Certaines de ces minorités se considèrent exclues de la communauté de destin formée par la Nation déjà constituée en État et voient leurs caractéristiques culturelles propres comme la base d’une construction étatique alternative ; ce sont les minorités nationales. Ces dernières ne peuvent cependant pas prétendre à une personnalité collective sur la scène internationale car la somme des individus qui compose la communauté est proportionnellement faible par rapport au reste des nationaux. Force est de constater que certains peuples autochtones, victimes du peuplement colonial, se sont retrouvés dilués à un tel point qu’ils sont devenus des minorités faute d’avoir été privés de leur droit à l’autodétermination au moment où ils étaient encore assez nombreux et unis dans leurs revendications pour être reconnus en tant que Nation.

Le changement de qualification entraînant ainsi un changement de régime juridique, ils ne sortent pas pour autant du champ de la protection garantie par les droits fondamentaux. En effet, la protection internationale des minorités consiste à leur offrir « la possibilité d’une coexistence pacifique ou d’une collaboration cordiale avec la population en l’absence de discrimination, à moins que celle-ci ne soit positive, tout en préservant l’identité de groupe[65] ». L’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit également que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ». L’idée transcendant ces dispositions est celle de la reconnaissance de leur identité et de leur droit à la différence[66]. Ce régime juridique relevant en effet uniquement de la protection des droits de l’homme[67] leur permet cependant de préserver leur identité dans le cadre d’un processus d’intégration d’autant que rien n’empêche les législations nationales de prévoir un statut plus généreux à leur égard.

            Cet essai de présentation des différents remèdes à la colonisation apportés par le droit international nous amène naturellement à nous questionner sur les modalités d’exercice du droit à l’autodétermination.

III. L’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

La mise en œuvre des régimes juridiques d’autodétermination se heurte parfois aux difficultés inhérentes à l’application de toutes les normes internationales (A). Il existe cependant des dispositifs, dont la légalité est parfois remise en question, permettant de garantir l’effectivité du droit à l’autodisposition ; il s’agit du recours à la force (B) et de l’assistance des États tiers (C).

A. L’application des normes internationales

18. Application du droit international – La principale fonction du droit international est de définir les obligations qui pèsent sur les États et les institutions internationales. Une force d’application de ces règles, laquelle résulte du consentement des États par le biais d’une convention ou d’une pratique coutumière[68] est une condition nécessaire à la garantie d’une normativité et d’une positivité suffisantes. Contrairement à la structure politique et juridique verticale que l’on retrouve au sein de chaque État et qui assure le respect du Droit par ses ressortissants, l’horizontalité de l’ordre international, constitué de sujets étatiques égaux, ne permet pas à la société internationale de se doter d’organes compétents pour assurer l’exécution des normes internationales ou sanctionner leur violation. « La dilution du pouvoir fait peser sur les conditions d’application du droit international des vicissitudes qui nuisent partiellement à son efficacité, y compris dans certains domaines essentiels comme celui de la réglementation du recours à la force[69] ». La garantie du respect du droit international repose essentiellement sur l’importance de la pratique des États et la coopération internationale. À titre d’exemple, nous pouvons citer le Bangladesh qui doit son indépendance à l’intervention de l’Inde et non au Conseil de sécurité dont la préoccupation essentielle était d’apaiser les tensions entre l’Inde et le Pakistan[70]. La saisine d’une juridiction internationale s’avère également complexe car nécessitant le contentement de l’État attaqué ainsi que la démonstration par l’État requérant d’un intérêt à agir.

Le droit à l’autodétermination n’est pas pour autant dépourvu d’efficacité, notamment grâce au développement des structures intergouvernementales de coopération qui réclament avec virulence le respect du droit international[71] et à l’action des peuples eux-mêmes qui recourent à la force afin d’assurer l’exécution de leur droit et deviennent alors des combattants de la liberté.

