Une Corse qui sait regarder l’Afrique : un Pascal Paoli “turbanisé” ?

Résumé

Bien souvent, la relation entre l’État national et les religions n’est abordée qu’à l’aune de « l’affaire » du Juif Modigliani de Balagne (Miceli 2022 ; Graziani 2017) ; or, les nationaux n’ont pas découvert cette problématique à l’Île-Rousse. Entre 1768 et 1769, Pascal Paoli envoie plusieurs ambassades à la cour du Bey de Tunis. Ces tractations diplomatiques seront ici interrogées et exposées à l’aune de nouveaux gisements documentaires qui nous apprennent que le Général a notamment fourni des cargaisons de bois afin que le Bey puisse armer plusieurs navires pour la course contre les Chrétiens. Paoli escomptait, pour sa part, récupérer à Tunis du blé pour pallier les courantes carences frumentaires sévissant sur l’île. Il reste que ces premiers échanges ne sont pas passés inaperçus dans les réseaux méditerranéens : certains (catholiques ou non ; corses ou non) ont accusé Paoli de tourner le dos à la Chrétienté ; le Corse aurait-t-il ainsi été « turbanisé » ? L’accusation est lancée. Cette communication permet, au travers de cet épisode diplomatique, d’appréhender la vision géopolitique d’un Général de la Nation pour qui un Regno di Corsica neutre et indépendant en Méditerranée ne peut qu’entretenir des relations avec les régences d’Afrique du nord. Pour lui, la Corse n’est pas un limes du monde catholique, mais une plateforme dans une Méditerranée connectée par-delà les confessions. Cet article éclaire, en ce sens, la relation entre l’émergence de l’État national moderne et les religions autres que celle qui lui est propre.

 

Summary

Very often, the relationship between the national state and religions is only discussed in the light of the ‘affair’ of the Jew Modigliani from Balagne (Miceli 2022; Graziani 2017); however, the Nationals did not discover this problem in Île-Rousse. Between 1768 and 1769, Pascal Paoli sent several embassies to the court of the Bey of Tunis. These diplomatic dealings will be examined here in the light of new documentary evidence, which tells us that the General supplied several cargoes of wood so that the Bey could fit out several ships for the race against the Christians. Paoli, for his part, hoped to obtain wheat from Tunis to make up for the current shortage of food on the island. The fact remains that these first exchanges did not go unnoticed in the Mediterranean networks: some (Catholics or not; Corsicans or not) accused Paoli of turning his back on Christianity; was Corsica thus ‘turbaned’? The accusation was made. This communication allows us, through this diplomatic episode, to understand the geopolitical vision of a General of the Nation for whom a neutral and independent Regno di Corsica in the Mediterranean could only maintain relations with the regencies of North Africa. For him, Corsica is not a limes of the Catholic world, but a platform in a Mediterranean connected across denominations. This proposed paper sheds light on the relationship between the emergence of the modern national state and religions other than its own.

 

Mots-clés : Méditerranée, Révolutions, Républicanisme, diplomatie, esclavage, guerre de course, émergence État moderne

Résumé

Le cas du juif livournais Elia Modigliani1 Cette affaire a fourni une littérature assez dense : je renvoie notamment à Erick Miceli, « La Corse entre trois souverainetés, 1750-1770. Dynamiques politiques, intellectuelles et ambitions personnelles durant le “moment paolien” des crises révolutionnaires corses », Thèse pour le doctorat en histoire moderne, Université de Corse – Università degli studi di Genova, 2022, 1408 p., en part. pp. 734-740 lors quelles je reviens sur l’implantation globale des juifs dans le Domaine ainsi que sur le traitement de « l’affaire » de Modigliani dans la littérature historique des xviiie-xixe siècles ; Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, Père de la patrie corse, Paris, Tallandier, 2016 ; Jean-Guy Talamoni, « Pasquale Paoli et le “juif” de l’Île-Rousse », dans Robba, 31 mai 2024, en ligne. concentre bien souvent l’attention des chercheurs quant au positionnement de l’État national vis-à-vis des religions autres que la sienne ; d’autres affaires permettent cependant d’interroger ce rapport. Du temps de la République de Gênes, déjà, les autorités exerçaient une surveillance constante sur les soldats suisses et allemands qu’elles employaient, ceux-là étant possiblement vecteurs d’idées luthériennes. Quant aux individus de confession hébraïque, l’illuministe napolitain Ferdinand Galiani écrivait bien que l’émergence d’une société tolérante était avant tout corrélée au rôle croissant du commerce2 Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des blés, texte présenté et annoté par Philippe Stewart, Paris, Société française d’étude du dix-huitième siècle, 2014, p. 89 (« [Les] républiques accordent ce qu’elles appellent liberté aux étrangers pour un bas motif d’intérêt »). ; pour autant, si la Corse moderne n’a jamais été une terre d’accueil privilégiée des juifs – de la même façon que le Domaine –, quelques cas d’installations sont à noter comme ce Benedetto da Murto, « anciennement juif »3 Antoine-Marie Graziani, Naissance d’une cité. Bastia. Capitale de la Corse génoise, vol. 1. 1652-1769, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2023, p. 87. mais désormais médecin à Bastia en 1531. Les pages qui suivent proposent de décentrer le regard vers un épisode singulier du « moment paolien » (1755-1769), à savoir la séquence diplomatique déployée par Pascal Paoli avec le Bey de la régence de Tunis, depuis l’hiver 1767 jusqu’à l’été 1768, autrement dit entre la fin du traité de Compiègne ii (1764-1768) jusqu’au commencement de la guerre franco-corse de 1768-1769. Au-delà d’une affaire en premier lieu diplomatique, se dévoilent, au second plan, les conceptions géopolitiques et internationales d’un Paoli se questionnant sur le rôle de la Nation corse en Méditerranée et, plus particulièrement, dans son bassin occidental. Adoptant une structure stratégique semblable à celle employée durant la guerre de Sept Ans4 Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, avec une préface d’Antoine-Marie Graziani et de Carlo Bitossi, Bordeaux, Édition Le Bord de l’Eau, 2024, pp. 155-198. (1756-1763), le Président du Conseil d’État recherche, durant Compiègne ii, une respiration internationale parmi les puissances non complètement alignées dans les conflictualités continentales (maison de Bourbon contre celle de Habsbourg) et mondiales (France contre l’Angleterre) et  en ce sens, les régences d’Afrique du Nord (Alger, Tunis et Tripoli) apparaissent comme déconnectées et, d’une certaine façon, plus libres. Et en effet, si les chercheurs discutent longuement de l’idée d’indépendance naissante lors du « moment paolien », les réflexions ne portent que peu sur la place qu’occuperait un Regno di Corsica indépendant en Méditerranée. Pour Paoli, une Corse indépendante ne peut être qu’un État sachant regarder l’Afrique du Nord pour y trouver des alliés l’émancipant des conflictualités européennes car, comme soutenu dans ma thèse en 2022 puis dans mon ouvrage de 2024, la condition de l’indépendance nationale dépend surtout de sa capacité à conserver une posture neutre et non alignée. Toutefois, comme l’a montré Eric Schnakenbourg5 Eric Schnakenbourg, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013., pour être neutre, il faut être fort. Chose que les Nationaux ne sont assurément pas ; d’où, la nécessité d’un rapprochement avec Tunis en 1768. Or, pour pouvoir appréhender cet épisode singulier, il nous faut revenir sur le dense contexte qui le précède.

I. Une donne géopolitique spécifique : les années 1767-1768

Dans son manuscrit de l’Histoire des Guerres, l’abbé Guillaume-Thomas Raynal (1713-1796) s’interrogeait : mais pour qui roulait ce fameux Théodore de Neuhoff ? Celui-là même, précisait-il, qu’on « croyait travailler pour quelque grande puissance »6 Bibliothèque nationale de France, MS. français, 6433, Papiers de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal, v, Histoire [des guerres] des Turcs contre les Chrétiens…, f° 194r°. ? Il y a, au fond, un phénomène qui a attiré la curiosité des observateurs : dans cette Europe du xviiie siècle où l’équilibre des relations internationales est fermement réglé par les deux grandes Maisons, dans quelle mesure peut-il exister un évènement déstabilisant la balance des pouvoirs sans que celui-ci ne soit alimenté par l’une des deux ? Or, même si cela fut contre-intuitif pour les contemporains, ce fut bien le cas. Les révolutions corses (1729-1769) sont nées d’un contexte de tensions croissantes depuis la fin du xviie siècle et aucune puissance n’en a tenu les ficelles. Bien nombreuses sont celles à avoir essayé de jouer leur carte sur l’île, mais les crises insurrectionnelles ne sont pas nées d’un complot ourdi par quiconque ; les révolutionnaires ont, de leur côté, frappé à toutes les portes et, parfois même, à plusieurs reprises. Ainsi, lorsque commence la première guerre mondiale7 Parmi la très abondante bibliographie, voir Daniel Baugh, The Global Seven Years War, 1754-1763, New York, Routledge, 2011. qu’est la guerre de Sept Ans, le Général Pascal Paoli parvient à conserver une posture de neutralité sans s’aligner sur le camp français ou anglais tandis que la Sérénissime République de Gênes s’est, elle, encore enfoncée dans le bouclier français. Ce faisant, lors du traité de Compiègne i (1756-1760), les présides littoraux de Corse – hormis Bastia – sont occupés par les troupes du Roi. De leur côté, la Couronne britannique a, derrière une façade discursive unitaire, joué un double jeu. Si les Anglais ont officiellement prohibé toutes relations avec les insurgés (12 juin 1731, 10 mai 1753, 29 décembre 1762, etc.) – ceci conduisant le Général à pester contre le fait d’être encore publiquement considérés comme des rebelles8 Lettre n° 1358, Pascal Paoli à Sa Majesté le Roi de la Grande-Bretagne, le 10 février 1763. (« La cause des Corses n’en est pas moins juste [que celle des Hollandais] ; leur gratitude en serait peut-être encore plus forte, et les avantages que la Grande-Bretagne pourrait retirer de la libération de cette île, ne seraient pas minces. Alors qu’avec de telles réflexions, la nation corse se flattait du haut patronage d’une puissance si importante, à la suite d’un fallacieux exposé du ministre de la République de Gênes, à son très grand étonnement, elle a vu publier dans la Gazette de Londres, sous la date du 28 décembre, un décret royal interdisant à tous les sujets de sa couronne d’avoir un commerce ou des rapports quelconques avec les populations de la Corse, les caractérisant du nom infâmant de rebelles »). ! –, ils ont aussi, en sous-main, reçu à Londres Colonna Anfriani ou encore Gian Quilico Casabianca à Turin puis à Naples9 Pour plus de détails, Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 168-170., tout autant qu’ils ont fait missionner le capitaine Frederick auprès de Paoli.
 
