Figure 5 : Lettre du 3 thermidor an VI (21 juillet 1798) du ministre de la Guerre au Directoire exécutif (AN).

En 1796, la fin du Royaume anglo-corse marque une mise à l’écart momentanée des Giuliani. Un des Padroni remplace Antonio Giuliani comme receveur. En mars 1797, la commune est dirigée par Francesco Padroni et Domenico Orsino Zaccaria. A la fin de l’année 1797 et au début de 1798, la région est touchée par la révolte de la Crocetta. Il est possible que la tentative d’arrestation de Giuliano soit liée à ces événements dont les soubresauts perdurent pendant plusieurs années. Cette implication est suggérée par un feuillet intitulé « Lettere, scritti raporto al mio impiego colla mia commissione ed altri affari successi nella rivoluzione dalle Croce », mais il ne contenait aucun document.

Les royalistes sont « persécutés » par l’administration. Ainsi, dans La majorité des habitants de la Balagne à leurs compatriotes Simone Fabiani évoque, outre les événements de 1798, l’année 1800 « époque plus terrible encore que la première », il précise qu’« indépendamment d’une contribution forcée de deux millions dont les Braves royalistes furent imposés avec violence ; sans entrer dans les menus détails des horreurs attentées par les troupes de scélérats dans les maisons des citoyens pacifiques et jusque dans les sanctuaires »[50]. Les propos de Fabiani sont corroborés par un brouillon de lettre. Les Giuliani ont échappé « per la Gracia del signore » aux « guai grandi » et notamment à l’imposition de deux millions. Mais certains de leurs proches sont touchés, leur oncle et leur cousin (Angelo Francesco et Simon Giovanni Franceschini de Corbara) doivent verser chacun la somme de 20 000 francs. Les villages de Cateri, Avapessa et Lavatoggio ont été les plus « maltraités ». Trois hommes ont été « massacrati dal furore delle truppe ». A Avapessa, au couvent de Marcasso et à Lavatoggio, les assaillants ont forcé le tabernacle et ont renversé les « sagre particole ».

L’opposition au Premier Empire

Durant le Premier Empire, les Giuliani soutiennent l’opposition monarchiste. En 1807, L. Poli de Calvi écrit qu’il travaille « ardemment » avec d’autres. Ils espèrent « que bientôt la Balagne sera libérée d’un monstre qui l’afflige depuis tant d’années », il vise probablement Francesco Saverio Giubea sous-préfet de Calvi[51]. Ce dernier propose en 1812 à Giuliano la charge de maire qu’il refuse : il doit s’occuper de ses affaires familiales et ne souhaite pas faire de tort à Luigi Padroni qui veut être maintenu à cette fonction. Cette nomination peut s’inscrire dans une stratégie des Bonapartistes de rallier ou de neutraliser certains de leurs opposants. Même s’il est félicité par son « parent » Giacinto[52]  pour cette nomination qui est une reconnaissance de son zèle, de son attachement à la chose publique et au gouvernement, Giuliano ne paraît pas exercer la fonction de maire. Les Giuliani restent fidèles à leur camp. Le 6 juillet 1814, les officiers municipaux d’Algajola, dont Giuliano, sont félicités pour leur zèle par le garde commandant de l’artillerie de Calvi. Ils ont pu conserver les pièces d’artillerie qui ne sont pas tombées aux mains des insurgés. Un compte-rendu de leur patriotisme sera fait au roi Louis XVIII. En août 1815, le nouveau commandant supérieur de la province de Balagne, Simone Fabiani, convie Giuliano afin de discuter des mesures les plus opportunes pour maintenir l’ordre public et faire triompher la royauté dans la province. Cependant, les Giuliani ne sont pas mentionnés par Simone Fabiani comme étant des soutiens actifs des royalistes[53].

3. Une période risquée pour Giuliano Giuliani : l’arrestation de 1791 et sa fuite en 1798.

L’arrestation de Giuliano en 1791 est abordée de façon très détaillée dans la documentation. Pour l’accusation, elle est liée à « l’attentat » commis le 5 juin 1791 à l’annonce des événements de Bastia[54]. Il aurait pris possession du Palazzo avec des hommes armés. Les autorités mettent cependant 25 jours pour ordonner son arrestation et de celle de Balestrino, préfet d’Algajola[55]. Le premier juillet à minuit la maison des Giuliani est entourée par un détachement de gardes du Directoire[56] du district, de soldats du régiment et des gardes suisses. Parmi eux, des habitants d’Algajola : Giovanni Suditti et Luiggi Magaria[57]. L’ordre d’arrestation émane d’Arena, Leoni et Ambrosini.

Figure 6 : Extrait du mémoire de Giuliano Giuliani (Fonds Marcelli)

Giuliano dénonce son incarcération : elle est arbitraire et non conforme aux délibérations de l’Assemblée nationale. Sa supplique démontre une bonne connaissance des textes et des principes de la Révolution française. Il proteste en tant que « citoyen français » et « libre ». Les lois ne doivent pas être utilisées pour couvrir des intérêts particuliers. L’attitude de ses accusateurs contrevient aux « sacrosanti del uomo e del citadino ». Il enjoint aux membres du directoire de revenir à la raison et à l’observance de la loi dont ils sont les défenseurs et les gardiens. Il leur rappelle que nul ne peut être accusé, arrêté, détenu en dehors des cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle prescrit[58]. Il précise notamment que tout détenu doit comparaître devant un juge dans les 24 heures. Il essaie de relever des contradictions dans les témoignages et leur partialité car selon lui les témoins sont les auteurs de la lettre de dénonciation. Il soulève des irrégularités au niveau de la procédure[59].

Il se défend et fait valoir ses arguments. Contrairement à la thèse de l’accusation, il s’est évertué à éviter des incidents et à ramener l’ordre. D’ailleurs un officier qui commandait un détachement de passage à Algajola a poursuivi son chemin. De même, Savelli, l’un des membres du directoire du District, venu à Algajola après avoir été informé par une lettre que les officiers municipaux et les fonctionnaires avaient « fait une contre révolution » n’a pas donné suite. Pourtant, selon les témoins Giuliano est « poco bon patrioto », son père et lui auraient tenu des propos mettant en cause la légitimité des autorités : « il Direttorio non comanda più e comanda quanto il mio culo », « piu non comandava ne dipartamento ne Distretto » ou encore « non vi è piu Distretto ne niente e comandano quanto alle mie scarpe toccandosi i piedi ». Damiano Giubega demande le déferrement de Giulano. L’accusé remet en cause son impartialité : il est le beau-père de de la Rosat, l’a aidé l’année précédente afin de favoriser ses « très injustes prétentions » et il est constamment récusé lors des affaires civiles impliquant les Giuliani. D’ailleurs, Belgodere, commissaire du roi, demande sa libération. Giuliano finit par être élargi.

