Ces constitutions, du Consulat, de l’Empire et des Cent-Jours pour Napoléon Bonaparte, de la République et de l’Empire de 1852 et de l’Empire libéral de 1870 pour Louis Napoléon-Napoléon III et de la Cinquième République pour Charles de Gaulle sont courtes et amendables. Comme Louis-Napoléon le résume dans le préambule du texte de 1852 en rappelant son oncle : « L’Empereur disait au Conseil d’État : « Une Constitution est l’œuvre du temps ; on ne saurait laisser une trop large voie aux améliorations ». « Aussi la constitution présente n’a-t-elle fixé que ce qu’il était impossible de laisser incertain. Elle n’a pas enfermé dans un cercle infranchissable les destinées d’un grand peuple ; elle a laissé aux changements une assez large voie pour qu’il y ait, dans les grandes crises, d’autres moyens de salut que l’expédient désastreux des révolutions[8]. » De Gaulle modifie la Constitution de 1958 en introduisant quatre ans plus tard l’élection présidentielle au suffrage universel direct.

Ces Constitutions, ratifiées ou préparées par des plébiscites (an VIII, an X, an XII, 1815, 1851, 1852), des référendums (1958 et 1962) ou un plébiscite à caractère référendaire qui sert de transition entre ceux-là et ceux-ci (1870), présentent bien des similitudes. En 1852, la première Constitution de Louis-Napoléon tend vers celles de son oncle ; en 1870, la seconde annonce celle de De Gaulle. Celui-ci reprend l’histoire constitutionnelle là où, d’une certaine façon, elle s’était arrêtée. Lois fondamentales et pratiques du pouvoir se ressemblent.

Chez Napoléon III et De Gaulle, il y a le même souci que chez Napoléon de s’appuyer sur une idée fondatrice, directrice et forte et lorsque le président de la Cinquième République affirme : « La politique (est) l’action au service d’une idée forte et simple », il fait écho à la politique de ces deux prédécesseurs[9]. Cependant aucun des trois ne fait non plus preuve d’esprit de système et ils sont, au contraire, profondément pragmatiques. Louis-Napoléon Bonaparte définit ainsi la politique de son oncle : « L’empereur Napoléon ne commit pas la faute de beaucoup d’hommes d’État, de vouloir assujettir la nation à une théorie abstraite, qui devient alors, pour un pays, comme le lit de Procuste ; il étudia, au contraire, avec soin le caractère du peuple français, ses besoins, son état présent ; et d’après ces données, il formula un système, qu’il modifia ensuite suivant les circonstances[10] ».

On retrouve chez eux le même culte des principes fondamentaux de 1789, de l’État et de la nation, la même volonté d’assumer tout le passé national. « De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout », lance Napoléon Bonaparte en devenant Premier consul[11], ce que Louis-Napoléon traduit en : « Non seulement je reconnais les gouvernements qui m’ont précédé, mais j’hérite en quelque sorte de ce qu’ils ont fait de bien ou de mal[12] » et De Gaulle en : « Il n’y a qu’une histoire de France[13] ». On retrouve aussi le même sentiment que la France est faite pour une république monarchique ou une monarchie républicaine, la même aspiration à « concilier l’ordre et la liberté, les droits du peuple et le principe d’autorité, le même primat du politique, le même sentiment que l’homme d’État animé d’une volonté est en capacité de pouvoir, la même conviction de la nécessité d’un exécutif fort qui soit pleinement responsable de ses actes devant le peuple souverain et qui établisse un lien direct avec lui, y compris en se rendant au contact direct des populations par des voyages à travers la France, la même aspiration à dépasser les clivages politiques partisans, la même idée que le parlementarisme doit être « rationnalisé », subordonné, divisé. Au « Gouverner par un parti c’est se mettre tôt ou tard dans sa dépendance : on ne m’y prendra pas ! Je suis national », de Napoléon[14], répond le « Soyons les hommes du pays et non les hommes d’un parti » de son neveu[15], et le « Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté, prouve précisément ce que je vous dis, c’est-à-dire que, maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France » de Charles de Gaulle[16].  On retrouve enfin, le même art de choisir ses subordonnés et de les faire se transcender (Molé, Rouher, Debré), la même aspiration à s’appuyer sur les hommes de talent de toutes provenances, sur l’expertise d’une haute fonction publique de qualité et sur les meilleurs spécialistes de chaque profession. Après Napoléon Ier qui affirme : «  Un gouvernement en appelant à soi toutes les intelligences, travaille dans son propre intérêt[17] », Louis-Napoléon entend « appeler aux fonctions publiques les hommes (…) les plus honnêtes, les plus capables, sans s’arrêter à leurs antécédents politiques[18] » et De Gaulle rappelle : « Personnellement, je ne me suis (…) jamais occupé de savoir de quelle famille spirituelle provenaient les hommes qui voulaient collaborer avec moi. Je tâchais de les juger seulement d’après leurs capacités, leur dignité et leur bonne volonté[19] ».

Les trois hommes sont des modernisateurs en phase avec leur temps, car ils ont compris, comme le souligne Louis-Napoléon que : « Marchez à la tête des idées de votre siècle, ces idées vous suivent et vous soutiennent. Marchez à leur suite, elles vous entraînent. Marchez contre elles, elles vous renversent[20] ». Ils arrivent au pouvoir avec un plan réformateur mûri et la conviction que les changements doivent se faire vite pour réussir. L’année qui suit le coup d’État du 2 décembre et les années 1944-1945 et 1958-1965 sont des échos du grand Consulat, des moments d’intenses réformes.

Napoléon, Napoléon III et de Gaulle jouissent d’une grande popularité, mais sont aussi très clivants, comptent des ennemis irréductibles dont certains attentent à leur vie : la rue Saint-Nicaise, Orsini, le Petit-Clamart… Ils en réchappent toujours et parfois même miraculeusement. Arrivés au pouvoir avec l’appui d’une grande partie des élites désireuses de se trouver un sauveur, Napoléon et De Gaulle tombent après avoir été lâchés par elles lorsqu’ils leur sont apparus comme des handicaps. Napoléon III dénote par rapport à eux en s’étant imposé contre la majorité des élites et en succombant après avoir pourtant réussi à les rallier.

[8] Bulletin des lois de la République française ; Xe série, 1re semestre 1852, t. IX, Imp. nationale, août 1852, n° 479, p. 49 et suiv.

[9] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, ouv. cité, rééd. Omnibus, 1996, tome 1, p. 274.

[10] Des Idées napoléoniennes, chapitre 3 [1839], dans Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. I, p. 99-100.

[11] Lucian Regenbogen, Napoléon a dit. Aphorismes, citations et opinions, Paris, Les Belles Lettres, 1998, 2002, p. 15.

[12] Discours du 1er décembre 1852 devant le Sénat et le Corps législatif, Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. III, p. 352-354.

[13] Discours du 6 septembre 1964 à Reims sur le site INA.fr.

[14] Lucian Regenbogen, ouv. cité, p. 19.

[15] Discours devant l’Assemblée le 20 décembre 1848, Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. III, p. 29-31.

[16] Entretien télévisé avec Michel Droit du 15 décembre 1965, Mémoires d’espoir, Paris, Plon, 1970, rééd. Omnibus, 1996, tome 2, p. 972.

[17] Lucian Regenbogen, ouv. cité, p. 60.

[18] Message du 7 juin 1849 à l’Assemblée législative, Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. III, p. 43 et suiv.

[19] Conférence de presse du 12 novembre 1947, Mémoires d’espoir, Paris, Plon, 1970, rééd. Omnibus, 1996, tome 2, p. 376 et suiv.

[20] Fragments historiques, 1688 et 1830, chapitre V, conclusion, Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. I, p. 329 et suiv.

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