Toutefois, après une première séquence de guerre favorable aux Français (1756-1761), la guerre de Sept Ans s’achève en consacrant les Britanniques vainqueurs : le traité de Paris de 1763 conduit à la fin du « premier empire colonial »10 Lucien Bély, « La dimension diplomatique d’une grande déchirure : la Nouvelle-France de la paix d’Utrecht », dans Philippe Joutard, Didier Poton et Laurent Veyssière (dir.), Vers un nouveau monde atlantique : Les traités de Paris 1763-1783, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, pp. 17-32. français lors duquel le Très Chrétien de France perd ses possessions nord-américaines continentales, bien qu’il conserve Saint-Pierre-et-Miquelon et, plus au sud, les îles sucrières et Sainte-Lucie ; c’est donc au sein d’un dense contexte que la Corse revêt d’une importance stratégique renouvelée. L’anecdote est aujourd’hui bien connue : dès que Choiseul apprend la chute des villes de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec en 1761, il attrape dans les couloirs de Versailles Agostino Sorba, originaire d’Ajaccio et ambassadeur plénipotentiaire de la République de Gênes, et exige de lui qu’il trouve un moyen pour lui transférer la Corse11 Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, le père de la patrie corse, op. cit., pp. 234-235. ; cette île, s’en défendra Choiseul dans ses mémoires après avoir été limogé en 1773, apportera bien davantage que ce que le Canada n’a jamais apporté à la France12 Mémoires de M. le duc de Choiseul, ancien ministre de la marine, de la guerre et des affaires étrangères, écrits par lui-même et imprimés sous ses yeux dans son cabinet à Chanteloup, Chez Buisson, 1790, t. 1, p. 103.. L’île apparaît tant comme une victoire compensatoire pour le duc, qu’une première étape dans la réinvention d’un destin méditerranéen de la France vers l’Afrique du Nord, bien que celui-ci ne soit l’œuvre que du siècle suivant avec l’envahissement de l’Algérie en 1830 puis de la Tunisie en 1881. Ce renouvellement du paysage géopolitique mondial conduira la France à la signature du traité de Compiègne ii (1764-1768) puis, enfin, à celui de Versailles (mai 1768). Les lectures concernant le « secret de Chauvelin » ont donc souvent été marquées par une approche téléologique aujourd’hui à délaisser.
 
En ce temps, Pascal Paoli ne prend cependant pas conscience de cette nouvelle donne ; n’affirme-t-il pas dans son épistolaire que la guerre de Sept Ans n’avait été qu’une partie de cartes ? Or, c’est bien là sa plus grande erreur stratégique : en manquant de faire inscrire l’indépendance du Royaume de Corse dans le traité de Paris, apparaît un vide que le duc Choiseul s’empressera de compléter. Plus encore, puisque les traités de Compiègne ii ainsi que celui de Versailles seront signés avec accord de Sa Majesté britannique. Dès 1764, la Couronne britannique connaît donc l’inclinaison de Choiseul en direction de la Corse ; d’où, aussi, l’incompréhension de Paoli face à l’inaction des Anglais ! Pour l’heure, le Général ne voit en Compiègne ii qu’un malheureux contretemps, qu’une séquence de standby lors de laquelle doivent être suspendues toutes ses infructueuses tentatives contre les présides. De sa plume, les troupes françaises débarquées en décembre 1764 sont désormais les « spectatrices de nos opérations »13 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 124, Lettre du Conseil d’État au Magistrato de la Terra di Comune, le 24 décembre 1764. alors qu’il notait, peu avant, que si les « Français ne viennent pas, les Génois sont perdus […] parce que les habitants des présides, ayant connaissance une fois pour toutes de leur état de faiblesse, nous rejoindront »14 Lettre n° 1809, Pascal Paoli à Antonio Rivarola, le 6 juillet 1764.. Dès lors, la donne politique change : d’un face-à-face corso-génois, les révolutionnaires basculent dans une triangulaire où l’un des acteurs, la France, mime une posture de neutralité arbitrale.

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[1] Cette affaire a fourni une littérature...

Cette affaire a fourni une littérature assez dense : je renvoie notamment à Erick Miceli, « La Corse entre trois souverainetés, 1750-1770. Dynamiques politiques, intellectuelles et ambitions personnelles durant le “moment paolien” des crises révolutionnaires corses », Thèse pour le doctorat en histoire moderne, Université de Corse – Università degli studi di Genova, 2022, 1408 p., en part. pp. 734-740 lors quelles je reviens sur l’implantation globale des juifs dans le Domaine ainsi que sur le traitement de « l’affaire » de Modigliani dans la littérature historique des xviiie-xixe siècles ; Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, Père de la patrie corse, Paris, Tallandier, 2016 ; Jean-Guy Talamoni, « Pasquale Paoli et le “juif” de l’Île-Rousse », dans Robba, 31 mai 2024, en ligne.

[2] Ferdinando Galiani, Dialogues...

Ferdinando Galiani, Dialogues sur le commerce des blés, texte présenté et annoté par Philippe Stewart, Paris, Société française d’étude du dix-huitième siècle, 2014, p. 89 (« [Les] républiques accordent ce qu’elles appellent liberté aux étrangers pour un bas motif d’intérêt »).

[3] Antoine-Marie Graziani, Naissance...

Antoine-Marie Graziani, Naissance d’une cité. Bastia. Capitale de la Corse génoise, vol. 1. 1652-1769, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2023, p. 87.

[4] Erick Miceli, Les révolutions...

Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, avec une préface d’Antoine-Marie Graziani et de Carlo Bitossi, Bordeaux, Édition Le Bord de l’Eau, 2024, pp. 155-198.

[5] Eric Schnakenbourg, Entre...

Eric Schnakenbourg, Entre la guerre et la paix. Neutralité et relations internationales au xviiie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.

[6] Bibliothèque nationale de France...

Bibliothèque nationale de France, MS. français, 6433, Papiers de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal, v, Histoire [des guerres] des Turcs contre les Chrétiens…, f° 194r°.

[7] Parmi la très abondante bibliographie...

Parmi la très abondante bibliographie, voir Daniel Baugh, The Global Seven Years War, 1754-1763, New York, Routledge, 2011.

[8] Lettre n° 1358, Pascal Paoli à Sa...

Lettre n° 1358, Pascal Paoli à Sa Majesté le Roi de la Grande-Bretagne, le 10 février 1763. (« La cause des Corses n’en est pas moins juste [que celle des Hollandais] ; leur gratitude en serait peut-être encore plus forte, et les avantages que la Grande-Bretagne pourrait retirer de la libération de cette île, ne seraient pas minces. Alors qu’avec de telles réflexions, la nation corse se flattait du haut patronage d’une puissance si importante, à la suite d’un fallacieux exposé du ministre de la République de Gênes, à son très grand étonnement, elle a vu publier dans la Gazette de Londres, sous la date du 28 décembre, un décret royal interdisant à tous les sujets de sa couronne d’avoir un commerce ou des rapports quelconques avec les populations de la Corse, les caractérisant du nom infâmant de rebelles »).

[9] Pour plus de détails, Erick Miceli...

Pour plus de détails, Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 168-170.

[10] Lucien Bély, « La dimension...

Lucien Bély, « La dimension diplomatique d’une grande déchirure : la Nouvelle-France de la paix d’Utrecht », dans Philippe Joutard, Didier Poton et Laurent Veyssière (dir.), Vers un nouveau monde atlantique : Les traités de Paris 1763-1783, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, pp. 17-32.

[11] Antoine-Marie Graziani, Pascal...

Antoine-Marie Graziani, Pascal Paoli, le père de la patrie corse, op. cit., pp. 234-235.

[12] Mémoires de M. le duc de Choiseul...

Mémoires de M. le duc de Choiseul, ancien ministre de la marine, de la guerre et des affaires étrangères, écrits par lui-même et imprimés sous ses yeux dans son cabinet à Chanteloup, Chez Buisson, 1790, t. 1, p. 103.

[13] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 124, Lettre du Conseil d’État au Magistrato de la Terra di Comune, le 24 décembre 1764.

[14] Lettre n° 1809, Pascal Paoli...

Lettre n° 1809, Pascal Paoli à Antonio Rivarola, le 6 juillet 1764.
Bien que mal connu du public, le jeu déployé par les Nationaux lors de la séquence 1764-1768 n’en est pas moins l’un des plus efficaces d’une optique communicationnelle. Le Gouvernement mène une stratégie de communication sur plusieurs fronts : une opération de séduction auprès des présidiens que l’on pense être mûrs pour s’offrir au Gouvernement à la fin de Compiègne ii – ceci expliquant les largesses octroyées aux marins bonifaciens ou encore à certaines familles bastiaises ou ajacciennes à l’instar des Buonaparte –, mais aussi auprès des autres puissances et, en cette dimension, l’attaque et le siège menés contre l’île de Capraia entre février et juin 1767 apparaît comme la pierre maîtresse de cette politique. Si cette attaque dispose d’une claire portée stratégique, elle vise surtout à faire apparaître l’État national comme une entité active et capable d’agir dans la Tyrrhénienne afin d’inviter le Très Chrétien de France à faire usage de sa capacité médiatrice pour forcer au compromis les Génois ; chose tout à fait exclue par les patriciens depuis l’échec de la mission du Doge Agostino Lomellini en mai-juin 176115 Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 217-218.. L’attaque sur Capraia est ainsi précédée de plusieurs imprimés qui, tous, réinscrivent l’opération dans un dialogisme peu souvent explicité : le 18 mai 1766, le Conseil d’État adresse aux Français un projet d’un accommodement16 [Imprimé], Progetto di accomodamento della Nazione Corsa trasmesso al Ministro di Sua Maestà Cristianissima, e da questo comunicato alla Repubblica di Genova, sl. nd. [18 mai 1766, Corte, Imp. Nationale], 2 p. (È questo il solo progeto che possono avanzaze i Corsi per far costare il vivo lor desiderio di pervenire ad un vera, e soda pace sotto gli auspici di Sua Maesta Cristinianissima…). suivi d’un autre imprimé en date du 27 janvier 176717 Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli, Traduction de l’italien et commentaires par Évelyne Luciani, Ajaccio, Albiana, 2020 [1846], manifeste du 27 janvier 1767. qui rappelle les délibérations de la consulta du 24 mai 176118 Sur ce nœud politique qu’il faut considérer comme la véritable déclaration d’indépendance des Corses, se conférer à nouveau à Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 218-224.. Le message est sans ambiguïté : pas de négociation tant que la République ne reconnaît pas l’indépendance pleine et totale du Gouvernement national ; c’est désormais aux Génois, en position de faiblesse, de céder. Cette dimension dialogique est d’ailleurs bien entendue par les contemporains comme en témoigne le Bastiais et consul de France Giorgio Maria D’Angelo qui, à peine informé de l’attaque portée sur Capraia, agrafe les deux manifestes (18 mai 1766 et 27 janvier 1767) et les joint au Ministère avec la notification du siège. Les trois éléments ne peuvent être lus qu’ensemble. Capraia n’est pas qu’une affaire stratégique, c’est surtout une pièce de discours dans le cadre de la négociation armée et indirecte au sein d’une triangulaire.
 
Le « moment capraiais » des révolutions conduit à une bascule concernant le traitement médiatique des Corses sur l’espace public. Mais Pascal Paoli sait en maximiser la portée : le récit de la reddition du fort San Giorgio par le Commissaire Bernardo Ottone lors de la livraison de janvier-juin 1767 des Ragguagli dell’Isola di Corsica est assurément l’un des meilleurs exemples de son excellence communicationnelle puisqu’il sait y mettre en scène sa modernité politique, y compris dans sa volonté d’accueillir et de tolérer les étrangers. C’est là que la rubrique balanine laisse lire qu’en Corse, « tous les étrangers de toutes les nations qui ont ici [i.e., à l’Île-Rousse] une résidence fixe y sont considérés comme des nationaux et jouissent de tous les privilèges »19 Ragguagli dell’Isola di Corsica / Échos de l’île de Corse, 1760-1768, Première époque, Édition critique établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2010, pour le mois de janvier à juin 1767. (Cette escale est devenue désormais un bourg très pratique et très peuplé. Et cette année, il a eu pour la première fois l’honneur d’envoyer son représentant à la consulta generale du Royaume. Tous les étrangers de toutes les nations qui ont ici une résidence fixe y sont considérés comme des nationaux et jouissent de tous les privilèges, et ils ont, pour cette raison, participé au vote pour l’élection de ce représentant. Un juif, qui s’était établi ici depuis quelque temps, a demandé lui aussi à être admis à donner son vote, et l’affaire ayant été débattue il a été décidé que lui aussi devait jouir des privilèges nationaux »).. Fernand Ettori avait noté que cette phrase, par la suite reprise et reformulée par John Symonds20 [John Symonds], Osservazioni d’un viaggiatore inglese sopra l’isole di Corsica scritte in Inglese sul luogo nel 1767 e tradote in Italiano nel 1768, Londres, Presso Williams, s.d., p. xxxiii. (In secondo luogo, egli ha accordata una general tolleranza a persone d’ogni Nazione, d’ogni Religione. Anzi lascia loro non pure ogni libertà di coscienza, ma tutti quanti i Privilegi, che godono i Nazionali, eccettuato quello di coprire pubbliche Cariche. Coeremente a questo un Ebreo, che è stabilito ad Isolarossa, insistè ultimamente sopra il suo diritto di votare all’elezione d’un Rappresentante di quella Città. Il caso fu discusso al largo nell’Assemblea generale, ed ebbe sentenza favorevole…), allait fabriquer dans l’espace public du temps la figure d’un Pascal Paoli démesurément enclin à la liberté de conscience : le Weekly Magazine de septembre 1768 rapporte qu’une « Société de marchands juifs [hollandais] a engagé avec le Général Paoli le paiement de 300 000 livres pour le futur privilège du droit d’exportation depuis la Corse d’un certain nombre de ressources »21 The Weekly Magazine, septembre 1768. (We hear that a society of Jew merchants are engaged in a contract with General Paoli for the immediate payment of 300 000 l. for the future privilege of an exclusive right of exportation from Corsica of a certain valuable commodity, little known at presente to be the produce of that Island).. Une autre gazette anglaise laisse lire en octobre 1768 que 120 familles juives sépharades auraient embarqué pour la Corse où elles auraient acheté leur droit de résidence pour près d’un million de florins22 The London Chronicle, 17 octobre 1767. (They write from Barcelona, that upwards of 120 Jew families, with their effects, many of them very rich, had lately embarked on board some French and Spanish feluccas for the Isle of Corsica. By letters from Leghorn there is advice, that the Jews of the Levant had offrered a free gift of one million of florins to General Paschal de Paoli, on certain conditions of residing on the Island, but it was not know whether their proposal would be accepted.) ! Mais les fausses informations se sont, au-delà du philosémitisme, démultipliées après Capraia : le Northampton Mercure relève par exemple qu’après cette bataille, les Génois se sont vus obligés de signer un traité avec les Corses pour une durée de quatre ans23 The Northampton Mercure, 31 août 1767. (comprenant mal l’enjeu du traité de Compiègne ii !). Le même titre fait d’ailleurs savoir que si ce siège avait été un si grand succès… c’est parce qu’il s’y trouvait nécessairement plusieurs soldats britanniques24 Ibid., 27 avril 1767. ! Une autre gazette donne même à lire dans une lettre datée du 10 mars 1767 et prétendument écrite depuis l’île qu’il y aurait eu lors des combats, en plus des deux auteurs, « cinq autres anglais et deux écossais »25 Didier Ramelet Stuart, Les Stuart et la Corse, Biguglia – Zonza, Alba & Corsica Éditions, 2020, p. 139. ; alors que les rolle26 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, GC, 49. témoignent de l’absence d’étrangers dans les rangs des Nationaux ! Les informations puisées dans la presse sont donc toujours à prendre avec grande précaution.
 
Cet emballement de l’espace public n’est pas isolé ; le Général Paoli sait jouer avec les règles de l’espace public puisqu’il fait publier chez l’imprimeur vénitien Graziosi un manifeste d’une soixantaine de pages intitulé le Stato attuale degl’Affari presenti di Corsica daté du 30 avril 1767 qui est assurément l’une des publications les plus théoriques des révolutions corses dans laquelle l’auteur (au demeurant anonyme) n’hésite pas à décrire sur près d’une dizaine de pages ce qu’il désigne comme l’abbozzo dell’attuale sistema di Governo27 Ibid., p. xxxvi., autrement dit le système constitutionnel. Le manifeste suit, pour le reste, une architecture argumentative déjà expérimentée depuis août 1763 contre le général des servites Girolamo Vernizzi28 Ragguagli dell’Isola di Corsica… op. cit., pour le mois d’août 1763. (« Il ignore [le frère Girolamo Vernizzi, général des servites de Marie] que ce Royaume est gouverné depuis nombre d’années par un gouvernement totalement indépendant de la République composé d’un général, de Magistrati supremi, de Magistrati provinciaux et d’autres Magistrati subalternes, qui détient la justice législative et punitive, qui jouit de la protection de la reine de Hongrie, du roi de France, du roi d’Angleterre, du roi de Sardaigne et d’autres potentats, qui bat monnaie, qui fond des canons et dont le drapeau est reconnu par toutes les nations étrangères, dont le commerce est libre avec tous les ports environnants… »), et, ce sont dans ces pages que sont le mieux définies les notions relatives au droit de la Nation au bonheur car, comme l’écrit l’anonyme, puisque le peuple est désormais heureux, pour quelle(s) raison(s) devrait-il retourner malheureux sous le joug de la Sérénissime ? D’autant plus que les Génois ne disposent désormais plus dans le Regno di Corsica que Capraia – l’auteur fait fi des autres présides ! –, qui est, justement en train de tomber29 Ibid., p. xxii. (La Repubblica Serenissima dunque più non possiede per se stessa nell’Isola nostra oltre la perdita da essa fatta a questi dì di Capraia…) ; l’architecture juridico-historique du discours légitimiste de la Corse génoise n’est plus qu’un château de cartes qui a déjà perdu son équilibre.

II. Les Tunisiens, une bouffée d’air dans les rapports internationaux ?

 
C’est donc dans ce contexte de mise en tension progressive du système républicain que Pascal Paoli en vient à penser qu’une alliance avec l’une des régences d’Afrique du Nord lui confèrerait un poids supplémentaire : l’idée est lancée le 6 décembre 1766, autrement dit de façon concomitante aux préparatifs de l’opération de Capraia, lorsqu’il énonce à Antonio Rivarola qu’il donnerait « cher pour être en paix avec l’Algérie ou avec la Tunisie »30 Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., lettre du 6 décembre 1766.. Il faut cependant attendre l’année suivante pour qu’une occasion se présente : un peu avant le 19 octobre 1767, un navire tunisien de trois voiles, quinze rames comptant entre 25 et 26 hommes d’équipage31 D’après les informations contenues dans une autre lettre (Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 32, Lettre du 20 octobre 1767), le raïs Hassam explique qu’ils auraient été 45 au départ mais, qu’après des incidents près des côtes de Barbarie, ils se sont trouvés face à des legni maltais, ce qui a conduit à la dispersion d’une partie considérable de l’équipage. et armé d’un canon32 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 120, Lettre de Domenico Federici, le 20 octobre 1767. déboule voiles rangées au lieu-dit Le Alzicce (un peu plus au nord de San Pellegrino) à la suite d’un affrontement avec deux galères génoises33 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 8, lettre du 19 octobre 1767.. Dès le 22 octobre, le consul génois sur l’île d’Elbe rapportait l’information dudit combat puis le fait que le navire tunisien soit allé vers la Corse ; il précisait, de surcroît avec une certaine clairvoyance, qu’une alliance entre Nationaux et Tunisiens causerait bien des troubles dans l’équilibre régional34 Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, Marittimarum, 1716, Lettre du consul génois à Porto-Ferraio, le 22 octobre 1767.. Et en effet, au lieu de saisir la cargaison au bénéfice du Trésor, Pascal Paoli décide de la faire protéger par l’État et de profiter de l’occasion pour se lier avec le Bey. Une fois l’équipage tunisien en quarantaine, Paoli ordonne de rechercher les biens (chemises, poudre, tabac, etc.) qui avaient été pillés et revendus. L’enquête fait savoir que la chaîne de recel concerne jusqu’à 19 personnes35 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 32, Nota di quelli che hanno restituito la robba del felucone barbaresco… 7 décembre 1767. ! Le Président du Conseil d’État et Général de la Nation met ensuite très rapidement en œuvre son programme : au 1er janvier, il est à Vescovato où il informe Orazio Quenza de la tenue d’un congresso secreto36 Bibliothèque nationale de France, MS., Italien, 2135, Lettres de Pascal Paoli à Orazio Quenza, 1er janvier 1768. du 15 au 20 janvier 1768 et dans lequel la potentielle alliance sera discutée ; l’idée est en fait déjà amorcée sur le papier depuis quelques jours, dès le 27 décembre37 Cf. notamment la lettre dans Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, lettre du 27 décembre 1767.. Pour l’heure, les consignes du Gouvernement à l’égard des Barbaresques sont très précises : tout doit bien se passer, sans anicroche et, plus encore, ils doivent être bien traités, y compris dans leurs demandes les plus originales. Ainsi, quand de la farine de châtaigne est fournie aux membres de l’équipage, les Tunisiens la rejettent, prétextant un goût trop amer ; l’information remonte ensuite jusqu’au Conseil d’État qui apprend que… la farina di castagne non gli ne piace38 Ibid. Lettre du 25 décembre 1767. ! Il est alors exigé qu’une autre leur en soit fournie.

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[15] Erick Miceli, Les révolutions...

Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 217-218.

[16] [Imprimé], Progetto di...

[Imprimé], Progetto di accomodamento della Nazione Corsa trasmesso al Ministro di Sua Maestà Cristianissima, e da questo comunicato alla Repubblica di Genova, sl. nd. [18 mai 1766, Corte, Imp. Nationale], 2 p. (È questo il solo progeto che possono avanzaze i Corsi per far costare il vivo lor desiderio di pervenire ad un vera, e soda pace sotto gli auspici di Sua Maesta Cristinianissima…).

[17] Niccolò Tommaseo, Lettres...

Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli, Traduction de l’italien et commentaires par Évelyne Luciani, Ajaccio, Albiana, 2020 [1846], manifeste du 27 janvier 1767.

[18] Sur ce nœud politique qu’il...

Sur ce nœud politique qu’il faut considérer comme la véritable déclaration d’indépendance des Corses, se conférer à nouveau à Erick Miceli, Les révolutions corses et l’idée républicaine : Pascal Paoli face à ses innovations, limites et contradictions 1755-1769, op. cit., pp. 218-224.

[19] Ragguagli dell’Isola di Corsica...

Ragguagli dell’Isola di Corsica / Échos de l’île de Corse, 1760-1768, Première époque, Édition critique établie par Antoine-Marie Graziani et Carlo Bitossi, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2010, pour le mois de janvier à juin 1767. (Cette escale est devenue désormais un bourg très pratique et très peuplé. Et cette année, il a eu pour la première fois l’honneur d’envoyer son représentant à la consulta generale du Royaume. Tous les étrangers de toutes les nations qui ont ici une résidence fixe y sont considérés comme des nationaux et jouissent de tous les privilèges, et ils ont, pour cette raison, participé au vote pour l’élection de ce représentant. Un juif, qui s’était établi ici depuis quelque temps, a demandé lui aussi à être admis à donner son vote, et l’affaire ayant été débattue il a été décidé que lui aussi devait jouir des privilèges nationaux »).

[20] [John Symonds], Osservazioni...

[John Symonds], Osservazioni d’un viaggiatore inglese sopra l’isole di Corsica scritte in Inglese sul luogo nel 1767 e tradote in Italiano nel 1768, Londres, Presso Williams, s.d., p. xxxiii. (In secondo luogo, egli ha accordata una general tolleranza a persone d’ogni Nazione, d’ogni Religione. Anzi lascia loro non pure ogni libertà di coscienza, ma tutti quanti i Privilegi, che godono i Nazionali, eccettuato quello di coprire pubbliche Cariche. Coeremente a questo un Ebreo, che è stabilito ad Isolarossa, insistè ultimamente sopra il suo diritto di votare all’elezione d’un Rappresentante di quella Città. Il caso fu discusso al largo nell’Assemblea generale, ed ebbe sentenza favorevole…)

[21] The Weekly Magazine, septembre...

The Weekly Magazine, septembre 1768. (We hear that a society of Jew merchants are engaged in a contract with General Paoli for the immediate payment of 300 000 l. for the future privilege of an exclusive right of exportation from Corsica of a certain valuable commodity, little known at presente to be the produce of that Island).

[22] The London Chronicle, 17 octobre...

The London Chronicle, 17 octobre 1767. (They write from Barcelona, that upwards of 120 Jew families, with their effects, many of them very rich, had lately embarked on board some French and Spanish feluccas for the Isle of Corsica. By letters from Leghorn there is advice, that the Jews of the Levant had offrered a free gift of one million of florins to General Paschal de Paoli, on certain conditions of residing on the Island, but it was not know whether their proposal would be accepted.)

[23] The Northampton Mercure, 31 août 1767.

The Northampton Mercure, 31 août 1767.

[24] Ibid., 27 avril 1767.

Ibid., 27 avril 1767.

[25] Didier Ramelet Stuart, Les Stuart...

Didier Ramelet Stuart, Les Stuart et la Corse, Biguglia – Zonza, Alba & Corsica Éditions, 2020, p. 139.

[26] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, GC, 49.

[27] Ibid., p. xxxvi.

Ibid., p. xxxvi.

[28] Ragguagli dell’Isola di Corsica…

Ragguagli dell’Isola di Corsica… op. cit., pour le mois d’août 1763. (« Il ignore [le frère Girolamo Vernizzi, général des servites de Marie] que ce Royaume est gouverné depuis nombre d’années par un gouvernement totalement indépendant de la République composé d’un général, de Magistrati supremi, de Magistrati provinciaux et d’autres Magistrati subalternes, qui détient la justice législative et punitive, qui jouit de la protection de la reine de Hongrie, du roi de France, du roi d’Angleterre, du roi de Sardaigne et d’autres potentats, qui bat monnaie, qui fond des canons et dont le drapeau est reconnu par toutes les nations étrangères, dont le commerce est libre avec tous les ports environnants… »)

[29] Ibid., p. xxii. (La Repubblica...

Ibid., p. xxii. (La Repubblica Serenissima dunque più non possiede per se stessa nell’Isola nostra oltre la perdita da essa fatta a questi dì di Capraia…)

[30] Niccolò Tommaseo, Lettres de...

Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., lettre du 6 décembre 1766.

[31] D’après les informations contenues...

D’après les informations contenues dans une autre lettre (Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 32, Lettre du 20 octobre 1767), le raïs Hassam explique qu’ils auraient été 45 au départ mais, qu’après des incidents près des côtes de Barbarie, ils se sont trouvés face à des legni maltais, ce qui a conduit à la dispersion d’une partie considérable de l’équipage.

[32] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 120, Lettre de Domenico Federici, le 20 octobre 1767.

[33] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 8, lettre du 19 octobre 1767.

[34] Archivio di Stato di Genova...

Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, Marittimarum, 1716, Lettre du consul génois à Porto-Ferraio, le 22 octobre 1767.

[35] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 32, Nota di quelli che hanno restituito la robba del felucone barbaresco… 7 décembre 1767.

[36] Bibliothèque nationale de France...

Bibliothèque nationale de France, MS., Italien, 2135, Lettres de Pascal Paoli à Orazio Quenza, 1er janvier 1768.

[37] Cf. notamment la lettre dans Archives...

Cf. notamment la lettre dans Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, lettre du 27 décembre 1767.

[38] Ibid. Lettre du 25 décembre 1767.

Ibid. Lettre du 25 décembre 1767.
Lors de cette séquence, Paoli mène sa politique contre la volonté des notabilités locales qui préfèreraient agir comme à l’accoutumée39 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 9, Lettre du 21 janvier 1768. : à savoir saisir les biens, certes, mais surtout profiter des Turcs pour négocier un échange d’esclaves. Pour bien des contemporains, le Général passe à côté d’une opportunité de libérer des Corses détenus en Barbarie. Le mécontentement ambiant est palpable dans la documentation ; d’où, finalement, la volonté politique d’agir en secret ou, du moins, autant que possible, discrètement. Les Ragguagli dell’Isola di Corsica de la « première édition » (1760-1768) ne font aucune mention de l’affaire, alors que le Campoloro est épistolairement en ébullition ; c’est, en fait, du côté des Ragguagli de la « seconde époque » (1768-1769) qu’il faut se tourner pour trouver le récit qui, par la suite, se fossilise sous la plume de Gioacchino Cambiaggi puis de Gian Paolo Limperani. Quelles sont les raisons qui expliquent ce différentiel ? Tout simplement, le public. Ces deux titres de presse sont souvent regardés comme l’un étant la continuité de l’autre ; or, les choses sont plus nuancées. Les deux titres visent deux publics différents : les Ragguagli de la « première époque » sont imprimés en Corse se destinent principalement au lectorat insulaire dans le cadre de la constitution de la Nation imaginée40 Benedict Anderson, L’imaginaire nation, réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002., même si leur diffusion est organisée en Terraferma à partir de Livourne, tandis que ceux de la « seconde époque » sont fabriqués en Toscane et sont spécifiquement orientés pour un lectorat continental ainsi que pour les milieux diplomatiques et consulaires. Il y a donc deux tons et approches pour deux publics tout à fait différents.
 
Et en effet, Paoli n’est pas favorable à l’idée d’une diffusion trop large de l’information : bien que les alliances avec les puissances infidèles soient devenues assez communes au xviiie siècle, les populations de Corse restent marquées par les razzias même si elles sont désormais davantage un souvenir qu’elles ne sont encore une réalité structurante. Les tours littorales n’ont, par exemple, plus une grande vocation défensive41 C’est ce qu’Emiliano Beri notera comme étant, au xviiie siècle, une espèce de retournement du champ d’action des tours littorales depuis la mer vers l’intérieur de l’île ; voir en part. Emiliano Beri, « Défense et contrôle des littoraux de la Corse génoise (xvie-xviiie siècles) », dans Brogini A. et Ghazali M. (dir.), La Méditerranée au prisme des rivages. Menaces, protections, aménagements en Méditerranée occidentale (xvie-xxie siècles), Saint-Denis, Éditions Bouchènes, 2015, pp. 97-105. D’une façon globale sur les tours : Antoine-Marie Graziani, Les Tours génoises de Corse. Sentinelles de la mer, xvie-xviiie siècles, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2019. mais elles conservent des fonctions organisatrices dans le paysage maritime, quand elles ne sont pas encore complètement privatisées voire abandonnées ! Les seules tours du Regno di Corsica qui maintiennent leur mission militaire sont celles de Capraia qui se confrontent quotidiennement aux embarcations barbaresques au nord de l’espace de l’archipel toscan. Il reste que même si le danger est, dans l’ensemble écarté, il demeure profondément ancré dans l’esprit des populations : il ne faut d’ailleurs pas négliger que dans l’art religieux corse du xviiie siècle, les scènes du Chemin de croix ou encore de la Crucifixion représentent souvent des Romains vêtus à la Turque avec des turbans et portant la moustache ! Le Turc dispose ainsi d’une puissance évocatrice toute particulière.
 

Giacomo Grandi, Chemin de croix de l’église de Aiti42 Les illustrations présentées proviennent de Michel-Édouard Nigaglioni, « Pirates et corsaires barbaresques dans la peinture corse du xviiie siècle », dans Collectif, Cap Corse & piraterie. Édition 2023 des Journées historiques de Morsiglia, Courses et piraterie du xvie au xxe siècle, Biguglia, Sammarcelli – Association pour la conservation du patrimoine de Morsiglia, 2024, pp. 33-52.. Peintre originaire de Milan, Giacomo Grandi est attesté sur l’île à partir de 1742 jusqu’en 1772, date de sa mort.

 
Francesco Carli, Chemin de croix de l’église de Saliceto. Né à Lucques vers 1735, Francesco Carli s’installe tôt en Castagniccia où il fait l’essentiel de sa carrière ; il meurt en 1821.
Francesco Carli, Sepolcro de l’église de Ficaja vers 1770-1780.

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[39] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 9, Lettre du 21 janvier 1768.

[40] Benedict Anderson, L’imaginaire...

Benedict Anderson, L’imaginaire nation, réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002.

[41] C’est ce qu’Emiliano Beri notera...

C’est ce qu’Emiliano Beri notera comme étant, au xviiie siècle, une espèce de retournement du champ d’action des tours littorales depuis la mer vers l’intérieur de l’île ; voir en part. Emiliano Beri, « Défense et contrôle des littoraux de la Corse génoise (xvie-xviiie siècles) », dans Brogini A. et Ghazali M. (dir.), La Méditerranée au prisme des rivages. Menaces, protections, aménagements en Méditerranée occidentale (xvie-xxie siècles), Saint-Denis, Éditions Bouchènes, 2015, pp. 97-105. D’une façon globale sur les tours : Antoine-Marie Graziani, Les Tours génoises de Corse. Sentinelles de la mer, xvie-xviiie siècles, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2019.

[42] Les illustrations présentées...

Les illustrations présentées proviennent de Michel-Édouard Nigaglioni, « Pirates et corsaires barbaresques dans la peinture corse du xviiie siècle », dans Collectif, Cap Corse & piraterie. Édition 2023 des Journées historiques de Morsiglia, Courses et piraterie du xvie au xxe siècle, Biguglia, Sammarcelli – Association pour la conservation du patrimoine de Morsiglia, 2024, pp. 33-52.

III. Naissance et fin d’une séquence diplomatique, janvier-août 1768

 
En dépit du mauvais temps hivernal tout autant que l’opposition des notables43 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 9, Lettre du 21 janvier 1768., les Barbaresques repartent vers Tunis vers la mi-janvier. Le navire ne repart toutefois pas les mêmes conditions que celles dans lesquelles il est arrivé, puisqu’il dispose d’un statut spécifique : l’équipage, raïs compris, est désormais « prisonnier » et « esclave »44 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 39, Libro Magistrale di conti pubblici dell’entrata, e spesa generale di tutti i proventi e beni Camerali di Corsica, f° 199r°. d’un Corse, un certain Felice Antonio Paciola. Pascal Paoli le charge de solliciter auprès du Bey la liberazione de’nostri nazionali che sono schiavi nel di lui Regno45 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, Lettre de Pascal Paoli à Carlo Rostini, le 31 janvier 1768.. Quelques mots sur cet homme au parcours atypique : originaire de Calvi, il s’engage tôt dans l’armée génoise puisqu’il sert dans la compagnie Cuneo lors de la bataille de Furiani en juillet 176346 Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Furiani, Piano della gente destinata all’assalto delle Trincere, e paese di Furiani. où il combat aux côtés d’autres Paciola, parmi lesquels Michele qui sera tué lors d’une des dernières tentatives de secours du fort San Giorgio de Capraia47 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 49, Nota delli famosi corsi venuti in Caprara. Concernant la bataille de Furiani.. Les Paciola sont, pour le reste, une importante famille de Calvi, bien que la branche de Felice Antonio ne soit assurément pas la plus puissante. Enfin, il faut préciser que si l’on a souvent écrit que Felice Antonio Paciola était capitaine – sous-entendant par-là le grade militaire –, ce n’est pas vrai du tout : il n’est désigné comme tel qu’en vertu du commandement du navire précité. Restent cependant plusieurs questions en suspens : à quel moment Felice Antonio entre-t-il au service du Gouvernement national ? Dès octobre 176748 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 23, Lettre de Domenico Federici à Anton Leonardo Valentini, le 21 octobre 1767., soit peu après l’épisode capraiais et, d’une façon quasi immédiate, les Paciola sont classés par l’intelligence génoise comme une famille comptant parmi les philo-paolistes du préside49 Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2159, Registro delle lettere da Francia, e Corsica… 1764-1769, Lettre de Paris, le 20 juillet 1767. dont les Giubega et Flach ! Impossible donc d’expliquer ce changement de camp, même si, une fois encore, la bataille de Capraia semble avoir été un moment de bascule. Le premier document paoliste qui le mentionne est en date du 21 octobre et est prématuré pour que Paciola soit déjà chargé d’une mission relative aux Tunisiens ; il semble qu’il ait eu d’autres fonctions, avant celles impliquant les Barbaresques. À partir de décembre cependant, c’est bien pour cette charge qu’il reçoit du Trésor plusieurs sommes d’argent comme 162 lires50 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 39, Libro Magistrale di conti pubblici dell’entrata, e spesa generale di tutti i proventi e beni Camerali di Corsica, f° 192r°.. Autre interrogation sans réponse : pour quelle(s) raison(s) Pascal Paoli désigne-t-il Paciola pour cette mission diplomatique avec Tunis ? Difficile à dire. Rien ne témoigne d’un débat quelconque concernant cette désignation. Les apparitions documentaires de l’idée de l’envoi d’un émissaire et le nom de Paciola sont conjointes mais, quoi qu’il en soit, le 27 décembre – donc avant la tenue du « congrès secret » ! – Paoli l’a déjà désigné auprès de l’argentier Carlo Rostini pour qu’il lui fasse préparer des provisions pour le voyage, à savoir tre stare di biscotto, due o tre altre stare di castagne, quattro o sei bacini di fagioli, otto o dieci quarte di oglio, e qualche cosa di formaggio o salami per il Sig. Pagiolla e per il Raiso51 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, lettre du 27 décembre 1767. Il rajoute en post-scriptum une cinquantaine de livres de poudre. Le tout pour 252 lires. ; du salami y compris donc pour le raïs qui peut donc très bien être un renégat.
 
Après une vingtaine de jours de navigation, le navire touche Tunis vers la mi-février où l’arrivée de l’émissaire corse ne passe pas inaperçue ; l’information se répand dans les gazettes européennes, tout en restant tue dans les Ragguagli de la « première époque ». Le The Northampton Mercury, selon une lettre du 23 mars 1768, fait savoir qu’à son arrivée à Tunis, Paciola avait été reçu par Ali Bey II qui lui aurait demandé si son maître (Paoli) ne craignait pas de froisser le « monde chrétien » ; ce à quoi le capitaine lui aurait déclaré que la Corse ne « dépenda[n]t d’aucune puissance[,] elle n’avait aucune raison de consulter quiconque en vue de connaître la conduite qu’elle devait observer »52 The Northampton Mercury, vol. xlviii, 23 mars 1768.. Si un tel dire n’est corrélé par aucune pièce dans les archives, il se diffuse dans les gazettes britanniques ; néanmoins, comme le suggère Paul Veyne à propos des mythes, cela nous informe peu sur la réalité des faits mais plutôt sur leur perception par certains contemporains53 Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Le Seuil, 2013 [1983], p. 16.. L’État corse paraît, pour certains observateurs, une Nation trop libre et trop indépendante dans le monde catholique. La réalité est en fait tout autre, puisque Paoli cache bien l’information à ses populations et est, de surcroît, tout à fait craintif de la réaction des autres souverains catholiques. Il reste que l’exotisme de l’épisode va séduire les animateurs de l’espace public européen sur un long terme, puisque les Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres publieront douze ans plus tard, en 1780, une prétendue lettre datée du 14 août 1767 adressée à Paoli par le roi Héraclius II de Géorgie54 Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours…, le 15 octobre 1767. (« Le célèbre prince Héraclius de Géorgie a envoyé à notre général Paoli un présent de six superbes chameaux, avec une lettre emphatique dans le goût du style oriental. Il finit ainsi : “Grand prince, daigne accepter au zénith de ta gloire, le tribut d’un homme glorieux d’être né dans le même siècle de Paoli, et de sentir tout ce que valent ses belles qualités, de les admirer, et de ne pas brûler de la moindre étincelle de jalousie ».) ; or, cette pièce est sans conteste un faux.
 
