2. De l’exil au héros mondial

Napoléon ne serait pas arrivé jusqu’à nous sans que son image ait évolué dans le temps, en fonction des préoccupations des époques.

Après la défaite de Waterloo, en 1815, il part dans l’hostilité des Français. Il doit se déguiser en bourgeois et changer d’identité pour gagner La Rochelle et l’Ile d’Aix.

À partir de 1830, le Mémorial de Sainte-Hélène deviendra le plus grand succès d’édition du XIXème siècle : 800 000 exemplaires seront vendus. Sans atteindre ces sommets, les témoignages des compagnons d’exil, Gourgaud, Bertrand, Montholon, O’Meara son médecin, seront très lus.

À la faveur du désamour des Français pour la médiocre Restauration, le courant romantique français réhabilite le panache et le lustre de l’histoire de Napoléon : Stendhal, Victor Hugo, Alexandre Dumas, ont été témoins directs, ou par leur père, de l’épopée, ils sont rejoints par Balzac, Flaubert, Zola. Chateaubriand est un ennemi juré de Napoléon, mais dans les Mémoires d’outre-tombe, Napoléon est traité en ennemi héroïque.

Le mythe est relayé par des intellectuels et écrivains européens : Goethe, Hegel, le poète Heine sont des admirateurs. Goya, Beethoven sont des admirateurs déçus devenus des adversaires, mais ils contribuent à sa notoriété. Tolstoï est un adversaire résolu qui traite Napoléon avec respect.

Ce grand retour de notoriété explique l’élection du neveu, Louis Napoléon, totalement inconnu, en 1848, comme premier Président de la République par le suffrage universel (74% des voix).

L’image de Napoléon 1er pâtit de la chute du Second Empire, victime de Sedan et de Victor-Hugo. Au début de la 3ème République, le Bonapartisme sombre dans l’alliance contre-nature avec les monarchistes.

À la fin du XIXème siècle, c’est une historiographie assez réactionnaire qui prend le relais : Thiers, Louis Madelin, Jacques Bainville. À l’exception de Job dont les ouvrages illustrés marqueront des générations de Français. Ils appellent Napoléon au secours d’une nation souverainiste et militariste.

Cette image persistera jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Où des auteurs libéraux ou classés à gauche – Ferdinand Braudel, Georges Lefèvre, Albert Soboul – reviendront aux racines de Napoléon Bonaparte dans la Révolution. Ils renoueront avec la ligne politique du Mémorial.

Les historiens modernes, Jean Tulard, Thierry Lentz, Jacques-Olivier Boudon, s’inscrivent dans une culture historique qui s’est massifiée avec l’utilisation de Napoléon par le cinéma, la télévision, les jeux vidéo, les bandes dessinées.

Aujourd’hui, n’en déplaise à quelques grincheux, jamais autant de personnes ont été mises en contact de l’histoire avec une présence forte de l’histoire napoléonienne. Une émission de Stéphane Bern est vue par davantage de téléspectateurs que tous les cours de Jean Tulard à la Sorbonne !

Le Tourisme devient un vecteur essentiel de la diffusion de l’histoire. Les millions de touristes qui fréquentent les Invalides, Fontainebleau, La Malmaison partagent la culture historique napoléonienne. Des millions de personnes ont assisté aux reconstitutions des batailles lors des bicentenaires.

Les débats du bicentenaire (esclavage, femme, liberté d’expression) n’ont pas empêché un hommage national. Ils montrent que Napoléon Bonaparte est désormais moins clivant qu’autrefois. En France comme dans toute l’Europe, on peut ne pas aimer Napoléon et considérer l’importance de son œuvre.

À la faveur de la globalisation des cultures, le héros français est devenu un héros de la culture mondialisée contemporaine. En témoignent les 80 000 ouvrages qui lui ont été consacrés (un par jour depuis sa mort), sa deuxième position dans les personnages historiques consultés sur le moteur de recherche Google, les mille films qui lui ont été consacrés, les multiples utilisations de son image par la publicité.

J’ai créé en 2004 un Itinéraire Culturel dédié à Napoléon, labellisé par le Conseil de l’Europe, qui manifeste l’importance de son œuvre pour les Européens. Il rassemble soixante villes dans treize pays européens. Napoléon devient un élément de la citoyenneté, du sentiment d’appartenance à l’Europe.

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