Great Britain – Corsica : une valeur commune, la liberté

La thèse de doctorat que Luke Paul Long[1] a consacré aux relations de la Grande-Bretagne avec la Corse au long du XVIIIe siècle témoigne une fois de plus de l’intérêt que le monde anglo-saxon porte à notre île et à cette période privilégiée au cours de laquelle la Corse a été si fortement associée au Royaume-Uni.

Ce travail s’appuie principalement sur les publications anglaises de l’époque : la presse, les divers ouvrages que des Britanniques ont consacrés à la Corse au cours du XVIIIe siècle – des textes généralement anonymes, à quelques exceptions près dont en particulier les écrits de James Boswell et Catherine Macaulay. Mais également la correspondance, notamment diplomatique, conservée aux archives nationales britanniques et celle de Pasquale Paoli.

Une Grande-Bretagne championne de la liberté dans le monde

Luke Paul Long s’est penché sur la période qui va de 1728 à 1796, au cours de laquelle les interactions entre la Corse et la Grande-Bretagne ont été particulièrement significatives. La thèse qu’il défend, et qui constitue l’armature de ce travail de recherche, est en même temps une réflexion sur les valeurs profondes de la société britannique et sur la façon dont s’est façonnée son identité. Réflexion que le cas particulier de la Corse vient opportunément illustrer.

La ligne directrice peut s’énoncer ainsi : jusqu’à la guerre de Sept ans (1756-1763), la Grande-Bretagne se voyait comme le protecteur du protestantisme en Europe – une représentation culturelle qui prenait la forme d’une véritable mission. Les conflits qui l’opposaient à la France catholique accentuaient cet idéal que la Glorious Revolution de 1688 avait déjà renforcé. Plus généralement, la religion était un facteur majeur des politiques étrangères au sein de l’Europe.

Mais ce facteur va perdre de son importance au milieu du XVIIIe siècle au profit de l’idée de liberté. Les Britanniques vont alors transformer la vision qu’ils ont de leur mission, en l’ancrant sur cette valeur et avec la volonté de promouvoir leur modèle de gouvernement – qui paraît le plus ouvert à cette notion de liberté – tout autour du monde[2].

Au-delà de simplement “illustrer” l’évolution de la vision britannique, cet épisode de relations fortes avec la Corse aurait-il pu y contribuer ? Sans aller jusque-là dans ses conclusions, le chercheur laisse la porte ouverte à cette éventualité qui s’accorde parfaitement à la chronologie.

Pasquale Paoli, enjeu de la politique intérieure britannique

C’est donc autour de la liberté que, dès l’arrivée de Théodore de Neuhoff sur le trône de Corse, va s’organiser en Grande-Bretagne une forme de propagande en faveur de notre île : les Corses méritent l’intérêt et le soutien du peuple anglais parce qu’ils luttent pour leur liberté.

Une vingtaine d’années plus tard, l’Account of Corsica, the Journal of a Tour to That Island, and Memoirs of Pascal Paoli de James Boswell, publié en février 1768, va amplifier le phénomène. Il restera la source d’information principale des Britanniques jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Avec l’ensemble des articles que ce dernier aura soin de faire paraître dans la presse pour entretenir l’attention de l’opinion, et le British Essays in Favour of the Brave Corsicans qu’il publiera en 1769, il jouera un rôle central dans la diffusion du mythe et dans la popularité du Général Paoli. La liberté accordée à la presse et à l’édition britanniques – depuis l’abandon du Licensing act en 1694 – en fait, en effet, le moyen de communication idéal pour gagner la population à la cause corse : le poids de l’opinion n’est pas anodin. Une opinion publique, analyse Luke Paul Long, toujours très attentive à la politique étrangère, parce que celle-ci est considérée depuis le XVIIe siècle comme une condition essentielle à la préservation de la sécurité et de la liberté. Il va de soi que cette “opinion publique” exclut, de fait, toute une frange de la population qui n’a pas accès à l’écrit.

Articles et pamphlets mettent l’accent sur les similitudes qui existent entre les Corses et les Britanniques – notamment le parallèle entre les révolutions corses et la Glorious Revolution de 1688. Ils jouent également sur le sentiment anti-français. Si quelques écrits, non favorables aux Corses, sont farouchement opposés à une intervention en faveur de l’île, d’autres, plus nombreux, se multiplient, notamment dans les années 1768-69, pour condamner l’inaction du gouvernement. Cette inaction traduit, aux yeux de plusieurs de leurs auteurs, le déclin de l’Angleterre en Europe avec, pour corollaire, la perte de son statut de grande puissance.

Mais ces écrits ne sont pas toujours désintéressés. De fait, dès 1768, la défense de la cause corse sert fort à propos les intérêts de l’opposition britannique, qui en fait un outil de choix pour attaquer la politique du gouvernement et souligner la faiblesse de sa politique étrangère. Cette opposition est dominée par les membres de la Society For The Supporters Of The Bill Of Rights, une structure créée en février 1769 après l’expulsion du parlement du journaliste radical et homme politique, John Wilkes, l’un des opposants les plus virulents. La référence au Bill of Rights, renvoyant directement à la Glorious Revolution et à la défense des libertés, parle d’elle-même.

Pasquale Paoli espère beaucoup de cette opinion britannique qui lui est si favorable. Mais son refus implicite, lorsqu’il se trouve exilé à Londres, d’entrer dans le jeu des partisans de John Wilkes, démobilise très rapidement ses supporters : on constate ce retournement dès l’automne 1769, alors que Pasquale Paoli n’est sur le territoire britannique que depuis quelques semaines. Vaugham, activiste wilkite, l’accuse, ni plus ni moins, d’avoir fourni au ministre Grafton, des preuves contre lui. La diatribe publique qui s’ensuit consomme la rupture : constatant l’impossibilité de l’utiliser comme étendard dans leur lutte contre le gouvernement[3], les membres de l’opposition vont chercher à le déconsidérer en l’accusant de trahir son idéal. Car frayer avec un pouvoir qui ne l’a pas aidé militairement au moment où la France envahissait l’île, et qui, maintenant, lui verse une pension et secourt les émigrés corses en Toscane, sonne, à leurs yeux, comme une trahison. La critique va porter sur Pasquale Paoli lui-même, les Corses restant à ce stade, dans l’ensemble, d’autant plus soutenus par l’opinion publique qu’ils vivent sous le joug de la tyrannie française.

Pourtant, le Général tente de préserver sa neutralité. Et s’il reçoit – non sans mal – des aides financières, c’est en vain qu’il sollicite et espère l’appui des autorités britanniques pour libérer la Corse des Français.

[1] Luke Paul Long, Britain and Corsica 1728-1796: Political intervention and the Myth of Liberty, Thesis Submitted for the Degree of PhD at the University of St Andrews, 2018, thèse non éditée, http://hdl.handle.net/10023/13232.

[2] « At the start of the eighteenth century, there was a strongly held belief that Britain was the protector of Protestantism in Europe. This ideal was enforced by the Glorious Revolution in 1688, and the subsequent conflicts against the Catholic Sun King Louis XIV. But there was a change in ideology during the Seven Years War as Protestantism became a less important factor within European politics. The idea of liberty, and the desire to spread Britain’s form of government across the world, replaced Protestant idealism ». Luke Paul Long, Britain and Corsica…, p. 97.

[3] P. 115. « This sentiment highlighted the real intentions of the opposition for Paoli. They hoped Paoli would become the emblem of liberty for the opposition, and to use him as a figurehead against the ministry ».

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