qui, pour demeurer économiquement fonctionnel, doit être en adéquation avec les représentations de sa cible. En effet, il est bien connu qu’en matière de marketing, le message ne « prend » que s’il « parle » au consommateur. Cela ne nous permet pas de conclure que nous sommes ici en présence de l’imaginaire de la société corse dans son ensemble, notamment dans la mesure ou le consommateur « cible » dépasse sans doute le cadre insulaire. En revanche, le phénomène témoigne de l’existence au sein de la société de ce type de représentations. Enfin, ces éléments manifestent une interrelation entre le secteur de la mode et le champ politique. Cela est par ailleurs confirmé par l’appropriation et la mise en valeur par les élus de ces vêtements, accessoires ou objets, comme l’illustre la photographie ci-dessous :

 

La conseillère exécutive nationaliste Josepha Giacometti-Piredda portant un vêtement à la symbolique religieuse, de la marque The minority (séance du 20 septembre 2018) – photographie Serena Talamoni.

 

Nous le disions aux prémices de cette étude, le rapport au sacré des représentants de la Corse s’affirme à travers à la fois la sacralisation de l’île et de ses symboles -identitaires, historiques et politiques-, et la présence du sacré dans sa forme première, à savoir religieuse. Nous pourrions même parler d’un certain syncrétisme entre ces deux tendances, tant la religion catholique est indissociablement liée aux symboles identitaires66 Et ce, quels que soient les courants politiques. et aux pratiques politiques insulaires. Pour autant, il ne s’agit pas, pour les élus, de revendiquer une quelconque appartenance religieuse67 Même si certaines formations politiques ont pu récemment faire de la religion, au moins dans sa dimension culturelle, un élément de revendication politique, voire programmatique. mais simplement de vivre une laïcité spécifique, celle d’une culture et d’une manière d’être au monde singulières.

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[52] D’autant plus que les références à....

D’autant plus que les références à Dieu dans les discours ne sont pas spécifiques à la Corse. C’est ainsi que Charles de Gaulle employait notamment l’expression « Si Dieu me prête vie », dans certaines de ses interventions. Les travaux réalisés par l’observatoire du discours politique français « Mesure-du-discours » de l’Université Côte d’Azur, détectent d’ailleurs la parole « Dieu » dans les discours présidentiels français, chez Charles De Gaulle, Nicolas Sarkozy et François Hollande (http://mesure-du-discours.unice.fr/?qui=degaulle&quand=1969-03-11#). La spécificité, en la matière, du discours politique corse étudié tient à la récurrence de ces références, chez de très nombreux orateurs, et leur rémanence de nos jours alors qu’elles ont pu s’estomper quelque peu ailleurs.

[53] Karl Marx, Critique de la philosophie...

Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843.

[54] Rappelons au demeurant cette...

Rappelons au demeurant cette évidence : les opinions des membres d’un même groupe politique ne sont pas forcément identiques, à propos de la religion comme de tout autre sujet.

[55] Chapitre VIII, « L’empreinte religieuse...

Chapitre VIII, « L’empreinte religieuse » (Rivages, Marseille, 1984, p. 79).

[56] Michel Vovelle, Proverbes et...

Michel Vovelle, Proverbes et dictons provençaux, Rivages, Marseille, 1983, p. 15.

[57] Remarquons que cette ambivalence...

Remarquons que cette ambivalence à l’égard de la religion s’observe aussi chez les communistes italiens, bien que se manifestant sous des formes différentes. Voir sur cette question C’era una volta il PCI: autobiografia di un partito attraverso le immagini della sua propaganda, ed. Edoardo Novelli, 1. ed, Roma, Editori riuniti, 2000. Nous remercions Lorenzo Di Stefano de nous avoir communiqué cette référence.

[58] Voir sur ce point les photos de...

Voir sur ce point les photos de manifestations religieuses du fonds Amadori, disponibles sur le site de la Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses (http://m3c.univ-corse.fr/omeka/items/show/110063).

[59] Voir notamment, Ariane Chemin...

Voir notamment, Ariane Chemin, « Monseigneur Bustillo est créé cardinal, toute la Corse le suit à Rome », Le Monde, 29 septembre 2023.

[60] Dumenica Verdoni, A Settimana...

Dumenica Verdoni, A Settimana santa in Corsica, Ajaccio, Albiana, 2003, p. 4.

[61] Pour l’étude d’autres champs...

Pour l’étude d’autres champs d’expression du sentiment d’appartenance à la Corse, voir Sébastien Quenot, Sur les terrains du discours corse, Albiana-Università di Corsica, 2023.

[62] Certains modèles de ces créateurs...

Certains modèles de ces créateurs sont présentés (textes et photographies) dans le catalogue du festival (Office du tourisme de l’agglomération de Bastia, 2016).

[63] Lors de son édition 2019, le thème...

Lors de son édition 2019, le thème du festival Creazione sera justement : Pascal Paoli et Napoléon Bonaparte. Ce sera cette fois sur commande que les exposants créeront un modèle spécialement réalisé pour le festival, renvoyant à cet imaginaire.

[64] Marque Lacrima d’O, catalogue...

Marque Lacrima d’O, catalogue du festival Creazione, 2016, p. 28.

[65] Voir sur cette question, notamment...

Voir sur cette question, notamment Benedict Anderson, Comunità immaginate, origini e fortuna dei nazionalismi, Roma, manifestolibri, 2005, p. 29.

[66] Et ce, quels que soient les courants...

Et ce, quels que soient les courants politiques.

[67] Même si certaines formations...

 

Même si certaines formations politiques ont pu récemment faire de la religion, au moins dans sa dimension culturelle, un élément de revendication politique, voire programmatique.
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