Il est également fascinant de rapprocher le manifeste de Louis-Napoléon Bonaparte, candidat à la présidence de la République en novembre 1848 et son discours de Bordeaux qui annonce le passage à l’Empire quatre ans plus tard, d’une part, des prises de paroles publiques de De Gaulle rappelé aux affaires en juin 1958 : retour de la confiance, restauration des finances de la France, économies qui permettent de diminuer les impôts sans désorganiser les services publics, libération des capacités d’initiative des entreprises.

En revanche, le premier se singularise du second, lorsque devenu empereur, il a les mains libres. Il applique en effet la théorie des dépenses productives et accepte que soient lancés de grands emprunts alors que De Gaulle se montre beaucoup plus attaché au dogme de l’équilibre budgétaire comme pouvaient l’être Napoléon et la plupart des dirigeants du XIXe siècle.

Si le Blocus continental amène Napoléon à concevoir un espace économique européen dont son Empire serait le centre et qui exclut l’Angleterre et s’il incite même les rois de Naples et de Hollande à créer les mêmes subdivisions monétaires qu’en France pour faciliter les échanges dans cet espace[28], il reste avant tout un homme de son temps, très attaché au mercantilisme colbertien. En revanche, Napoléon III dénote en étant l’instigateur du traité de janvier 1860 libéralisant les échanges entre la France et la Grande-Bretagne, des autres traités commerciaux bilatéraux qui le suivent et de l’Union monétaire latine de décembre 1865. C’est ici De Gaulle qui apparaît en position intermédiaire. Héritant de la Communauté économique européenne mise en place un an avant son retour au pouvoir, il joue le jeu, tout en n’hésitant pas à pratiquer la politique de la chaise vide quand il estime que les intérêts français sont lésés et en refusant obstinément de faire entrer la Grande-Bretagne dans le Marché Commun.

  1. Une vision planétaire

Les questions internationales sont aussi centrales chez Louis-Napoléon-Napoléon III et De Gaulle qu’elles l’étaient pour Napoléon. L’objectif premier et constant des trois hommes d’État est la grandeur de la France. Depuis 1789, celle-ci se sent investie de la mission de répandre les Lumières et les droits de l’homme à travers l’Europe et Napoléon Bonaparte qui a été l’un de ses principaux missionnaires bottés de la Révolution en est le premier convaincu et continue cette politique sous le Consulat et l’Empire avant tout par le fer et par le feu et secondairement par la diplomatie.

Même s’ils usent principalement de celle-ci, dans le cas de Napoléon III, et exclusivement d’elle, dans celui de De Gaulle, l’un et l’autre sont les héritiers de l’empereur, y compris en recourant comme lui à des coups de théâtre. Ils considèrent aussi que la France ne peut souffrir la médiocrité. De Gaulle qui la destine à « des succès achevés ou des malheurs exemplaires[29] » fait ainsi écho à Louis-Napoléon lorsqu’il affirme : « Il faut qu’une nation comme la nôtre, si elle s’engage dans une lutte colossale, puisse justifier, à la face du monde, ou la grandeur de ses succès, ou la grandeur de ses revers[30]. »

[28] Voir J.-M. Thiveaud, « Monnaie universelle, unique, unitaire, cosmopolite, internationale… Petite anthologie de quelques siècles de projets monétaires entre utopie et réalité », Revue d’économie financière, vol. 36, n° 1, 1996.

[29] Mémoires de guerre, Paris, Plon [1954], rééd. Omnibus, 1996, t. 1, chapitre 1er, p. 9.

[30] Message du 7 juin 1849 à l’Assemblée législative, Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. III, p. 69.

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