Conférence inaugurale de Vincent Peillon
Vincent Peillon
Colloque République et Républicanisme Octobre 2023
Nous abordons un sujet, et c’est un peu de ça dont je voudrais vous parler de façon introductive, qui est un sujet du point de vue de la recherche scientifique intellectuelle, très difficile.
Pourquoi ?
Tout d’abord, parce qu’il y a une histoire mais aussi parce qu’il est très complexe de faire la part entre nos engagements personnels, les enracinements des réflexions dans des contextes historico-politiques et la réflexion elle-même. Y compris évidemment chez les historiens les plus sérieux, et chez les philosophes de la République.
Nous voyons bien pour ce qui concerne notre temps, qu’il y a un retour du Républicanisme, ou des Républicanismes d’ailleurs, parce que finalement, le singulier est trompeur dans cette affaire, comme souvent, mais qu’il procède d’une appropriation politique permanente, au point que les jeunes ne s’en étonnent peut-être pas, mais ne l’étant plus, moi je m’étonne qu’un certain nombre de partis, ces dernières années, aient tenu à tout prix, même quand ils n’avaient pas été nécessairement des combattants un temps de la République, lorsqu’elle était vivante, pour parler comme Buisson, à s’intituler ou à prendre dans leur insigne le terme de Républicain. Cette semaine encore, avec les événements dramatiques que nous connaissons au proche et Moyen-Orient, nous voyons bien que l’injure dans le domaine public, c’est « Tu es Républicain, tu n’es pas Républicain ! »
Les Corses ont devancé les autres dans cette affaire, puisque là, il y a vingt ou trente ans, on voyait bien que c’était toujours cette question, et d’ailleurs, l’idée derrière d’une République qui à mon avis n’est pas la République historique française, mais pensée comme centralisée, et pensée comme étatiste. Ce que je ne crois pas du tout correspondre au texte originel des Républicains combattants français. Nous sommes dans ce contexte.
Alors, que des gens qui font de la politique le fassent parce qu’à un moment, c’est utile, nous nous approprions quelque chose, incontestablement, il faut le comprendre, dans de grandes idéologies et en particulier dans l’idéologie marxiste. Vous voyez bien que, alors que ça n’était pas un sujet majeur dans les années 70, le retour du terme « Républicanisme », en particulier au moment de la célébration de la Révolution française, du bicentenaire, les appropriations différentes viennent de gens qui ont cherché un substitut à ce qui avait été un originaire révolutionnaire ou socialiste.
Vous en avez beaucoup dans la branche Chevènement, vous voyez bien Régis Debray, un certain nombre de maoïstes sont passés de positions intransigeantes et révolutionnaires à une République, d’une certaine façon, transgenre, absolutiste, et qui leur donnait une nouvelle fois un nouveau catéchisme et leur permettait de nouvelles inquisitions.
C’est un contexte dans lequel la recherche française doit cheminer. Ce contexte, il est aussi valable, car je sais que ça intéresse et je pense que vous avez raison de vous y intéresser, par le fait que la recherche française sur le Républicanisme est vraiment pauvre. Et c’est une erreur majeure !
En France, beaucoup d’historiens ont considéré que, que ce soit la Révolution avec un grand R ou que ce soit la République, elle était française. C’est une erreur. D’abord, parce que nous avons beaucoup emprunté pour ce qui concerne la France, à d’autres pays, soit d’autres révolutions : anglaise, américaine, soit d’autres modèles politiques. Et d’ailleurs, le Républicanisme Corse peut y trouver sa place, pour ceux qui ne sont pas ignorants, et enfin, ce qu’on appelle les transferts culturels. C’est une question, nous ne sommes pas isolés, nous ne sommes pas les seuls au monde à être Républicains, nous n’avons pas le modèle déposé !
L’Italie est républicaine, l’Allemagne à sa façon nous donne un autre modèle républicain, vous connaissez évidemment la grande tradition des républiques hollandaises …
Cette fermeture française et cette espèce de conception hégémonique de la République, sont pour le chercheur un vrai trouble.
Au point que, je crois que vous l’avez confirmé dans votre séminaire, j’avais créé en Suisse, un séminaire international sur le Républicanisme, mais je suis arrivé assez naïf et j’ai découvert que les Français étaient complètement sortis du jeu.
Le grand récit dominant aujourd’hui dans les études républicaines mondiales, c’est le récit de l’école de Cambridge avec Quentin Skinner et ses élèves. Mais ils ont été tellement las de la romance française, qu’ils ne considéraient pas leurs travaux, comme vous avez un très grand récit qui part des Républiques italiennes qui remonte par l’Angleterre, qui passe par l’Amérique, mais qui se détourne de la France, dans lequel d’ailleurs, vous avez une opposition structurante de la pensée contemporaine entre républicanisme et libéralisme, ce sont tous les travaux de John Pocock sur Le mouvement machiavélien qui a formé des générations entières, et dans lequel la France disparaît.
La France disparaît parce que l’opposition droit de l’Homme, la vertu étant le Républicanisme, et libéralisme, cette opposition structurante de la lecture majoritaire dans le monde ne permet pas de rendre compte du Républicanisme français, qui en réalité a souvent concilié les deux traditions : la tradition des droits de l’Homme, dont les Républicains Français diront : « C’est notre code, c’est notre nouvel évangile, c’est d’ailleurs nous qui l’avons amené au monde », mais qui en même temps, de Montesquieu jusqu’à Jules Barni, garde l’idée de la vertu. C’est-à-dire ce qu’on appelle la participation civique. Donc, nous n’entrons pas dans ce cadre.
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C’est vraiment quelque chose qui est troublant et qui nous interroge, je crois que la nouvelle génération commence à comprendre, les gros travaux peuvent s’inscrire là-dedans, et on peut en débattre, que penser le modèle français sans être capable de comprendre ce qu’il a pu emprunter, échanger, dialoguer, avec tout autre modèle, c’est ne rien comprendre.
Souvent, je l’ai lu, vous citez dans votre ouvrage, Maurizio Viroli qui a été traduit, même s’il est très Américain maintenant, son petit livre Républicanisme par Christopher Hamel qui est un très jeune chercheur tout à fait remarquable. Mais on voit bien que ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’idée que pour comprendre le Républicanisme français, on a intérêt à le faire dialoguer avec des Républicanismes étrangers.
Je vous donne un exemple.
Nous avons fait traduire, mais c’est tout récent, un livre, d’une remarquable chercheuse anglo-saxonne qui se nomme Rachel Hammersley, « Entre anciens et modernes » qui montre les influences de la Révolution anglaise sur les penseurs des lumières Français. Si on pense que Winston, John Locke, Sidney n’ont pas une influence, ils ont eu une influence considérable. Et nous venons d’ailleurs de faire traduire Richard Price qui est le premier à avoir fait le lien entre les révolutions américaine, anglaise et française. C’est un Anglais qui a défendu l’indépendance américaine, et c’est en réponse à Richard Price que les contre-révolutionnaires, et en particulier Edmond Burke publie ses « Réflexions sur la révolution française ». Voltaire se nourrit des Anglais, Montesquieu se nourrit des Anglais, et c’est une tradition qui est évidemment une tradition que certains ont cru seulement libérale, mais profondément républicaine, comme ça a été montré.
Je prends un autre exemple. Dans le domaine de l’éducation, puisqu’on identifie souvent le Républicanisme français à la période Ferry. Mais Ferry lui-même était dans une liaison avec Condorcet et les projets d’école de la Première République. En réalité, et comme vous le savez, et comme Michèle Riot-Sarcey l’a dit déjà ce matin, les types après 48 sont mis dehors de la France. Ce sont des exilés.
Où sont-ils exilés ?
Pour une très grande partie d’entre eux, ils sont exilés en Suisse. Aussi après la formation de la première internationale, les maîtres de l’école républicaine française, et en particulier Buisson, vont en Suisse, à Neufchâtel.
Et ils découvrent, comme l’a fait Rousseau, la pédagogie qui n’est pas du tout la pédagogie française des Jésuites, qui est la pédagogie libérale, qui est la pédagogie des Pestalozzi et Scheubel. Et Jules Ferry qui est imprégné de cette culture, par l’intermédiaire d’Edgar Quinet, son maître, et par l’intermédiaire du Cardinal Buisson, son directeur, lit et cite, ce qui fait que nous sommes là dans des paradoxes très intéressants.
Quand vous avez aujourd’hui, des gens prétendument savants qui font la chasse aux ignorants, qui vous disent : « Oui, il faut revenir à l’école de Jules Ferry, au : lire, écrire, compter », Jules Ferry a fait des discours entiers pour expliquer que l’école ne doit surtout pas s’en tenir au lire, écrire, compter, mais qu’elle doit développer une éducation libérale – c’est son terme – dans lequel la quête de sens vaut beaucoup plus, évidemment, que le simple réflexe mécanique. Surtout, qu’il faut être capable de donner aux enfants de toutes catégories sociales, la fameuse éducation libérale, c’est-à-dire : penser par soi-même, faire de la philosophie, connaître l’histoire, pratiquer les Beaux-Arts. Et que si on pense que le peuple dit lire, écrire, compter, ça va, tu t’arrêtes là, vous connaissez la querelle des deux écoles primaires qui a été longue à résoudre, c’est une erreur fondamentale. L’image de la laïcité, j’en dirai un mot, c’est la même chose, l’image que nous nous en faisons est une image fausse, utilisée, politique.
Nous sommes à un moment où le fait d’être capable de faire dialoguer les traditions, de comprendre les emprunts que le Républicanisme français, en tout cas celui des origines, a pu faire, est emprunté à un certain nombre de traditions, c’est un mouvement qui est en train de se développer dans les études et qui me semble extrêmement porteur. Porteur d’un décentrement, parce que je vous le dis aussi, le grand défaut du Républicanisme aujourd’hui tel que je le vois, c’est qu’il est devenu l’apanage des réactionnaires et des nationalistes.
Or, la tradition républicaine Française depuis Robespierre, depuis la Révolution, est cosmopolitique. Et non pas nationaliste, mais patriotique. Et patriotique veut dire, dans la langue de Victor Hugo, qui est aussi celle de Ferdinand Buisson, qui a publié en 1902 un texte qui dit : « pourquoi nous sommes patriotes et pas nationalistes ? », c’est que nous ne croyons pas à la nation ethnique, nous croyons à la nation politique, juridique, du projet commun, des valeurs communes, et cette nation n’est pas du tout la même, et il est naturel à cette nation de s’ouvrir aux autres, ça peut être l’Europe, et là, vous savez que les congrès de la paix de l’Europe sont normalement dans les codes génétiques du Républicanisme, mais aussi la fraternité universelle.
C’est très important de comprendre cela, parce qu’il faut que vous compreniez qu’il y a un lien entre un nationalisme intellectuel, la République c’est la France, la République c’est les hommes à moustache et à rouflaquette, et le nationalisme politique qui est toujours celui qui nous amène les pires choses et qui se porte fort bien aujourd’hui.
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Au point que nous avons d’ailleurs, un mouvement qui est inversé qui est que la revendication aujourd’hui du patriote – comme dirait Monsieur Philippot – est la revendication patriotique, nationaliste, Républicaine, c’est aujourd’hui quelque chose qui vient essentiellement du sens de la droite. Et de ce point de vue-là, dans l’historiographie récente des trente dernières années, le rôle des gens qui ont accompagné Jean-Pierre Chevènement, je pense à l’historien Claude Nicolet et d’autres, est fondamental. Les rejetons sont souvent à l’extrême droite, et ils ne s’en cachent pas, ils l’assument, viennent me voir en disant : « Il n’y a pas de problème, j’étais socialiste moi ! j’étais Chevènementiste ! » À un moment, il y avait les Républicains des deux rives, c’était le début des années 2000, et il y a l’évolution que l’on a eue, mais qui est un travestissement de l’idée Républicaine française.
Il en est de même de la laïcité. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt que vous aviez une analyse qui était propre à la Corse, qui était une laïcité, je dirais, plus à l’Américaine et plus tolérante. Mais en réalité, c’est la laïcité française celle des Républicains d’origine.
Monsieur Jean Jaurès va à l’Assemblée nationale, il fait un discours sur la laïcité qui a duré deux heures à l’époque, il nomme Dieu. Et il dit : « On a tout à fait le droit de nommer Dieu ! » La loi de 1905 est une loi pour la liberté de conscience en premier lieu, c’est-à-dire le droit de croire ou de ne pas croire, et d’exercer son culte.
Les ignorants ne le savent pas, mais les devoirs envers Dieu restent dans les instructions officielles françaises jusqu’en 1923. Donc l’idée du barbu qui supprime les crucifix, qui empêche les gens d’avoir des convictions religieuses, n’est pas du tout l’esprit de la loi de 1905. La loi de Buisson, protestant libéral, de Jaurès, catholique, la loi soutenue par les juifs libéraux, la loi qui est acceptée par des courants importants de la franc-maçonnerie, c’est une loi libérale, profondément libérale, qui n’est absolument pas antireligieuse. D’ailleurs, les Républicains qui ont édifié cette laïcité sont des gens, prenez le titre de l’ouvrage principal de Ferdinand Buisson, dont on peut dire qu’il a été pourchassé comme l’artisan de la laïcité, le génie ou le mauvais génie de la laïcité, le titre de son livre c’est : « La Toilette ». Il est une religion laïque, pour laquelle il n’est pas absurde qu’il doive y avoir dans une société de la foi et c’est d’ailleurs comme ça aussi que Jaurès le présente en parlant de spiritualité, c’est extrêmement important. Cette idée a dominé dans les études Républicaines françaises.
Donc il y a beaucoup de contre-vérités qu’il faut rétablir par la recherche, mais évidemment, qui auront des conséquences politiques. Et dans les travaux que l’on fait, il faut assumer le fait que nous sommes dans un champ scientifique, mais pas extraterritorial. C’est-à-dire que l’on vient de quelque part et que l’on va vers quelque part.
On peut en faire autrement, et ça doit peut-être aussi nous amener à avoir parfois, dans le travail du monde scientifique, un peu de modestie. Puisque nous savons que, l’objectif peut-être dans nos études, il y a quand même des éléments de conviction personnelle.
Les études Républicaines françaises, je vais faire un schéma qui peut être utile à la compréhension de la discussion, sont dominées, jusqu’au début des années 2000, par trois écoles dominantes :
La première école, c’était l’école marxiste. Évidemment, l’école marxiste qui avait une certaine tendance à relire la Révolution française au prisme de la Révolution russe, exaspéré l’antagonisme entre liberté et égalité, tirer le jacobinisme vers l’état de crise, travailler la notion d’avant-garde avec les sans-culottes, mais finalement, qui est dans un match assez agréable avec la seconde école dominante qui est le libéralisme.
Le libéralisme pour moi, c’est l’école de François Quesnay qui elle aussi, construit une opposition entre liberté et égalité. Je la crois profondément fausse. D’ailleurs, je le dis et je le redis, si la Liberté est le premier terme de notre devise, c’est bien parce qu’elle arrive en premier, ce n’est pas l’Égalité. L’Égalité vient pour compléter la condition de la Liberté. Mais nous sommes d’abord le pays de l’individualisme, au sens où ce n’est pas l’État qui doit compenser, l’État doit donner les moyens de l’émancipation individuelle.
Lorsque quelqu’un comme Jaurès dit : « Le socialisme, c’est un individualisme logique et complet », ou Durkheim dit la même chose : « La République est la religion de l’individu », ils ne sont pas en contravention avec ce que pense Robespierre. Je pourrais vous citer le texte de Robespierre, très étonnant, où il dit : « Contrairement à tout ce qu’on vous enseigne à l’école, l’État doit agir le moins possible, et c’est la famille, et c’est la commune, et ce sont les individus et il doit intervenir que là où il peut aider à ce qui réalisent leurs propres natures ».
Ces deux écoles ont des points de vue communs dans l’interprétation de la République, par exemple, je vais vous en donner un, puisque vous avez reçu Michèle Riot-Sarcey ce matin qui m’a beaucoup surpris dans mes travaux. Que ce soit Marx, dans ses textes importants sur la lutte des classes en France, où les libéraux qui disent la même chose de la Révolution de 48. C’est une Révolution d’alcooliques, c’est une Révolution d’utopistes, c’est une Révolution de vieilles barbes, et c’est parce qu’elle a échoué que dans le fond, après, on va devenir positivistes, rationnels, et nous aurons la République des opportunistes qui va s’inscrire dans la durée. C’est le récit idyllique avec d’ailleurs, les uns et les autres, une fascination pour l’idée d’une République positive, c’est le socialisme scientifique de Marx, c’est le positivisme et donc la figure d’Émile Littré pour le grand récit républicain français.
