Prendre toute notre part de la figure historique qu’est Napoléon Bonaparte
Dominique Federici
Comment s’approprier une figure historique majeure comme Napoléon ? Il est évident que notre imaginaire collectif a fait du chemin depuis la disparition de l’Empereur et que notre identité est souvent mise au dilemme d’une alternative qui nous fait osciller d’un camp à l’autre, d’une idée à une autre, entre loyalisme et rejet ou, caricaturalement, entre Corse et Français. Bref : Paoli ou Napoléon ?
Ce raccourci de l’histoire a peut-être vécu nous faisant entrer dans un temps qui est sans doute mûr pour affronter notre complexité avec davantage de conscience. Ce « ou » exclusif ne convient plus et le programme Paoli-Napoléon de notre université entend contribuer à ce bousculement cognitif en remettant ces deux figures majeures de notre peuple dans une perspective dépassant leur mise en symétrie systématique et évitant de les opposer de façon simpliste. En toile de fond, il en va aussi de notre propre narratif qui ne saurait cautionner une identité collective clivée par une connaissance partielle et partiale de notre histoire. Par son programme Paoli-Napoléon au sein de notre laboratoire de sciences humaines, le rôle de l’Università di Corsica entend demeurer dans l’approche fouillée, nuancée et complexe des faits sociaux et culturels.
Si la littérature se taille la part du lion dans les potentielles lectures et interprétations de l’histoire pour les deux personnages, il est indéniable que le cinéma a consacré beaucoup plus de pellicule à Napoléon. Comment en serait-il autrement pour celui qui demeure une des figures historiques les plus étudiées ou interprétées au monde ? C’est pourquoi nous pouvons revenir à cette question posée par Jean-Guy Talamoni, responsable du programme Paoli-Napoléon : « Depuis le Napoléon d’Abel Gance, qui lors de son tournage à Ajaccio en 1925 avait suscité une incroyable ferveur populaire, jusqu’aux œuvres cinématographiques du XXIe siècle, le septième art nous conduit à une nécessaire méditation autour d’une question essentielle : en quoi Napoléon Bonaparte a-t-il influé sur ce que nous sommes aujourd’hui ? »
La restauration du fameux film Napoléon d’Abel Gance vient d’être achevée et cela constitue un événement de portée mondiale, bien au-delà des spécialistes de cinéma. C’est pourquoi, l’organisation en Corse d’une tournée de projection est une action importante. Elle s’inscrit dans notre programme Paoli-Napoléon et est soutenue par les communes d’Ajaccio, de Bastia, de Porto Vecchio, de Corte, de la communauté de communes de Costa-Verde et du festival de Lama. Les différentes conférences qui accompagneront les projections font l’objet de ce numéro spécial de la revue Lumi.
Outre la projection de ce monument cinématographique restauré, l’ensemble des rencontres aura permis un riche accompagnement des publics. Il y a bien sûr tout le contenu du film et le parti pris du réalisateur. Mais il y a aussi tout son contexte de tournage : cette Corse de 1925 à 1927 est dans un cycle politique complexe entre républicanisme, bonapartisme et régionalisme sur fond d’entre-deux-guerres en France et en Europe. L’idéologie fasciste et les tensions géopolitiques viennent troubler jusqu’à la politique locale. Malgré la ferveur et l’accueil chaleureux des Ajacciens, François Coty, maire bonapartiste et potentiel mécène (eu égard à sa fortune), ne refuse-t-il pas de participer au financement du film sous couvert de « propagande antifrançaise » qui tend « à montrer la France impérialiste, militariste, affamée de gloire et de conquêtes, consacrant ses ressources a de formidables armements, implacable dans sa haine contre la pauvre Allemagne ».
Cet exemple nous apporte la preuve d’une éternelle ambivalence de Napoléon entre le génie civil et le stratège militaire, entre le chef de guerre et le chef d’État ou encore entre l’admirateur de Paoli en 1789 ou son adversaire en 93. Le film et le tournage nous disent une version de la France, de la Corse et de la Corse dans la France. À chacun de faire son marché des idées, des représentations ou des consciences, fussent-elles anachroniques.
Mais, au fond, Napoléon, n’est-il pas un peu celui qui, à l’instar de la pensée de Francesco Ottaviani-Renucci au début du XIXe siècle, vient réconcilier notre italianité culturelle et notre républicanisme français éclairés par les Lumières européennes, tout aussi incarnées par Pasquale Paoli ?
La réponse reste ouverte et à construire par la culture et la connaissance. Il est donc important que chaque Corse puisse mieux s’approprier cette figure majeure de notre histoire et notre université y contribue de la plus efficace des manières.
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