De cette première rencontre, en découle une véritable séquence diplomatique impliquant plusieurs trajets : Ali Bey II envoie à son tour en Corse entre la fin février et mars une délégation puis, en août de la même année, son neveu nommé Mustapha Khodja, avant que ce dernier ne retourne à Tunis à nouveau accompagné de Paciola. Pour suivre cette prise d’attache diplomatique, les documentations du Gouvernement national sont insuffisantes et il nous faut basculer sur celles du consul français à Tunis qui, lui, suit de près le rapprochement. Les relations entre le Général de la Nation corse et le Bey font l’objet d’une documentation tout à fait précise : selon le consul Barthélémy De Saizieu, si les deux chefs d’État souhaitaient conclure un traité, ils doivent se contenter d’un « échange de lettres »55 Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1400, De Saizieu à Choiseul le 29 août 1768.. Le consul précise de surcroît que Paoli craint « de se compromettre avec les autres puissances d’Italie qu’il est obligé de ménager »56 Ibid. ; le The Northampton Mercury faisait donc bien erreur ! Il appert cependant de ces correspondances qu’après la grande crise frumentaire du milieu de la décennie 1760, Paoli songe surtout à obtenir des Tunisiens une source d’approvisionnement en blé tandis que le Bey, lui, est à la recherche de bois pour soutenir la guerre de course contre les chrétiens. Avant le 25 mai 1768, une cargaison de bois corses est déjà même arrivée à Tunis en vue d’armer deux grosses galères tunisiennes57 Ibid., Lettre n° 1395, De Saizieu à Choiseul le 25 mai 1768.. Ali Bey II envoie, lui, à Pascal Paoli une série de présents diplomatiques embarqués sur un navire suédois58 Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. v, Lettre de Portovecchio, le 5 juillet 1768. (E’ qua approdata una nave svezzese procedente da Tunis ; su questa si trova l’inviato spedito dal Bey di Tunis con diversi donativi per il nostro Signor Generale in contraccambio di una galeotta rimandatali con 26 Turchi…) dont la quarantaine est refusée dans le port de Cagliari59 « Lettre de Pascal Paoli à Raimondo Cocchi, le 28 juin 1768 », dans « Lettere inedite di Pasquale de’Paoli », dans Archivio Storico Italiano, t. v, 1890, pp. 228-274. On retrouve la même information dans Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. vi, Lettre de Bastia, le 11 juillet 1768. (La nave svedese, di cui si disse nel foglio antecedente, prima che si facesse vedere in queste nostre coste aveva toccato Cagliari, ove non avendola voluta ammettere alla quarantina…) ; la Sardaigne savoyarde du vice-roi Giovanni Battista Lorenzo Bogino se révèle ainsi frileuse à l’égard des évènements. In fine, la délégation tunisienne n’arrivera en Corse qu’à l’été 176860 Giovacchino Cambiaggi, Istoria del Regno di Corsica arricchita di dissertazioni, documenti, bolle, annotazioni ec., t. iv, 1772, p. 168. (Siccome le mire di Paoli tendevano non solo a stabilir la pace nel Regno, ma ancora a procurarsi l’amicizia delle altre Potenze ancor le più barbare, così nello scorso anno essendo stata da contrario tempo sbalzato ai lidi di Corsica un legno Tunisino, volle che non solo fosse giudicata preda legittima, ma ordinò che fosse rimandato a Tunisi, avendoci spedito il Capitan Paciola, persona assai distinta di Calvi. Piacque tanto a quel Bej questa gratuita offerta, che non solo riconobbe i Corsi per amici, ma in segno di gratitudine rispedì col detto Paciola un suo Ambasciatore con vari schiavi, una Tigre, un Cavallo, ed altre cose particolari, ed approdarono in Portovecchio ai 4 di Luglio condottivi da un Vascello Svedese, essendo subito l’Ambasciador Turco passato a Corti per eseguir la sua commissione ove fu trattato dal Governo…) et est composée d’un secrétaire accompagné de quatre « nègres » mais, surtout, de divers cadeaux61 Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. vi, Lettre de Bastia, le 11 juillet 1768. (I regali, che il Bey di Tunis manda al Sig. Generale de’ Paoli, quivi senza alcun fallo gli sarebbe stato dato pratica. Ma siccome non ha potuto ottenerla neppur ivi, perciò se n’è venuta i giorni addietro qui da noi, dove a contemplazione di tutto ciò che riguarda il detto Sig. Generale le è stato accordato di poter consumare con tutta quiete la sua quarantina, che secondo quello si sente terminerà circa il dì 18 del corrente. Il conduttore di questa nave per quello che spetta all’inviato è il Sig. Capitano Paciola. I regali consistono in sei schiavi corsi liberati in un cavallo generoso con bardatura ricchissima, una Tigre entro la sua Gabbia di ferro, due struzzi, e due casse sigillate…) : un cheval de course – que le Général prêtera au marquis de Ludre après avoir été fait prisonnier à la bataille de Borgo –, une selle ornée, des brides et des étriers d’argent, un tigre dans une cage en fer ainsi que deux autruches. Paoli accordera à ces cadeaux une attache sentimentale particulière puisqu’ils sont, avec l’épée offerte par Frédéric II, les rares marques de reconnaissance diplomatique faites par d’autres puissances ; alors à Londres en 1802, le vieux Général confiera même à l’abbé Giovannetti le souhait de les voir être conservés dans les caisses de la confrérie de Morosaglia62 Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., Lettre du 18 mai 1802 à l’abbé Giovannetti..
 
Contrainte de maintenir une bonne entente avec la France63 Si la Corse occupe une place tout à fait singulière dans la documentation du consul français entre les années 1768 et 1770, il ne faut pas négliger que cet intérêt s’inscrit dans une croissance progressive de l’influence royale en Afrique du Nord : en son temps, Louis XIV avait, d’une part, déployé une violente politique du canon (La Goulette bombardée en 1672, Alger en 1682, 1683 et 1688, Tripoli en 1683, 1685 et 1692) et, d’une autre, fastueusement reçu l’émissaire de l’Empire ottoman Soliman Aga à la Cour de Paris en 1669 – bien que cette réception soit un échec complet –, puis Mehmet Riza à Versailles en 1715. Cette duplicité du Roi Très Catholique est alors pointée dans plusieurs pamphlets l’accusant d’avoir été « turbanisé » (La Cour de France turbanisée, et les trahisons démasquées, La Haye, Chez Jacob an Ellinckhuysen, 1690) tout autant que de tourner le dos à la chrétienté alors même que les Turcs remontent en Europe centrale (jusqu’au traité de Karlowitz en 1698, puis reprise lors de la guerre de 1714-1718 contre Venise). Sur ces aspects, l’ouvrage de Géraud Poumarède est une incontestable référence (Pour en finir avec la Croisade, Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux xviie et xviie siècles, Paris, Presses Universitaires de France, 2004). Pour autant, l’alliance de la France avec les Turcs remonte à François Ier qui, pour contenir la maison d’Autriche, s’était lié à Soliman le Magnifique ; par ce fait, le littoral du Sud de la France est le seul de la Méditerranée occidentale à ne pas s’être muni de tours défensives. Enfin, en 1742, c’est au tour de Louis XV de recevoir l’ambassadeur de La Sublime Porte. Les Génois marquent, pour leur part, un désengagement progressif de l’Afrique du Nord : Tabarka, propriété des Lomellini depuis 1542, est attaquée par les Tunisiens en 1741 avant de passer aux mains des Français tandis que l’envoyé génois Angelo Giovo est renvoyé de La Sublime Porte en 1715. et compte tenu de la présence de la Compagnie royale d’Afrique, la régence de Tunis doit se résoudre à renvoyer Paciola en Corse durant l’été 1768. Le consul De Saizieu est alors persuadé qu’Ali Bey II va chercher à se faire un « mérite de cette rupture »64 Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1403, De Saizieu à Choiseul. (« Le départ de l’agent Paciola semble assurer la rupture des liaisons du chef des rebelles avec le bey, quoique ce Prince n’ait pas encore cherché à se faire un mérite de cette rupture ».), prédiction qui se réalise peu après. Toutefois, bien que les liens diplomatiques aient été rompus, le Bey ne cesse de montrer une « faveur aveugle et passionnée »65 Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1410, De Saizieu à Choiseul. envers les Nationaux qui sont, désormais, en guerre ouverte contre les Français. Son palais est le lieu de plusieurs démonstrations de joie, notamment à la suite de la bataille de Borgo en octobre où les Corses se révèlent, à la surprise de tous, victorieux. Le Bey de Tunis prend sincèrement le parti des Nationaux et va même, le 14 novembre 1768, enjoindre à ses corsaires de s’attaquer à tous les vaisseaux et bâtiments corses portant le pavillon français, tout en respectant celui à la tête de Maure. Peut-être a-t-il cru que les insulaires pouvaient garder la main contre les Français ? Cependant, comme l’observe Alain Blondy, il faudra les efforts des canons de la flotte française pour que les Tunisiens reviennent sur cette mesure et acceptent de considérer les marins corses comme des Français66 Alain Blondy, La Méditerranée, 15 000 ans d’histoire, Paris, Perrin, 2018, p. 268. Après le bombardement de Souse, le traité du 13 septembre 1770 est imposé à Tunis et, parmi les articles, un d’eux exige la reconnaissance de la « réunion plénière et entière de la Corse à l’empire de France »67 Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque, Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, (1560-1793), Paris, Hachette, 1909, p. 405..

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[43] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 9, Lettre du 21 janvier 1768.

[44] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 39, Libro Magistrale di conti pubblici dell’entrata, e spesa generale di tutti i proventi e beni Camerali di Corsica, f° 199r°.

[45] Archives de la Collectivité de...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, Lettre de Pascal Paoli à Carlo Rostini, le 31 janvier 1768.

[46] Bibliothèque patrimoniale de...

Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Furiani, Piano della gente destinata all’assalto delle Trincere, e paese di Furiani.

[47] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 49, Nota delli famosi corsi venuti in Caprara. Concernant la bataille de Furiani.

[48] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 23, Lettre de Domenico Federici à Anton Leonardo Valentini, le 21 octobre 1767.

[49] Archivio di Stato di Genova, Archivio...

Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2159, Registro delle lettere da Francia, e Corsica… 1764-1769, Lettre de Paris, le 20 juillet 1767.

[50] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 39, Libro Magistrale di conti pubblici dell’entrata, e spesa generale di tutti i proventi e beni Camerali di Corsica, f° 192r°.

[51] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, GC, 21, lettre du 27 décembre 1767. Il rajoute en post-scriptum une cinquantaine de livres de poudre. Le tout pour 252 lires.

[52] The Northampton Mercury, vol...

The Northampton Mercury, vol. xlviii, 23 mars 1768.

[53] Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru...

Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante, Paris, Le Seuil, 2013 [1983], p. 16.

[54] Mémoires secrets pour servir à...

Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours…, le 15 octobre 1767. (« Le célèbre prince Héraclius de Géorgie a envoyé à notre général Paoli un présent de six superbes chameaux, avec une lettre emphatique dans le goût du style oriental. Il finit ainsi : “Grand prince, daigne accepter au zénith de ta gloire, le tribut d’un homme glorieux d’être né dans le même siècle de Paoli, et de sentir tout ce que valent ses belles qualités, de les admirer, et de ne pas brûler de la moindre étincelle de jalousie ».)

[55] Correspondance des Beys de Tunis...

Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1400, De Saizieu à Choiseul le 29 août 1768.

[56] Ibid.

Ibid.

[57] Ibid., Lettre n° 1395, De Saizieu...

Ibid., Lettre n° 1395, De Saizieu à Choiseul le 25 mai 1768.

[58] Ragguagli dell’Isola di Corsica...

Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. v, Lettre de Portovecchio, le 5 juillet 1768. (E’ qua approdata una nave svezzese procedente da Tunis ; su questa si trova l’inviato spedito dal Bey di Tunis con diversi donativi per il nostro Signor Generale in contraccambio di una galeotta rimandatali con 26 Turchi…)

[59] « Lettre de Pascal Paoli à Raimondo...

« Lettre de Pascal Paoli à Raimondo Cocchi, le 28 juin 1768 », dans « Lettere inedite di Pasquale de’Paoli », dans Archivio Storico Italiano, t. v, 1890, pp. 228-274. On retrouve la même information dans Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. vi, Lettre de Bastia, le 11 juillet 1768. (La nave svedese, di cui si disse nel foglio antecedente, prima che si facesse vedere in queste nostre coste aveva toccato Cagliari, ove non avendola voluta ammettere alla quarantina…)

[60] Giovacchino Cambiaggi, Istoria...

Giovacchino Cambiaggi, Istoria del Regno di Corsica arricchita di dissertazioni, documenti, bolle, annotazioni ec., t. iv, 1772, p. 168. (Siccome le mire di Paoli tendevano non solo a stabilir la pace nel Regno, ma ancora a procurarsi l’amicizia delle altre Potenze ancor le più barbare, così nello scorso anno essendo stata da contrario tempo sbalzato ai lidi di Corsica un legno Tunisino, volle che non solo fosse giudicata preda legittima, ma ordinò che fosse rimandato a Tunisi, avendoci spedito il Capitan Paciola, persona assai distinta di Calvi. Piacque tanto a quel Bej questa gratuita offerta, che non solo riconobbe i Corsi per amici, ma in segno di gratitudine rispedì col detto Paciola un suo Ambasciatore con vari schiavi, una Tigre, un Cavallo, ed altre cose particolari, ed approdarono in Portovecchio ai 4 di Luglio condottivi da un Vascello Svedese, essendo subito l’Ambasciador Turco passato a Corti per eseguir la sua commissione ove fu trattato dal Governo…)

[61] Ragguagli dell’Isola di Corsica...

Ragguagli dell’Isola di Corsica, « seconde époque », num. vi, Lettre de Bastia, le 11 juillet 1768. (I regali, che il Bey di Tunis manda al Sig. Generale de’ Paoli, quivi senza alcun fallo gli sarebbe stato dato pratica. Ma siccome non ha potuto ottenerla neppur ivi, perciò se n’è venuta i giorni addietro qui da noi, dove a contemplazione di tutto ciò che riguarda il detto Sig. Generale le è stato accordato di poter consumare con tutta quiete la sua quarantina, che secondo quello si sente terminerà circa il dì 18 del corrente. Il conduttore di questa nave per quello che spetta all’inviato è il Sig. Capitano Paciola. I regali consistono in sei schiavi corsi liberati in un cavallo generoso con bardatura ricchissima, una Tigre entro la sua Gabbia di ferro, due struzzi, e due casse sigillate…)

[62] Niccolò Tommaseo, Lettres de...

Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., Lettre du 18 mai 1802 à l’abbé Giovannetti.

[63] Si la Corse occupe une place tout à...

Si la Corse occupe une place tout à fait singulière dans la documentation du consul français entre les années 1768 et 1770, il ne faut pas négliger que cet intérêt s’inscrit dans une croissance progressive de l’influence royale en Afrique du Nord : en son temps, Louis XIV avait, d’une part, déployé une violente politique du canon (La Goulette bombardée en 1672, Alger en 1682, 1683 et 1688, Tripoli en 1683, 1685 et 1692) et, d’une autre, fastueusement reçu l’émissaire de l’Empire ottoman Soliman Aga à la Cour de Paris en 1669 – bien que cette réception soit un échec complet –, puis Mehmet Riza à Versailles en 1715. Cette duplicité du Roi Très Catholique est alors pointée dans plusieurs pamphlets l’accusant d’avoir été « turbanisé » (La Cour de France turbanisée, et les trahisons démasquées, La Haye, Chez Jacob an Ellinckhuysen, 1690) tout autant que de tourner le dos à la chrétienté alors même que les Turcs remontent en Europe centrale (jusqu’au traité de Karlowitz en 1698, puis reprise lors de la guerre de 1714-1718 contre Venise). Sur ces aspects, l’ouvrage de Géraud Poumarède est une incontestable référence (Pour en finir avec la Croisade, Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux xviie et xviie siècles, Paris, Presses Universitaires de France, 2004). Pour autant, l’alliance de la France avec les Turcs remonte à François Ier qui, pour contenir la maison d’Autriche, s’était lié à Soliman le Magnifique ; par ce fait, le littoral du Sud de la France est le seul de la Méditerranée occidentale à ne pas s’être muni de tours défensives. Enfin, en 1742, c’est au tour de Louis XV de recevoir l’ambassadeur de La Sublime Porte. Les Génois marquent, pour leur part, un désengagement progressif de l’Afrique du Nord : Tabarka, propriété des Lomellini depuis 1542, est attaquée par les Tunisiens en 1741 avant de passer aux mains des Français tandis que l’envoyé génois Angelo Giovo est renvoyé de La Sublime Porte en 1715.

[64] Correspondance des Beys de Tunis...

Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1403, De Saizieu à Choiseul. (« Le départ de l’agent Paciola semble assurer la rupture des liaisons du chef des rebelles avec le bey, quoique ce Prince n’ait pas encore cherché à se faire un mérite de cette rupture ».)

[65] Correspondance des Beys de Tunis...

Correspondance des Beys de Tunis et des Consuls de France avec la Cour… op. cit., Lettre n° 1410, De Saizieu à Choiseul.

[66] Alain Blondy, La Méditerranée...

Alain Blondy, La Méditerranée, 15 000 ans d’histoire, Paris, Perrin, 2018, p. 268

[67] Paul Masson, Histoire des...

Paul Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l’Afrique barbaresque, Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc, (1560-1793), Paris, Hachette, 1909, p. 405.

IV. Se recentrer sur la méditerranéïté de la Corse

 
D’une certaine manière, l’aventurier Humbert Beaujeu de La Salle avait, en 1744, été un visionnaire dans le sens où il avançait l’idée qu’une Corse alliée du monde turc saurait trouver une bouffée d’air sur la scène internationale ; l’indépendance du Royaume dépend de sa capacité à s’appuyer sur des réseaux tout autant déconnectés des rivalités européennes. Quant au soutien du Bey de Tunis, c’est, aussi, celui d’un chef d’État pris dans les limites de sa fonction vis-à-vis de la Sublime Porte, tout autant que par la menace croissante des Français dans la région ; ce faisant, si la Corse pouvait trouver une respiration en Tunis, la réciproque est ce qui motivait Ali Bey II dans son action. Comme soutenu par ailleurs, la caractéristique de la pensée paoliste est son pragmatisme machiavélique, y compris dans ses appréhensions internationales : pour ceux qui gravitent et qui participent du groupe dirigeant, la neutralité et l’indépendance du Royaume est l’affaire de tous les Européens : les intérêts des puissances européennes sont liés à la liberté des Corses68 Voir notamment Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., p. 240., l’île étant, de l’expression de Rivarola – mais d’une façon semblable sous la plume de plusieurs autres proches paolistes et machiavéliques –, « la clé de la Méditerranée, de l’Italie et de la Barbarie »69 Ibid, p. 296 et sq.. Pour Paoli toutefois, l’idée d’une Corse qui sait regarder l’Afrique est inscrite dans son esprit sur un temps long : elle était présente dès le 9 octobre 1754 lorsqu’il proposait de créer un port franc et de le dédier aux Barbaresques70 Lettre n° 13, Pascal Paoli à Giacinto Paoli, le 9 octobre 1754. (« Le bruit, concernant les Barbaresques, est tout à fait ridicule. Certains Bonifaciens venus ici disent que, de Corse, sont partis huit personnes pour solliciter leur alliance, bien que ceux-ci ne soient pas en mesure d’organiser le blocus des forteresses. Cela serait tout à fait indiqué pour ruiner tout le commerce de la République, et la mettre au désespoir, s’ils pouvaient installer un port franc en Corse. L’autre jour, j’ai envoyé un plan de ce projet… »), puis encore au lendemain du « moment paolien » lorsqu’il rappelait lors de son audience privée du 2 avril 1770 avec le roi George III d’Angleterre qu’il avait noué des relations diplomatiques avec Tunis et Alger71 « Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 4e série », dans Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, 1894, pp. 9-10. (Potrebbe ancora la nazione Corsa fornire sette o otto mila uomini in caso di qualche importante spedizione […]. E volendosi anche avere maggiore sopra i Barbari nelle coste d’Africa, è cosi a proposito la situazione della Corsica, che avendola essi medesimi riconosciuta, le Reggenze di Tunisi e d’Algieri aveano ricercata l’amicizia del general Paoli senza bisogno ch’egli la domandasse loro collo sborso di grosse somme di danara…). ; chose véridique pour Tunis, mais qui tient du pur bluff pour Alger. Mentir en de telles circonstances sur le soutien des régences témoigne du poids dont disposent ces dernières dans l’esprit des contemporains quant à l’équilibre méditerranéen. Mais cela ne s’arrête pas là : à son retour sur l’île du temps de la Révolution française, Paoli reprend très rapidement attache avec le nouveau Bey de Tunis, le successeur d’Ali Bey II, par une lettre du 29 avril 1791, suivie d’une réponse de ce dernier en date du 8 juin 179172 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 1J273, Lettre du bey de Tunis..
 
L’indépendance de la Corse en Méditerranée a aussi éveillé l’intérêt d’autres puissances, à l’instar de l’Empire russe de Catherine II73 Voir notamment Francine-Dominique Liechtenhan, Catherine II, le courage triomphant, Paris, Perrin, 2021. (1729-1796) montée sur le trône impérial en 1762. En 1768, l’ambassadeur de Russie à Venise Pano Manuzzi reçoit l’ordre d’entrer en relation avec Paoli mais, là encore, le contexte aide à y voir plus clair : la Sérénissime République de Gênes avait émis, depuis le début de la décennie 1750, le souhait de renforcer ses liens avec les puissances nordiques. En mars 176574 Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2251, Lettre du 18 mars 1765., Agostino Sorba établit avec l’ambassadeur de Russie le prince Galitzine la première ébauche d’un traité visant à faciliter les échanges sur les soies, marbres, papiers, étoffes et velours entre les deux nations ; le modèle est alors celui conclu le 13 mars 1756 avec Erhart comte de Vedel Frys75 Giulio Giacchero, Storia economica del settecento genovese… op. cit., p. 145., le représentant du Danemark, ratifié par Frédéric V le 7 mai 76 Pasquale Lisciandrelli, Tratti e negoziazioni politiche della Repubblica di Genova (958-1797), Atti della Società Ligure di Storia Patria, Nuova Serie, vol. i (lxxv), Genova, 1960, p. 214.. L’interdiction de commercer avec les rebelles corses est inscrite parmi toutes les clauses commerciales ; celle-ci est réaffirmée le 9 janvier 1761 avec les Danois77 Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 1408, Copia del ristretto in forma di risposta di risposta del Re di Danimarka, Pariggi 22 settembre 1760. puis les Sérénissimes Sénats songent, dès le 9 janvier 1761, à l’imposition d’un tel traité à toutes les cours européennes78 Archivio di Stato di Genova, Senarega, Colleggii Diversorum, 289/2, Proibizione delle Corti di dare soccorso a Corsi, 9 janvier 1761.. Or, face à une République de Gênes qui perd la main, les Russes changent leur fusil d’épaule pour considérer une alliance avec les Corses, éventualité à laquelle Paoli semble y croire moyennement : il y accorde du crédit dans certaines lettres, puis pas du tout dans d’autres79 Collection particulière, Lettre de Pascal Paoli à Giovanni Antoni, le 15 juin 1768. (Il Forestiero arrivato in Casa vostra si annuncia a me nella sua lettera per un Cavaliere moscovita ; scrive però il Francese con un’ortografia tropo esatta, ed il carattere niente tiene del Nord. Non porta alcuna racomandazione. Vuol esser creduto sulla sua parola…). Si les troupes russes stationnées à Livourne ne reçoivent pas l’ordre d’intervenir à temps80 Eugène F.-X. Gherardi et Didier Rey, Le Grand Dérangement. Configurations géopolitiques et culturelles en Corse (1729-1871), Ajaccio, Albiana, 2013, p. 35 et sq., leur débarquement aurait assurément donné un cours différent aux évènements. Mais ce sera surtout au lendemain de la Conquête que la Russie va prendre une place spécifique dans les espoirs des fuorusciti et dans ceux du Général : le 23 septembre 1769, Paoli annonce à Antonio Rivarola qu’au « printemps, la flotte russe entrera en Méditerranée »81 Idée que l’on retrouve en amont. Voir Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., Lettre à Antonio Rivarola, le 21 mars 1769. (« Si l’Angleterre envoyait à Moscou une assistance en navires, ces derniers pourraient agir qu’en Méditerranée. Si Moscou s’engageait en notre faveur, les navires pourraient alors agir comme auxiliaires de la Russie au Levant et en Corse, car les mouvements des Turcs sont sûrement l’œuvre des Français ».) et l’on « pense que l’apparition de cette flotte provoquera la rupture générale »82 Ibid.. D’autres documentations témoignent bel et bien que les Français craignent les relations entre le « reste des mécontents »83 Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Voyage d’une partie de l’Italie fait par quatre officiers du Régiment de Picardie, historique, p. 1. à Livourne avec les Russes ; d’où, la mobilisation du Régiment de Picardie sur l’île. Pour autant, le point d’orgue de la relation avec les Russes est littéraire, lorsque l’Impératrice rédige sa fameuse lettre de 1770 au Général, dans laquelle elle affirmait qu’il n’avait manqué « à la bonté de [sa] cause que des circonstances favorables »84 Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 1J200. Lettre de Catherine impératrice de Russie à Pascal Paoli, Saint-Pétersbourg, 1770. Voir Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., p. 323 pour la lettre datée du 27 avril 1770..
 