Personnellement, mais je crois que maintenant, c’est un acquis de la recherche et Michèle Riot-Sarcey a beaucoup fait pour ça que c’est une erreur complète. Les hommes de 48 même s’ils sont contraints à l’exil reviennent en 70, et forment les autres. Et la dimension utopique, libérale, sociale de la République des démocrates socialistes, « démoc-socs », comme on disait, elle est présente dans les années 80, dans un affrontement d’ailleurs très virulent, entre ce qu’on a appelé les radicaux et les opportunistes, que l’historiographie française n’a pas voulu traduire, mais dans un mois, nous aurons enfin la très grande thèse sur ce sujet, qui s’appelle « La République vraie ». C’est-à-dire ce combat, ce qu’on a appelé l’extrême gauche au moment des lois constitutionnelles de 75, dans lequelle les gens comme Edgar Quinet, Victor Hugo, Louis Blanc, s’opposent aux jeunes opportunistes. Ils vont perdre, mais ils défendaient une idée de la République qui n’a rien à voir avec celle qui nous a été imposée.
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C’est à la fois une République sociale, mais contrairement aussi à ce qu’on pense, et c’est très important pour la Corse, parce qu’il y a une fausse idée du communisme, une République qui n’est pas une République centralisée. Qui est une République qui ne croit pas du tout aux vertus magiques de l’État centralisé, et même du gouvernement centralisé. Et ça, c’est souvent une surprise pour les gens qui regardent ces textes, mais dès 1852, nous avons énormément de textes, pas seulement dans le mouvement mutualiste, coopératif ou seconde gauche, qui disent, comme Jules Barni ou d’autres, qui était quand même le penseur de Gambetta : « On ne peut pas organiser dans une uniformisation des choses. »
Le modèle politique :
- soit vous avez un universel prétendu qui se construit par asservissement des différences. Il s’appauvrit, il est autoritaire, il est central, il est vertical. Il existe. Certains l’identifient d’ailleurs à Rome,
- soit vous avez un universel qui se construit, se nourrit, se développe des différences, des singularités. Et évidemment, qui est l’identité de l’identité de la différence mais qui n’est pas quelque chose qui se construit sur l’élimination de tout le reste.
Parce que l’universel qui illumine les différences, c’est quoi ?
C’est un particulier qui domine. Ça n’est pas autre chose. C’est un particulier qui impose sa loi aux autres et qui dit : « Je suis l’universel ». Cette affaire est vieille comme les civilisations, elle se renoue tout le temps. Mais dans l’interprétation du Républicanisme, elle est là. Vous avez ceux qui tirent dans l’interprétation « jacobine », parce que les vrais Jacobins ne pensaient pas ça, qui est de dire, l’universel, notre universel suppose une homogénéité et ceux qui disent : « C’est exactement l’inverse. Vous ne construirez jamais un universel par éradication des différences. Vous aurez de l’appauvrissement sur un singulier totalitaire. C’est tout ce que vous aurez. » Ce débat est absolument central !
Une première école qui est l’école marxiste face à une seconde école, l’école libérale qui dans le fond, quand on étudie, on le voit, dansent la gigue ensemble !
François Furet et les marxistes, François Furet allait aider les marxistes. Souvent, ils s’étaient des reconvertis, c’est la même opposition, bonne Révolution ou mauvaise, 89-93, même vision de la terreur, les uns pour en dire du bien, les autres pour en dire du mal. Même assimilation, qu’on trouve d’ailleurs chez Jacques-Marcel Gauchet, « stalinisme, ça ne veut rien dire ! » Vous imaginez l’anachronisme historique qui consiste à assimiler la Révolution de 17 à la Révolution de 89. Ce sont des constructions intellectuelles. Au refus de tout le mouvement de 48 qui, je vous le rappelle quand même, et vous le dites d’ailleurs dans votre livre, c’est le moment où les peuples doivent disposer d’eux-mêmes. C’est le printemps des peuples 48. C’est une conception de l’universel qui est celle que j’étais en train de vous dire, c’est-à-dire, je ne vais pas procéder par l’écrasement, je vais procéder par la libération des différences et la libération ensemble. C’est le Congrès de la Paix et de la Liberté.
La troisième école, c’est une école qui a été beaucoup plus subtile, qui a beaucoup apporté à la recherche, mais qui elle-même, en tout cas dans sa tête pensante, a évolué à un moment, c’est ce que j’appelle le positivisme historique, qui était représenté par ce grand historien qui a été proche de Mendès France, puis proche de Chevènement, puis il l’a abandonné en 92, qui s’appelait Claude Nicolet. Au départ, deux livres « L’Idée Républicaine en France » et « Le métier de citoyen dans la Rome », lui donne une vision tout à fait complète de la philosophie Républicaine française, mais dans le fond, il reprend beaucoup d’éléments, si je puis dire, des deux autres écoles, le mépris de 48 et de vielles choses très étranges. Si vous lisez avec distance, vous verrez que c’est toujours très surprenant, politisé, même quand on croit que c’est très scientifique.