B. Le recours à la force

19. Recours à la force – Conformément aux dispositions du premier paragraphe de l’article 2 de la Charte des Nations unies, « les États membres doivent s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies[72] ». Par principe, cette interdiction de recourir à la force s’oppose à la fois à l’État niant le droit à l’autodétermination de son peuple mais aussi aux mouvements de libération nationale ou encore aux États tiers qui seraient tentés de leur apporter une aide militaire. Toutefois, la Déclaration issue de la résolution 2625 (XXV) du 12 octobre 1970 rend licite l’usage de la force pour tous les peuples dans leur lutte contre les puissances coloniales. En outre, il est précisé à l’article 7 de la résolution 3314 (XXIX) que « rien dans la présente définition, et en particulier l’article 3 » énumérant les actes d’agression, « ne pourra en aucune manière porter préjudice au droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance, tel qu’il découle de la Charte, des peuples privés par la force de ce droit et auxquels fait référence la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, notamment les peuples qui sont soumis à des régimes coloniaux ou racistes ou à d’autres formes de domination étrangère ; ainsi qu’au droit de ces mêmes peuples de lutter à cette fin et de chercher et de recevoir un appui, conformément aux principes de la Charte et en conformité avec la Déclaration susmentionnée[73] ». En définitive, l’interdiction du recours à la force et à la pratique des actes d’agression ne s’applique pas aux peuples auxquels le droit à l’auto-disposition est dénié.

Il existe une controverse autour de la question de la reconnaissance d’un droit de lutte armée pour ces mouvements de libération nationale contre l’État oppresseur à laquelle il est possible de trouver une réponse dans le premier article du protocole additionnel aux conventions de Genève du 10 juin 1977. Le 4ème paragraphe intègre la lutte des peuples contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans la catégorie des conflits internationaux, les dissimilant définitivement des rébellions civiles ce qui a pour conséquence directe l’application du régime du droit de la guerre et de la protection internationale humanitaire. En contrepartie, les combattants doivent respecter l’obligation de discrimination entre les civils et les combattants imposée par ce même régime[74]. De ces constatations, nous pouvons déduire que la guerre ordonnée par un mouvement de libération nationale livrée pour l’autodétermination d’un peuple face au colonialisme est licite[75]. La résistance menée par une minorité face à la volonté d’assimilation exprimée par un État reste cependant assimilée à une guerre civile interne dans la mesure où les minorités ne sont pas titulaires d’une personnalité juridique collective internationale.

Cette résistance armée est parfois menée avec l’aide d’États tiers s’alliant aux mouvements de libération nationale et aux peuples opprimés dans leur lutte pour l’autodétermination.  

[65] Cour permanente de Justice internationale, avis consultatif, 6 avril 1935, Écoles minoritaires en Albanie, série A/B, n°64, p.17

[66] Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie, avis n°2, 11 janvier 1992

[67] Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie, avis n°1, 29 novembre 1991, §1er : Les normes impératives du droit international général, et en particulier le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et des droits des peuples et des minorités, s’imposent à toutes les parties prenantes à la succession.

[68] CHARPENTIER Jean, « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le droit international positif », op. cit., p. 195.

[69] DUPUY Pierre-Marie, Droit international public, 15ème édition. 2020., Précis, Paris : Dalloz, 2020, p. 459.

[70] Questions examinées par le Conseil de Sécurité, résolution 2793, 4, 5 et 6 décembre 1971

[71] DUPUY Pierre-Marie, Droit international public, op. cit. [quelle page ?]

[72] Charte des Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1946, Article 2§4

[73] Assemblée générale des Nations Unies, résolution 3314 (XXIX), A/RES/29/3314, Vingt-neuvième session, 14 décembre 1974

[74] Protocole I aux conventions de Genève, 10 juin 1977, article 48

[75] CUMIN David, Manuel de droit de la guerre, 2ème édition, Paradigme, Bruxelles : Bruylant, 2020.

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