Le rapport de M. Plaisant, très précieux compte tenu de la destruction de nombreuses archives sur cette période, décrit l’organisation des ateliers de charité basée sur un ordre établi pour l’admission des ouvriers et pour l’organisation des ateliers, sur des règlements, et une discipline. Les ateliers de Montmartre créés en mai 1789 ont accueilli ainsi jusqu’à 32 000 ouvriers le 17 août 1789. Dans son rapport M. Plaisant précise que c’est l’administration de la police qui rassemble les vagabonds pour former des ateliers de charité dès le mois de mai 1789. Le Général Lafayette a dû intervenir le 15 août pour y rétablir l’ordre face aux séditions et mutineries journalières. Les ateliers de charité furent fermés car le travail y était faible et les frais importants. C’est une situation qui était perçue par la population comme une « immoralité ».

Les étrangers étaient conduits jusqu’aux frontières, et les vagabonds d’autres régions étaient payés pour retourner chez eux avec leur passeport, dispositif qui a dû aussi être surveillé en raison d’abus. Il s’agit de rétablir l’ordre et d’ôter du regard l’oisiveté révoltante. Mais pour éviter le vagabondage restant, de nouveaux ateliers furent créés à partir du 22 septembre 1789 avec une sélection à l’entrée par les présidents et commissaires des districts qui attribuaient des certificats. Ils se dénommèrent « Ateliers publics » et non plus « Ateliers de charité ». L’accès au droit reposait sur une reconnaissance, une légitimation. Des contrôles plus sévères furent opérés car des certificats se revendaient à travers des trafics. Les certificats devaient désormais comporter, en plus du nom, prénom, âge… « la corpulence et la description de la figure »[16]. Au 1er décembre, ils furent déjà 4 922 à y travailler. Les règlements prévoyaient des sanctions en cas de débordements, des radiations en cas d’absence, et déjà une forme de contrôle et de discipline, et donc un lien de subordination. Il était interdit de « jouer aux cartes », de « vaguer dans les terres ensemencées et les vignes »… En 1790, la pression était forte avec l’accroissement de la misère.

Le décret du 30 mai 1790 rendu par le rapport des Comités des recherches, des rapports et de mendicité, visant l’extinction de la mendicité, proposait d’ouvrir de nouveaux ateliers à Paris à travers des travaux de terre pour les hommes, et de filature pour les femmes et les enfants. Les enfants travaillaient toutefois déjà dans les ateliers, et parfois même par des substitutions d’enfants au lieu de leurs pères avec les certificats délivrés, et parfois p  ar de la complaisance. L’article 3 du décret prévoyait l’obligation de fournir du travail pour toute personne née en France qui en demanderait, mais avec un salaire en dessous de celui des artisans pour éviter des effets d’aubaine qui ne purent d’ailleurs être empêchés. Et les craintes s’exprimaient de plus en plus sur le fait que la situation pourrait devenir ingérable à Paris en attirant toutes les familles sans travail de la province. Chacun devait s’y engager sous peine d’être conduit dans un dépôt de mendicité.

Il a donc fallu accueillir de nouveaux ouvriers jusqu’à atteindre le chiffre de plus de 21 000 en octobre 1790. La municipalité n’était pas autorisée à refuser une personne qui demandait de l’ouvrage. Les ateliers étaient composés pour chacun en moyenne de 200 ouvriers de manière à éviter une communication entre les ouvriers dans une volonté de maintenir l’ordre. La formation de coalitions était sous surveillance pour éviter les insurrections. Dans chaque atelier, 5 personnes étaient affectées à la surveillance, en dehors des chefs, sous-chefs (deux pour 100 ouvriers), des gardes-outils devenus piqueurs, des contrôleurs qui circulaient dans les ateliers. Il existait ainsi une « police des ateliers » pour prévenir les petites insurrections qui arrivaient parfois les jours de paye, les délits comme la contrebande. On peut se demander si déjà il n’existe pas une émergence de l’emploi, au sens de supplicare, avec un lien de subordination et un encadrement très disciplinaire.Les moyens mobilisés en matière de légitimation, de reconnaissance, de vérification, d’encadrement, de contrôle, participent ainsi à une forme de subordination dans une relation entre employeur et employé. Bien que les ateliers de charité, ou public, s’inscrivaient dans une tradition philanthropique, le travail réalisé ne s’inscrivait pas dans un imaginaire d’émancipation individuelle mais bien de contrôle et de répression de l’oisiveté.

[16]Ibid., p. 22.

Pages : 1 2 3 4 5 6

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *