Napoléon, le thème de l’identification et l’échec

C’est un grand plaisir d’évoquer la personnalité de Napoléon, car Napoléon nous élève au-dessus de nous-mêmes[1]. Quand j’écrivais Napoléon ou la destinée, j’avais le sentiment en permanence d’être à quelques centimètres du sol. D’avoir quitté la réalité, tellement médiocre, pour être avec un homme qui pouvait certes avoir des défauts – qui n’en a pas ? Et lui en avait. Mais d’être avec un homme qui n’a jamais été médiocre, avec un homme qui n’a jamais vu les choses de manière petite ni prosaïque. Et vraiment, ça fait du bien parce que dans notre époque, il faut bien le reconnaître, qu’est-ce qu’il y a comme médiocrité ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens médiocres ! Et bien c’était une sorte d’antidote, si vous voulez, à la vie quotidienne, aux ennuis de cette vie quotidienne, ennuis qui sont nombreux, aussi bien à Paris qu’en Corse. Napoléon, ça fait du bien… Alors l’origine de ma passion pour Napoléon, qui est très ancienne, c’est en effet une forme d’identification. Bien sûr, vous allez sourire, parce que l’identification… On voit tout de suite les fous qui se prenaient pour Napoléon à Charenton ! Je me suis identifié à Napoléon pour la raison suivante : j’étais un adolescent difficile, avec des problèmes, qui souffrait en permanence de ne pas réussir à être un écrivain. Et en plus, j’avais des problèmes sentimentaux terribles puisque ma petite amie venait de me quitter ! J’étais donc au bord du suicide. C’est là où j’ai découvert le Mémorial de Sainte-Hélène. J’ai découvert que j’avais une sorte de fraternité avec ce grand homme qui était Napoléon, parce qu’au fond, il avait énormément souffert et énormément connu d’échecs. Je m’en suis rendu compte dans sa correspondance avec Joséphine, car il était trompé. Pendant la campagne d’Italie, elle le trompait avec un jeune lieutenant qui s’appelait Hippolyte Charles. Et cet homme qui était glorieux, salué par tout le monde, qui ne connaissait que des succès, connaissait cette souffrance amoureuse d’une femme qui l’aimait à moitié et qui le trompait d’une façon horrible. Ça m’a fait du bien de lire ce Mémorial de Sainte-Hélène parce que je me suis dit : «  Au fond, même un très grand homme… » Et c’est la même chose si on lit la vie de César ou d’Alexandre le Grand : même un très grand homme connaît des difficultés sur le plan amoureux. Et puis ensuite, je me suis rendu compte que toute la vie de Napoléon était semée d’échecs et, finalement, nous avons une image un peu toute faite des grands hommes : nous croyons que la vie de De Gaulle, la vie de Washington, la vie de tous ces grands est une vie pavée de roses, ce qui n’est pas du tout le cas. En fait, tous ces hommes que nous admirons ont traversé mille difficultés et particulièrement Napoléon. Ce qui fait qu’ils ont donné à leur personnalité une telle force, ce sont justement leurs échecs. Et les échecs rendent de très grands services. Je dois dire que maintenant, avec un peu de recul, je me rends compte à quel point tous les échecs que j’ai éprouvés n’ont pas été à la mesure de ceux de Napoléon, hélas. Mais tous ces échecs forgent une personnalité et surtout permettent de rester en contact avec les autres. C’est ainsi qu’on reste humain, ce qui est quand même une chose importante. Pour un créateur, c’est important d’essayer de faire de grandes choses. Mais surtout, ce qui est important, c’est de rester humain, de comprendre les autres. Je pense que cette identification que j’ai éprouvée, je ne suis pas le seul à l’avoir éprouvée. Vous savez, Balzac disait qu’il faut être le Napoléon de quelque chose. Et pas seulement Balzac… Stendhal et puis Victor Hugo, Dostoïevski, Léon Bloy, beaucoup d’écrivains français et russes se sont passionnés pour Napoléon parce que justement, en lisant le Mémorial de Sainte Hélène, ils avaient le sentiment de lire un formidable roman. Il faut dire que c’est le plus grand roman qu’un homme ait vécu. Il l’a dit lui-même : « Quel roman que ma vie ! » Quel formidable roman : un homme qui, finalement, était d’origine non pas modeste mais d’une petite origine, vivant et ayant vécu rue Malerba à Ajaccio, ayant eu beaucoup de difficultés en Corse, a réussi par son mérite, à la faveur de la Révolution, à accéder au plus grand poste et devenir empereur des Français, ce qui est absolument un destin extraordinaire. Et ce destin, en permanence, côtoie le miracle et le merveilleux.

[1] Ce texte est une transcription de l’enregistrement de la conférence prononcée le 20 avril 2021.

[2] Il a écrit sur Napoléon Bonaparte, notamment Napoléon ou La destinée (Gallimard, 2012).

Facebook
Twitter
LinkedIn

D'autres articles

La micro-commémoration

Art, Histoire et mémoire : le cas du projet Paoli-Napoléon « On n’est pas encore habitué à parler de la mémoire d’un groupe, même

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *