Napoléon et l’insularité

« Je naquis quand la patrie périssait… »

Très jeune, le futur empereur se trouve détaché de son île natale mais ce déracinement accentue en lui cette fascination pour la Corse. Qui plus est, à Sainte-Hélène, il retrouvera un grand nombre de compatriotes qui seront auprès de lui à partir d’octobre 1815 puis de septembre 1819.

Tout débute le 15 août 1769 avec les fêtes mariales : sa mère accouche dans des conditions difficiles mais on décide de le baptiser du prénom d’un de ses grands oncles récemment décédé : Napoleone. L’insularité de cet enfant le prédestine à conserver un lien très fort avec sa famille.

La fierté de son histoire l’incite aussi profondément à revenir à plusieurs reprises à Ajaccio où il rêve de servir le Babbu, Pascal Paoli. Il se met à son service en 1792 mais le choix qu’a fait son père Charles pour le camp des Français reste une tache indélébile. Ce sera un déchirement : Napoléon ne peut être à la fois sous uniforme républicain et l’envoyé des Paolistes. Il lui faut faire ses preuves. L’expédition conduite à La Maddalena, sur les îlots San Stefano, ne remporte pas le succès espéré et Napoléon demande à ce que l’on fasse arrêter « les lâches et les traîtres qui ont fait échouer cette mission ». Son départ précipité n’est que la conséquence logique de cette injonction.

Il revient pourtant sur une île, en 1798, lors de son départ vers l’Égypte : Malte. Il décide de libérer les habitants, jette les bases de la démocratie dans l’esprit des Lumières, avant de se rendre à Alexandrie puis au Caire. Dans son palais de La Valette, il a compris qu’il avait un destin de chef politique. De retour de cette expédition, il repasse alors en Corse pour quelques jours, revoyant une dernière fois ses amis et ses proches. Et quelques semaines plus tard, il prend le pouvoir par un coup d’État à Saint-Cloud.

Gardant un souvenir de la constitution corse de Paoli, il demande à ce que l’on s’inspire de ce texte pour le Code civil qu’il dirige et édicte en mars 1804. Son insularité se retrouve dans le choix même du titre d’« Empereur des Français », et surtout dans le lieu choisi pour la cérémonie inaugurale : l’île de la Cité. La cathédrale Notre-Dame de Paris se prête non seulement à accueillir les quarante mille invités envisagés mais aussi, symboliquement entourée d’eau, comme l’était son île, elle le rassure et lui offre l’écrin espéré. Il couronnera son épouse Joséphine, née elle-même sur l’île de la Martinique. La phrase qu’il prononce d’ailleurs en corse à destination de son frère Joseph est révélatrice : « Sì Babbu ci vidia ! » (« Si notre père nous voyait ! »). Pense-t-il alors à son père Charles ? Ou au père de la Nation corse, Paoli ?

Sans doute un peu à ces deux hommes à la fois, eux qui ont tant marqué son destin. C’est d’ailleurs toujours en référence aux pieve corses qu’il crée une confédération du Rhin (dont il devient le protecteur) et la confédération helvétique (dont il prend le titre de médiateur).

De nouveau, en 1809, c’est sur une île que son destin militaire se joue : l’île Lobau, au beau milieu du Danube. Il prépare ses troupes à la fin du mois de juin avant de les lancer vers la bataille décisive des 4 et 5 juillet. Sans la victoire qui suit, Wagram, sans doute sa dynastie n’aurait jamais été engagée de la même manière puisque cette déroute des Autrichiens l’autorise à demander la main de la fille de son ancien adversaire, Marie-Louise, qui lui donnera son héritier : le Roi de Rome.

Après la Russie en 1812, la Saxe en 1813 et la campagne de France en janvier-mars 1814, contraint d’abdiquer les 4 puis 6 avril suivants à Fontainebleau, une fois encore, que lui détermine-t-on pour lieu d’exil ? L’île d’Elbe, cette fois, devenue française depuis 1802, à proximité de son île natale. La douceur méditerranéenne le régénère et il est accueilli le 4 mai 1814 par le vicaire général, Arrighi, qu’il connaît bien. Il s’installe à la villa des Mulini puis à la villa San Martino où il peut apercevoir les côtes corses.

Après avoir réactivé la politique économique de l’île et redonné espoir à ses partisans, il s’engage vers une reprise du pouvoir : les Cent-Jours. Mais l’échec final de Waterloo le contraint de déposer les armes, définitivement.

Après une ultime étape à l’Île d’Aix en juillet 1815, il accepte de se rendre aux Anglais, d’autres insulaires, fait prisonnier finalement par l’amiral Maitland à bord du navire le Bellerophon.

Son ultime exil se déroulera, non aux États-Unis comme il l’avait imaginé ou en Angleterre, mais sur une dernière île, Sainte-Hélène.

Ce dernier épisode lui permet d’achever son parcours en insulaire, comme il l’aura toujours été, et de nouveau entouré de plusieurs Corses, notamment de Cipriani qui a le double rôle de maître d’hôtel et d’espion, mais aussi (à la fin de son séjour) d’Antommarchi son chirurgien, ainsi que des abbés Buonavita et Vignali.

Cette insularité le suit donc jusqu’à ses derniers jours. Et même le choix, dans son testament, que son corps « repose sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français […] tant aimé » le confirme. La France devra lui élever un tombeau à proximité du fleuve de la capitale et, symboliquement, ce monument de quartzite rouge sera placé sur une « île » de marbre et de granit, entourée cette fois des noms gravés de ses batailles et des hauts-reliefs de ses réalisations civiles.

L’insulaire aura donc achevé son destin comme il l’avait débuté…

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