Quels étaient les liens de Napoléon 1er avec la Franc-maçonnerie ? Et, est-il un Frère ?

J’ai eu la chance de suivre à la Sorbonne les cours du professeur Tulard, et quelques années plus tard, chacun de nous est intervenu à l’occasion d’un colloque à Reims (lui sur Napoléon et les femmes, et moi sur le Service de santé des armées durant les périodes Révolution et 1er Empire). Au diner de clôture, le maître et l’ancien élève ont échangés. Il m’a alors dit que nous, historiens, étions des prophètes du passé. Malheureusement, il est des domaines où nos recherches, notre travail d’investigation est mis en défaut, tout simplement car nous ne trouvons aucune trace viable et confirmé des faits supposés. Citons par exemple : Ravaillac a-t-il agit seul et, dans la négative qui a armé son bras ? Qu’elle est l’identité du fameux masque de fer ? Lee Harvey Oswald était-t-il le seul tireur ?  Qui avait intérêt à faire disparaitre John Fitzgerald Kennedy ? Sans compter que parfois les contemporains des faits étudiés brouillent volontairement les cartes, un exemple me vient à l’esprit : le suicide d’Adolf Hitler, est-ce son cadavre qui a été retrouvé calciné dans les ruines de son bunker ? Staline a volontairement semé le doute parmi les alliés et dissimulé pendant des années le résultat des analyses de ses experts avant finalement de le confirmer !

 

Alors Napoléon 1er Franc-Maçon ou pas ?

 

Si la question est posée à une assemblée de personnes, invariablement une partie va répondre catégoriquement Oui et l’autre Non ! c’est un sujet clivant qui apporte donc une réponse tranchée basée sur l’affect de la personne questionnée.

Je ne vais pas d’emblée vous donner, moi aussi, une réponse tranchée, mais, dans un premier temps vous apporter les éléments qui plaident en faveur de son appartenance, et dans un second, ceux qui plaident pour son non-appartenance.

Mais, est-ce vraiment important de savoir si Napoléon 1er était Franc-Maçon ? après tout, nous sommes dans le domaine du personnel, cet homme a droit à son jardin secret. Cependant, oui ! je pense qu’il est important de se poser cette question car, il est indéniable que l’appartenance à la Franc-Maçonnerie change un homme, sa vision du monde et surtout la perception qu’il en a. Et, bien entendu, Napoléon 1er étant Empereur et dans sa volonté de tout réglementer, il est certain que si il était Franc-Maçon, toutes ses décisions seraient entachées par les idées, les débats se déroulant en Loge maçonnique.

 

Auparavant, il convient de replacer la franc-maçonnerie dans le contexte historique

 

La Franc-maçonnerie est prise dans le tourment de la Révolution, nombre de Frères ont fait la connaissance du Rasoir national, de la Louisette, de la Veuve, de la bascule à Charlot (Charles-Louis Sanson, bourreau sous la Révolution), surnom donné à la guillotine,et j’en passe. D’autres plus chanceux ont eu le temps de s’exiler pour se mettre à l’abri.

Le fait que la Maçonnerie soit à l’origine de la Révolution est une idée assez largement répandue, et pourtant dans les faits cela n’est pas exact.  Les Frères dans leurs Loges respectives, par leurs discussions, par leur volonté d’amélioration de l’homme et par là d’une société plus juste et égalitaire ont effectivement contribué à l’éclosion d’un idéal révolutionnaire. Oui, Les loges maçonniques furent le creuset où la Révolution s’est formée, où elle s’est enrichie des débats entre Frères. Mais, en aucun cas, ils contrôleront la Révolution pour façonner la société selon leur vision humaniste.

Cependant, la Révolution sera jalonnée de marqueurs maçonniques :

  • La devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité » est issue directement des Loges.
  • Les entêtes des décrets de la Convention comporte des symboles maçonniques.  

Ceci peut expliquer qu’il est coutume de dire que la Maçonnerie est la mère de la Révolution et alimente la légende qu’elle en est à l’origine.   

(Collection particulière)

(Collection particulière)

    Afin d’illustrer ce propos, je vous propose ces deux entêtes de décret et ordonnance qui comporte des symboles maçonniques, à savoir :

  • L’équerre et le niveau associés au bonnet phrygien.

(Collection particulière)

Vous voyez la représentation d’un tampon du Service de santé des armées, époque Révolution.

Le bonnet phrygien est entouré de deux symboles maçonniques :

– L’œil de la connaissance qui voit tout.

– Le coq de la vigilance.

 Bien entendu, une signification profane peut également être appliquée que nous pouvons résumer ainsi :

 Le peuple français doit être vigilant afin de garder sa liberté et ne pas tomber sous la domination d’un tyran, autrement dit d’un roi ! Et, pour cela, il doit être éveillé au savoir.

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Il convient de rappeler que le Grand Maître Philippe-Egalité, également régicide, a structuré la Franc-maçonnerie et donné naissance au Grand Orient, il a été exécuté. Suite à cette exécution la Franc-maçonnerie cessa toute activité visible de 1793 à 1795.

En 1789, le Grand Orient de France comptait 70 000 Frères répartis en 320 loges y compris 68 loges militaires.

En cette période troublée et violente qu’est la Révolution, le doute et la suspicion sont partout, et la Franc-Maçonnerie n’y échappe pas.

 Pour les uns, c’est un repaire de Jacobins, pour les autres, un repaire de royalistes. J’ai envie de dire que cela est vrai selon le point de vue où l’on se place, car, au sein de ces Loges se trouvent des hommes de toutes les tendances et aussi dans les Loges d’adoption (c’est-à-dire composées de femmes),  nous trouvons par exemple la sœur Marie-Antoinette.

Citons la Vendée où une véritable guerre civile se déroula. Sur 731 Frères recensés, il y avait 111 prêtres dont 75 réfractaires, sans compter les chefs de la chouannerie.

Je ne vais pas vous citer la liste interminable des Frères, il y a suffisamment de livres écrits sur ce sujet mais, quelques-uns dont le nom s’impose à nos esprits par la place qu’ils ont occupés durant cette période.

Danton, Rouget dit de Lisle (auteur de la Marseillaise), Marat, Saint-Just, Dr. Guillotin, Fabre d’Eglantine (nous lui devons la création du calendrier républicain et la chanson Il pleut bergère où les symboles maçonniques foisonnent), le peintre David, Cambacérès et tant d’autres…

Et n’oublions pas La Fayette qui aura la charge de protéger la famille royale, il fera passer Louis XVI sous la voute d’acier réalisée par les soldats de la Garde Nationale. Cette voute d’acier qui est faite par tous les Maçons lorsqu’ils reçoivent en loge un dignitaire ou le Vénérable Maître de la Loge. Nous connaissons le sort réservé au roi, ceci montre bien que la Révolution échappe au contrôle des Maçons, et durant cette période des Maçons se sont affrontés dans le monde profane pour défendre leurs idées. Le célèbre exemple révélateur de cette opposition est l’altercation entre deux Frères, le marquis de Dreux-Brézé et Honoré Riquetti comte de Mirabeau, lorsque celui-ci lui répond à sa demande d’évacuation :

« Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ».

 Mirabeau sera la première personnalité à entrer au Panthéon le 04 avril 1791, il sera également le premier à en ressortir trois ans plus tard à cause de sa correspondance avec le Roi. Sa qualité de Maçon ne l’a pas sauvé, même au-delà de la mort.

Je rappelle aussi la suspicion au sujet de la victoire de Valmy. Certains supposent que les Frères Danton et Brunswick se sont entendus et que Danton a payé son Frère avec les bijoux de la couronne de France… Encore une énigme historique.

Pour résumer en quelques mots cette période de terreur, la Révolution ne fît pas le tri entre les bons et les mauvais maçons.

De 320 Loges en 1789, le Grand Orient de France en compte officiellement 0 en 1793.

Le 09 thermidor (27 juillet 1794) marqué par la chute de Robespierre représente la fin du régime de la Terreur, mais il ne fût pas le seul responsable. Les Maçons vont reprendre le chemin des Loges en se comptant car un nombre important manque à l’appel.  Il va y avoir de fait, une recomposition de la Franc-maçonnerie et du travail réalisé en Loges. Elle va être plus unie qu’avant la Révolution et ne faire qu’une avec le pouvoir et celui-ci est détenu par Bonaparte. Je cite l’historien Albert Mathiez décédé en 1932 et spécialiste de la Révolution, qui écrivit au sujet de la Maçonnerie :

« La Franc-maçonnerie nouvelle, celle qui s’organise autour du Premier Consul, est toute différente de l’ancienne. Autant celle-là était hétérogène, autant celle-ci est unifiée. Elle ne comprend plus que des hommes unis par la même solidarité, celle que la Révolution a forgée. Elle est devenue le refuge et la citadelle de tous ceux qui ont bénéficié de la crise qui touche à sa fin. Elle se serre autour de Bonaparte qui la protège de son épée et de sa popularité ».

 

Pour quelle raison Bonaparte va-t-il se positionner en faveur de la Franc-maçonnerie et même favoriser son développement ?