Par exemple, Louis Blanc qui est un personnage absolument déterminant de l’histoire Républicaine française, est celui qui se bat contre les lois constitutionnelles de 75, il est aussi présent dans Les Trois glorieuses et dans tout le mouvement qui conduit à 48, les banquets, puis l’exil, puis le retour des Républicains. Mais il n’est pas présent dans cette historiographie.
Pierre Leroux, qui est le penseur du socialisme en France, celui qui dit : « J’ai mis le socialisme dans la République », n’est pas présent dans cette historiographie. Et cette historiographie nous présente comme le roi des Républicains, Émile Littré ! Quand nous lisons Émile Littré qui est un grand savant, Le Dictionnaire Littré, on découvre un personnage qui était quand même assez défavorable au suffrage universel, pour ne pas dire complètement, totalement élitiste, et qui a fait la République conservatrice avec Adolphe Thiers, vous le savez, qui n’était pas quand même un modèle de Républicain démocrate.
C’est la vieille histoire, que Louis Blanc appelait comme ça, et pour Edgar Quinet c’est la République sans les Républicains. C’est-à-dire qu’à un moment, la République arrive, ceux qui l’ont combattue pendant longtemps ont compris : « Puisqu’ils ont pris le pouvoir, cette vieille histoire, c’est une partie des places à occuper », disait Louis Blanc, on va occuper la place, et ceux qui se sont battus et qui avaient un idéal, on va les mettre de côté.
Alors, ces trois écoles, me semble-t-il, depuis les années 2000, sont quand même fortement remises en question par une seule génération. Une jeune génération d’historiens qui remet en cause à peu près tous les postulats que j’ai évoqués.
Il n’y a pas de séparation de la terreur entre 89 et 93. C’est une mystification, une construction des ennemis de la gauche, du Républicanisme social. Robespierre n’est pas un tyran, la République n’est pas nécessairement matérialiste. Vous avez les cultes dans la Révolution, mais vous avez la religion laïque, elle n’est pas l’ennemie des religions. On peut être spiritualiste et Républicain. Et pas comme on nous l’a fait croire longtemps, seulement positiviste ou matérialiste ou géantiste. C’est une dimension très spirituelle dans la philosophie Républicaine. Elle n’est pas pour la lutte des classes, ça, c’est le marxisme, tout le mouvement Républicain français attribue à la bourgeoisie un rôle éminent dans l’émancipation humaine, y compris chez Jaurès, et en réalité, pour la conciliation des classes, elle n’est pas centralisatrice. C’est-à-dire qu’elle est décentralisatrice, elle est pour l’autonomie communale, pour l’autonomie des régime et le respect des diversités. Elle n’est pas étatiste.
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Avant Strauss-Kahn, le premier à parler de régulation de l’État, c’est Monsieur Louis Blanc. Il est accusé de faire les ateliers nationaux, une espèce de truc très soviétique, en réalité, on le sait maintenant, ce sont ses ennemis qui ont fait ça contre lui. Il faisait des ateliers sociaux, c’était juste des coopératives. Tout ça, reste vraiment de l’histoire idéologique.
Il n’y a pas de coupure, je vous l’ai dit tout à l’heure, entre 48 et 70-75. Il y a toute une nouvelle historiographie qui s’est mise en place, la France n’est pas un pays qui domine le monde, totalement autochtone, il méprise tous les autres parce qu’en fait, elle leur a beaucoup emprunté.
Elle a emprunté aux Suisses, elle a emprunté aux Hollandais, elle a emprunté aux Anglais, elle a peut-être et surement emprunté aux Corses, donc ce n’est pas une île isolée totalement et qui ignore tout le monde. Çà aussi, ce sont les fameux nouveaux travaux sur les transferts culturels.
Depuis la conception de la liberté, et j’insiste un petit peu, si vous me le permettez, Jean-Guy Talamoni, la conception de la liberté des Républicains Français – j’ai le bonheur d’éditer Jean-Fabien Spitz qui est un très grand chercheur sur cette question – anticipe déjà ce qu’on appelle « la Liberté comme non-domination »de nos amis Philip Pettit et Quentin Skinner. C’est-à-dire l’idée que ce n’est pas la liberté des libéraux, parce que la liberté des libéraux, c’est la liberté du « renard dans le poulailler » ! Et effectivement, nous ne pensons pas que l’État doit tout faire, mais il doit venir donner les moyens à chaque individu de construire sa propre émancipation. Ça peut être par la redistribution sociale, ça peut être par l’équilibre des territoires, ça peut être aussi évidemment par l’école, et d’abord peut-être par l’école, dans l’idée Républicaine. Mais l’idée est bien que ce que nous ne voulons pas, c’est qu’un individu soit dominé par un autre, par toutes formes de dominations. Il y a une anticipation dans les textes concernant la liberté, qui est une anticipation des plus actuelles, en tout cas, des plus en vogue, anglo-saxonne, sur la liberté.
Tout ça s’est mis en place aux alentours des années 2000, il y a des réseaux de chercheurs, j’en ai regroupé un certain nombre, en tout cas, fait travailler un certain nombre dans la collection bibliothèque Républicaine, qui permettait de republier les textes anciens. Là, on évoquait Louis Blanc par exemple, mais on a fait des tas d’autres choses, la laïcité chez Jaurès, une trentaine de titres, avec des chercheurs qui n’appartiennent pas aux trois écoles dominantes dont je vous ai parlées, mais qui progressivement, en vingt ans, ont commencé à essemer sur le plan international, c’est évident que c’est ça qui marche. En France, nous avons du mal à faire entendre ce message, parce que les manipulations politiques de ces termes Républicains, sont plus fortes que les travaux scientifiques.
Voilà, à mon sens, quel est l’état actuel des études Républicaines, elles continuent à être assez actives, je pense que le grand apport, c’est l’ouverture vers l’extérieur.
Aujourd’hui, dans nos ressources propres, si vous voulez relire éternellement Célestin Bouglé, Jaurès, Louis Blanc … Nous le faisons, il faut le faire et c’est très bien, mais ce qui est peut-être le plus productif, aujourd’hui, et à ce titre que le travail que vous faites à Corte est intéressant, c’est de comprendre qu’il y a eu énormément d’échanges, échange avec l’Italie, la Corse, la Suisse, les pays protestants, tout ce modèle, j’en parlais d’ailleurs au nouveau ministre de l’Éducation récemment, tout le débat autour de Ferry, c’est un débat aussi qui opposait, dans le fond, une veine protestante et une veine catholique. Ce modèle d’éducation libérale, les Pestalozzi, les Suisses, c’est-à-dire la pédagogie par projet, la pédagogie coopérative, le respect du corps, c’est une opposition à une pédagogie catholique qui était dominante chez nous. Et ce sont des choses qui sont très inscrites dans l’imaginaire du pays.
Au passage, puisque l’uniforme est à la mode, par exemple, l’uniforme n’a jamais existé dans la cour de la République. C’est une blague ! C’est une idiotie ! Moi j’ai porté la blouse, parce que j’écrivais à la plume sergent major et on se tâchait avec l’encre. Nous avions des blouses différentes, à l’époque, nous ne faisions pas fabriquer nos pulls à Taïwan ou je ne sais où, on avait un pull ! Donc on faisait attention ! Les seuls uniformes qui ont existé, les seuls, ce sont dans les lycées impériaux et dans les écoles chrétiennes. Dans l’école de la République, je n’ai jamais eu d’uniforme. Que les grands savants demandent au mépris de ceux qui ne savent pas, nous racontent des billevesées pareilles, « ce sont des billevesées » comme le dirait Molière, qui ne résistent pas à l’analyse scientifique et à l’histoire réelle mais on voit bien que ça a un poids politique.
De la même façon, la laïcité n’a pas été faite pour priver les religions minoritaires, mais tout au contraire. Nous n’avons jamais eu le combat de la religion dominante contre cette loi laïque, pour permettre à chacun, à tous, dans la diversité, de pouvoir exercer son culte, et même ceux qui ne veulent pas exercer de culte.
Voilà, je m’en tiens là parce que mon plaisir sera de parler avec vous, je voulais brosser un rapide tableau de l’état actuel des études Républicaines, vous dire que je suis très sensible au travail que vous avez engagé à Corte.
Applaudissements
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