Sept ans plus tard, il est malaisé de comprendre les raisons de la tentative d’arrestation de Giuliano au mois de février 1798[60]. Antonio décrit dans le détail l’attaque dont sa famille a été victime alors que les habitants d’Algajola avait accueilli « fraternellement » les Républicains. Leur maison a été ruinée, leur réserve de nourriture brûlée, leur mobilier volé et son frère Giuliano, craignant pour sa vie, « voyant que la méchanceté triomphait » a fui et a décidé de s’embarquer pour Gênes. En effet, il venait d’apprendre qu’un de ses oncles avait été arbitrairement massacré à L’Ile-Rousse après avoir été arrêté. Cette crainte est d’autant plus forte que selon lui, « les passions particulières », les « animosités » ou encore « la colère » motivaient les assaillants. Cette version diffère de celle exposée par Antonio à son cousin : les Giuliani ont été avertis par les Arena de l’arrestation éminente de Giuliano. Dans ce courrier destiné à Filippo Antonio Arena, Antonio hésite sur les moyens à utiliser pour permettre le retour de son frère. Doit-il demander un passeport pour couvrir le retour de son frère, qui serait antidaté (« si potrebbe datare il Passaporto di quel tempo medesimo incui voi inseguito rincontri di vostro fratello mi scriveste di far partir Giuliano »), faire croire que Giuliano n’a pas quitté la Corse, obtenir des attestations prouvant son patriotisme ou s’enquérir de l’appui des administrateurs. Il reproche à Filippo Antonio de ne pas avoir tenu parole : « voi stesso o ous-m’avete sempre fatto sperare questo Passaporto (…) e fù sù questa fiduccia che si fece partir Giuliano ». Ce brouillon de lettre contient une autre information : l’administration aurait délivré des passeports à des personnes qui sont suspectées d’avoir pris part à la révolte. Antonio obtient les certificats pour Giulano. Le premier de Domenico Orsino Zaccaria[61], agent de la commune, atteste de son patriotisme durant la révolte. Le second émanant du chef du détachement présent au moment de « l’invasion », indique qu’il a toujours été animé par « les sentiments de bon républicain ».

Figure 7 : Certificat de Domenico Orsino Zaccaria, 19 pluviôse an 6 (21 juillet 1798) (Fonds Marcelli)
Figure 8 : Certificat de non-inscription sur la liste des émigrés, 1799 (Fonds Marcelli)

En mars 1799, Antonio obtient, de son cousin Fabrizi, un certificat de non-inscription sur la liste des émigrés et en mai un passeport.

Le temps a passé et Giuliano a peut-être pris goût à sa vie en Italie dont son cousin Franceschini décrivait en 1791 le caractère paisible et raffiné en l’opposant à la situation en Corse où « non si vede che miseria e guai » et « ove nell’adunanza di quattro persone vi è sempre qualche contrasto ». Cet exil lui permet aussi de retarder les alliances matrimoniales imposées par ses proches. En 1801, il écrit : « Je ne compte pas me marier, (…) Il est inutile de m’interpeller à ce sujet. ». Il précise aussi qu’il aurait pu trouver lui-même un bien meilleur parti.

Giuliano rentre en Corse entre juillet 1801 et juin 1802. Lors de la Restauration, il s’investira pleinement au sein du conseil d’arrondissement et défendra vigoureusement les intérêts de sa cité. Cette branche des Giuliani s’éteint.

[50] La majorité des habitants de la Balagne à leurs compatriotes, p. 2, information fournie par Jean-Pierre Poli.

[51] Il est en poste de 1800 à 1814. Il est ensuite nommé Préfet de la Corse.

[52] Il pourrait s’agir du fils de Francesco Saverio.

[53] Renseignement fourni par Jean-Pierre Poli.

[54] Les 2 et 3 juin un mouvement contre-révolutionnaire éclate à Bastia. Bartolomeo Arena, Francesco Panattieri et Filippo Buonarroti sont embarqués de force. 

[55] Il est arrêté à Calvi. Selon un témoin, Balestrino aurait fourni des fusils aux partisans de Giuliano.

[56] Le mot « Nationales » a été barré.

[57] Il y a aussi le beau-frère de Suditti.

[58] Il cite plusieurs articles du décret des 8 et 9 octobre 1789 sur la réforme de la jurisprudence criminelle.

[59] Absence du nom de l’officier public ayant procédé à l’interrogatoire, de certaines signatures ou encore interrogatoires menés en présence du secrétaire de La Rosata [sic] et en présence du directoire [sic].

[60] Il semblerait qu’Arena veuille obtenir par la force des témoignages contre Giuliano et sa fuite est concomitante à celle du marchand Matteo Santini. Il semble être débiteur envers Arena.

[61] Le document est contresigné par Avazeri, secrétaire du canton du Regino, le 4 juin.

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