 

    Il faut prendre en compte deux éléments importants :

A. La religion et les rapports de Bonaparte avec le Pape :

    En fin politicien et je vais jusqu’à dire en fin stratège, le Premier Consul va bien saisir les enjeux du pouvoir et il sait pertinemment qu’il va avoir besoin du Pape Pie VII pour légitimer son autorité, lui qui contrairement au roi n’est pas d’essence divine et ne tient pas son pouvoir de Dieu comme les rois catholiques. Il va faire preuve de bonne volonté, du moins en apparence, n’oublions pas le concordat signé le 15 juillet 1801 avec le Saint-Siège qui a pour objectif de calmer les tensions, pour ne pas dire plus, résultant de la Révolution en reconnaissant que le catholicisme est la religion de la grande majorité des Français. Bien entendu, cette signature n’a été possible qu’au prix de certains compromis et Bonaparte n’hésite pas à sacrifier ce qui ne lui est pas utile. Il est véritablement dans une stratégie de reconnaissance de son pouvoir. Les sacrifiés de ce concordat sont les Théophilanthropes. Cette religion à l’origine destinée à se substituer au catholicisme et se libérer de l’emprise du Pape est donc née. C’est un mouvement déiste, basé sur l’amour de Dieu et des hommes. Ils se réunissaient dans les églises catholiques de 1797 à 1801 pour célébrer un culte inspiré de l’Etre suprême, religion de substitution créée par les révolutionnaires.  Le 05 octobre 1801, un arrêté consulaire leur interdit l’accès aux églises selon le souhait du nonce Spina qui veut mettre fin à une profanation des lieux saints catholiques.

Un clin d’œil …. Le 10 juillet 1804, Jean-Etienne-Marie Portalis est nommé ministre des Cultes… alors qu’il est Maçon.

Bonaparte sait que le Saint-Siège est un partenaire exigeant, et il ne veut pas se lier exclusivement à l’Eglise. Là encore le stratège pointe son nez, il souhaite mettre en place une sorte de contre-pouvoir et la Maçonnerie renaissante lui semble parfaite dans ce rôle à condition de pouvoir la contrôler de l’intérieur. Le développement de la Franc-maçonnerie favorisé par Bonaparte puis Napoléon va vite prospérer :

  • Fin 1800 : 74 Loges
  • En 1802 : 114
  • 1804 : 300
  • 1806 : 664
  • 1810 : 1 161
  • 1814 (chute de l’Empire) : 1 219


Il convient de rajouter les Loges militaires.

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Le rôle de ces Maçons militaires est de propager dans les pays conquis l’esprit français et l’idéal révolutionnaire et bien entendu d’essaimer en fondant des Loges amies ou plutôt en amitié avec la France. Ils jouaient le rôle de missionnaires. Au niveau purement maçonnique, nous pouvons nous poser la qualité du travail effectué en Tenue. Du fait même de leur condition militaire : déplacement des unités, combats, blessés et tués. Leur nombre va diminuer de façon drastique à 4 en 1802. Bonaparte va tout faire pour qu’elles se développent. En 1805, il y avait 4 927 Frères dont 3 032 officiers, 1 458 sous-officiers et 437 soldats qui se répartissaient en 70 Loges.

  Bonaparte dira le fond de sa pensée sur la Franc-maçonnerie devant le Conseil d’Etat :

« Aussi longtemps que la maçonnerie n’est que protégée, elle n’est pas à craindre. Si au contraire elle était autorisée, elle deviendrait trop puissante et pourrait être dangereuse. Telle qu’elle est, elle dépend de moi ; et moi, je ne veux pas dépendre d’elle ».

Il veillera à ce que la Maçonnerie ne devienne pas une nouvelle religion, il va maintenir un savant équilibre entre elle et le Saint-Siège. A tel point qu’il va favoriser la maçonnerie laïque et non déiste.

B. La Franc-maçonnerie :

Au sein de la Maçonnerie se trouvent deux tendances, une déiste et une laïque :

  • Le Grand Orient qui est laïque et, cela sera officialisé en 1877 lors du Couvent de France, qui vote la suppression dans ses constitutions de la référence au Grand Architecte de l’Univers. Ceciest remplacé par « Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, la F.M. se refuse à toute affirmation dogmatique ».
  • Les Loges écossaises déistes reconnues par la Grande Loge Unie d’Angleterre.

  Bonaparte va obliger les Loges écossaises à fusionner avec le Grand Orient. Et surtout, il impose que le G.O. devienne la seule obédience officiellement reconnue, cela sera le cas jusqu’à la fin de l’Empire. Nous nous doutons bien que cette fusion ne va pas se faire dans l’allégresse. Les Maçons écossais considèrent le G.O. comme une obédience mineure et surtout non déiste.

C’est Cambacérès, Maçon Ecossais, et depuis peu Archichancelier qui fût chargé de cette fusion délicate. Les négociations duraient et Napoléon s’impatientait. Cambacérès réunit Masséna, Pyron et Grasse-Tilly. Les trois dirigeants de la Loge Ecossaise lui diront que la réunion du rite ancien et du rite moderne était incompatible.

 Mais, une semaine plus tard, un protocole d’union est soumis à l’Empereur. Le Frère Ecossais  Napoléon a pesé de tout son poids.

Les Ecossais vont se soumettre et accepter ce fait. Il faut bien souligner que les plus hautes autorités écossaises vont peser de tout leur poids. La régence écossaise du directoire de Bourgogne va tenir ce discours :

« Ne participons-nous, déclara l’Orateur, à l’inestimable avantage d’avoir échangé les misérables restes d’une liberté déchirée contre le calme et les douceurs d’une soumission honorable ? »

  Soulignons le terme de soumission employé.

Nous avons bien compris que la F.M. peut critiquer la religion, mais pas le régime dirigé par Bonaparte et Napoléon 1er.  La surveillance du travail effectué en Loges sera strictement planifiée sur tout le territoire par le ministre de la police, Fouché Joseph, un Frère et qui deviendra Grand Officier du Grand Orient de France en 1804.

 À la chute de l’Empire, la parole sera libérée et certains Frères écossais diront le fond de leur pensée. Ainsi, l’Orateur Des Etangs Charles-Nicolas de la loge des Trinosophes dira :

« Celui qui venait d’être leur dominateur connaissait l’esprit de cette institution, et se doutant bien qu’elle n’approuvait pas ce qu’il faisait, il résolut non pas de la détruire, mais de la corrompre et de la défigurer. Il la fit embrasser par son monde, par ses officiers, par ses magistrats, par sa cour et par son armée. Son archichancelier même, dont il avait fait un prince, en fut nommé le grand maître. Alors l’austère maçonnerie perdit son caractère : elle ne fut plus qu’un rendez-vous de plaisirs, que fêtes, festins, occasions de flatterie et de servitude. Sous Bonaparte la maçonnerie était vide de sens, mais fastueuse, polie et souvent agréable… »

Discours de constat, ou discours afin de plaire au nouveau pouvoir…

C. La Franc-maçonnerie au service de la diplomatie :

Napoléon utilisa également la Maçonnerie pour servir sa politique extérieure. Ainsi, Cambacérès fût charger de recevoir l’ambassadeur de Perse, Askeri Khan à la Loge Saint-Alexandre d’Ecosse et le Contrat social réunis de la mère-loge écossaise de France. Pour éblouir l’émissaire, il envoya son tapissier personnel afin de décorer comme il se doit l’Atelier pour l’Initiation.

Il faut souligner qu’il ne fût pas le seul à le faire, les Anglais firent de même tout au long de leur histoire.

 

Quels sont les éléments qui plaident en faveur d’une appartenance à la Franc-Maçonnerie ?

 

Avant d’étudier ces éléments, je tiens à rappeler que le 1er Consul puis Napoléon 1er a instauré une censure plus qu’efficace sur la presse et qu’il contrôle tous les écrits se rattachant à sa personne. Cet élément a son importance et doit être pris en compte, il tenait à ce que son image soit conforme à son souhait.

Nous allons donc voir des faits qui sont survenus dans la vie de cet homme et qui peuvent démontrer qu’il était un Frère.

  Mais auparavant, voyons le contexte familial de l’Empereur.

D’emblée, nous pouvons dire que tous les hommes de sa famille sont Maçons, et les femmes des épouses de Maçons.

Son père, Charles-Marie, est Maçon. Le frère de sang de Bonaparte, Joseph est initié le 8 octobre 1793 à Marseille au sein de la Loge La Parfaite Sincérité en compagnie d’Antoine-Christophe Salicetti qui sera le protecteur du jeune Bonaparte. C’est dans cette Loge qu’il rencontrera François Clary. Ils vont tous les deux se lier avec ce Frère et fréquenter sa maison en faisant connaissance avec ses deux filles Marie-Julie et Bernardine-Eugénie-Désirée.  Désirée fût destinée à Bonaparte et Joseph épousa Julie. Tous les frères de Bonaparte seront également Maçons. Le 1er mari de Joséphine de Beauharnais, Alexandre, était également maçon dans la Loge La pureté. Cela ne l’empêcha pas, comme beaucoup d’autres Frères, d’être guillotiné.  Sa femme, Joséphine, est également Maçonne dans une loge d’adoption. C’est-à-dire une Loge rattachée à une loge masculine afin de lui permettre de participer à la philosophie et à la charité. Signalons que Napoléon va lui confier la grande maîtrise de la loge d’adoption Sainte-Catherine.

C’est le Frère Joseph Bonaparte qui fera voter par la Convention un secours financier de 600 000 livres pour les patriotes Corses réfugiés sur le continent du fait des rebelles Corses.  Joseph deviendra en 1804 Grand Maître du G.O. jusqu’en 1815. Il fut un Grand Maître respecté et c’est la raison pour laquelle son poste restera vacant jusqu’à sa mort.

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Voyons certains faits qui tendent à prouver son appartenance à la franc-Maçonnerie :

  1. Le 27 mars 1796, Bonaparte arrive à Nice afin de prendre sur le terrain le commandement de l’armée d’Italie que le Directoire lui a confié. Il est très jeune et dès son arrivée, il convoque en réunion les quatre généraux divisionnaires, Augereau, La Harpe, Masséna et Sérurier. Ces quatre hommes sont des soldats d’expérience qui ont mené bien des batailles, ce sont des meneurs d’hommes et leurs soldats connaissant leur valeur respective sont prêts à mourir pour eux. Imaginons cette réunion : ces quatre généraux commandant chacun leur division se retrouvent face à un jeune général qui, certes, s’est bien comporté à Toulon, mais n’a pas une expérience au feu conséquente, il est au début d’une carrière. Il est relaté que cette réunion dura un long moment. En sortant les quatre généraux seront aux ordres de Bonaparte et lui obéiront sans aucune réserve. Précisons qu’ils sont tous les quatre Maçons, et que le lien qui les unit va créer un lien de confiance. Si nous considérons que Bonaparte est également un Frère, nous comprenons pourquoi d’un climat de défiance, d’opposition, la relation reposera désormais sur la confiance. Et, n’oublions pas que le Frère Salicetti Antoine-Christophe l’accompagne, il a été initié trois ans plus tôt à Marseille avec Bonaparte Joseph dans la Loge-mère écossaise où son beau-père Clary François est officier.
  • Sous le Directoire et l’Empire, des dizaines de documents, d’écrits font part de l’appartenance à la F.M. de Napoléon. Nous savons la surveillance exercée par les services de police sur tout ce qui a trait à Napoléon, et ce qui pourrait être contraire à l’image voulue par Napoléon est interdit. Concernant ce sujet particulier, il n’en n’est rien dit, aucune interdiction ou démenti.
  • A l’occasion de fêtes maçonniques grandioses auxquelles participent des Frères qui occupent les plus hautes fonctions d’Etat, il est régulièrement rappelé que l’Empereur est un Frère. Et ce n’est pas l’Archichancelier Cambacérès qui est présent qui dira le contraire.

Comment pendant toutes ces années, Napoléon aurait laissé cette imposture se propager ? sans compter les Frères disséminés sur tout le territoire !

  • En janvier 1811, lors de la cérémonie d’installation de la Loge Elisa de Florence, présidée par le procureur impérial en présence d’autorités locales (le préfet), le colonel Jubé lit un poème consacré à Napoléon qui figure dans le procès-verbal de la Loge, j’en retire quatre vers significatifs :

« …Qu’il vive à jamais ce Patron

Que l’univers entier révère.

Cet immortel est franc-maçon

Ce grand monarque est notre frère… »

  Difficile d’être plus explicite et nous imaginons mal ces hauts personnages de l’Etat faire une fausse déclaration dans une Loge portant le prénom de la sœur de l’Empereur et dont un compte-rendu lui sera expédié. Ce procès-verbal figure dans le fond maçonnique de la Bibliothèque Nationale de France.

  • L’historien Henri Bac, publie en 1978 dans la revue maçonnique L’Initiation, un article dont je cite les extraits les plus significatifs :

« Un de mes arrière grands-pères, initié dans la Loge Saint-Jean de Jérusalem à Nancy, racontait que des membres de l’Atelier affirmaient que Napoléon y vint et la présida. Pour en obtenir la preuve, il fallait retrouver les anciens procès-verbaux. Au cours de mon enquête, j’appris d’abord qu’en 1801 le général Ney y fut initié…

Puis, j’obtins ces renseignements précis concernant Napoléon. Il visita cet atelier le 3 décembre 1797 alors qu’il revenait du Congrès de Rastadt ».

Une planche confirme que, passant à Nancy, Napoléon bien qu’il ne fût que Maître a été introduit Maillets battants sous la voute d’acier, accueil réservé aux dignitaires de l’Ordre. Le Vénérable Maître lui a proposé le maillet comme il est de coutume lorsqu’un V.M. reçoit un dignitaire. (Document qui figure dans l’inventaire de la bibliothèque de Nancy).

  • Une chanson chantée le 06 janvier 1806 lors d’une fête maçonnique célébrant l’union des deux obédiences en présence de tous les dignitaires est claire :

 « …des Maçons, ce mortel chéri fut toujours l’appui tutélaire. Général, il était leur frère, Empereur il est leur ami. Qu’en son honneur le bouchon parte, chargeons tous en l’honneur du nom de notre frère Bonaparte, de notre ami Napoléon ».

  • Un document répertorié dans les archives du G.O. de France rue Cadet est constitué par le discours lu le 22 janvier 1806 à la Loge de Saint-Louis de la Martinique :

« …la Maçonnerie repose sous les auspices d’un prince puissant, Sa Majesté l’Empereur Napoléon, qui s’est déclaré protecteur de l’Ordre maçonnique en France après avoir lui-même participé à nos Travaux, connu la pureté de nos principes et la sagesse de nos mystères ».

  • Le général Radet, inspecteur général de la gendarmerie a fait plusieurs déclarations en Loge en citant le Frère Napoléon. Nous voyons mal un homme occupant cette fonction dire un mensonge. Je cite encore un fait établi, le 23 juin 1810, alors Vénérable Maître de la Loge Marie-Louise, il organise une tenue en l’honneur du mariage impérial qui commence par ces mots :

« Sa reconnaissance pour l’Empereur Napoléon, notre illustre frère, à qui nous devons le rétablissement de la Maçonnerie ».

  • La naissance du roi de Rome, le 20 mars 1811, va déclencher dans les Loges de l’Empire des fêtes et donc des discours. Par exemple, le 31 mai 1811, la Loge La candeur à l’Orient de Casale dans le Piémont se réunit. Toujours dans les archives du G.O. de France se trouve un livre rédigé en italien comportant le P.V. de cette Tenue. Je cite un extrait :

«  …Travaux consacrés à la naissance du Roi de Rome, premier né du très puissant frère Napoléon… ».

   Il y a également représenté un médaillon entouré d’une couronne, au centre, est écrit :

« A l’auguste Loweton Napoléon ».

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Qu’est-ce qu’un Loweton ?  C’est le terme utilisé par les Maçons pour désigner un fils d’un Franc-Maçon.

   Nous avons vu qu’il existe un nombre important de documents tendant à prouver que l’Empereur était Maçon. Ces documents se trouvent dans les archives du G.O. de France, dans le fond de la Bibliothèque nationale et dans de nombreuses Loges tant en France qu’à l’étranger. Sans compter tous les documents qui sommeillent dans des archives privées, départementales…

10. Signalons que plus de 60 Loges porteront le nom de Bonaparte, de Napoléon ou celui de membres de sa famille.

 Moins probant, car aucune trace retrouvée si ce n’est des récits dont nous ne connaissons pas les auteurs, sont certaines visites qu’aurait effectuées l’Empereur. Une mérite cependant d’être évoquée, et a fait l’objet d’un article dans la revue maçonnique L’Abeille maçonnique en 1830.  Voyons cet article :

 « Un soir, accompagné de Duroc et de Lauristan, il se rend à une Loge qui se tenait faubourg Saint-Marceau composée d’habitants du quartier. Duroc entre le premier comme visiteur, et est accueilli à la manière ordinaire. …il s’avance vers le V.M. et lui dit tout bas : Deux autres frères vont se présenter, mais ils désirent n’être pas connus… ».

  1.  En 1840, à l’occasion du retour des cendres, un certain nombre de Loges organisèrent des Tenues funéraires en hommage à leur Frère Bonaparte. La Loge Saint-Jean d’Ecosse a expédié des convocations officielles :

« Une fête funèbre aura lieu dimanche prochain 20 décembre dans notre Atelier à l’occasion de l’arrivée des dépouilles mortelles de l’Empereur Napoléon, membre de notre Ordre ».

 Cela faisait 20 ans que l’Empereur était mort, et précision importante, il s’agit bien de la maçonnerie Ecossaise !

  1.  Le 28 juillet 1844, Joseph Bonaparte décède à Florence, il était le Grand Maître du G.O. en 1804. La Revue Universelle de la Franc-Maçonnerie publie un article pour lui rendre hommage :

« Il avait été appelé à la Grand Maîtrise par l’Empereur, qui avait voulu honorer une institution à laquelle il appartenait lui-même, qu’il estimait pour ses principes et pour ses œuvres, et dont il voulait favoriser la propagation pour en généraliser les idées et les bienfaits ».

 C’était une revue reconnue par tous les Maçons et sérieuse dans ses articles.

 

Quels sont les éléments qui plaident en faveur d’une non-appartenance à la Franc-Maçonnerie ?

 

  1. Il n’existe à ce jour, aucune preuve tangible de son Initiation, aucun procès-verbal d’une Tenue d’une Loge où il aurait été reçu n’a été retrouvé.
  • Napoléon 1er ne fera que très peu de déclarations sur la Franc-Maçonnerie.
  • Le chirurgien irlandais O’Meara qui se trouve sur le Bellérophon et suivra l’Empereur à Sainte-Hélène rapporte dans ses mémoires un entretien qu’il aurait eu avec Napoléon sur la franc-Maçonnerie le 02 novembre 1816 :

« C’est un tas d’imbéciles qui s’assemblent pour faire bonne chère et exécuter quelques folies ridicules. Néanmoins, ils font de temps à autre de bonnes actions. Ils ont aidé la Révolution et récemment encore, à diminuer la puissance du pape et l’influence du clergé. Lorsque les sentiments d’un peuple sont contre le gouvernement, toutes les sociétés particulières tendent à lui nuire ».

O’Meara précise lui avoir demandé si les Francs-maçons ont un lien avec les illuminati. Sa réponse fut :

 « Non, c’est une société tout à fait différente : en Allemagne, elle est d’une nature dangereuse ».

Ce témoignage a été largement utilisé pour prouver qu’il n’était pas Maçon.

 Comment pouvait-t-il faire partie d’un tas d’imbéciles ? Il reconnait la raison pour laquelle, il a favorisé le développement de la Franc-Maçonnerie.

  • Le premier valet de chambre de l’Empereur, Louis-Constant Wairy que nous connaissons plus sous le nom de Constant a écrit dans ses mémoires :

« On ne doit point omettre, en parlant de l’année 1813, le nombre incroyable des affiliations… et parlait de la Franc-Maçonnerie comme de purs enfantillages bons pour amuser les badauds. Il riait de bon cœur quand on lui racontait que l’Archichancelier, Cambacérès,  en sa qualité de chef du G.O., ne présidait pas un banquet maçonnique avec moins de gravité qu’il n’en apportait à la présidence du Sénat ou du Conseil d’Etat. Il se méfiait des sociétés connues sous le nom de Carbonari en Italie et des Illuminés en Allemagne ».

  L’expression purs enfantillages peut paraître excessive, pourtant les plus hautes personnalités de l’Etat y ont participé.

  • Il a été mis en avant que l’Empereur n’a jamais confirmé sa qualité de Maçon (comme il ne l’a jamais démenti d’ailleurs). Etant devenu Empereur, il tenait à ce que ses subordonnés respectent une étiquette, et ne le tutoie plus par exemple. Cela peut expliquer la distance qu’il a prise avec la F.M. et qu’il ne visitera plus les Loges (du moins officiellement).  Sa relation avec Lannes qui est Maçon est révélatrice de la distance que l’Empereur souhaite. Lannes continuait obstinément à le tutoyer, Bonaparte le vouvoyait à dessein, mais, rien n’y fait, le tutoiement continua. Bourienne alors secrétaire du Premier Consul relate un moment de colère de Bonaparte ;

 « Lannes continuait à le tutoyer et l’on ne saurait se figurer à quel point cette persistance de familiarité chez l’un de ses plus vaillants frères d’armes, lui était devenu insupportable… Il était devenu le seul qui osât encore traiter Bonaparte en camarade …. »

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Le résultat fut que Lannes fut expédié au Portugal. À son retour, il ne tutoya plus Napoléon.

  • Un article paru durant le Second Empire dans la revue Le Franc-Maçon dont je n’ai pas retrouvé le nom de l’auteur est plus direct :

« Nous sommes bien aise qu’une Loge de Paris porte le nom de Bonaparte… mais nous ne voudrions pas  que l’on persistât à dire que l’Empereur Napoléon 1er a été reçu franc-maçon, quand rien ne le prouve dans notre histoire… Le nom de Bonaparte ne se trouve point sur le tableau d’aucune Loge… Montholon dira également que Napoléon n’a jamais été reçu Franc-maçon… ».

  A priori, cela semble clair, mais, il convient de le nuancer, il s’agit d’une part de témoignages et d’autre part Montholon parle de Napoléon et non de Bonaparte. Et, concernant la non inscription au Tableau, il s’agit du G.O. et, il est probable que Bonaparte a été initié au sein de la Loge-mère écossaise à Marseille avant l’unification des deux obédiences. Nous savons que celle-ci ne communiqua pas ses archives au G.O.

  • Certains historiens disent qu’il n’est pas possible que Napoléon 1er soit Franc-Maçon en raison de son caractère, il n’aurait pas supporté être considéré comme un égal vis-à-vis de ses supposés Frères.  Il est aisé de répondre encore une fois que c’est Bonaparte qui est, a priori, initié. Et qu’à cette époque, il n’est qu’au début de sa carrière et n’a pas en tête de devenir Empereur.  Je cite le début du poème du Frère Rudyard Kipling qui montre bien l’état d’esprit d’un Maçon :

« Il y avait Rundle, le chef de station,
Beazeley, des voies et travaux,
Ackman, de l’intendance,
Dankin, de la prison,
Et Blake, le sergent instructeur,
Qui fut deux fois notre Vénérable,
Et aussi le vieux Franjee Eduljee
Qui tenait le magasin « Aux denrées Européennes ».

Dehors, on se disait : « Sergent, Monsieur, Salut, Salam 
Dedans c’était : « Mon frère », et c’était très bien ainsi.
Nous nous réunissions sur le niveau et nous nous quittions sur l’équerre.
Moi, j’étais second diacre dans ma Loge-mère, là-bas ! »

Voilà comment un Frère vit sa maçonnerie, en Loge : les distinctions du monde profane s’effacent.

  L’image ci-après représente la page de couverture du journal L’Illustration paru en 1921 à l’occasion du centenaire du décès de Napoléon 1er. Cette gravure peut être interprétée de deux façons :  

A l’occasion du bicentenaire de sa mort, nous avons pu voir à la télévision un nombre important de reportages consacrés à L’Empereur. Et dans l’un d’eux, nous avons entendu une historienne expliquer qu’il s’agissait d’une représentation allégorique de la gloire éternelle de Napoléon que le dessinateur a voulu représenter.

Justement, l’auteur de ce dessin n’est autre qu’Horace Vernet (1789-1863) issu d’une famille de Maçons et lui-même Frère, il sera dignitaire du Suprême Conseil de France qui est chargé de gérer les Hauts grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Et connaissant cela, une autre interprétation peut être effectuée, éminemment maçonnique. Vernet a tout simplement représenté un épisode de la cérémonie d’élévation au grade de Maître que tout compagnon subit pour acquérir ce grade. Napoléon porte dans sa main gauche une branche d’acacia et selon une formule du Rituel : Le Maître renaît plus radieux que jamais.

Il a voulu montrer que Bonaparte est un Frère et qui plus est possède le grade de Maître et qu’il est destiné à une gloire éternelle.

Un petit clin d’œil :

  •  Le navire amiral qui emmène Bonaparte en Egypte a porté deux noms auparavant : Le Royal Dauphin en 1792 et Le Sans-Culotte en 1795.  Le nom L’Orient lui sera donné avant l’expédition, c’est un terme qui en maçonnerie désigne l’endroit où le soleil, la Lumière paraît et où siège le Vénérable Maître de l’Atelier.

 

Conclusion

 En conclusion, je vous livrerai mon intime conviction, qui n’engage que moi bien entendu.

  À la question posée :

  1. Napoléon 1er, Empereur des Français, a-t-il été Initié ?

  Mon intime conviction est non.

  • Bonaparte a-t-il été Initié ?

     Mon intime conviction est oui.

  • Au sein de quelle Loge Bonaparte a-t-il été Initié ?

 Il me parait hasardeux de donner une réponse, mais, mon intime conviction est que Bonaparte a été initié le 08 octobre 1793 à Marseille au sein de la Loge La Parfaite Sincérité en même temps que Joseph et Antoine-Christophe Salicetti. Il était en contact avec eux. Comment ne pas imaginer qu’il suivra leur exemple ?

  Mais, toutes les hypothèses sont sur la table. Certains historiens pensent qu’il a été initié en Egypte, à Nancy, à Auxonne, d’autres à Malte. Pour le moment, nous n’avons aucune certitude. Et je rappelle que pour bon nombre d’historiens Bonaparte n’est pas un Frère. 

 Il vous appartient de vous faire votre propre opinion, vous pouvez consulter :

  1. Les archives du fonds maçonnique de la Bibliothèque Nationale de France. Une grande partie de celles concernant la Révolution ont été sauvées, au péril de sa vie, par Alexandre-Louis Roettiers de Montaleau, Grand Vénérable du G.O.
  2. « Napoléon Franc-Maçon ? » de François Collaveri publié en 2003.
  3. « Napoléon Franc-Maçon » de Christian Plume publié en 1985.
  4. La revue du Souvenir napoléonien N° 97, « Les sociétés secrètes sous l’Empire ».
  5. « Un initié des sociétés secrètes supérieures » de Benjamin Fabre.
  6. Les archives Maçonniques du Grand Orient de France, 16, rue Cadet, à Paris.

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