Napoléon dans le monde contemporain

[1]

L’influence d’un grand personnage historique sur la société contemporaine peut être approchée de plusieurs manières : en constatant ce qui reste de ses oeuvres, en retraçant comment sa mémoire est arrivée jusqu’à nous, en mesurant son poids dans les imaginations – on dirait aujourd’hui dans le récit national, en tentant de comprendre ses motivations. Jamais il ne pourra servir de modèle pour la décision publique des temps présents. Pour une raison simple : l’histoire ne connaît pas la marche arrière !

1. Les réformes qui annoncent l’Europe moderne 

Les guerres ont cessé de produire leurs effets depuis longtemps quand les institutions civiles continuent à modeler la vie des citoyens. C’est le sens de cette fameuse citation extraite du Mémorial de Sainte-Hélène : « Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit ».

Les historiens ont beaucoup disserté sur la proclamation qui suit le Coup d’État de Brumaire : « Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée, Elle est finie ».Que signifie l’adjectif fini : faut-il le comprendre comme un produit fini, parfait, ou comme un processus politique terminé ?

Les Assemblées révolutionnaires avaient beaucoup disserté et voté des lois sans se donner les moyens de leur application. En l’espace d’une décennie, le Consulat met en œuvre les acquis politique de la Révolution, les fameuses masses de granit :

Le Code civil (« Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné 40 batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil ») qui jette les bases juridiques de la société post-révolutionnaire : la propriété privée et la famille monocellulaire. La moitié des articles sont toujours utilisés, en France, en Europe et dans de multiples pays de droit romain. Il sera suivi d’un nouveau Code pénal.

Des institutions sociétales sont créées :  Lycées, Concordat, Légion d’honneur… Le Concordat est inspiré par la volonté d’instaurer la paix civile sur la base de la Raison, qui fonde la liberté des cultes, premier pas vers la laïcité.

L’État est profondément réorganisé : Conseil d’État, Préfet, Cours de Comptes…

Des outils économiques sont introduits : Franc germinal, la Banque de France, livret ouvrier, Conseil des prudhommes, cadastre…

Ces réformes permettent d’apaiser le pays après les bouleversements de la Révolution et accompagnent l’arrivée d’une nouvelle génération de responsables politiques, de hauts fonctionnaires, de chefs militaires (Murat, Portalis, Carnot). Des hommes jeunes qui n’auraient pas percé sous l’Ancien Régime. 

Certes, le gouvernement de Bonaparte, issu d’un coup d’Etat, évolue vers le pouvoir d’un homme seul avant de renouer avec le principe dynastique. Mais la promesse de maintenir les acquis de la Révolution est faite dès le lendemain de Brumaire et dès l’instauration de l’Empire : gouvernement représentatif, égalité, liberté.

Napoléon se fera Empereur des Français, créera une Cour qui bénéficiera de privilèges importants, son pouvoir deviendra de plus en plus autocratique, mais les masses de granit seront intégralement maintenues : les rapports sociaux continueront à évoluer vers plus d’égalité, plus d’école. Sous l’Empire, il y a bien la République.

Il existe d’évidentes zones d’ombre au regard des valeurs de notre temps : la liberté de la presse, le statut de la femme, le rétablissement de l’esclavage dans les Caraïbes. La répression sera particulièrement féroce à Saint-Domingue : l’expédition de Leclerc dans les Caraïbes mettra fin dans le sang aux tentatives de soulèvement de Toussaint Louverture, de même que la Corse sera traitée sans ménagement.

Dans ce parcours inégal et à la faveur des guerres, le sentiment d’appartenir à une même Nation, de partager une même histoire, prend forme. La collectivité nationale rassemble des citoyens libres et égaux qui partagent la souveraineté politique. La Nation est, à l’origine, un principe inclusif.

Sur l’échiquier européen, les répercussions sont considérables :

Le Premier Consul mène des guerres qui sont (jusqu’en 1806) essentiellement des guerres politiques opposant les monarchies coalisées à la jeune république Française.

Elles portent des promesses révolutionnaires : fin de la féodalité, les sujets de l’Ancien Régime deviennent des citoyens libres, les terres sont redistribuées (80% de la population vit à la campagne), le contrôle du pouvoir clérical, la liberté de culte, partout instaurés.

Les institutions françaises se diffusent dans toute l’Europe à la faveur des victoires militaires. Une nouvelle Europe naît sur les pas des armées napoléoniennes : fin des féodalités en Italie et en Allemagne, fin du pouvoir temporal du Pape en Italie, effondrement du Saint-Empire vieux de 500 ans. À la place, des nations européennes naissent. Par un retournement dont l’histoire a le secret, c’est la montée des sentiments nationaux en Espagne et en Russie qui auront bientôt raison de lui.

[1] Cette conférence a été prononcée le 4 mai 2021.

Facebook
Twitter
LinkedIn

D'autres articles

La micro-commémoration

Art, Histoire et mémoire : le cas du projet Paoli-Napoléon « On n’est pas encore habitué à parler de la mémoire d’un groupe, même

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *