Napoléon, Napoléon III, De Gaulle : Trois incarnations de l’État français entre similitudes et différences

La commémoration du bicentenaire du décès de Napoléon est l’occasion de revenir sur la trace qu’il laisse dans l’histoire au travers de deux de ses successeurs à la tête de l’État qui sont parfois comparés à lui : son neveu Louis-Napoléon-Napoléon III et Charles de Gaulle[1].

Si l’un et l’autre sont arrivés au sommet de l’État puis l’ont quitté à des âges bien plus avancés que le sien, Napoléon ayant même quitté le pouvoir à un âge où De Gaulle n’était même pas encore entré dans l’Histoire[2], et si les contextes sont différents puisque le premier empereur est fils des Lumières, son neveu de la révolution industrielle et De Gaulle de la Grande Guerre, ils sont les seuls avec Louis-Philippe, François Mitterrand et Jacques Chirac à avoir exercé d’aussi longs passages aux affaires, mais surtout des passages qui peuvent se comparer en raison de leur caractère marquant.

Cette analyse abordera synthétiquement et successivement la vision et l’action politique des trois hommes, les aspects économiques et sociaux de leur programme et enfin leur rapport à l’Europe et au monde.

  1. Une vision politique

Trois destins forgés dans l’adversité de personnalités qui ont cru en leur étoile et qui se sont vues en hommes providentiels, trois figures passées par une formation militaire qui les singularise du personnel politique traditionnel et qui leur apprend à gouverner, leur donne l’habitude du contrôle et leur enseigne que toute erreur si infime soit-elle peut avoir de graves conséquences, trois grands simulateurs et dissimulateurs disciples de Machiavel, trois réalisateurs de coups d’éclat pour prendre le pouvoir (Napoléon Bonaparte, les 18 et 19 Brumaire an VIII), pour s’y maintenir (le président Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851), ou pour y revenir (Charles de Gaulle le 13 mai 1958), en profitant d’un contexte de crise et de l’incapacité des dirigeants politiques d’alors à la résoudre (celle du Directoire avec la guerre extérieure, celle de la Deuxième République avec l’impasse constitutionnelle et celle de la Quatrième République avec la guerre d’Algérie), trois hommes d’État qui ont su discerner le sens de l’Histoire.

Louis-Napoléon assume totalement la source d’inspiration de son oncle dans le culte duquel il a été élevé par sa mère, la reine Hortense, elle-même, belle-fille, fille adoptive et belle-sœur de Napoléon et dont il a fait une lecture littérale de l’œuvre, en prenant le Mémorial de Sainte-Hélène pour bréviaire dès sa publication en 1823, au point de le citer constamment dans ses propres ouvrages, de réaliser son coup d’État le jour anniversaire du sacre de Napoléon et de sa plus belle victoire, Austerlitz, et d’affirmer reprendre son modèle dans le préambule de sa Constitution du 14 janvier 1852. De son côté, De Gaulle a pu invoquer sa légitimité contre la légalité, en juin 1940, en une formule qui n’est pas sans rappeler celles de ses deux prédécesseurs, mais il ne va pas jusqu’à se revendiquer explicitement de leur héritage politique : « Les deux Empires avaient pour un temps empêché la dispersion, mais moyennant la dictature[3] ». Il faut préciser ici que ses détracteurs se chargent de le faire pour lui, de Raymond Aron pendant la Deuxième Guerre mondiale à François Furet, Jacques Duclos et François Mitterrand au début de la Cinquième République. Il y a pourtant une parenté indéniable entre le bonapartisme tel que pratiqué par Napoléon, celui qui est théorisé et appliqué par son neveu et le gaullisme du général, ainsi que l’ont souligné René Rémond et maints autres analystes à la suite, dont Francis Choisel[4].

Comme Napoléon, ses deux successeurs ont la même conviction qu’à chaque peuple correspond une Constitution. « Non seulement un même système ne peut convenir à tous les peuples, écrit Louis-Napoléon, mais les lois doivent se modifier avec les générations, avec les circonstances, plus ou moins difficiles[5] ». Et encore : « Une Constitution doit être faite uniquement pour la nation à laquelle on veut l’adapter. Elle doit être comme un vêtement qui, pour être bien fait, ne doit aller qu’à un seul homme[6] ». Charles de Gaulle lui fait écho : « Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : « Quelle est la meilleure Constitution » ? Il répondait : « Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque[7] ».

[1] La comparaison se fait généralement deux à deux. Alors que Patrice Gueniffey a donné Napoléon et De Gaulle. Deux héros français (Paris, Perrin, 2017) et que Francis Choisel compare Napoléon III et De Gaulle dans Bonapartisme et gaullisme (Paris, Albatros, 1987), nous préparons avec Pierre Branda, un Napoléon et Napoléon III. Destins croisés pour Perrin.

[2] Respectivement, 40 et 62 ans dans le premier cas, 53 ans et 78 dans le second, contre 30 et 45 ans.

[3] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Paris, Plon, 1970, rééd. Omnibus, 1996, tome 2, chapitre 1er, p. 237.

[4] René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982 [1954], et Francis Choisel, ouv. cité.

[5] Considérations politiques et militaires sur la Suisse [1833], Napoléon III, Œuvres, Paris, Plon et Amyot, 1869, t. 2, p. 341.

[6] Des Idées napoléoniennes, chapitre 3 [1839], dans Napoléon III, Œuvres, ouv. cité, t. I, p. 98-99.

[7] Discours de Bayeux du 16 juin 1946, Mémoires d’espoir et allocutions et messages, ouv. cité, rééd., Omnibus, 1996, p. 314.

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