Ce que ces deux affaires éclairent, c’est que l’État national requiert la participation de forces vives extérieures à sa religion : sur le plan économique (avec notamment le réseau juif livournais ouvrant une connexion commerciale avec l’Afrique du Nord), militaire (avec le cas de l’armée étrangère commandée par le baron de Kleist) ou encore international et diplomatique ; pour une telle réflexion, mobiliser la tolérance des modernes est assurément nécessaire, sans négliger la geste des Antiques85 Plutarque, Vies parallèles, traduction d’Anne-Marie Ozanam, Paris, Quarto Gallimard, 2001. (« 1. Après la mort d’Égée, il conçut une grande et merveilleuse entreprise : il réunit tous les habitants de l’Attique en une seule ville, et il en fit un seul peuple, formant une seule cité. Auparavant ils étaient dispersés et on pouvait difficilement les faire agir en vue de l’intérêt commun de tous ; parfois même, des conflits les opposaient entre eux et ils se faisaient la guerre. 2. Thésée visita chaque dème et chaque famille pour les convaincre : les simples particuliers et les pauvres répondirent vite à son appel. Quant aux grands, il leur promit un gouvernement sans roi, une démocratie où il ne serait que le chef militaire et le gardien des lois ; pour le reste, tous auraient les mêmes droits. »). In fine, penser l’indépendance de l’île revient à réfléchir sur la méditerranéité d’un territoire qui doit savoir puiser sur les deux rives méditerranéennes ; appréhender la Corse comme une marche ou un limes du monde catholique reviendrait à la penser selon le prisme continental. La Corse demeure, avant tout, un royaume dans la mer.
 

Document annexe : une lettre apocryphe du Bey de Tunis

 
« Fatta in Tunisi, li 10 giugno 1766. Questo che riceverete è del Bey di Tunisi, quale si chiami il Bosna Ali, figlio del quodam Seminali, Rè del Regno e Città di Tunisi. Vi prega l’istesso Bei dal Signore Iddio salute e felicità, e nell’istesso tempo vi facciamo esibizione a Voi, Signor Generale di Corsica, poi vi ringraziamo della memoria che conservate di noi, ed atteso la dimanda stataci fatta per vostra parte da Felice Antonio Paciola, vostro Patriotta, che bramate la nostra amicizia, ed a tale effetto bramereste la (sic). Sa bramate noi pure vogliamo la vostra amicizia ; dunque se così volete inviateci con vostre carte procurate, affine di concludere il tutto con il nome di Dio Grande, ed il tutto si stabilisca con il suo volere. »
 
Le docteur Louis Antoine Perelli publie en 1890 dans sa troisième livraison de la correspondance de Pascal Paoli une lettre datée du 10 juin 1766 prétendument de la main du Bey de Tunis (p. 146) qu’il déclare être une « traduzione dall’Arabo », sans préciser l’origine de ladite traduction. Cette pièce pose cependant différents problèmes justifiant son écartement du corpus mobilisé dans la présente étude. De toute évidence, d’abord, la lettre est tronquée puisque la partie conclusive manque (ce qui tendrait à renforcer l’hypothèse selon laquelle Perelli utilise une copie déjà traduite). Idem, une phrase n’est copiée en son intégralité (je surligne). La date est ensuite fautive : si la lettre convoque explicitement Felice Antonio Paciola, la mission ne s’est pas déroulée en 1766, mais en 1768. Néanmoins, si l’on admet une erreur dans la lecture de la date, il ne faut pas négliger que le 10 juin 1768 (date de la rédaction supposée), le Bey a déjà reçu des lettres de Pascal Paoli et lui en a déjà écrit. De plus, une cargaison de bois corses lui est déjà parvenue et il vient de faire parvenir à Pascal Paoli une série de cadeaux diplomatiques ; il est donc fort à parier que ces échanges auraient fait l’objet d’une mention dans une lettre originale du Bey. Ce document est donc manifestement un faux typique du xixe siècle.

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[68] Voir notamment Niccolò Tommaseo...

Voir notamment Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., p. 240.

[69] Ibid, p. 296 et sq.

Ibid, p. 296 et sq.

[70] Lettre n° 13, Pascal Paoli à Giacinto...

Lettre n° 13, Pascal Paoli à Giacinto Paoli, le 9 octobre 1754. (« Le bruit, concernant les Barbaresques, est tout à fait ridicule. Certains Bonifaciens venus ici disent que, de Corse, sont partis huit personnes pour solliciter leur alliance, bien que ceux-ci ne soient pas en mesure d’organiser le blocus des forteresses. Cela serait tout à fait indiqué pour ruiner tout le commerce de la République, et la mettre au désespoir, s’ils pouvaient installer un port franc en Corse. L’autre jour, j’ai envoyé un plan de ce projet… »)

[71] « Lettres de Pascal Paoli publiées par...

« Lettres de Pascal Paoli publiées par le docteur Perelli, 4e série », dans Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, 1894, pp. 9-10. (Potrebbe ancora la nazione Corsa fornire sette o otto mila uomini in caso di qualche importante spedizione […]. E volendosi anche avere maggiore sopra i Barbari nelle coste d’Africa, è cosi a proposito la situazione della Corsica, che avendola essi medesimi riconosciuta, le Reggenze di Tunisi e d’Algieri aveano ricercata l’amicizia del general Paoli senza bisogno ch’egli la domandasse loro collo sborso di grosse somme di danara…).

[72] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 1J273, Lettre du bey de Tunis.

[73] Voir notamment Francine-Dominique...

Voir notamment Francine-Dominique Liechtenhan, Catherine II, le courage triomphant, Paris, Perrin, 2021.

[74] Archivio di Stato di Genova, Archivio...

Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 2251, Lettre du 18 mars 1765.

[75] Giulio Giacchero, Storia economica...

Giulio Giacchero, Storia economica del settecento genovese… op. cit., p. 145.

[76] Pasquale Lisciandrelli, Tratti e...

Pasquale Lisciandrelli, Tratti e negoziazioni politiche della Repubblica di Genova (958-1797), Atti della Società Ligure di Storia Patria, Nuova Serie, vol. i (lxxv), Genova, 1960, p. 214.

[77] Archivio di Stato di Genova, Archivio...

Archivio di Stato di Genova, Archivio Segreto, 1408, Copia del ristretto in forma di risposta di risposta del Re di Danimarka, Pariggi 22 settembre 1760.

[78] Archivio di Stato di Genova, Senarega...

Archivio di Stato di Genova, Senarega, Colleggii Diversorum, 289/2, Proibizione delle Corti di dare soccorso a Corsi, 9 janvier 1761.

[79] Collection particulière, Lettre de...

Collection particulière, Lettre de Pascal Paoli à Giovanni Antoni, le 15 juin 1768. (Il Forestiero arrivato in Casa vostra si annuncia a me nella sua lettera per un Cavaliere moscovita ; scrive però il Francese con un’ortografia tropo esatta, ed il carattere niente tiene del Nord. Non porta alcuna racomandazione. Vuol esser creduto sulla sua parola…)

[80] Eugène F.-X. Gherardi et Didier Rey...

Eugène F.-X. Gherardi et Didier Rey, Le Grand Dérangement. Configurations géopolitiques et culturelles en Corse (1729-1871), Ajaccio, Albiana, 2013, p. 35 et sq.

[81] Idée que l’on retrouve en amont...

Idée que l’on retrouve en amont. Voir Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., Lettre à Antonio Rivarola, le 21 mars 1769. (« Si l’Angleterre envoyait à Moscou une assistance en navires, ces derniers pourraient agir qu’en Méditerranée. Si Moscou s’engageait en notre faveur, les navires pourraient alors agir comme auxiliaires de la Russie au Levant et en Corse, car les mouvements des Turcs sont sûrement l’œuvre des Français ».)

[82] Ibid.

Ibid.

[83] Bibliothèque patrimoniale de...

Bibliothèque patrimoniale de Bastia, MS., Voyage d’une partie de l’Italie fait par quatre officiers du Régiment de Picardie, historique, p. 1.

[84] Archives de la Collectivité de Corse...

Archives de la Collectivité de Corse, Bastia, 1J200. Lettre de Catherine impératrice de Russie à Pascal Paoli, Saint-Pétersbourg, 1770. Voir Niccolò Tommaseo, Lettres de Pasquale Paoli… op. cit., p. 323 pour la lettre datée du 27 avril 1770.

[85] Plutarque, Vies parallèles, traduction...

Plutarque, Vies parallèles, traduction d’Anne-Marie Ozanam, Paris, Quarto Gallimard, 2001. (« 1. Après la mort d’Égée, il conçut une grande et merveilleuse entreprise : il réunit tous les habitants de l’Attique en une seule ville, et il en fit un seul peuple, formant une seule cité. Auparavant ils étaient dispersés et on pouvait difficilement les faire agir en vue de l’intérêt commun de tous ; parfois même, des conflits les opposaient entre eux et ils se faisaient la guerre. 2. Thésée visita chaque dème et chaque famille pour les convaincre : les simples particuliers et les pauvres répondirent vite à son appel. Quant aux grands, il leur promit un gouvernement sans roi, une démocratie où il ne serait que le chef militaire et le gardien des lois ; pour le reste, tous auraient les mêmes droits. »)
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